Comme « une barque est inévitablement emportée par des rapides à la cataracte qui doit l'abîmer », le narrateur d'«
Apparitions » ne peut résister à une force secrète qui l'entraîne !
Le narrateur de cette étrange nouvelle de
Tourgueniev est un gentilhomme russe très ordinaire, qui aime son chez soi. Alors qu'il est bien au chaud dans son lit, un rayon de lune, suivi d'un bruit indéfinissable, puis d'
un rêve, le dérange pour la première fois…
Une créature blanche lui apparaît telle un fantôme… qui l'attire irrésistiblement.
Cette apparition fantomatique est-elle
un revenant, une âme en peine, un mort vivant, un malin esprit ? le fantastique d'«
Apparitions » est de nature onirique, et surnaturelle.
Hallucination ? Vision ? Une sensation oppressante, mêlée d'inquiétude et de désespoir règne en permanence dans cet étonnant récit.
Au début, le narrateur est effrayé par cette silhouette diaphane.
Cette apparition l'invite à la rejoindre au pied d'un vieux chêne.
D'abord il hésite, puis, petit à petit, il se rassure… Elle lui devient familière. Chaque nuit, elle revient, réitère sa demande, et finalement il cède.
Dès ce premier rendez-vous la créature avoue l'aimer et lui demande de prononcer ces mots « prends-moi ».
Il tente de découvrir qui peut bien être ce spectre qui a des traits féminins…
Il s'agit d'une jeune femme qui dit s'appeler Ellis. Elle vient du pays d'après la mort, mais dans sa vie antérieure, elle est issue des brumes britanniques, des îles qui furent le berceau du roman noir et du vampirisme.
Ellis est-elle une amoureuse-vampire ? Une muse ?
La voix féminine se fait convaincante en affirmant au narrateur qu'elle l'aime. Telle une sangsue, elle aspire sa vie. Elle a jeté son dévolu sur lui.
Elle s'envole avec lui, le prenant fermement dans ses bras. Elle le conduit où il désire, et lui sert de guide. Elle lui offre le privilège de voir d'en haut différents lieux, et fait avec lui un curieux voyage dans le temps…
Plusieurs nuits de suite, le manège se reproduira, et leurs vols les mèneront un peu partout, à l'île de Wight, en Italie, à Rome où lui apparaîtra Jules César, sur les bords de la Volga où se sont de violents pirates qui surgiront du passé, puis à Paris et en Allemagne… ambiances inquiétantes, angoissantes… flou, visions effrayantes, maladives… Rêve ou réalité ? Cauchemar ? Etat second ?
Après un dernier voyage dramatique, la créature ne revient plus et le jeune narrateur semble être atteint d'anémie…
Cette nouvelle semble découler de l'expérience vécue du grand voyageur qu'était
Tourgueniev.
Les excursions dans le temps se rattachent à sa vie personnelle, notamment avec le voyage qu'il fit en 1840 en Italie.
C'est en 1864, que paraît cette nouvelle, dans « L'Epoque », la revue de Dostoïevsky.
«
Apparitions » est le premier récit à tendance fantastique de
Tourgueniev.
Quand on referme ce livre, on est en droit de s'interroger : qu'est-ce que cet étrange récit ?
Est-ce une allégorie énigmatique, ou bien
Tourgueniev a-t-il laissé sa plume libre d'écrire un conte onirique sans signification particulière, si ce n'est créer une ambiance irréelle et éthérée, propre à nous plonger dans un plaisir ouaté ?
En tout cas, dans cette courte nouvelle pleine de mystère, la progression des sentiments ressentis par le narrateur est belle. Il y a d'abord la peur, puis l'excitation, le plaisir de voler au-dessus du monde, puis la tendresse pour son amoureuse dont il ne sait rien, elle qui ne répond jamais à ses questions. Ce court récit est une belle découverte, où le fantastique et l'onirique se mêlent et nous intriguent étrangement.