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Roger Chartier (Directeur de publication)Alain Paire (Directeur de publication)
EAN : 9782228897778
336 pages
Payot et Rivages (12/09/2003)
3.42/5   6 notes
Résumé :

La lecture est une pratique culturelle si immédiate qu’elle semble n’avoir jamais été autre chose que ce qu’elle est aujourd’hui. N’est-elle pas, en effet, le résultat le plus universellement partagé de l’apprentissage scolaire ? N’implique-t-elle pas toujours une relation intime entre un lecteur solitaire et le livre ou le journal qui est sa lecture ? Tout au plus pouvait-on reconnaître le ... >Voir plus
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Pratiques de la lecture rassemble les huit contributions de dix chercheurs, spécialisés dans différents domaines allant de la linguistiques à la sociologie, en passant par la littérature et la psychologie, autour de la thématique de la lecture et de l'écrit. Roger Chartier, qui dirige la publication, entend en orienter la lecture à la lumière de ce qui animait les réflexions des contributeurs, c'est-à-dire l'interrogation, la remise en cause, non pas du thème ou du phénomène, mais plus précisément de la pratique de la lecture. Pour ce faire, les différents chapitres étudient aussi bien les mécaniques de la pratique (L'apprentissage) que la formes et le sens qui sont donnés à la lecture (Figures du livres) et que le rapport subtil du lecteur à l'écrit (Les lecteurs ordinaires). En dernier lieu, la pratique culturelle est interrogée sous ses formes psycho-sociologiques dans le cadre d'un débat entre Pierre Bourdieu et Roger Chartier qui entre en résonnance avec les questions soulevées par ce dernier au cours de l'ouvrage.

L'APPRENTISSAGE

Dans le premier article, "La lecture et ses difficultés" (p. 15-28), François Bresson reprend la lecture à son fonctionnement fondamental, évoquant les causes les difficultés qu'elle peut engendrer en décortiquant les postulats culturels et linguistiques qui entoure l'apprentissage de l'oral et de l'écrit. Il souligne combien ce phénomène culturel qui envahit notre quotidien est finalement « peu naturel », attendu que « nous ne savons pas nous passer d'un enseignement pour y avoir accès » (p. 28).

Dans l'article suivant, "L'autodidaxie exemplaire. Comment Valentin Jumerey-Duval apprit-il à lire ?" (p. 29-78), Jean Hébrard nous fournit, par l'exemple de l'autodidaxie et celui plus particulier d'un berger du XVIIIe, une analyse de l'accès progressif à l'écrit et de la transcendance des classes sociales qu'il permet. Il distingue trois étapes : en premier lieu, celle du « champ culturel originaire », communauté illettrée mais émaillée d'une présence ponctuelle « presque subliminaire » de l'écrit (p. 39) ; en deuxième lieu, la rupture « méthodique » opérée par le sujet d'avec ces références, « l'éclatement de ce sol de références » concernant les pratiques écrites, alors même que le sujet n'est pas encore lecteur ; et en dernier lieu, l'apprentissage des signes de la lecture, qui le fera ensuite entrer sur un nouveau palier culturel, intellectuel, et social. Jean Hébrard souligne la différence qui demeure dans le rapport à l'écrit de ceux qui ont appris à lire et de ceux qui l'ont toujours su, des « tensions » qui sont le « signe d'un déplacement culturel construit » (p. 75).

FIGURES DU LIVRE

Dans son article "Du livre au lire" (p. 81-118), Roger Chartier nous fait part, en substance, des réflexions qui sont le moteur de ses recherches, et le fil conducteur de cet ouvrage. Avec des exemples tirés du théâtre et de la peinture, il rappelle en outre le passage de la lecture intensive à extensive (p. 91), et le changement de nature d'une activité collective devenue intime (p. 97). le coeur de son propos est que la lecture, activité créatrice, est le résultat d'interactions importantes et continuelles entre trois pôles : d'abord, celui de la « mise en texte » (p. 104), c'est-à-dire les indications explicites ou implicites données par l'auteur au lecteur pour lui suggérer une lecture particulière ; ensuite, celui de la « mise en livre » qui tient du travail de l'imprimeur ou éditeur ; enfin, celui du lecteur et de son bagage personnel (p. 106). Chartier donne l'exemple de l'interaction de ces pôles par l'analyse de la Bibliothèque Bleue (p. 109-114), collection populaire qui a pourtant réédité des classiques, ce qui permet de prendre avec un certain recul les conceptions culturelles étanches en matière de littérature en fonction des milieux, mais sous une forme fragmentée, redécoupée, modifiée, qui soit plus adaptée aux habitudes de lecture de son public désigné.

Jean-Marie Goulemot, dans son article "De la lecture comme production de sens" (p. 119-131), s'attache à montrer que la lecture est constitution et non reconstitution de sens, cela en regard de tous les éléments extérieurs au texte qui entrent en jeu lors de cette pratique. Les trois éléments en sont les contraintes physiologiques de l'activité d'abord, l'histoire collective et personnelle du lecteur ensuite, et la bibliothèque mentale unique de ce dernier enfin.

Dans "Lire un tableau. Une lettre de Poussin en 1639" (p. 133-159), Louis Marin interroge la proximité entre la lecture d'un texte et d'une image, notamment en regard du protocole de lecture suggéré, voir imposé, par l'auteur ou l'artiste. Il prend pour ce faire l'exemple d'une lettre du peintre Nicolas Poussin à l'un de ses amis, qui reprend en son corps les trois facteurs externes évoqués par Goulemot, notamment en ce qui concerne les connaissances préalables (p. 145) du « lecteur ».

LES LECTEURS ORDINAIRES

Robert Darnton, dans son intervention "La lecture rousseauiste et un lecteur « ordinaire » au XVIIIe siècle" (p. 167-207), s'intéresse à la figure de lecteur d'un homme lambda du XVIIIe (avec ses syncrétismes ; Darnton n'entend pas en faire un exemple typique), et particulièrement à sa façon de s'approprier la chose écrite (p. 173). Il lie l'appréciation personnelle que le lecteur a de l'objet livre dans ses attributs physiques (qualité du papier et de la typographie, notamment), avec l'usage d'apprentissage qu'il en fera, notamment pour ses propres enfants (p. 175-176). Ranson, le personnage pris exemple par Darnton, adopte les vues de Rousseau : il faut lire non pas par divertissement, mais lire « pour se former moralement, pour vivre » (p. 179). Sa bibliothèque personnelle très fournie en textes religieux et en livres pour enfants et pour leur éducation, ainsi que sa correspondance, sont la preuve d'une application des préceptes de son héros littéraire, Rousseau : en s'appropriant ainsi les textes, le lecteur témoigne « de la force d'une nouvelle lecture » (p. 197).

Dans son article "Les pratiques de l'écrit dans les villes françaises au XVIIIe siècle" (p. 209-238), Daniel Roche se penche sur la présence et les pratiques de l'écrit dans les milieux urbains prérévolutionnaires. Il souligne la multiplication de l'écrit dans l'environnement immédiat de la population : sur les maisons on trouve des noms de rues et des numéros (p. 231), sur les murs, des affiches, sur les magasins, des enseignes, des avis placardés, mais aussi dans la littérature de colportage et « clandestine » (p. 218). « L'écrit circule, s'imprime, informe » (p. 209). Autant de signes qu'il lie à la progression de la lecture, dont il souligne qu'elle varie sensiblement, notamment selon les régions et le milieu professionnel.

"Le livre et sa magie" (p. 239-273), de Daniel Fabre entend rapprocher le rapport entretenu par les populations avec le livre de celui entretenu avec la magie, dans la deuxième moitié du XIXe, dans des régions où l'écrit s'est installé tardivement (en l'occurrence, dans les Pyrénées). Il pointe du doigt la fascination que suscite l'activité, en ce qu'elle a d'étrange voire d'incompréhensible ; il évoque le prestige social mêlé de distance qui l'accompagne, mais aussi, la confusion autour du « livre et ses pouvoirs » (p. 246). On trouve trace de témoignages assurant que telle personne détenait un livre qui « portait chance à tout le monde », « qui lui donnait de l'argent » (etc.) (p. 246). La proximité de la lecture avec les activités du démon est d'autant plus perceptible que le lecteur « neuf », celui qui a appris les signes obscurs, qui détient le code d'interprétation, peut changer de discours et de comportement jusqu'à « [faire] tourner la tête » (p. 252). Ainsi le livre peut être un outil mystérieux et magique.

LA LECTURE : UNE PRATIQUE CULTURELLE

Ce recueil se clôt sur la retranscription d'un échange entre Roger Chartier et Pierre Bourdieu, "La lecture : une pratique culturelle" (p. 277-306), dans laquelle ce dernier nous fait partager plusieurs de ses théories sur les pratiques culturelles (ce afin de « départiculariser » la lecture et d'extrapoler les réflexions ici menées à d'autres pratiques (p. 278)), notamment en ce qui concerne l'aspect de reconnaissance sociale (p. 284) encore très lié à la lecture, de nos jours. Il souligne la persistance de la notion de bonne lecture, qui si elle s'est éloignée de la morale religieuse, a gagné un postulat intellectuel. Il pointe combien la valeur sociale du livre est au coeur de la lecture, au point qu'il est « probable », selon lui, que l'on lise « quand on a un marché sur lequel on peut placer des discours concernant les lectures », c'est-à-dire que la lecture serait conditionnée dans sa fréquence et sa qualité par le fait que le lecteur puisse l'évoquer dans un cercle social donné. Partant du constat que la seule vraie lecture spontanée se fait pour le divertissement, Pierre Bourdieu et Roger Chartier s'interrogent sur les politiques de la lecture et le « droit » à la lecture avancé par les intellectuels, s'il n'est pas une posture intéressée. de même, ils interrogent le rôle de l'école, qui détruirait malgré elle une attente de lecture « réponse » pour en susciter (parfois) une autre, parallèle.

CONCLUSION

« Lorsque le livre (…) est un pouvoir, le pouvoir sur le livre est évidemment un pouvoir » (p. 292), semble vouloir rappeler Bourdieu. Ce recueil se sera chargé de restituer non seulement le pouvoir « magique » du livre (des changements que peut opérer sur le lecteur le simple fait de lire, à l'influence sociale d'un Rousseau), mais aussi l'espace d'appropriation personnel du lecteur, énorme, et crucial pour que la magie « opère ». Les conditions de lecture doivent être favorable à l'exercice, par le livre, de son pouvoir. Car la dénomination de « lecture » recouvre une multitude de pratiques et d'enjeux : c'est le fil conducteur de ce recueil et l'opinion partagée par les différents chercheurs y ayant contribué. Cet ouvrage entend ainsi éclaircir les eaux troubles d'une pratique immensément commune mais rarement interrogée, et écarter nombre de préconceptions la concernant, ce à quoi il parvient d'autant mieux qu'il fait pour cela se rejoindre des méthodes de recherches et d'analyses très diverses, fidèles représentations de la pluralité des réalités recouvertes par les pratiques de la lecture.
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http://www.decitre.fr/livres/pratiques-de-la-lecture-9782228897778.htm
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Dans le Camille Desmoulins en prison de Hubert Robert, la représentation de la lecture solitaire atteint un point-limite : dans un isolement forcé et absolu, le livre devient compagnon de détresse, tout comme les quelques objets familiers ou le portrait de la femme aimée. Lu en marchant, il introduit dans la clôture carcérale la mémoire du monde extérieur et il fortifie l'âme dans un sort contraire et injuste.
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Lire, c'est donc constituer et non pas reconstituer un sens.
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Videos de Roger Chartier (13) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Roger Chartier
Leçon inaugurale de Roger Chartier prononcée le 11 octobre 2007. Roger Chartier est professeur du Collège de France et titulaire de la Chaire Écrit et cultures dans l'Europe moderne.
Une coproduction Collège de France – CNED – Doriane Films
Découvrez les enregistrements audios et vidéos de ses enseignements : https://www.college-de-france.fr/chaire/roger-chartier-ecrit-et-cultures-dans-europe-moderne-chaire-statutaire
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