LES SOUVENIRS -
DAVID FOENKINOS - nrf- Gallimard ( 266pages – 18,50€)
David Foenkinos se sentit prêt une fois « avoir accumulé la mélancolie nécessaire » et traversé une zone « d'instabilité ». Ne se souvient il pas, lui aussi, de l'instant où « il a pensé: c'est le moment »?
Son point de départ ?La perte d'un grand-père tant aimé. Il confie aux mots son désarroi, l'indicible.
A la manière de Perec ou Mastroianni , le narrateur égrène un chapelet de souvenirs, piochant dans les siens, ceux de ses proches, rebondissant sur ceux de
Modiano, Gainsbourg, Gaudi et ceux de bien d'autres personnalités ou anonymes(le policier qui pleure une fois par décennie) , avec la régularité d'un métronome. de cette plongée dans la mémoire, il exhume des images d'une netteté sidérante. Revisiter son enfance avec ce grand-père c'est ouvrir le tabernacle des moments de félicité et de complicité. Très vite , l'attention du lecteur se focalise sur la grand-mère que le fils veut 'sécuriser', en la plaçant dans une maison de retraite.L'anxiété du pére est palpable.
L'auteur aborde avec une bonne dose d'humour , noir parfois, et « un moral d'acier » la question sensible à laquelle beaucoup sont confrontés: celle du devenir d'une personne dépendante, parfois atteinte de« cette saloperie » d'Alzheimer. Il soulève les problèmes liés à la déchéance physique ou psychique, l'acharnement thérapeutique « A quoi ont rimé tous ces trajets en forme de sursis? ». Plongé dans cet univers , le narrateur est sous le choc, taraudé par une pléthore de questions, se projetant à cet âge. Il fustige son ingratitude quand lui aussi réalise qu'il abandonne cette grand-mère résignée, si courageuse. Il pointe les mésententes dans les fratries, décortiquant l'attitude de son père. La disparition de Denise , cette grand-mère encore capable de folies, relance le récit. le narrateur , veilleur de nuit,éperonne le lecteur quand il se transforme en véritable limier, épinglant certaines institutions. Est-elle en danger? Toutes les hypothèses les plus loufoques défilent. Va-t-il réussir à retrouver ses traces? L' angoisse est à son paroxysme. Tout s'accélère. On suit , comme un travelling, la course poursuite du narrateur sur l'autoroute et ses prospections à Etretat.
La vie conjugale des protagonistes est digne d'un feuilleton, chaotique, « un manège de montagnes russes ». Attendre sa promise dans un cimetière est assez insolite tout comme y donner son premier baiser.Entendre une de ses phrases très atypique dans la bouche d'un comédien n'est pas banal. Mais « l'amour est un pays compliqué !» et le narrateur en fait les frais avec « Une famille qui part en lambeaux ». Il a souffert de « l'étroitesse affective de ses parents, des ombres pour lui ».Des parents à la retraite « embourbés dans la haine », une mère 'femme cougar'. le narrateur, devenu « veilleur de chagrin , VRP de la vie », va s'interroger sur la notion du bonheur et radiographie son couple. Après son désert affectif , « une vie sexuelle qui ressemblait à un film suédois », il succombe au charme de Louise « sa troisième étoile », évoque la première étincelle, les débuts incandescents, « l'élégance des fragments de la séduction »,l'arrivée du fils « tel un monument dans les griffes d'un japonais »,puis comment les liens se fissurent , se délitent malgré la tentative de se rabibocher lors d'un voyage à Barcelone, jouant un remake de
John Lennon et
Yoko Ono en « visitant la plus belle partie de la ville:leur lit ».Pour Louise «belle comme une éclipse » , c'est le désamour et pour le narrateur il reste la joie d'être parent célibataire.Quand « la douleur amoureuse se transforme en météorite de fantaisie » , c'est du grain à moudre pour l'écrivain, « plus besoin de courir après les idées ». Il sait nous tenir en haleine quand les couples tardent à divulguer la révélation annoncée. Son psy , il va le trouver par hasard dans une station- service , en la personne du caissier compatissant . Ne va-t-il pas lui donner, à deux reprises,un conseil d'homme averti et lui apporter « une virgule dans sa déprime »? Il y découvre « la beauté de ce refuge extra géographique, sa poésie anonyme » et l'avantage des Twix!
Contraint de mettre momentanément sa vie professionnelle entre parenthèses, le narrateur peut compter sur la compréhension de Gérard, son patron qui voit en lui un successeur potentiel , un fils adoptif,et même un futur
James Joyce, l'encourageant à concrétiser son ambition d'écrivain.
Les lecteurs Foenkinosphiles prendront plaisir à traquer ces mots récurrents que l'auteur se plait à injecter dans chacun de ses livres comme : polonais , cravate, femme suisse, cheveux, la rhapsodie des rotules ,le goût pour la langue allemande, sans oublier la scène du baiser, devenue mythique .
David Foenkinos explore des paysages plus autobiographiques. Il met en scène un narrateur dont le passé familial , les blessures , les fractures affectives ont nourri son inspiration et son imagination .
Ne fallait-il pas qu'il vive des choses, traverse des épreuves , des turbulences et constate que « La vie est une machine à explorer notre insensibilité » avant que «le roman fasse son premier pas et que les mots avancent vers lui »? Occasion pour l'auteur de rappeler que « les
romans ne se cachaient pas entre les heures fixes mais dans l'infidélité ».Dans un subtil fondu enchainé se succèdent des scènes bouleversantes (la dépression de la mère, les retrouvailles de la grand-mère avec Alice, la surprise d'anniversaire), poignante comme « les dernières jours de la vie d'une femme » ou truculentes, hilarantes ( comme le destin du tableau de la vache, la scène au commissariat, le délire alcoolisé des futurs mariés et l'achat précipité de leurs tenues, les adieux sur un quai de gare et le fantasme du narrateur sur les chevilles ,le quiproquo chez la coiffeuse , un cycliste bousculant une femme lisant dans le métro!).Gravité et légèreté s'équilibrent .
Le
roman se termine sur un tableau attendrissant d'un père amenant son fils sur les traces de son enfance, avec une pointe de nostalgie au moment où « le passé lui tapa dans le dos comme une vieille connaissance »,le lieu ressuscitant ce grand-père qui lui manque. Pour son dixième roman ,
David Foenkinos nous offre un récit enlevé, attachant , votif . Ne rend-t-il pas la vie à ses grands parents par la seule force de la mémoire? Cette déclaration d'amour d'un petit-fils pour sa grand-mère a pour écho cette pensée de Kawabata , citée par l'auteur:« La mort donne l'obligation d'aimer ».Drôle son cortège de trouvailles fulgurantes: « le bar ? Une version alcoolique du phare » , les disputes géométriques ou « L'amour rend presque aveugle ; c'est une affaire de millimètres » , « Le soulagement est la version douce de la lâcheté ». Absurdes ou ridicules certaines situations( le père mesurant son fils,le suspense en attendant que les parents ouvrent), dignes du théâtre de boulevard. Originale cette construction à rebonds, avec notes en bas de page, digressions ( rélexion sur l'art et la laideur) et un goût prononcé pour les listes. Tous les ingrédients sont réunis pour un film à la
Woody Allen , avec flashback en noir et blanc sur le passé des protagonistes. Si le narrateur déplore «l'éclat de sa médiocrité » à ses débuts, l'auteur signe un roman d'une certaine gravité, riche en rebondissements, en inversion de situations( les uns se marient , les autres divorcent et vice versa!), un livre prometteur à bien d'égards, mâtiné de tendresse , d'élégance et osons le clamer de Délicatesse! A l'image de la sensibilté de l'auteur.
N'aurait-il pas déjà semé en jalon le mot Occupation, thème probable du
roman suivant?
Dans cette traversée des souvenirs « La seule chose qui nous appartiennent vraiment », des premières fois « suprématie des souvenirs »,
David Foenkinos nous offre un kaléidoscope de sentiments extrêmes et un komboloï d'émotions qui laisseront une empreinte indélébile.