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Jacques Porchat (Traducteur)Jean Lacoste (Traducteur)
EAN : 9782841003020
640 pages
Bartillat (06/02/2003)
4.25/5   18 notes
Résumé :

Ce Voyage en Italie de Goethe est important à plus d'un titre. On petit légitimement considérer qu'il a marqué une rupture dans sa vie. En prenant la route du Sud en 1786, Goethe a voulu échapper à un univers qu'il sentait trop pesant : " Je me suis enfin de Carlsbad à trois heures du matin : autrement on ne m'aurait pas laissé partir. " Il se dérobe incognito, à la hâte, affronte les périls et se métamorphose en Wanderer : le voyageur, le vagabond, l'er... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique

Un long périple - septembre 1786/juin 1787 , puis un second séjour à Rome de juin 1787 à avril 1788 - en Italie, aux côtés de Johann Wolfgang von Goethe, par petites étapes, en partant de l'Autriche, en franchissant le col de Brenner et du nord au sud : Vérone, Vicence, Padoue , Venise, Ferrare, Bologne, Florence ( plus rapidement) , Pérouse, Assise, Tivoli, Rome , le Sud de la botte, la Campanie, Naples , la Sicile, Palerme, Ségeste, Agrigente, Taormine…
Avec lui, prendre le temps de se poser, de flâner, pour (re) découvrir villes, villages, admirer le panorama grandiose , visiter les monuments antiques, ceux de la Renaissance , s'imprégner des ambiances , des couleurs (les lointains bleutés de la campagne Romaine) , de la lumière de la Toscane, des saveurs, partager des moments conviviaux avec la population locale (scènes typiques de marchés, du Carnaval romain, découverte des petits métiers), observer, s'émerveiller devant la flore méditerranéenne curieuse, odorante , aux côtés d'un compagnon de voyage passionné et passionnant, guide érudit, romantique attentif, qui décrit avec lyrisme, ce qu'il voit, ce qu'il ressent, partager ses affinités (pas forcément électives !) , cheminer en lisant seulement quelques pages à la fois pour éviter… les fatigues de la route (un gros livre de 640 pages) .
Un voyage tout à la fois « intelligent, intellectuel, animé et orienté par une problématique scientifique,philosophique, esthétique » en somme plus, beaucoup plus, qu'une banale randonnée touristique .
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C'est en 1786 que Goethe arrive en Italie après avoir franchi le col du Brenner. Il y découvre une vie plus insouciante et son enthousiasme devient très vite communicatif. Il se sent transformé bien que ce voyage n'ait pas été sans inconfort et sans danger - il faillit notamment s'échouer lors de son retour de Sicile . Il s'intéresse non seulement aux moeurs de ses habitants, mais aussi à la nature, aux paysages, qu'il décrit en s'aidant de ses connaissances en minéralogie et en botanique, et surtout à l'art, de l'antiquité à la renaissance, qu'il étudie tout en s'adonnant à sa passion pour le dessin. En Sicile il contemple les ruines imposantes de temples grecs et évoque Ulysse et son long périple en mer. Il s'attarda à Rome, à Naples, à Palerme, etc.
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Goethe a passé deux années en Italie. Rome, Naples et Sicile sont les étapes le plus importantes de son séjour. Il a ardemment désire ce voyage pour découvrir le haut lieu de la civilisation antique. Il s'immerge, tout cela le nourrit et éveille ses sens.
La première moitié m'a semblé un texte vibrant de bonheur. Cependant, la deuxième moitié, consacrée à son second séjour à Rome, m'a paru plate et répétitive.
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En 1786, âgé de trente-sept ans, Goethe vit son arrivée à Rome comme une renaissance. Etre enfin sur place remet en cause ses acquis. Cette remise en cause est féconde, il s'en réjouit.
Il est animé d'une vraie passion pour l'art antique. En revanche très peu d'artistes de la Renaissance et du Baroque suscitent sa curiosité. Il mentionne à plusieurs reprises l'Apollon du Belvédère. Afin de mieux s'imprégner de ces images, il exécute des croquis et se fait accompagner par un jeune dessinateur pour garder une trace.
Le paysage, la lumière, le climat et le contraste par rapport à sa terre natale sont également source d'étonnement. Tout cela évoque pour lui l'Odyssée d'Homer.
Les rencontres et les moeurs sont évoqués aussi, mais semblent secondaires par rapport à l'intérêt esthétique et historique. Comme il est un esprit encyclopédique, l'écrivain élargit aussi sa vision des sciences de la terre et de la botanique.
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Franchement, je n'attendais pas grand-chose de ce compte rendu de voyage. Ma seule lecture précédente, « Les Affinités électives », m'a endormie. Mais l'Italie vue par Goethe mérite largement le détour. En séjournant à Rome, il s'efforce de l'imaginer telle qu'elle était à l'époque de l'Empire Romain. Et moi, je m'efforce d'imaginer Rome telle que lui, Goethe, l'a vue.
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Le motto de cette oeuvre : Et in Arcadia ego ! (je suis aussi en Arcadie)
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Dans « Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister » de Goethe on lit ce vers emblématique :
« Connais-tu le pays où les citronniers fleurissent [ …] »
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Le Voyage en Italie de Goethe est une belle balade dans l'Italie de la fin du XVIIIe siècle où tous les bons romantiques de l'époque se devaient de faire leur grand tour.

On peut ainsi s'amuser de voir Goethe retrouver tant de compatriotes allemands et d'autres personnages érudits comme lui. Il fréquente les palais, les gouverneurs et duchesses, ne lui manque plus que son Instagram pour nous faire partager sa vie de rêve avec les riches et les puissants !

Pourtant, l'homme se présente comme un scientifique et artiste en herbe, dont l'observation des paysages et des êtres se révèle bien retranscrite. Sa description de la vie des hommes à Venise, Rome, Naples et en Sicile est surtout intéressante à suivre. Ses observations naturalistes apparaissent par contre assez ennuyeuses et inintéressantes au regard de ce que la science sait aujourd'hui sur les plantes et les roches.

C'est néanmoins son observation de l'éruption du Vésuve depuis la fenêtre d'un salon d'une duchesse que le récit s'avère beau ; on s'imagine avec lui à ce moment-là. Goethe respire l'humanisme et les Lumières et c'est un compagnon de voyage très sympathique.

Le récit est-il pourtant une initiation ou un passage obligé pour l'homme de son temps ?
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critiques presse (1)
LeFigaro
18 juin 2011
Voyage en Italie permet de découvrir un autre Goethe, trop souvent enseveli sous Les Souffrances du jeune Werther.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (189) Voir plus Ajouter une citation
Mercredi 16 mai 1787.

Nous avons passé de la sorte l’après-midi, sans avoir pénétré, selon nos désirs, dans le golfe de Naples. Nous avons été poussés toujours plus vers l’ouest ; le vaisseau s’approchait de Capri et s’éloignait sans cesse davantage du cap Minerve. Tous les passagers étaient impatients et fâchés ; mais nous deux, qui observions le monde avec l’œil du peintre, nous pouvions être fort satisfaits. Au soleil couchant, nous avons joui de l’aspect le plus admirable qui se soit offert à nous dans tout le voyage. Devant nos yeux s’allongeait le cap Minerve, brillamment coloré ainsi que les montagnes voisines, tandis que les rochers qui s’étendent au sud avaient déjà pris un ton bleuâtre. Depuis le cap, toute la côte s’illuminait jusqu’à Sorrente. On apercevait le Vésuve, surmonté d’une masse énorme de vapeurs, dont une longue traînée s’avançait vers l’est, et pouvait nous faire présumer une violente éruption. A gauche, Capri se dressait vers le ciel ; nous pouvions distinguer parfaitement à travers la vapeur transparente et bleuâtre les formes de ses rochers. Sous un ciel parfaitement pur et sans nuages, brillait la mer à peine agitée, et qui, dans le silence absolu du vent, finit par se déployer devant nous comme un étang limpide. Nous étions enchantés. Kniep s’affligeait de ce que tout l’art du coloriste ne suffisait pas à reproduire cette harmonie, tout comme le plus fin crayon anglais n’était pas suffisant, dans la main la plus exercée, pour retracer ces lignes. Mais moi, persuadé qu’un souvenir bien moins fidèle que ne pourrait le reproduire cet habile artiste serait infiniment précieux dans l’avenir, je l’ai exhorté à faire un dernier effort de l’œil et de la main ; il s’est laissé persuader, et il a exécuté un de ses dessins les plus exacts, qu’il a ensuite colorié, donnant la preuve que le pinceau du peintre pouvait l’impossible. Nous avons observé d’un œil aussi curieux le passage du jour à la nuit. Capri était maintenant devant nous, tout à fait ténébreuse, et, à notre grande surprise, le nuage du Vésuve, tout comme les nuages traînants, s’enflammait de plus en plus ; nous vîmes enfin dans le fond de notre tableau une étendue considérable de l’atmosphère illuminée et même jetant des éclairs.

En présence d’une si belle scène, nous n’avions pas remarqué qu’un grand mal nous menaçait, mais le mouvement qui se fit parmi les passagers nous en instruisit bientôt. Plus au fait que nous des aventures de mer, ils faisaient au capitaine et à son pilote des reproches amers d’avoir, par leur inhabileté, manqué le détroit et mis en danger de périr les personnes et les biens qui leur étaient confiés. Nous demandâmes la cause de cette inquiétude, car nous ne pouvions comprendre que, par un calme parfait, on eût quelque malheur à craindre. Et c’était ce calme justement qui désespérait tout le monde. « Nous sommes déjà, disaient-ils, dans le courant qui tourne autour de l’île, et qui, par un singulier mouvement des flots, aussi lent qu’irrésistible, nous entraîne vers les rochers escarpés, où ne se trouve pas un pied de saillie, pas une anse pour nous sauver. » Attentifs à ces discours, nous considérâmes notre sort avec horreur. En effet, quoique la nuit ne permit pas de distinguer le péril croissant, nous observions que le navire, se berçant, et balançant, s’approchait des rochers, qui se dressaient toujours plus sombres devant nous, tandis qu’un léger crépuscule s’étendait encore sur la mer. On ne pouvait pas remarquer dans, l’atmosphère le plus faible mouvement. Chacun déployait et levait en l’air des mouchoirs et de légers rubans, mais il ne se manifestait aucun signe d’un souffle désiré. La foule était toujours plus bruyante et plus tumultueuse. Les femmes n’étaient pas à genoux en prières sur le pont avec leurs enfants, l’espace étant trop étroit pour qu’il fût possible de s’y remuer, elles étaient couchées côte à côte. Plus encore que les hommes, qui étaient assez sages pour songer aux moyens de salut, les femmes invectivaient et maudissaient le capitaine. On lui jetait à la face toutes les critiques qu’on avait faites à part soi pendant tout le voyage, le prix fort cher qu’il faisait payer pour un étroit espace et une mauvaise nourriture, enlin sa conduite, non pas malhonnête, mais mystérieuse. Il n’avait rendu compte à personne de ses actions, et, même le dernier soir, il avait gardé un silence obstiné sur ses manœuvres. Ils n’étaient plus, lui et le pilote, que des marchands venus on ne sait d’où, qui, sans connaissance de la navigation, avaient su, par simple cupidité, se procurer un vaisseau, et qui, par leur incapacité et leur ineptie, causaient la perte de toutes les personnes qui s’étaient confiées en eux. Le capitaine se taisait et semblait toujours s’occuper de notre salut. Pour moi qui, dès mon jeune âge, avais trouvé l’anarchie plus odieuse que la mort, il me fut impossible de me taire plus longtemps. Je m’avançai et je parlai à ces gens à peu près avec le même calme qu’aux oiseaux de Malsesine. Je leur représentai que, dans ce moment, leur vacarme et leurs cris troublaient l’oreille et l’esprit de ceux sur qui reposait notre unique espérance de salut, en sorte qu’ils ne pouvaient ni réfléchir ni s’entendre l’un l’autre. « Pour ce qui vous regarde, m’écriai-je, rentrez en vous-mêmes et adressez votre fervente prière à la Mère de Dieu, qui seule peut, s’il lui plaît, intercéder auprès de son Fils, afin qu’il fasse pour vous ce qu’il fit autrefois pour ses apôtres sur le lac de Tibériade, quand les flots s’élançaient déjà dans la barque et que le Seigneur dormait ; et cependant, quand les désespérés l’éveillèrent, il ordonna sur-le-champ au vent de s’apaiser, comme il peut maintenant lui commander de se mettre en mouvement, si d’ailleurs telle est sa sainte volonté. »

Ces paroles produisirent le meilleur effet. Une des femmes, avec laquelle je m’étais entretenu auparavant sur des sujets moraux et religieux, s’écria : Ah ! il Barlamè ! benedctto il Barlamé ! En effet, déjà tombées à genoux, elles commencèrent à réciter leurs litanies avec une ferveur extrordinaire. Elles pouvaient le faire avec d’autant plus de tranquillité, que l’équipage essayait encore un moyen de salut, qui du moins frappait les yeux. On avait mis à la mer la chaloupe, qui ne pouvait contenir que six à huit hommes ; on l’attacha par une longue corde au vaisseau, que les matelots tiraient à eux à force de rames. On crut un moment qu’ils le faisaient mouvoir dans le courant, et l’on espérait l’en voir bientôt dégagé. Mais, soit que ces efforts augmentassent la résistance du courant, soit par toute autre cause, la chaloupe et les hommes qui la montaient furent avec la longue corde rejetés circulairement vers le navire, comme la mèche d’un fouet, quand le cocher en a porté un coup. C’était encore une espérance évanouie !

La prière et les gémissements se succédaient tour à tour, et, pour rendre la situation plus affreuse, sur le haut des rochers, les chevriers, dont on avait vu les feux depuis longtemps, criaient d’une voix sourde qu’un navire échouait là-bas. Ils s’adressaient les uns aux autres bien des paroles intelligibles, et quelques passagers, qui connaissaient leur langage, croyaient comprendre qu’ils se réjouissaient du butin qu’ils espéraient pêcher le lendemain. On voulait douter encore que le vaisseau approchât réellement des rochers et fût dans une situation si menaçante, mais ce doute fut bientôt levé, quand l’équipage s’arma de longues perches pour écarter le navire des rochers, si l’on en venait à cette extrémité, jusqu’à ce que ces perches elles-mêmes fussent aussi brisées, et que tout fût perdu. Le vaisseau balançait toujours plus fort ; le ressac paraissait augmenter ; le mal de mer me reprit et me força de descendre dans la cabine. A moitié étourdi, je me couchai sur mon matelas, avec une sensation qui avait un certain charme, dérivé peut-être du lac de Tibériade : car j’en voyais flotter devant moi l’image, telle que nous la présente la Bible illustrée de Merian. Ainsi la force des impressions morales et sensibles à la fois ne se déploie jamais avec plus d’énergie que quand l’homme est entièrement refoulé sur lui-même. Je ne saurais dire combien de temps je passai dans ce demi-sommeil, mais je fus réveillé par un grand vacarme qui se faisait sur ma tête. Je pus entendre distinctement que c’étaient les cordages qu’on traînait sur le pont, et j’en conclus qu’on faisait usage des voiles. Au bout d’un moment, Kniep accourut fet m’annonça que nous étions sauvés. Il s’était levé un léger souffle de vent ; on était occupé dans ce moment à déployer les voiles ; il n’avait pas manqué de mettre lui-même la main à l’œuvre. Déjà on s’éloignait du rocher sensiblement, et, quoiqu’on ne fût pas encore tout à fait hors du courant, on espérait pourtant de le surmonter. Sur le pont tout était tranquille. Bientôt plusieurs passagers survinrent ; ils annoncèrent l’heureux événement et se couchèrent.

A mon réveil, le quatrième jour de notre traversée, je me trouvai sain et dispos comme je l’avais été après le même intervalle dans notre passage en Sicile, en sorte que, dans une plus longue navigation, j’aurais probablement payé mon tribut par un malaise de trois jours. Je voyais du pont avec plaisir l’ile de Capri, que nous laissions de côté à une assez grande distance, et notre vaisseau dans une direction telle que nous pouvions espérer d’entrer dans le golfe, ce qui eut lieu en effet bientôt après. Alors nous eûmes le plaisir, après une nuit pénible, d’admirer sous un jour opposé les mêmes objets qui nous avaient ravis la veille. Bientôt nous laissâmes derrière nous cette île de rochers si dangereuse.

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Naples, 22 mars 1787.

Si le caractère allemand, si mon désir, ne me portaient pas à l’étude et à l’action plus qu’à la jouissance, je devrais passer quelque temps encore dans cette école de la vie facile et joyeuse, et chercher à profiter davantage. Ce séjour serait délicieux, si l’on pouvait seulement un peu s’arranger. La position de la ville, la douceur du climat, ne peuvent être assez célébrées : mais c’est là à peu près tout le partage des étrangers.

Assurément, si l’on prend son temps, si l’on a du savoir-faire et de la fortune, on peut se former ici un bon et large établissement. C’est comme cela que M. Hamilton s’est fait ici une belle existence et qu’il en jouit au soir de sa vie. L’appartement qu’il s’est arrangé dans le goût anglais est délicieux, et la vue de la salle du coin est peut-être unique. A nos pieds, la mer ; en face, Capri ; à droite, le Pausilippe ; plus près, la promenade de Yillareale ; à gauche un vieux bâtiment de jésuites ; plus loin, la côte de Sorrente jusqu’au cap Minerve. On trouverait difficilement en Europe quelque chose de pareil, du moins au centre d’une grande et populeuse cité. M. Hamilton est un homme d’un goût universel, et, après avoir parcouru tous les règnes de la création, il est arrivé à une belle femme, le chefd’œuvre du grand artiste.

Et, après tout cela, après mille jouissances, les sirènes m’appellent sur l’autre bord, et, si le vent est bon, je partirai en même temps que cette lettre, elle pour le Nord, moi pour le Sud. L’esprit de l’homme est indomptable ; à moi surtout, il me faut le large. Actuellement mon objet doit être moins la persistance qu’une observation rapide. Que ie saisisse seulement le bout du doigt, il me suffira d’écouter et de méditer pour m’assurer bientôt de la main tout entière.
Chose étrange, un ami me rappelle en ce temps Wilhelm Meister et m’en demande la continuation. Elle me serait impossible sous ce ciel, mais peut-être l’influence de ce climat se fera-t-elle sentir dans les derniers livres. Puisse mon existence acquérir pour cela le développement nécessaire, la tige grandir, les fleurs s’épanouir plus riches et plus belles I Certes il vaudrait mieux ne pas retourner dans mon pays, si je ne devais pas y revenir un homme nouveau.

Nous avons vu aujourd’hui un tableau du Corrége qui est à vendre.- Il n’est pas parfaitement conservé, mais le temps n’a pas effacé l’heureuse empreinte de la grâce. Cette toile représente la Vierge et l’enfant Jésus, au moment où il hésite entre le sein maternel et quelques poires que lui présente un petit ange. Ainsi donc c’est un sevrage du Christ. L’idée me semble d’une extrême délicatesse, la composition, animée, heureuse, et naturelle, l’exécution, charmante. Cela rappelle d’abord les fiançailles de sainte Catherine, et l’on y reconnaît, à n’en pas douter, la main du Corrége.
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Messine, dimanche 13 mai 17S7.

Nous nous sommes réveillés par un soleil splendide dans un logis plus agréable, mais nous nous trouvions toujours dans l’infortunée Messine. Rien de plus triste que l’aspect de la Pallazzata, rangée demi-circulaire de véritables palais qui entourent et marquent la rade sur une longueur d’un quart de lieue. De tous ces édifices, bâtis en pierre et à quatre étages, plusieurs façades subsistent encore tout entières jusqu’à l’entablement, d’autres sont écroulées jusqu’au troisième, au deuxième, au premier étage, en sorte que cette rangée de palais, auparavant magnifique, se présente aujourd’hui affreusement ébréchée et même transpercée, car le ciel bleu se fait voir à travers presque toutes les fenêtres. Tout l’intérieur, c’est-à-dire ce qui formait les appartements est détruit. La cause de ce singulier phénomène, c’est que, se réglant sur le plan architectural des riches, les voisins, moins opulents, pour rivaliser avec eux en apparence, avaient caché derrière des façades neuves en pierres de taille leurs vieilles maisons, maçonnées en cailloux grands et petits, noyés dans la chaux. Cette construction, en soi mal sûre, désagrégée et rompue par l’horrible tremblement de terre, avait dû s’écrouler en masse. Entre plusieurs préservations merveilleuses, au milieu d’un si grand désastre, on rapporte le fait suivant. Un habitant de ces maisons, dans le moment de la catastrophe, avait couru droit à l’embrasure d’une fenêtre ; la maison s’était écroulée derrière lui, et, resté sain et sauf dans ce lieu élevé, il avait attendu tranquillement qu’on vint le délivrer de cette prison aérienne.
Que cette mauvaise construction (qui tenait à ce qu’on n’avait pas de pierres de taille dans le voisinage) ait été la principale cause de la ruine totale de la ville, c’est ce que montre la persistance des bâtiments solides. Le collège et l’église des jésuites, construits de bonne pierre de taille, sont encore debout dans leur première solidité. Quoi qu’il en soit, l’aspect de Messine est extrêmement triste, et rappelle les temps antiques où les Sicanes et les Sicules abandonnèrent ce sol instable, et s’établirent sur la côte occidentale.

C’est ainsi que nous avions passé notre matinée, puis nous étions allés à l’auberge faire un frugal déjeuner ; nous nous trouvions encore gaiement réunis, quand le domestique du consul accourut hors d’haleine, et m’annonça que le gouverneur me faisait chercher par toute la ville ; il m’avait invité à sa table et je ne paraissais pas. Le consul me faisait prier instamment de m’y rendre sur-le-champ, que je fusse ou ne fusse pas à jeun, que j’eusse laissé passer l’heure à dessein ou par oubli. Alors enfin je sentis l’incroyable légèreté avec laquelle j’avais banni de ma pensée l’invitation du cyclope, satisfait de lui avoir échappé la première fois. Le valet ne me laissa pas balancer ; ses ordres étaient sérieux et pressants ; le despote, furieux, pouvait, dit-il, jouer un mauvais tour au consul et à tous ses compatriotes. Je pris courage, en arrangeant ma coiffure et mes habits, et je suivis mon guide avec sérénité, invoquant Ulysse, mon patron, et implorant son intervention auprès de la sage Minerve.

Arrivé dans l’antre du lion, je fus conduit par le plaisant coureur dans une grande salle à manger, où une quarantaine de personnes étaient assises à une table ovale, sans qu’on entendît le moindre bruit.

La place à la droite du gouverneur était vacante, elle coureur m’y conduisit. Après avoir salué d’une révérence le maître et les convives, je m’assis à côté de lui, et, pour excuser mon retard, j’alléguai l’étendue de la ville et l’erreur où la manière extraordinaire de compter les heures m’avait déjà fait tomber souvent. Il répliqua, le regard enflammé, qu’on doit s’informer en pays étranger des coutumes régnantes et se régler sur elles. Je répondis que c’était le but constant de mes efforts, mais j’avais éprouvé que, avec les meilleures résolutions, pendant les premiers jours, où un endroit est encore nouveau pour nous et les relations inconnues, nous tombons d’ordinaire dans certaines fautes, qui sembleraient impardonnables, si la fatigue du voyage, la distraction causée par les nouveaux objets, le souci de trouver un logement passable et de s’assurer les moyens de continuer sa route, ne pouvaient servir d’excuse. Là-dessus il me demanda combien de temps je me proposais de rester à Messine. Je répondis que je voudrais y rester longtemps, pour lui prouver, par une scrupuleuse obéissance à ses ordres et à ses commandements, ma reconnaissance de la faveur qu’il m’accordait. Après une pause, il me demanda ce que j’avais vu à Messine. Je contai en peu de mots l’emploi de ma matinée, en faisant quelques observalions, et j’ajoutai que j’avais surtout admiré l’ordre et la propreté des rues de cette ville détruite. Et véritablement c’était admirable de voir comme toutes les rues étaient nettoyées de ruines : on avait rejeté les décombres en dedans des murs écroulés ; on avait rangé les pierres le long des maisons et, par là, dégagé le milieu des rues, ainsi rendues libres au commerce et à la circulation. Je pouvais donc, avec vérité, en faire ma cour au brave homme, et lui assurer que tous les habitants de Messine se déclaraient, avec reconnaissance, redevables de ce bienfait à sa sollicitude.

« Est-ce qu’ils le reconnaissent ? dit-il en grommelant. Ils ont cependant assez crié d’abord contre la dureté avec laquelle on les contraignait pour leur avantage. »

Je parlai des vues sages du gouvernement, des desseins élevés, qui ne pouvaient être compris et appréciés que plus tard, et autres réflexions pareilles. Il me demanda si j’avais vu l’église des jésuites, et comme je lui dis que non, il me promit de me la faire voir avec toutes ses dépendances.

Pendant cette conversation, interrompue par quelques pauses, je voyais le reste de la société dans le plus profond silence, et ne faisant que les mouvements nécessaires pour porter les morceaux à la bouche. Quand la table fut levée et qu’on eut servi le café, tous se tinrent, comme des poupées de cire, rangés contre les murs. J’allai droit au chapelain de la maison, qui devait me faire voir l’église, afln de le remercier de sa peine par avance : il esquiva mes remerciements, en assurant avec humilité qu’il n’avait devant les yeux que les ordres de Son Excellence. J’adressai la parole à un jeune étranger qui se trouvait auprès de lui et qui, tout Français qu’il était, ne semblait pas trop à son aise, car il était muet et pétrifié comme toute la compagnie, dans laquelle j’aperçus plusieurs visages qui avaient assisté timidement à la scène de la veille avec le chevalier de Malte.

Le gouverneur s’éloigna, et, au bout de quelque temps, l’ecclésiastique me dit que c’était le moment d’aller. Je le suivis. Le reste de la compagnie s’était écoulé sans bruit. Il me conduisit au porche de l’église des jésuites, qui, selon leur architecture connue, dresse en l’air sa masse magnifique et vraiment imposante. Un concierge vint sans tarder au-devant de nous et nous pria d’entrer. Mais l’ecclésiastique m’arrêta, en me faisant observer que nous devions auparavant attendre le gouverneur. Il arriva bientôt en voiture. Il fit arrêter dans la place non loin de l’église, et, sur un signe qu’il fit, nous nous approchâmes tous trois de la portière de son carrosse. Il ordonna au concierge de me montrer l’église dans toutes ses parties et même de me faire en détail l’histoire des autels et des autres fondations ; il devait aussi ouvrir les sacristies, et attirer mon attention sur tout ce qu’elles offraient de remarquable. J’étais un homme qu’il voulait honorer, auquel il fallait donner tout sujet de parler glorieusement de Messine dans sa patrie, c Ne manquez pas, me dit-il ensuite, en souriant, pour autant que ses traits en étaient capables, ne manquez pas, aussi longtemps que vous serez ici, de venir dîner à l’heure précise. Vous serez toujours bien reçu. » J’avais à peine eu le temps de faire une réponse respectueuse, que la voiture était partie.

Dès ce moment, l’ecclésiastique parut aussi plus serein. Nous entrâmes dans l’église. Le châtelain, comme il faudrait le nommer dans ce palais magique, enlevé au service divin, se disposait à remplir l’office qui lui était sévèrement imposé, quand le consul et Kniep s’élancèrent dans le sanctuaire vide, et m’embrassèrent en témoignant la joie la plus vive de me revoir, moi qu’ils avaient déjà cru sous les verrous. Ils avaient été dans une affreuse angoisse jusqu’au moment où l’adroit coureur, sans doute bien payé par le consul, leur avait rapporté, en se livrant à mille bouffonneries, l’heureuse issue de l’aventure. Rendus à la joie, ils s’étaient mis à ma recherche, dès qu’ils avaient su que le gouverneur voulait bien me faire ouvrir l’église.

Cependant nous étions devant le maître au tel, écoutant l’explication des vieilles curiosités. Des colonnes de lapis-lazuli, qui semblaient cannelées par des baguettes bronzées, dorées, des pilastres et des panneaux incrustés à la manière florentine, les magnifiques agates de Sicile en surabondance, le bronze et la dorure se rencontrant toujours et unissant tout. Mais c’était une drôle de fugue en contre-point, que les discours entrecoupés du consul, de Kniep et du démonstrateur : les premiers contant les embarras de l’aventure, l’autre m’expliquant ces raretés magnifiques encore bien conservées, et chacun pénétré de son sujet. J’avais ainsi le double plaisir de sentir la valeur de mon heureuse délivrance et de voir employés-d’une manière architecturale les produits des montagnes de Sicile, pour lesquels je m’étais déjà donné tant de peine.

Le consul ne cessait pas de m’éclairer sur le sort dont j’avais été menacé. Le gouverneur, mécontent de lui-même, et fâché que j’eusse été dès l’entrée le témoin de sa conduite violente envers le quasi-Maltais, avait résolu de me faire des honneurs particuliers, et il s’élait tracé en conséquence un plan dont
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Mercredi 16 mai 1787.

Nous avons passé de la sorte l’après-midi, sans avoir pénétré, selon nos désirs, dans le golfe de Naples. Nous avons été poussés toujours plus vers l’ouest ; le vaisseau s’approchait de Capri et s’éloignait sans cesse davantage du cap Minerve. Tous les passagers étaient impatients et fâchés ; mais nous deux, qui observions le monde avec l’œil du peintre, nous pouvions être fort satisfaits. Au soleil couchant, nous avons joui de l’aspect le plus admirable qui se soit offert à nous dans tout le voyage. Devant nos yeux s’allongeait le cap Minerve, brillamment coloré ainsi que les montagnes voisines, tandis que les rochers qui s’étendent au sud avaient déjà pris un ton bleuâtre. Depuis le cap, toute la côte s’illuminait jusqu’à Sorrente. On apercevait le Vésuve, surmonté d’une masse énorme de vapeurs, dont une longue traînée s’avançait vers l’est, et pouvait nous faire présumer une violente éruption. A gauche, Capri se dressait vers le ciel ; nous pouvions distinguer parfaitement à travers la vapeur transparente et bleuâtre les formes de ses rochers. Sous un ciel parfaitement pur et sans nuages, brillait la mer à peine agitée, et qui, dans le silence absolu du vent, finit par se déployer devant nous comme un étang limpide. Nous étions enchantés. Kniep s’affligeait de ce que tout l’art du coloriste ne suffisait pas à reproduire cette harmonie, tout comme le plus fin crayon anglais n’était pas suffisant, dans la main la plus exercée, pour retracer ces lignes. Mais moi, persuadé qu’un souvenir bien moins fidèle que ne pourrait le reproduire cet habile artiste serait infiniment précieux dans l’avenir, je l’ai exhorté à faire un dernier effort de l’œil et de la main ; il s’est laissé persuader, et il a exécuté un de ses dessins les plus exacts, qu’il a ensuite colorié, donnant la preuve que le pinceau du peintre pouvait l’impossible. Nous avons observé d’un œil aussi curieux le passage du jour à la nuit. Capri était maintenant devant nous, tout à fait ténébreuse, et, à notre grande surprise, le nuage du Vésuve, tout comme les nuages traînants, s’enflammait de plus en plus ; nous vîmes enfin dans le fond de notre tableau une étendue considérable de l’atmosphère illuminée et même jetant des éclairs.

En présence d’une si belle scène, nous n’avions pas remarqué qu’un grand mal nous menaçait, mais le mouvement qui se fit parmi les passagers nous en instruisit bientôt. Plus au fait que nous des aventures de mer, ils faisaient au capitaine et à son pilote des reproches amers d’avoir, par leur inhabileté, manqué le détroit et mis en danger de périr les personnes et les biens qui leur étaient confiés. Nous demandâmes la cause de cette inquiétude, car nous ne pouvions comprendre que, par un calme parfait, on eût quelque malheur à craindre. Et c’était ce calme justement qui désespérait tout le monde. « Nous sommes déjà, disaient-ils, dans le courant qui tourne autour de l’île, et qui, par un singulier mouvement des flots, aussi lent qu’irrésistible, nous entraîne vers les rochers escarpés, où ne se trouve pas un pied de saillie, pas une anse pour nous sauver. » Attentifs à ces discours, nous considérâmes notre sort avec horreur. En effet, quoique la nuit ne permit pas de distinguer le péril croissant, nous observions que le navire, se berçant, et balançant, s’approchait des rochers, qui se dressaient toujours plus sombres devant nous, tandis qu’un léger crépuscule s’étendait encore sur la mer. On ne pouvait pas remarquer dans, l’atmosphère le plus faible mouvement. Chacun déployait et levait en l’air des mouchoirs et de légers rubans, mais il ne se manifestait aucun signe d’un souffle désiré. La foule était toujours plus bruyante et plus tumultueuse. Les femmes n’étaient pas à genoux en prières sur le pont avec leurs enfants, l’espace étant trop étroit pour qu’il fût possible de s’y remuer, elles étaient couchées côte à côte. Plus encore que les hommes, qui étaient assez sages pour songer aux moyens de salut, les femmes invectivaient et maudissaient le capitaine. On lui jetait à la face toutes les critiques qu’on avait faites à part soi pendant tout le voyage, le prix fort cher qu’il faisait payer pour un étroit espace et une mauvaise nourriture, enlin sa conduite, non pas malhonnête, mais mystérieuse. Il n’avait rendu compte à personne de ses actions, et, même le dernier soir, il avait gardé un silence obstiné sur ses manœuvres. Ils n’étaient plus, lui et le pilote, que des marchands venus on ne sait d’où, qui, sans connaissance de la navigation, avaient su, par simple cupidité, se procurer un vaisseau, et qui, par leur incapacité et leur ineptie, causaient la perte de toutes les personnes qui s’étaient confiées en eux. Le capitaine se taisait et semblait toujours s’occuper de notre salut. Pour moi qui, dès mon jeune âge, avais trouvé l’anarchie plus odieuse que la mort, il me fut impossible de me taire plus longtemps. Je m’avançai et je parlai à ces gens à peu près avec le même calme qu’aux oiseaux de Malsesine. Je leur représentai que, dans ce moment, leur vacarme et leurs cris troublaient l’oreille et l’esprit de ceux sur qui reposait notre unique espérance de salut, en sorte qu’ils ne pouvaient ni réfléchir ni s’entendre l’un l’autre. « Pour ce qui vous regarde, m’écriai-je, rentrez en vous-mêmes et adressez votre fervente prière à la Mère de Dieu, qui seule peut, s’il lui plaît, intercéder auprès de son Fils, afin qu’il fasse pour vous ce qu’il fit autrefois pour ses apôtres sur le lac de Tibériade, quand les flots s’élançaient déjà dans la barque et que le Seigneur dormait ; et cependant, quand les désespérés l’éveillèrent, il ordonna sur-le-champ au vent de s’apaiser, comme il peut maintenant lui commander de se mettre en mouvement, si d’ailleurs telle est sa sainte volonté. »

Ces paroles produisirent le meilleur effet. Une des femmes, avec laquelle je m’étais entretenu auparavant sur des sujets moraux et religieux, s’écria : Ah ! il Barlamè ! benedctto il Barlamé ! En effet, déjà tombées à genoux, elles commencèrent à réciter leurs litanies avec une ferveur extrordinaire. Elles pouvaient le faire avec d’autant plus de tranquillité, que l’équipage essayait encore un moyen de salut, qui du moins frappait les yeux. On avait mis à la mer la chaloupe, qui ne pouvait contenir que six à huit hommes ; on l’attacha par une longue corde au vaisseau, que les matelots tiraient à eux à force de rames. On crut un moment qu’ils le faisaient mouvoir dans le courant, et l’on espérait l’en voir bientôt dégagé. Mais, soit que ces efforts augmentassent la résistance du courant, soit par toute autre cause, la chaloupe et les hommes qui la montaient furent avec la longue corde rejetés circulairement vers le navire, comme la mèche d’un fouet, quand le cocher en a porté un coup. C’était encore une espérance évanouie !

La prière et les gémissements se succédaient tour à tour, et, pour rendre la situation plus affreuse, sur le haut des rochers, les chevriers, dont on avait vu les feux depuis longtemps, criaient d’une voix sourde qu’un navire échouait là-bas. Ils s’adressaient les uns aux autres bien des paroles intelligibles, et quelques passagers, qui connaissaient leur langage, croyaient comprendre qu’ils se réjouissaient du butin qu’ils espéraient pêcher le lendemain. On voulait douter encore que le vaisseau approchât réellement des rochers et fût dans une situation si menaçante, mais ce doute fut bientôt levé, quand l’équipage s’arma de longues perches pour écarter le navire des rochers, si l’on en venait à cette extrémité, jusqu’à ce que ces perches elles-mêmes fussent aussi brisées, et que tout fût perdu. Le vaisseau balançait toujours plus fort ; le ressac paraissait augmenter ; le mal de mer me reprit et me força de descendre dans la cabine. A moitié étourdi, je me couchai sur mon matelas, avec une sensation qui avait un certain charme, dérivé peut-être du lac de Tibériade : car j’en voyais flotter devant moi l’image, telle que nous la présente la Bible illustrée de Merian. Ainsi la force des impressions morales et sensibles à la fois ne se déploie jamais avec plus d’énergie que quand l’homme est entièrement refoulé sur lui-même. Je ne saurais dire combien de temps je passai dans ce demi-sommeil, mais je fus réveillé par un grand vacarme qui se faisait sur ma tête. Je pus entendre distinctement que c’étaient les cordages qu’on traînait sur le pont, et j’en conclus qu’on faisait usage des voiles. Au bout d’un moment, Kniep accourut fet m’annonça que nous étions sauvés. Il s’était levé un léger souffle de vent ; on était occupé dans ce moment à déployer les voiles ; il n’avait pas manqué de mettre lui-même la main à l’œuvre. Déjà on s’éloignait du rocher sensiblement, et, quoiqu’on ne fût pas encore tout à fait hors du courant, on espérait pourtant de le surmonter. Sur le pont tout était tranquille. Bientôt plusieurs passagers survinrent ; ils annoncèrent l’heureux événement et se couchèrent.

A mon réveil, le quatrième jour de notre traversée, je me trouvai sain et dispos comme je l’avais été après le même intervalle dans notre passage en Sicile, en sorte que, dans une plus longue navigation, j’aurais probablement payé mon tribut par un malaise de trois jours. Je voyais du pont avec plaisir l’ile de Capri, que nous laissions de côté à une assez grande distance, et notre vaisseau dans une direction telle que nous pouvions espérer d’entrer dans le golfe, ce qui eut lieu en effet bientôt après. Alors nous eûmes le plaisir, après une nuit pénible, d’admirer sous un jour opposé les mêmes objets qui nous avaient ravis la veille. Bientôt nous laissâmes derrière nous cette île de rochers si dangereuse.

La veille, nous avions admiré le côté droit du golfe ; maintenant les châteaux et la ville se présentaient en face de nous, puis, à gauche, le Pausilippe et les langues de terre qui s’étendent jusque vers Ischia et Procida. Tout le monde était sur le pont, et, au premier rang, était un prêtre grec, très-épris
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Rome, 24 novembre 1787.

Tu me questionnes dans ta dernière lettre sur la couleur du paysage romain. Je puis te dire que, dans les jours sereins, particulièrement en automne, le paysage est si coloré que, dans toute imitation, il doit paraître bigarré. J’espère t’envoyer bientôt quelques dessins, ouvrage d’un Allemand qui est maintenant à Naples. Les couleurs de l’aquarelle sont bien loin d’atteindre à l’éclat de la nature, et pourtant vous croirez la chose impossible. Ce qu’il y a de plus beau, c’est que les couleurs vives, dans le moindre éloignement, sont adoucies par le ton de l’air, en sorte que l’opposition des tons froids et des tons chauds est tout à fait visible. Les ombres claires, azurées, contrastent délicieusement avec le vert, le jaune, le rougeâtre, le bleuâtre, éclairés, et se marient avec le lointain bleuâtre et va’poreux. C’est un éclat et, en même temps, une harmonie, une dégradation dans l’ensemble, dont on n’a dans le Nord aucune idée. Chez vous tout est dur ou nébuleux, bariolé ou monotone. Du moins, je n’ai vu, autant qu’il m’en souvienne, que rarement des effets isolés qui me donnassent un avant-goût de ce qui se présente ici à moi tous les jours et à toute heure. Peutêtre, aujourd’hui que mon œil est plus exercé, trouverai-je aussi dans le Nord plus de beautés.

Souvenir !» ilii mois de novembre.

Comme je songeais en silence à me détacher peu à peu, je me vis retenu par un nouveau lien, grâce à l’arrivée d’un excellent et ancien ami, Christophe Kayser, de Francfort. Doué par la nature d’un talent musical particulier, il avait entrepris longtemps auparavant de mettre en musique Badinage, Ruse et Vengeance1, et d’adapter aussi une musique convenable à Eymonl-. Je lui avais mandé de Rome que la pièce était partie et qu’une copie en était restée dans mes mains. Au lieu d’entamer là-dessus une longue correspondance, nous trouvâmes plus à propos qu’il vînt sur-le-champ. Comme il traversa aussitôt l’Italie au vol avec le courrier, il ne tarda pas à nous rejoindre, et il se vit accueilli amicalement dans le cercle d’artistes qui avait fixé son quartier général au Corso, vis-à-vis du palais Rondanini.

Mais bientôt, au lieu du recueillement et de la concentration si nécessaires, survinrent des distractions et une dissipation nouvelles. D’abord il s’écoula plusieurs jours avant qu’on se fût

1. Petite pièce de Goethe. procuré, qu’on eût essayé et accordé un clavecin, et qu’il fût arrangé selon la fantaisie du capricieux artiste, qui y trouvait toujours quelque chose à dire et à désirer. Cependant nous fûmes bientôt dédommagés de toutes ces peines et ces retardements £ar les productions d’un artiste plein de souplesse, parfaitement à la hauteur de son époque, et qui exécutait aisément la musique la plus difficile de ce temps-là. Et pour que le dilettante sache tout de suite de quoi il est question, je ferai observer que Schoubart passait alors pour incomparable, et que la pierre de touche du pianiste exercé était l’exécution de variations, dans lesquelles un thème simple, modulé artistement, reparaissait enfin dans sa forme naturelle, et permettait à l’auditeur de reprendre haleine. Kayser avait aussi apporté la symphonie d’Egmont, et cela m’excita toujours davantage à m’occuper du théâtre lyrique, vers lequel me portaient alors plus que jamais mon goût et la nécessité.

La présence de notre Kayser éleva et étendit notre amour de la musique, qui s’était borné jusque-là aux œuvres théâtrales. Kayser s’enquérait soigneusement des fêtes d’église, et nous fûmes ainsi conduits à écouter les musiques solennelles qu’on exécutait ces jours-là. Nous les trouvions assurément très-mondaines, avec orchestre au grand complet, quoique le chant dominât toujours. Je me souviens d’avoir entendu pour la première fois, à la fête de Sainte-Cécile, un air de bravoure soutenu par un chœur. Il produisit sur moi un effet extraordinaire, comme en éprouve le public, quand des airs de ce genre se rencontrent dans les opéras.

Kayser avait encore un autre mérite : comme il s’occupait beaucoup d’aneienne musique, il devait faire de sérieuses recherches sur l’histoire de cet art ; il consultait les bibliothèques, et son application soutenue lui avait fait trouver un bon accueil et des encouragements surtout dans laMinerva. Ses recherches de bibliophile eurent pour effet de nous rendre attentifs aux vieilles gravures du seizième siècle ; et, par exemple, il ne manquait pas de nous rappeler le Spéculum Romanx magnificentijs, les Architectures de Lomazzo ; ainsi que les Admiranda Romx et autres ouvrages semblables. Ces collections de livres et de gravures, qui recevaient aussi nos pieuses visites, ont surtout une grande valeur quand on les passe en revue dans de bonnes impressions. Elles font revivre ce vieux temps où l’antiquité était considérée avec respect et crainte, et ses débris imprimés en beaux caractères. C’est ainsi, par exemple, qu’on s’approchait des Colosses, qui se trouvaient encore à leur ancienne placé dans le jardin Colonne ; le Septizone, à demi ruiné, de Sévère donnait encore à peu près l’idée de cet édifice disparu ; l’église de Saint-Pierre, sans façade, le grand centre, sans coupole, le vieux Vatican, dans la cour duquel on pouvait encore donner des tournois : tout ramenait à ce vieux âge, et faisait en même temps observer de la manière la plus claire ce que les deux siècles suivants avaient amené de changements, et à quel point, malgré de puissants obstacles, ils s’étaient efforcés de rétablir les choses détruites, de réparer les choses négligées.

Henri Meyer, de Zurich, que j’avais eu souvent sujet de mentionner, malgré sa vie très-retirée et sa grande application, ne manquait guère l’occasion de voir, d’observer, d’apprendre quelque chose d’intéressant. On le recherchait et on le désirait, parce qu’il se montrait dans la société aussi modeste que savant. Il suivait paisiblement la route sûre ouverte par Winckelmann et Mengs, et, comme il excellait à reproduire avec la sépia, à la manière de Seidelmann, les bustes antiques, personne plus que lui n’avait occasion d’apprendre à juger et à connaître les nuances délicates de l’art à ses diverses époques. Or, tous les étrangers, artistes, "connaisseurs et profanes, se disposant, selon le vœu général, à visiter aux flambeaux le musée du Vatican et celui du Capitule, Meyer se joignit à nous, et je trouve encore dans mes papiers un de ses mémoires, qui donne à ces délicieuses promenades à travers lès-restes les plus magnifiques de l’art, songe ravissant qui d’ordinaire s’efface peu à peu, une importance durable par ses heureux effets sur l’instruction et l’intelligence.

« L’usage de visiter les grands musées de Rome à la clarté des torches était, nous dit-il, encore assez nouveau vers la fln du siècle passé. Il offre l’avantage de présenter isolément les œuvres d’art, de faire ressortir vivement toutes les nuances délicates du travail et de répandre un jour suffisant sur les ouvrages qui sont mal éclairés par la lumière naturelle. Mais l’éclairage aux flambeaux dégénère quelquefois en abus. Pour qu’il soit d’un heureux effet, il faut qu’on le ménage avec intelligence. Il est, en général, peu favorable aux ouvrages de l’ancien style, dont les auteurs, ne sachant rien d’om’jr-îs et de lumières, n’avaient compté pour leurs ouvrages ni sur la lumière ni sur l’ombre. »

Dans une occasion si solennelle, il est juste aussi que je fasse mention de M. Hirt, qui fut, de plus d’une manière, utile à notre cercle. Né dans le Furstenberg, en 1759, il se sentit, après avoir lu les anciens, entraîné à Rome par une pente irrésistible. Il y était arrivé quelques années avant moi ; il y avait fait une étude sérieuse des ouvrages anciens et modernes d’architecture et de sculpture, et s’était fait le guide des étrangers désireux de s’instruire. Il me montra la même complaisance, avec un affectueux dévouement.

Son étude principale était l’architecture. Ses vues théoriques sur l’art donnaient lieu souvent à de vives discussions dans cette Rome livrée aux disputes et aux partis. La diversité des vues amène, surtout dans ce lieu, où l’on parle des arts partout et sans cesse, mille contestations, rendues plus vives et favorisées par le voisinage d’objets si remarquables. Mais, comme l’art consiste dans l’action et non dans la parole, que cependant on parlera toujours plus qu’on n’agira, il est facile de comprendre que ces entretiens étaient alors interminables comme ils le sont encore aujourd’hui.

Si les dissentiments des artistes amenaient parfois des désagréments et même les éloignaient les uns des autres, ils provoquaient aussi de temps en temps des scènes plaisantes. Quelques artistes avaient passé ensemble l’après-midi au Vatican, et, comme il se faisait tard, aù’n de gagner leur logis par un chemin plus court, ils se retirèrent par la porte voisine de la colonnade et le long des vignes jusqu’au Tibre. Ils avaient disputé en chemin, ils arrivèrent disputant au bord du fleuve, et continuèrent vivement la conversation pendant la traversée. En débarquant à la Ripetta ils auraient dû se séparer, et les arguments qu’on avait encore- à présenter de part et d’autre se trouvaient étouffés à leur naissance : les artistes convinrent de rester ensemble, de repasser le fleuve et de donner cours à leur dialectique sur la barque flottante. Mais une fois ne leur suffit pas : ils étaient en train, et ils demandèrent au passeur plus d’une répétition. Il y consentit volontiers, chaque passage lui valant un baïoque par personne, profit considérable qu’il n’attendait plus à une heure si tardive. Il satisfit leur désir en silence, et son jeune fils lui ayant demandé avec étonnement ce que ces gens se voulaient : « Je ne sais pas, répondit-il fort tranquillement, mais ils sont fous. »

Vers ce temps je reçus de chez nous, dans un paquet la lettre suivante* :

« Monsieur, je ne suis pas étonné que vous ayez de mauvais lecteurs : tant de gens aiment mieux parler que sentir
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