Je lis Irving depuis ses premières traductions en français. J'avais beaucoup aimé "
l'Oeuvre de Dieu , la part du diable" et sa profondeur, assez loin du caractère fantasque de Garp ou de
l'Hotel New Hampshire.
Ici, nous voilà avec un
John Irving survitaminé, décidé à en découdre avec tous les recteurs de morale, tous les censeurs et bien pensants, tous les racistes, homophobes, phobes en tous genres (au propre comme au figuré...) et autres esprits conventionnels.
Pour cela il nous embarque dans la peau d'un jeune américain, à l'identité sexuelle en construction, à la famille (comme souvent chez Irving) pour le moins folklorique (l'image du grand-père est à mourir de rire) et son parcours initiatique depuis les années 50 jusqu'à nos jours.
Evidemment tout cela n'est que prétexte pour passer en revue la libération des moeurs des années 70,le drame du Sida, et les possibilités ouvertes par la loi et la médecine à la fin du XXème siècle pour les personnes à la sexualité non pas déviante, mais différente, nous dit et répète Irving.
Ainsi ce livre voit mis en scène toutes ou presque, les formes de sexualités, les homosexuels, masculins et féminins, les trans genres, les travestis, les hétéros, les bi, les refoulés et assumés, les forçats du sexe et les abstinents, les doux et les violents, etc....
Evidemment c'est Irving, c'est du lourd, du caricatural, de l'exagéré, amplifié, déformé. Mais la leçon porte, le livre fermé, on se dit finalement que oui, il a raison de parler de ces sujets souvent tabous, qu'il s'agit d'êtres humains tout aussi respectables que les autres, et non pas de malades comme le pensait le médecin scolaire du collège dans les années 50 qu'il décrit dans le roman.
En dehors de ce "fond" qui est indiscutablement une leçon de liberté et de droits de l'homme, ce livre est comme toujours chez Irving un vrai chef d'oeuvre littéraire. La construction est très soignée, les personnages crédibles, leurs psychés bien analysés.Tout le passage sur le SIDA et ses ravages est d'une justesse rare. Il y a des accents de gravité émouvants, comme dans le fameux film "Philadelphia"
Enfin l'auteur convoque largement
Shakespeare et son théâtre et le
Flaubert de Mme Bovary pour illustrer de bien belle manière le propos.
Un roman que je recommande chaudement !