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Michel Arrivé (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070107469
1376 pages
Gallimard (31/05/1972)
4.5/5   14 notes
Résumé :
Voici la première édition de Jarry qui ait été établie selon des principes scientifiques. Le premier tome contient Ontogénie (en grande partie inédit), Les Minutes de sable mémorial, La Revanche de la nuit, César-Antechrist, Ubu roi, Ubu enchaîné, Ubu cocu, Les Almanachs du Père Ubu, Ubu sur la butte, Gestes et opinions du Docteur Faustroll, pataphysicien ; Les Jours et les Nuits, L'Amour en visites, L'Amour absolu, L'Autre Alceste, L'Ymagier, Perhindérion, les text... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique

On pourrait se demander ce que font là le Père et la Mère Ubu au milieu de ces diableries. Il y a pourtant plusieurs raisons à cela. L'une est que l'oeuvre d'Albert Jarry est loin de se limiter à Ubu, et celui-ci loin de n'être qu'un ancien roi de Pologne ou un docteur en pataphysique (entre autres). L'autre est que la pièce de Jarry va plus loin que la simple satire d'un professeur de physique côtoyé lorsqu'il étudiait au lycée de Rennes. C'est une sorte d'Anti-Faust, dans laquelle la recherche de la connaissance peut emprunter des voies diaboliques. Les gens de théâtre ne s'y sont pas trompés, comme Sylvain Creuzevault, qui a monté « Angelus Novus : l'Anti Faust » au TNS de Strasbourg la dernière saison, ou Brodrick Jones qui a présenté un « Ubu Faust », spectacle de marionnettes, au Festival d'Edinburgh cette année. Il convient aussi de rappeler que Jarry a traduit « Scherz, Satire, Ironie und tiefere Bedeutung » (Moquerie, raillerie, ironie et signification profonde), une commédie en trois actes publiée sous le titre « Les Silènes » en fragments, très courts, dans la « Revue Blanche » (1900, volume XXI, 5-14), et récemment ressortie au Collège de Pataphysique. L'intérêt pour Christian Dietrich Grabbe (1801-1836) étant naturellement son théâtre, dont il convient de rappeler le « Don Juan et Faust ». Un fragment de cette traduction figure dans l'« Anthologie de l'Humour Noir » d'André Breton. Enfin, il y a le « Docteur Faustroll », né « en Circasie en 1898 (le siècle avait (-2) ans), et à l'âge de soixante-trois ans ». Dans sa bibliothèque, René-Isidore Panmuphle, « huissier près le tribunal civil de première instance du département de la Seine » saisira, avec le numéro 11 du lot « GRABBE « Scherz, Satire, Ironie und tiefere Bedeutung », comédie en trois actes », de même qu'un « Ubu Roi » sans nom d'auteur au lot 24. Pauvre huissier, qui ignorait que le Docteur Faustroll était à l'origine de la Pataphysique.
Ce que l'on sait d'Alfred Henri Jarry-Quernest de Contoly d'Orsay, (1873-1907), fils d'Anselme Jarry et né à Laval, ville palindrome et mort après avoir demandé un cure-dent. Etudes à Laval, Saint Brieuc et Rennes, où il est l'élève de Félix-Frédéric Hébert, professeur de physique qui sera P.H. ou Père Heb, et que Jarry élèvera au rang de Roi de Pologne. Il eût été intéressant de connaître ce que ses élèves ont pensé et retenu de sa thèse de doctorat « Études sur les lois des grands mouvements de l'atmosphère et sur la formation et la translation des tourbillons aériens ». Nul doute que cela volait trop haut pour eux.
« Ubu Roi » donc pour commencer, avec le célèbre mot de six lettres et les titres du personnage « capitaine de dragons, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l'ordre de l'Aigle Rouge de Pologne et ancien roi d'Aragon », mais maintenant réduit à « mener aux revues une cinquantaine d'estafiers armés de coupe-choux ». C'est plutôt une perte de pouvoirs, mais bientôt le voilà roi de Pologne, qui récolte lui-même les impôts « Allons, messeigneurs les salopins de finance, voiturez ici le voiturin à phynances ». Mais le traitre Bordure et Bougrelas veillent et lui déclare la guerre « Comme il est beau avec son casque et sa cuirasse, on dirait une citrouille armée ». Bataille épique au cours de laquelle Ubu a « déployé la plus grande valeur, et sans [s]'exposer [il a] massacré quatre ennemis de [sa] propre main, sans compter tous ceux qui étaient déjà morts et que nous avons achevés ». Fuite peu glorieuse, cependant on assiste au « combat des voraces contre les coriaces, mais les voraces ont complètement mangé et dévoré les coriaces, comme vous le verrez quand il fera jour ». Moralité, et ce n'est pas pour contredire Méphistophélès « Je le sais maintenant de source sûre. Omnis a Deo scientia, ce qui veux dire : Omnis, toute ; a Deo, science ; scientia, vient de Dieu. Voilà l'explication du phénomène ». Et les voilà voguant en Mer du Nord « Mer farouche et inhospitalière qui baigne le pays appelé Germanie, ainsi nommé parce que les habitants de ce pays sont tous cousins germains ».
Pour en finir avec Ubu : « Que Dieu et le grand saint Nicolas vous gardent ». A quoi Pile, un des Palotins rajoute « Méfiez-vous de Satan et de ses pompes ».
Souvent, j'ai évoqué la pataphysique. Encore faut-il la définir, comme le fait le Docteur Faustroll « La pataphysique est la science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité ». Pour plus de précisions, on ajoutera à cette définition, celle de Jean Arp dans « un Mouton à quatre tiges » de fin 1964. « J'aime les calculs faux / Car ils donnent des résultats plus justes ». Ceci dit, en adoptant une position moins élitiste « il faut donc bien nécessairement admettre que la foule (en comptant les petits enfants et les femmes) est trop grossière pour comprendre les figures elliptiques, et que ses membres s'accordent dans le consentement dit universel parce qu'ils ne perçoivent que les courbes à un seul foyer, étant plus facile de coïncider en un pont qu'en deux ». Afin d'illustrer cette position, il faut évidemment donner des exemples que les membres de la foule puissent comprendre. « Ils communiquent et s'équilibrent par le bord de leurs ventres, tangentiellement. Or même la foule a appris que l'univers vrai était fait d'ellipses, et les bourgeois mêmes conservent leur vin dans des tonneaux et non des cylindres ». Pendant que le Docteur Faustroll délivre la bonne parole « Au dessous de tout, la chlorophylle, comme un banc de poissons verts, suivait ses courants connus dans les canaux souterrains du chou ». Si ce n'est pas l'illustration de la théorie par des cas concrets, il faut alors se poser la question de la prégnance du Docteur Faustroll.
le Docteur Faustroll est un savant, pour preuve sa bibliothèque qui ne comporte pas moins de « vingt-sept volumes dépareillés, tant brochés que reliés », plus « trois gravures pendues à la muraille ». Il est expulsé de son domicile au 100 bis de la rue Richer, le 8 février 1898 par la mairie du Qe arrondissement qui lui envoie Maître Panmulphe, huissier, le tout pour 11 francs et 30 centimes en sus de la somme de 372000 francs qu'on lui réclame pour onze termes de loyer échus. Faustroll se déplace sur un bateau, qui est en fait « un crible allongé » avec « des mailles assez ouvertes pour laisser passer une grosse épingle », laissant des « trous vides, au nombre approximatif de quinze millions quatre cent mille ». Il est aidé sur son esquif par « Bosse-de-Nage, singe papion, moins cyno- qu'hydrocéphale ». Ce dernier ne sait dire que « Ha ha », et « il n'ajoutait rien d'avantage ». Cette navigation est un clin d'oeil à Rabelais.
Après avoir disserté sur Dieu « Dieu transcendant est trigone et l'âme transcendante théogone, par conséquent pareillement trigone. / Dieu immanent est trièdre et l'âme immanente pareillement trièdre », Jarry termine par un savant calcul de la surface de Dieu, défini comme « ± Dieu est le plus court chemin de 0 à ∞ dans un sens ou dans l'autre ». On remarquera dans cette définition, deux points importants. Dieu possède un prénom qui est « ± ». Cela peut avoir de l'importance lors des diners en ville, suivant les personnes rencontrées. Il convient aussi de signaler que Boris Vian a fait reprendre ces calculs et en déduit la valeur mathématique de Dieu, qu'il publiera dans les « Mémoire concernant le calcul numérique de Dieu par des méthodes simples » (1977, Cymbalum pataphysicum, 14 p.). Ensuite, on adoptera la définition de Dieu par Faustroll « Dieu est le point tangent de zéro et de l'infini ». Cette définition publiée en 1900, a-t-elle hantée les nuits du tout jeune Arthur Koestler, voilà un point de l'histoire littéraire à élucider.
On en arrive donc presque naturellement à la traduction de Grabbe et « Les Silènes ». Pourquoi donc ce titre ? Fait-il référence au précepteur de Dionysos, devenant un « un nom générique des satyres devenus vieux ». Au contraire, la présence d'un ventre gonflé est-elle signe de la fleur éponyme, dicotylédone herbacée de la famille des Caryophyllacées. Un détour par le Prologue de Gargantua éclaire mieux le titre. « Silènes estoyent iadis petites boites telles que voyons de present es bouticqs des apothecaires, pinctes au dessus de figures ioyeuses et frivoles, comme de Harpies, Satyres, oysons bridez, lievres cornuz, canes bastées, boucqs volans, cerfz limonniers, & aultres telles pinctures contrefaictes à plaisir pour exciter le monde à rire. Quel fut Silène maistre du bon Bacchus. Mais au dedans l'on reservoit les fines drogues, comme Baulme, Ambre gris, Amomon, Musc, zivette, pierreries, et aultres choses precieuses ». Et la clé vient toute seule « Mais ouvrans ceste boite, eussiez au dedans trouvé une celeste et impreciable drogue: entendement plus que humain, vertu merveilleuse, couraige invincible, sobresse non pareille, contentement certain, asseurance parfaicte, desprivement incroyable de tout ce pourquoy les humains tant veiglent, courent, travaillent, navigent et bataillent ». de ces petites boites que l'on ouvre, on peut alors « rompre l'os, et sugcer la substantificque mouelle ». Elle est bien là l'explication. Encore faut-il ouvrir le texte que propose Jarry et en tirer la moelle. Et comment comprendre l'allusion que Jarry n'a bien sûr par indiquée.
Mais Jarry a laissé quelques pistes. Il y a ce Diable, qui possède « un sabot de cheval, comme aucun autre cheval », qu'il lui faudra re-ferrer. Diable issu de l'Enfer « parce qu'en enfer on fait des réparations ». Gentil personnage, cependant qui se fait appeler « Théophile Diable » et qui est « passionné collectionneur de hannetons célibataires, d'aubergistes gras et de jeunes fiancées ». On est bien loin du Méphistophélès pervers, à qui sa « satirique grand-mère » a mis « sept petites chemises de fourrure, sept petits manteaux de fourrure et sept petites casquettes de fourrure » pour qu'il n'ait pas froid, car quelle triste fin « si le Diable devait périr congelé ». Un Diable très humain donc, qui cependant « s'arrache avec la main droite le bras gauche » avant de se « remettre le bras ». Et que penser des quatre naturalistes, ou des pauvres treize compagnons tailleurs qu'il faudra mettre à mort ? Et ce margrave Tual, un peu comme Tugdual, dont les reliques sont à Laval. Et tout cela si son fils étudie la philosophie ou filousophie. Il faut dire que le Maître d'Ecole a une façon particulière de faire sa bibliographie. Il reçoit « tous les quatorze jours un petit paquet de harengs à moitié pourris, pour lesquels je dois payer le prix exorbitant de trente-sept sous ! Mais chaque hareng est enveloppé dans des feuilles récentes des plus mauvais poèmes et journaux, et de cette manière je suis passablement au courant des meilleurs produit de notre littérature ».
Jarry l'écrira, dans « Les Minutes de Sable Impérial », dans son avant propos : « Suggérer au lieu de dire, faire dans la route des phrases un carrefour de tous les mots […] L'oeuvre d'ignorance aux mots bulletins de vote pris hors de leur sens ou plus justement sans préférence de sens ». C'est bien un « épiphénomène qui se rajoute à un phénomène », définition de la pataphysique. Par ailleurs le deuxième chapitre du Livre IV de « Les Jours et les Nuits » s'intitule « Pataphysique ».

On pourra lire, entre autres, d'Alfred Jarry
« Oeuvres complètes » en 3 tomes (1972, 1987, 1988, Gallimard, La Pléiade, 1376, 1040, 1111 p.)
« Oeuvres » (2004, Robert Laffont, 1410 p.)
« Gestes et Opinions du Docteur Faustroll, Pataphysicien » (1980, Gallimard, Idées, 247 p.)
« Les Silènes » traduit de Christian Dietrich Grabbe publiée en fragments (1926, Les Bibliophiles créoles, 64 p.) et publié en entier (2011, Collège de Pataphysique, 96 p.)
« Ubu intime et divers inédits autour d'Ubu » (1985, Editions Folle Avoine, 203 p.)
« L'Amour absolu » (2001, Mille et une Nuits, 96 p.)
« Messaline, Madrigal » (2002, A Rebours, 158 p.)
« Siloques, superloques soliloques et interloques de pataphysiques » (2003, le Castor Astral, 96 p.)
« Almanach illustré du Père Ubu (XXe Siècle) : Fac-similé de l'édition originale de 1901 » (2006, le Castor Astral, 66 p.)
« Ubu Cycliste : Ecrits vélocipédiques » (2007, le Pas d'Oiseau, 116 p.)
« Les Minutes de Sable Mémorial » (2007, Grasset, 201 p.)

Collège de Pataphysique « Anthologie pataphysique : de l'Antiquité à nos jours » (2015, Editions du Sandre, 397 p.)
« Agenda du Père Ubu 2007 » pour le centenaire d'Alfred Jarry (2007, HB Editions)
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
DU CHÂTEAU-ERRANT, QUI EST UNE JONQUE - Hespaillier infatigable, je tirai les avirons plusieurs heures, sans que Faustroll parût découvrir l'abord enfin proche du château fuyant selon des mirages; après des rues étroites de maisons désertes espionnant notre venue par les yeux à facettes de compliqués miroirs, nous touchâmes de la fragilité sonore de notre proue l'escalier de bois ajouré du nomade édifice.
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Le livre est un grand arbre émergé des tombeaux.
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« Ubu Roi » d'Alfred Jarry, c'est à lire en pochez chez Etonnants Classiques.
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