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Abdelwahab Meddeb (Traducteur)Fady Noun (Traducteur)
EAN : 9782742709083
172 pages
Actes Sud (04/06/1999)
3.75/5   100 notes
Résumé :
- De quelle race êtes-vous, africaine ou asiatique ?
- Je suis Othello : un Arabe d'Afrique.
Elle me dévisagea.
- Oui, en effet, votre nez ressemble à celui des Arabes sur les photographies, mais vos cheveux n'ont pas la douceur noire des cheveux arabes.
- C'est bien moi.
Le visage arabe comme le désert du Quart-vide et la tête africaine agitant une enfance terrible. Elle reprit en riant :
- Vous avez une manière étrange... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (22) Voir plus Ajouter une critique
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Avec Saison de la Migration Vers le Nord, Tayeb Salih réalise un livre-frontière, qui se situe toujours à la lisière de deux mondes qui se côtoient mais qui ne se comprennent pas forcément. Il nous fait notamment pénétrer dans les deux univers distincts que sont la colonisation au XXème siècle et celui d'une société traditionnelle soudanaise, qui me semble assez peu connue sous nos horizons.
Il aborde ces univers sous un angle insolite, celui du récit biographique.
Ce faisant, le livre dans son entier est basé sur divers contrastes :
- contraste entre la vision anglaise et la vision soudanaise d'une même réalité.
- contraste entre le destin ordinaire des villageois du sud du Soudan et celui — extraordinaire — de Mustafa Saïd, le héros atypique du livre.
- contraste entre la vision masculine et la vision féminine de l'amour.
- contraste entre l'amour soudanais de la vie anglaise et l'amour anglais de la vie soudanaise.
- contraste entre la vue du narrateur et celle de Mustafa Saïd.
- contraste entre vie rurale et vie citadine.
- contraste entre période de colonisation et d'indépendance.
- contraste entre chaleur et fraîcheur, dans toutes leurs acceptions.
Mais le contraste n'est pas le seul angle d'attaque de l'ouvrage. Vous aurez compris que celui-ci parle constamment d'amour : amours charnelles, bien sûr, mais amour filial aussi, amour du pays, amour des traditions, amour des arts, amour de la justice et de la politique. Un amour qui, chez Tayeb Salih, est toujours teinté de morgue, de macabre et de ténèbres.
Le narrateur, considéré comme une sorte d'OVNI parmi les siens, des ruraux du sud Soudan, a poursuivi une carrière universitaire en Angleterre et est désormais un haut fonctionnaire à la capitale, Khartoum.
Un jour, lors d'une visite annuelle qu'il effectue au village de ses pères, il entend parler d'un mystérieux Mustafa Saïd. Celui-ci l'intrigue au plus haut degré et il ne tarde pas à découvrir que cet homme, qui affecte de se mêler à la vie rurale villageoise est encore bien plus un OVNI que lui et que son passé abrite une fontaine de mystères.
Son passé, c'est justement ce dont Mustafa Saïd va en faire le dépositaire en lui confiant à lui seul des tas de secrets. Mais dans quel(s) but(s) ? C'est ce que je vous laisse découvrir.
Dans un premier moment du roman, nous sondons l'extraordinaire destinée de cet homme, pour ensuite se confronter au présent et aux conséquences de l'impact qu'a eu cet homme sur ceux qui l'ont côtoyé.
L'auteur nous offre une vision très nuancées et très empreinte de sagesse du progrès, de l'avenir, des mentalités de son pays.
C'est donc une oeuvre riche est complexe malgré la modeste longueur du livre, qui n'en recèle pas moins beaucoup d'épaisseur.
Bref, une expérience littéraire fort agréable et très recommandable, mais ce n'est bien évidemment que mon avis, c'est-à-dire, trois grains de sable dans le désert.
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La lecture d'Abdelrazak Gurnah m'a incite a relire ce livre. Il m'a plu comme a ma premiere lecture. Au point que je lui dedie un billet, a la place d'un plus ancien qui a mysterieusement disparu.

Qu'est ce que j'y ai trouve?

En arriere-plan un village soudanais colle a la rive du Nil. Son agriculture, son organisation, ses coutumes.

Au premier plan le narrateur (son nom n'est pas devoile dans le livre): un natif du village qui a, grace a une bourse, poursuivi des etudes a Londres – jusqu'a un doctorat litteraire -, travaille au ministere de l'education a Khartoum, la capitale Soudanaise, et passe ses vacances dans son village natal. La il rencontre Mustapha Said, un nouveau venu, mysterieux mais respecte de tous, qui va finir par se confier a lui et lui raconter sa vie. Et ce Said lui vole donc elegamment le premier plan.

Qui est ce Said? Un soudanais surdoue qui a lui aussi ete envoye par les colonisateurs britanniques etudier dans la metropole et y est devenu un eminent specialiste de poesie anglaise. Un africain noir de peau, musulman, qui surpasse et bat les europeens dans leurs propres domaines, sur leur propre terrain. Mais ca ne lui suffit pas. Il ne veut pas devenir l'un d'eux. Il veut les conquerir, les subjuguer, les dominer, les annihiler. Il confiera au narrateur ce qu'il avait en tete: "Je libererai l'Afrique avec mon penis!". Il seduira donc nombre de femmes qu'il poussera au suicide, et quand ca ne marchera pas avec l'une d'elles, il la tuera. Juge, il revendiquera son crime et passera 15 ans en prison. Libere, il revient au Soudan et s'installe comme agriculteur au village, tirant un trait sur son passé, qu'il cache soigneusement, en fait revenant a ses sources ancestrales.

Le parallelisme entre le narrateur et Mustapha Said saute aux yeux, mais aussi leurs differences: Said se revolte contre tout entourage reel, c'est un contestataire combatif, alors que le narrateur me semble plutot un reformateur modere. Pas par hasard Said meurt noye dans le Nil, mais lorsque le narrateur risque de subir le meme sort il se ressaisit a la derniere minute, agite frenetiquement bras et jambes, et rassemble ses dernieres forces pour crier: Au secours!

C'est un roman tres bien ecrit. On entre dans l'atmosphere du village comme si on y etait. On sue avec ses habitants dans leur travail, on boit avec eux (oui, oui, entre deux appels du muezzin on ingurgite quantite d'alcool), on sourit aux blagues salees des vieux (avec l'age ils ont une langue completement debridee), on enrage a la fin face aux pratiques de mariages forces et a leurs consequences. On suit, avec un interet effare, les agissements du sieur Said en Europe. Un beau roman, agreable a lire. Enfin, agreable a lire, c'est selon. Plutot un roman tres bien ecrit, qui interpelle, plus: qui derange.

Contrairement a mon habitude, j'ai lu avant de poster ce billet les critiques d'autres babeliotes. Comme si je n'etais pas sur de mon ressenti (je vieillis…). Les uns mettent en exergue la difficile relation hommes/femmes, d'autres les rapports colonisateur/colonise, une amie parle de contrastes. Moi je vois surtout des conflits. Conflits tradition/modernite, conflits de genre, conflits religieux, conflits dominant/domine, conflits colonisateur/colonise, conflits Occident/Orient ou Occident/Afrique, conflits de civilisations. L'auteur ne pousse pas la charge jusqu'a insinuer un choc de civilisations, a la Samuel Huntington. Il nous donne un texte beaucoup moins simpliste et insiste aussi sur les conflits interieurs, ceux qui opposent les occidentaux entre eux et les orientaux entre eux; sur les dilemmes et les contradictions internes. Ainsi Said tue les femmes des colonisateurs, mais a sa mort sa veuve sera sacrifiee, mariee de force a un vieillard de 70 ans, et mourra, tuee en fait par ses concitoyens, les colonises. Les colonisateurs ne sont pas dans ce livre les seuls responsables des maux de l'Afrique. Pour ceux qui auraient des doutes la-dessus, le manuscript laisse par Said que le narrateur decouvre commence par cette dedicace: "A tous ceux qui ne voient que d'un seul oeil et parlent une seule langue, a ceux pour qui les choses sont blanches ou noires, orientales ou occidentales". C'est a ceux la que ce livre est en fait dedie, pour leur dire que toute realite est toujours complexe.

Ce n'est pas un hasard si ce livre a ete interdit au Soudan et en d'autres pays arabes pendant fort longtemps. Il n'a ete autorise que quand ils ne pouvaient plus ignorer ses qualites.

En definitive, un tres beau roman. Un des plus grands ecrits en arabe, parait-il. Pour moi, un grand, toutes cultures et toutes langues confondues.


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Un homme rentre dans son village du Nord Soudan. C'est un érudit, passé par les écoles anglaises et fonctionnaire à Khartoum. Si les traditions du clan semblent immuables , la présence de Mustafa Saïd, étranger au village le surprend. Un dialogue s'instaure , livrant plein de secret à notre narrateur.

Beaucoup de plaisir à travers ce livre.
Tout d'abord culturel , avec la plongée dans la vie d'un clan du Nord Soudan, où les rites ont la peau dure et les femmes la vie ardue. On plonge dans ce désert avec ses hommes aux multiples femmes , interpelant Dieu tous les trois mots et buvant, quand Dieu a le dos tourné?, dès que l'occasion se profile.
On plonge dans les antagonismes de la colonisation avec le meilleur et le pire.
On côtoie la fierté quand Mustafa met à mal le monde des blancs avec son sexe, faisant de lui une icône post coloniale.
On côtoie l'arrivisme et la luxure qui ont détourné les dirigeants post coloniaux du peuple pour des plaisirs occidentaux.
On navigue au grès des souvenirs du narrateur entre présent et passé.
On est aussi porté par une langue très belle, incitant parfois à la rêverie mais nous plongeant également de façon surprenante dans une vision libérée du sexe .
Et même si l'on est dérangé parfois par un manque de clarté entre les protagonistes s'exprimant, on passe un très beaux moments avec ces hommes et femmes déchirés entre passé et présent, rites et progrès , émancipation et soumission.
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Un roman des années 1960 qui ne manque pas de charme. Il s'y joue la rencontre entre la société soudanaise et le colonisateur britannique à travers l'histoire d'un personnage singulier, surdoué, parti faire des études à Londres, pour son malheur. le narrateur est témoin de quelques épisodes tardifs de la vie de ce personnage, dont il découvre petit à petit l'existence étonnante et somme toute inquiétante, notamment dans ses relations avec les femmes. le contraste entre les deux civilisations est saisissant, mais la colonisation n'est pas vraiment le sujet. C'est surtout une histoire, racontée du point de vue soudanais, et où l'auteur glisse certainement quelques réminiscences personnelles. Les descriptions et les conversations peuvent nous sembler étranges, mais sans exotisme revendiqué. L'ambiance fait penser au Passage to India d'E. M. Forster. C'est plaisant mais pas particulièrement marquant.
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Le roman s'ouvre sur le retour dans son village du narrateur, un Soudanais parti faire ses études en Europe, venu revoir sa famille, avant d'aller faire une carrière dans la capitale. Il rencontre et devient intrigué, voire fasciné par Moustafa, un étranger au village, venu s'y installer, marié à une femme de l'endroit. Cet homme semble cacher un secret, et le narrateur va essayer de le découvrir, de comprendre la vie de cet homme. Moustafa va finir par se livrer à celui qui a un certain nombre de points communs avec lui, et faire le récit d'événements marquants de sa vie, faire le narrateur dépositaire de son existence. le récit est fait pour le lecteur par bribes, nous ne découvrirons les éléments signifiants de cette vie que petit à petit, jusqu'à la fin du roman. En même temps se mêlent à la vie de Moustafa des éléments de la vie du narrateur, qui d'observateur désincarné devient acteur, ressent et vit des choses importantes, qui font écho à la vie de Moustafa. Et se superposent à cela des descriptions des habitants du village, des morceaux de leurs vies, qui interfèrent avec les vies de nos deux personnages principaux.

Il s'agit d'un texte très dense, dans lequel les thèmes et les contenus abordés sont terriblement nombreux et complexes, impossible de tous les évoquer. La richesse de ce roman fait qu'il m'est difficile d'en parler sans avoir l'impression d'être très réductrice et ne pas rendre justice à ce livre.

L'un des éléments essentiel est l'écriture de Tayeb Salih, une écriture très travaillée, très poétique, précise et en même temps, laissant la place à l'imaginaire du lecteur. J'ai eu au début l'impression de quelque chose d'artificiel, d'autant plus que le récit nous révélait les choses très progressivement, mettait un certain temps à s'installer, avec des personnages abordés avec détachement par l'auteur, qui n'essaie pas de nous les rendre sympathiques ni attachants, à donner des justifications à leurs actes. Mais au fur et à mesure, les choses se mettent en place, et ce qui semblait les sujets du livre, rapport entre les ex-colonisés et les ex-colonisateurs, le choix entre la tradition et la modernité, se complexifiaient et ces sujets n'étaient plus forcement les seuls importants, au lieu de se diriger vers une conclusion un peu attendue, le livre ouvrait presque à chaque page d'autres perspectives et approches, et j'ai été complètement happée.

J'ai été tout particulièrement émerveillée de la façon dont l'auteur avec son écriture précieuse et détachée rend compte de la passion amoureuse, une passion qui confère à la folie par son intensité et son masochisme. L'intrinsèque impossibilité des rapports hommes femmes est rendu d'une façon au combien subtile, j'ai été au combien admirative de la manière dont l'auteur rend cela, il évoque évidemment la violence faite aux femmes par les hommes, et sans prendre des gants, mais il suggère aussi que cela ne se réduit pas à cela.
Il rend sensible à quel point l'individu conscient n'a par réellement de marge de liberté, par rapport aux normes de la société dans laquelle il vit, par rapport à l'héritage de l'Histoire, et aussi de son histoire, forgée par les générations qui l'ont précédées ; ses héros qui ont confrontés à une autre culture, sont d'une certaine façon peut être plus sensibles à leurs déterminismes, mais ne peuvent s'en échapper pour autant, ce qui les rend profondément tragiques, et nous parle du tragique de la condition humaine.

Un livre qui a été marquant pour moi, et que je relirai très certainement car j'ai sais que je suis loin d'en avoir épuisé tous les sens et toutes les richesses.
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Citations et extraits (36) Voir plus Ajouter une citation
Au petit matin, ma voiture longea pendant deux heures le Nil, en Est, puis, bifurquant à angle droit, se dirigea vers le Sud en plein désert. Point d'abri face au soleil, s'élevant à pas lents, lançant ses rayons de feu sur terre, comme pour accomplir une ancienne vindicte. Point d'abri sinon la torride cabine, ombre qui ne protège pas. Éreintante route qui montait, descendait : et rien qui séduise l'œil. Arbustes éparpillés dans le désert, tout épines, sans feuilles, végétation misérable, ni vivante, ni morte. On pouvait rouler durant des heures sans rencontrer âme qui vive. Puis un troupeau de chameaux maigres, efflanqués, se profilait avant de disparaître. Pas un nuage, promesse d'ombre, dans ce ciel de feu, couvercle de l'enfer. Le jour ne compte pas ici : c'est une torture que subit l'être vivant, dans l'attente de la nuit salvatrice. [...]
Rien. Le soleil. Le désert. Les arbustes desséchés. Les bêtes faméliques. La voiture vibra dans une descente. Nous dépassâmes les ossements d'un chameau ayant subi le salaire de la soif dans cette terre désolée. [...] La route n'en finissait pas. Le soleil ne désarmait point. [...]
Un bédouin apparut derrière la colline, courut vers nous et se mit en travers de la route. Nous stoppâmes. Son corps et ses vêtements étaient couleur de terre. Le chauffeur lui demanda ce qu'il voulait. " Donnez-moi du tabac ou une cigarette pour l'amour du ciel ; voilà deux jours que je n'ai pas fumé. " N'ayant pas de tabac, je lui donnai une cigarette. [...] Assis sur ses talons, le Bédouin fumait avec une avidité et une concentration indescriptibles. [...] Il fit un sort à une seconde cigarette puis gesticula et roula comme un épileptique, ensuite il s'étendit de tout son long, face contre terre, la tête dans les mains, et fit le mort. Il resta ainsi le temps de la halte, une vingtaine de minutes. Quand le moteur de la voiture se remit en marche, il se redressa brusquement, comme ressuscité, et se mit à crier ma louange et à me souhaiter longue vie. Je lui lançai mon paquet de cigarettes. Nous le quittâmes, soulevant un nuage de poussière et je le vis courir vers de misérables tentes près de maigres buissons, en direction du sud. Quelques brebis chétives paissaient auprès d'enfants nus. Où donc était l'ombre, ô mon Dieu ! Une pareille terre ne produit que des prophètes ! À telle sécheresse, à telle disette, point de remède sinon révélé par le ciel. Et cette route interminable, et ce soleil impitoyable...
La voiture gémissait sur ses essieux, la route était un tapis de cailloux. [...] Le soleil, voilà l'ennemi. Il était maintenant au zénith, battant au cœur du ciel, comme disent les Arabes. Un cœur incandescent. Qui semblerait immobile durant des heures jusqu'à entendre les pierres gémir, les arbres pleurer, le fer implorer. [...]
La victoire fut enfin l'issue soudaine de la bataille. Le crépuscule vint non pas sang répandu mais couleur de henné aux pieds d'une femme. La brise nilotique se leva, d'un parfum qui restera inaltérable dans ma mémoire. Comme la caravane qui dépose ses charges, nous nous arrêtâmes. [...] La voiture eut sa part d'huile, d'essence et d'eau, contente comme une pouliche à son heure d'exubérance.
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— J'admirais longuement ses deux cuisses blanches écartées que je caressais des yeux avant de glisser le regard vers la surface douce et lisse pour enfin contempler le dépôt des secrets, là où naissent le bien et le mal. [...] Je mis la pointe de la lame entre ses seins, et de ses jambes elle m'entoura le dos. Lentement, je pressai le poignard. Lentement. Elle ouvrit les yeux, extatiques. Elle me parut plus belle que tous les êtres. Elle dit, endolorie : « Mon cher, je pensais que jamais tu n'oserais. J'ai faillis désespérer de toi. » Je pressai le poignard avec ma propre poitrine jusqu'à ce qu'il disparaisse entier entre ses seins. Et je sentis son sang chaud exploser hors de son torse. Je me mis à frotter ma poitrine contre la sienne tandis qu'elle hurlait suppliante : « Viens avec moi, viens, ne me laisse pas partir seule... »
Et elle me dit : « Je t'aime. » Et je la crus. Et je lui dis : « Je t'aime. » — et j'étais sincère. Nous étions torche enflammée, les bords du lit s'embrasèrent dans le feu infernal, et mon nez reconnut l'odeur de la fumée pendant qu'elle disait : « Je t'aime, ô mon amant », et que je répondais : « Je t'aime, ô mon aimée. » Et l'univers et les catégories du temps, passé, présent, futur, se concentrèrent en un point unique qui n'avait pas d'avant, ni d'après.
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- Si le père de cette femme et ses frères sont d'accord, il n'y a rien à redire.
- Pourtant, dis-je, si elle ne veut pas se marier ?
Mahjoub me coupa la parole :
- Tu sais comment les choses se passent ici. La femme est à l'homme, et l'homme reste homme, quand même il deviendrait vieillard décrépit.
- Pourtant, insinuai-je, le monde a évolué. De telles coutumes ne conviennent pas à notre époque.
- Le monde n'a pas changé à ce point. Seulement certaines choses ont changé. Des pompes à la place des norias. Des charrues en acier à la place des araires en bois. Nous envoyons nos filles à l'école. Il y a la radio, les automobiles. Nous avons appris à boire le whisky et la bière au lieu de l'arak et de la marissa. Mais tout le reste demeure tel qu'il fut.
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- Wad Rayyes aime les femmes non excisées, dit mon grand-père.
- Je le jure Hadj Ahmed ! Tu jetterais ton chapelet de suite et négligerais la prière si tu connaissais les femmes d'Abyssinie et du Nigeria. Il y a entre leurs cuisses comme un disque intact, bellement ouvragé, se suffisant à lui-même, avec ses qualités et ses défauts. Mais, chez nous, on le mutile et on le délaisse comme une terre dévastée.
- L'excision, dit Bakri, est une loi de l'Islam.
- De quel Islam s'agit-il ! Ton Islam et celui de Hadj Ahmed, qui ne savez distinguer entre ce qui vous fait tort et ce qui vous couvre de bienfaits. Les Nigérians, les Égyptiens, les Syriens ne sont-ils pas musulmans ! Mais voilà gens qui savent les fondements de la Loi, laissant leurs femmes telles que Dieu les a créées. Tandis que nous les châtrons comme des bêtes.
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Il s'enquit de mon nom, je le lui dis. Il s'informa de mon âge, je répondis que je n'en savais rien. Il me dit enfin :
- Aimerais-tu aller à l'école ?
Je répondis :
- Qu'est-ce que c'est l'école ?
Il répliqua :
- Une belle maison de pierre au milieu d'un grand jardin au bord du Nil. La cloche sonne : tu entres en classe avec les élèves, tu apprends à lire, écrire et compter.
- Est-ce que je mettrai un turban comme celui-là ?
Je montrai du doigt ce qui surmontait sa tête comme dôme. L'homme se mit à rire.
- Ce n'est pas un turban, c'est un chapeau.
Puis il descendit de cheval et, se découvrant, me mit son chapeau sur la tête. Mon visage disparut à l'intérieur.
- Quand tu seras grand, si tu réussis à l'école, tu seras fonctionnaire du gouvernement et tu porteras un chapeau.
- J'irai à l'école, déclarai-je.
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