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José Saramago est un intellectuel et écrivain portugais, gratifié d'un prix Nobel de littérature en 1998. Son roman La lucidité, qui date de 2004, est surprenant à double titre. C'est à la fois une histoire extravagante et un exercice de style cocasse. le sujet est de surcroît particulièrement d'actualité chez nous, en ces temps de scrutins à répétition.

Le premier chapitre est un chef-d'oeuvre burlesque à lui tout seul.

Journée d'élections municipales dans la capitale d'un pays occidental démocratique. Un bureau de vote comme nous en connaissons. Des tables, des isoloirs, une urne. Registres, bulletins, enveloppes. Les officiants habituels : un président, des assesseurs, un secrétaire, des représentants des partis, des suppléants ; chacun est très pénétré de sa mission.

Ah, peut-être des électeurs, aussi ? Et bien non, justement, personne ! A seize heures, à peine une vingtaine de bulletins dans l'urne, en comptant ceux des officiants, totalement décontenancés. La description de leur comportement, de leurs réflexions, de leurs propos, fait l'objet d'une prose amphigourique irrésistible... J'y reviendrai.

Soudain, déferlement d'électeurs qui se présentent tous en même temps à leurs bureaux de vote. Files à perte de vue, attentes interminables. Les caméras de télévision s'activent, les micros aussi ; questions et commentaires fusent. A l'annonce de ce raz-de-marée citoyen, les politiques se rengorgent.... Une allégresse quelque peu prématurée. Après la fermeture du scrutin, on décompte plus de soixante-dix pour cent de bulletins blancs !

Le pouvoir se veut serein. Il apparente le phénomène à ce qu'on pourrait appeler un bug, un incident mineur qu'on ne cherche pas à comprendre : on réinitialise. le scrutin est invalidé, les électeurs sont invités à revoter la semaine suivante. Rebelote ; quatre-vingt-trois pour cent de bulletins blancs ; et dix de der, ça devient sérieux...

Chez nous, hommes et femmes politiques feraient mine de méditer sérieusement sur la situation, de battre leur coulpe, la main sur le coeur, le regard au fond du fond le plus profond de nos yeux, le sourire plus franc et plus candide que jamais. On nous aurait « compris » !...

Et bien non, il n'est pas du tout certain que cela se passerait ainsi. En tout cas, ce n'est pas comme ça que cela se passe dans La lucidité.

Le gouvernement considère que la situation pourrait menacer la démocratie. Il n'a pas tort, mais il faut bien trouver une explication à l'inexplIcable. Peu à peu, une certitude s'installe dans l'esprit du chef de l'Etat, du chef du gouvernement et des ministres régaliens. Il y a tout lieu de penser qu'il s'agit d'une provocation, d'un complot contre l'Etat. Peut-être une subversion fomentée par des éléments anarchistes. Ou une déstabilisation manigancée depuis un pays étranger.

Qu'en pense la population ? Pas grand chose ; rien qui ébranle la bonne humeur générale ; quelques uns se gaussent... Rira bien qui rira le dernier ! Au pouvoir, la paranoïa gagne. Proclamation de l'état d'exception, puis de l'état de siège. Délocalisation en province du gouvernement et des principales administrations, l'armée étant déployée aux portes de la ville, désormais ex-capitale, afin que nul habitant n'en sorte... Jusqu'où cela ira-t-il ?

Pour conter cette histoire absurde à l'humour de plus en plus noir, un pastiche jubilatoire de prose administrative et juridique ; une phraséologie volontairement ampoulée, encombrée de circonlocutions surréalistes, constellée de clichés éculés et de langue de bois. Des phrases très longues, insérant dialogues, monologues intérieurs et digressions diverses dans une ponctuation inhabituelle. La lecture est limpide et très expressive. Savoureux.

Savoureux, mais lassant à la longue. Les exercices de style les plus courts sont les meilleurs. Sinon, ils finissent par prendre le pas sur le sens profond de l'ouvrage.

Mais peut-être n'y a-t-il pas dans La lucidité, cette fiction imaginée par Saramago, d'autre sens profond qu'une absurdité kafkaïenne pessimiste et prémonitoire.

Ce serait plus grave qu'il n'y paraît. Car s'il advient un jour que la réalité rejoint la fiction, il nous faudra ne pas nous laisser aveugler par des exercices de style.

Et prendre la mesure concrète de cette inspiration du poète René Char : « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil ».

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Une étonnante fiction politique du lauréat du Nobel de littérature 1998.

Il s'agit d'une capitale où les habitants ont décidé de voter « blanc », à plus de 80 %. Que va faire le gouvernement ? On cherche les coupables à l'aide d'espions et d'informateurs ? On tente une campagne de publicité ? Et si on envoyait l'armée ? Mais, voter selon son choix, n'est-ce pas un droit imprescriptible ?

C'est rempli d'humour et de caricatures de politiciens, c'est aussi plein de réflexions sur la démocratie, sur les droits et les devoirs de citoyen, et même sur le sens de la vie.

Le tout serait très agréable et accessible si ce n'était de l'écriture particulière. En effet, chez Saramago, on évite le blanc, on occupe tout l'espace avec caractères : il y a très peu de paragraphes. Même pour les nombreux dialogues, ils ne sont jamais accompagnés de tirets ou de guillemets, les paroles sont simplement séparées par des virgules. Cela donne au texte une impression d'opacité qui peut malheureusement rebuter le lecteur. Dommage !

Lorsque c'est à notre tour d'aller aux urnes, face aux magouilles et aux promesses électorales douteuses, on choisit souvent, avec lucidité, le candidat le moins mauvais. Cela vaut-il vraiment mieux que de voter « blanc » ?
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L'auteur, né en 1922, est un écrivain portugais qui a reçu le prix Nobel de littérature en 1998.
Cet ouvrage date de 2004 .
C'est un livre surprenant, difficile à critiquer, sinon à en dire trop, aux phrases très longues , pouvant décourager le lecteur ......peut - être est- ce la conséquence de la traduction, je ne saurais dire ?
Il nous conte une fable politico- philosophique du monde contemporain .
Au lendemain des élections municipales, dans la capitale sans nom d'un pays sans nom, la stupeur choque le gouvernement : plus de 83% des électeurs votent blanc. .....
Au deuxième tour , même chose !
Incapable de penser qu'il puisse s'agir d'un rejet tout à fait démocratique et citoyen, le premier ministre pense qu'il s'agit d'un complot : il faut trouver des "coupables "et des boucs émissaires à tout prix , même innocents .
Une formidable chasse aux sorcières s'instaure , cela crée une sorte de chaos politique : culpabiliser au lieu de se remettre en cause ,suit un plan machiavélique, évanescence des chefs d'accusation, confusion chez les conseillers en haut lieu honteuse et absolue .....
Les dirigeants et le gouvernement évacuent la capitale, l'état de siège est décrété , un commissaire est nommé .....La machine répressive se met en marche.
La presse se déchaîne .....contre toute attente , on assiste à l'éveil de la conscience du commissaire .
Je n'en dirai pas plus .
C'est un livre à l'ironie féroce ,au second degré , truffé de passages cocasses, construit à l'aide de phrases d'une infinie longueur , ponctué de circonvolutions emphatiques, surréalistes et désabusées, en un mot , grandiloquentes !

Ce qui complique la lecture , ce sont les dialogues jamais accompagnés de guillemets ou de tirets.
Dommage , vraiment ! Même si cela paraît intentionnel !
L'auteur moque avec pessimisme , dérision et brio la nature humaine et le pouvoir politique !
Une réflexion à propos de " La Démocratie" qui pourrait peut - être s'appliquer à l'heure actuelle à nos pays , toute proportion gardée bien sûr, car il s'agit d'une fiction !
Mais ce n'est que mon avis !
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Ce livre nous conte une fable politique où l'on sent bien que la fiction pourrait malheureusement être réalité : imaginez qu'un jour de révolte, plus de 70% des électeurs de la capitale votent blanc. Que fait le gouvernement en place ? Dire que l'électeur s'est trompé, qu'il faut recommencer. Oui mais 83% des votes reviennent blanc à ce second tour. Alors c'est un complot, il faut trouver des coupables, fussent-ils innocents qu'importe, et on ne tient évidemment aucunement compte de ce scrutin. La capitale devient l'équivalente de Sodome ou de Gomorrhe dans le nouveau langage politique et le gouvernement installe la capitale ailleurs dans le pays.

Une histoire hautement dérangeante qui repose la question de savoir si nous sommes toujours bien en démocratie. Le tout servi par une superbe écriture, enfin pour ceux qui aiment, comme moi, un long phrasé, des mots qui s'enchaînent quasiment sans ponctuation comme un long halètement, et c'est vrai qu'on a du mal à reprendre son souffle après une telle lecture.

Un grand prix Nobel.
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La lucidité, ou une fable politico-philosophique des temps modernes.
Difficile de décrire ce texte : corrosif peut-être, subversif assurément, c'est en tous cas une réflexion très habile sur la crise de la représentation dans les démocraties occidentales.

Le récit commence de façon assez cocasse, presque humoristique : à l'issue d'une scrutin, les résultats donnent la majorité au vote blanc, à hauteur de 83% ! C'est la panique dans les plus hauts cercles de pouvoir. On crie au complot, on rappelle aux citoyens leurs devoirs, mais jamais, au grand jamais, on ne pose la question de la légitimité des représentants ni de leur possible démission. C'est le traditionnel « moi ou le chaos », le dernier ressort du pouvoir lorsqu'il a tout perdu.

La lecture de cet essai à haute teneur politique n'est pas facile au début, il faut s'habituer aux phrases longues et aux paragraphes denses, presque sans respiration, où le récit et les dialogues s'entremêlent. Mais on finit par se prendre au jeu, notamment dans la dernière partie du livre, construite comme un roman d'espionnage. C'est d'ailleurs, on s'en rend compte à la fin, un stratagème littéraire très puissant puisque tout est objectivé. le pays n'est jamais nommé, la capitale n'a pas de nom, pas plus que les partis ou responsables politiques, ni même les personnages centraux de l'intrigue policière.

Le roman est construit comme un entonnoir : le peuple qui a voté blanc est d'abord présenté comme une masse informe puis, à mesure que le récit avance, des individualités émergent, parfois malgré elles, dans la recherche d'un bouc émissaire. Pour autant, les personnages n'ont pas d'identité. Les responsables politiques ou administratifs sont présentés par leurs fonctions, les autres personnages par leurs professions ou un trait caractéristique de leur physique. La force de cet anonymat est incroyable car c'est elle qui donne sa dimension universelle au récit qui, d'une analyse sans concession de la crise de la représentation actuelle des démocraties occidentales, devient une critique intemporelle des mécanismes de perpétuation du pouvoir politique.

Grâce à des situations et réflexions absurdes, José Saramago ne fait pas l'apologie du vote blanc mais celle de l'auto-organisation des sociétés. Il moque le pouvoir politique dans les règles de l'art, en offre une critique acerbe et efficace. Mais son récit est finalement profondément pessimiste quant à la possibilité de sortir du système représentatif qui est le nôtre. En un sens, La lucidité est le récit de la mise en place d'un pouvoir autoritaire par les responsables politiques (tout changer pour que rien ne change, en somme) alors que le peuple appelle, sans concertation préalable, à un changement pacifique.
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La lucidité de José Saramago n'entrera pas dans la catégorie des livres qui comblent mes appétits de lecteur. J'ai été perturbé tout le long du roman par la ponctuation et ces phrases interminables à la Proust dont la répétition participa de mon manque d'enthousiasme pour cette oeuvre. Pourtant, l'auteur a été récompensé par un Nobel de littérature, mais son foisonnement rend peut-être mieux dans sa langue d'origine. Décidément, les traductions de son travail ne m'emballent guère. Cela avait bien commencé. L'idée de faire de ce vote blanc massif, le fil conducteur, me plaisait et provoqua d'abord une jubilation profonde, qui trouve sa source dans la crise politique que vivent presque toutes les démocraties occidentales. Mon cerveau construisit des ponts entre l'imaginaire et le réel, entre la parodie cynique et la situation française, entre le désir manifesté de rendre le vote obligatoire pour combattre l'abstention et le message assourdissant envoyé par près de la moitié de la population. Et comme dans le roman, des réactions aux antipodes du bon sens, de l'humilité et de la raison. Culpabiliser plutôt que de remettre en cause le système, forcer plutôt que d'analyser les ressorts d'un acte militant, dont les conséquences portent les extrêmes sur la crête d'une déferlante aux abord du pouvoir en ne représentant qu'un sixième de la société. Punir plutôt que de lutter contre la racine des maux...Malheureusement, bien vite, j'ai trouvé que le fil s'étirait en longueur, manquait de l'élasticité nécessaire pour emmener l'intrigue plus loin, ailleurs, vers des rebondissements qui auraient conservé la saveur liminaire du roman. Je suis resté sur ma faim et c'est au prochain sur la pile de l'assouvir maintenant...
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Que se passe-t-il si plus de 80% de la population d'une ville vote blanc?
A partir de cette idée unique, José Saramago construit une fable politique, à moins que ce ne soit une farce. Car ses hommes politiques prennent tout de travers (la lucidité n'est pas leur fort), et leurs réactions sont moquées tout au long du récit. Elles sont caricaturales, illustrant ce qu'on peut imaginer de pire, ou de risible, de la "politique politicienne".

Ce n'est donc pas un livre à prendre au sérieux, même si bien sûr une vision un peu distanciée du pouvoir politique et d'une possible voie vers la dictature est toujours enrichissante*. Il m'a distrait, mais pour être franc, je l'ai trouvé bien long. de Saramago, le voyage de l'éléphant m'avait aussi réjoui et amusé, mais sans cette impression de longueur. le premier chapitre et les derniers sont bien incarnés, avec un président de bureau de vote et un commissaire de police, humains et touchants. Mais les débats entre ministres, et quelque fonctionnaires, qui font l'essentiel du livre, sont un peu lassants.

L'écriture de Saramago m'a paru plus intéressante que ce dont il parlait. La première impression est étrange, voire fatigante : style direct et indirect mêlés sans transition visible, dialogues avec des répliques séparées par de simples virgules, passage du présent de narration au passé simple, voire au futur. Saramago intrigue et amuse, et parfois passe au niveau supérieur : adresses directe du narrateur au lecteur** , commentaires sur la façon dont le récit aurait pu tourner... Tout cela est fort réjouissant. A contrario, l'essentiel du texte est écrit dans un style volontairement ampoulé, singeant un discours politique désuet (celui qu'on parlait avec une langue de bois pendant la 3e république française?***), qui m'a vite été pénible. de même, je me suis plusieurs fois interrogé sur la nécessité de descriptions triviales et un peu longues d'actions quotidiennes (rideaux, chaussettes, biscuits, etc.). Je suppose que cela contribue à installer l'ambiance, pour mieux contraster avec les interrogations des personnages.

J'ai mentionné un président de bureau de vote ; son équipe et leurs familles sont également sympathiques au début du récit, dans une ambiance moins tendue que celle du scrutateur de Calvino. Dans le dernier tiers du livre, après une longue partie centrale où il ne se passe pas grand-chose, le lecteur suit le actions et pensées d'un commissaire de police qui devient sympathique. Peut-être même rencontrera-t-il la grâce et la lucidité? Dans cette partie, le rythme du récit est beaucoup plus rapide et prenant, et m'a permis de garder une bonne impression globale du livre.

Je voudrais aussi mentionner que ce livre a probablement un lien précis avec un autre roman de Saramago : L'aveuglement. Je n'ai pas lu ce dernier, mais j'en connais le sujet, et il est probable qu'on y rencontre un des personnages lumineux de la lucidité. Il est au moins évident que les deux titres se répondent, ce que je n'avais pas trouvé en parcourant rapidement quelques critiques.


* Permettez-moi de reproduire ici ma citation favorite de Daniel Mayer : "Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument."
** Qui a commencé : Diderot dans Jacques le fataliste, Sterne dans Tristram Sandy, ou un autre que j'ignore? J'ai essayé de vérifier, ce n'est pas clair pour le moment.
*** Et que caricaturait si bien Franquin dans les discours du maire de Champignac.

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Autant "L'aveuglement" m'a subjuguée du début à la fin de part la forme stylistique si particulière de l'auteur, et le fond de satire politique si puissant, autant j'ai failli abandonner La lucidité dans les 80 premières pages. Pourtant, forme et fond s'y retrouvent, comme je l'avais lu sur Babelio, La lucidité faisant suite à L'aveuglement.
Ceci dit, ce n'est pas flagrant au départ, puisqu'il faut attendre plus de la moitié du livre pour que des références à "la peste blanche", quatre années auparavant, soient de plus en plus nombreuses, en écho au mal dont semblent atteints "les électeurs de la capitale", nommés de façon méprisante par le gouvernement "les blanchards", qui ont voté blanc à 70%, puis à 83% lors des deux tours consécutifs des élections municipales. Dans un troisième temps après ces références, entrent en scène les personnages de L'aveuglement.
.
C'eut été une erreur de déclarer forfait avec La lucidité, même si les premières pages m'ont étouffée. J'ai eu l'impression d'assister en catimini à un conseil des ministres sans fin, sauf que je n'ai jamais eu pour passe-temps de visionner l'Assemblée Nationale le mercredi aprèm à la télé, pas même pour ironiser sur ce qui ressemble à des bassesses liées à des dessous de cartes, pots de vin, et peaux de vaches, entre deux chamailleries de cour d'école, et deux ronflements de ceux qui y participent et que cela passionne autant que moi.
Saramago sait toutefois rendre l'exercice cocasse, et ses portraits vitriolés des politiciens ont de quoi réjouir - ou déprimer c'est selon. J'ai souvent lu qu'ils sont caricaturaux, mais quand on a concrètement vécu une période de troubles comme le Covid, on se rend compte que la caricature n'est pas si loin de la réalité, comme on pouvait le craindre -.
.
le gouvernement réagit à cette mystérieuse désertion des urnes avec une affliction feinte et rapidement menaçante. La ville lui répond avec une unanimité stupéfiante, d'autant plus respectable qu'elle est digne et pacifiste... Ce qui va pousser l'état à mettre de sales projets à exécution pour retrouver sa légitimité auprès de l'opinion publique. Il y a quasiment, en plus de la satire politique, une dimension sociologique à regarder évoluer cette ville aussi effrontée qu'unie, un personnage attachant en butte à l'autorité.
Et au moment même où je m'attache à ce personnage de la ville, cherchant à comprendre les ressorts de sa colère sourde, curieuse de ce qu'il adviendra d'elle, Saramago ressort enfin du chapeau, la femme du médecin, le chien des larmes, et leurs acolytes, qu'il me tardait tant de retrouver. C'est comme un deuxième récit qui s'enchâsse et chasse le premier, et je suis autant contente de retrouver ces personnages, que frustrée de quitter le destin de cette ville; au final. Existerait-il un troisième tome qui ressort la ville du chapeau ? Une troisième déclinaison de la fourbe couleur blanche en politique ? ^^
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Le pire c'est que finalement, dans ce roman, Saramago agit avec la même désinvolture avec tous ses personnages.
La démonstration est certes édifiante, comme je l'ai déjà publié en citation "on ne peut pas faire cas de ce qui est incompréhensible, sauf si cela peut servir de prétexte." (p288), et les rouages du récits sont implacables, magnifiquement déployés, dans ce sens. Mais il m'a manqué beaucoup d'autres éléments qui ont fait l'incroyable densité et richesse de L'aveuglement.
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Le livre de Saramago n'est pas facile à lire, comme l'ont remarqué d'autres Babélionautes, compte tenu du style des phrases sans respiration et de la densité du texte.
Mais elles sont toutes savoureuses. Elles nous font réfléchir au fonctionnement de nos démocraties, au sens du vote, au rôle des politiques et à leur goût du pouvoir, à la censure possible de la presse.
Le roman démarre au moment d'une élection dans la capitale d'un pays qui n'est jamais nommé. 83 % des électeurs ont voté blanc. Pour le gouvernement, c'est le signe d'une révolte inadmissible qui fragilise grandement le fonctionnement de la démocratie, et doit donc être sévèrement punie. Pourtant comme l'affirme une habitante de la capitale qui est questionnée pour savoir pour qui elle a voté (p. 58) "voter blanc, monsieur le questionneur, est un droit qui ne souffre pas de restrictions et que la loi n'a pu que reconnaître aux électeurs, il est écrit en toutes lettres que personne ne pourra être poursuivi pour avoir voté blanc, en tout cas pour vous rassurer je répète que je ne suis pas de ceux qui ont voté blanc, j'ai évoqué cette hypothèse à des fins purement théoriques".

Les politiques, dans ce roman, prennent souvent des décisions loufoques, ne serait-ce que pour affirmer leur pouvoir. Pour ne donner qu'un exemple, lorsque le Ministre de l'Intérieur ordonne au maire de la capitale d'obliger les éboueurs à se remettre en grève. Réponse du maire : "je ne dispose d'aucun moyen pour faire respecter votre ordre, sauf si vous souhaitez que je fasse appel à la police et si tel est bien le cas je vous rappellerai que la police est partie, elle a quitté la ville en même temps que l'armée, toutes deux ayant été emmenées d'ici par le gouvernement, et reconnaissons de surcroît qu'il serait hautement anormal de recourir à la police pour convaincre les travailleurs de se mettre en grève de gré ou de force et plutôt de force que de gré alors que depuis toujours elle a été utilisée pour faire avorter les grèves au moyen d'infiltrations et d'autres procédés bien moins subtils".
Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres du ton du livre.
On retrouve des personnages de livres précédents de l'auteur, dont la femme qui n'est pas devenue aveugle dans L'aveuglement.

La fin est triste mais était prévisible, dans le contexte de la politique mise en place par les autorités du pays pour ramener les habitants de la capitale à la raison et conserver leur pouvoir.
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L'action se déroule dans une ville qui n'est pas nommée car l'histoire pourrait se passer près de chez vous !
Le narrateur s'adresse directement au lecteur, n'hésitant pas à l'interpeller. Ainsi donc nous découvrons en direct que les élections municipales révèlent que 83% des électeurs ont voté blanc avec un taux d'abstention ridicule ! C'est la stupeur totale au gouvernement et immédiatement il fait appel à la population pour qu'elle prenne conscience "de la terrible menace qui plane sur leur tête" et que chacun " se fasse pardonner la méchanceté à laquelle ils s'étaient laissé entraîner...".
Cependant ces belles paroles sont vaines et l'Etat d'exception est instauré puis la ville déclarée en état de siège. L'hypothèse d'une horrible conspiration anarchiste est posée. Afin que tous s'aperçoivent de la terrible bêtise commise,l'Etat décide de déplacer son gouvernement de la capitale vers une autre ville ainsi que la police. Ainsi le chaos inévitable qui en suivra avec son lot de crimes ramènera la population à la raison. Oui mais... cela ne se passe pas comme prévu. Les seules manifestations auxquelles on assiste sont des démarches de solidarité et d'entraide. L'harmonie s'est installée et la capacité du peuple a s'affirmer fait jour à travers de multiples pancartes " j'ai voté blanc". L'Etat va tout mettre en oeuvre pour déstabiliser cette organisation autonome ô combien subversive sans hésiter pour cela a manigancer un acte terroriste meurtrier...en vain. La solidarité se renforce ainsi que la prise de conscience. En loucedé un commissaire et deux acolytes sont infiltrés dans la ville afin de construire de toute pièce un coupable. Il faut dire que notre histoire se déroule quatre ans après L'Aveuglement et qu'une femme ayant échappé à cette cécité ce qui fait d'elle un suspect idéal.
Ce récit est jubilatoire car José Saramago décrit avec un humour décapant comment La Lucidité peut remplacer L'Aveuglement et décortique les magouilles de l'Etat et les institutions à son service de façon magistrale. Il ne craint pas de forcer la dose sur l'absurdité et la cruauté du système.
Si je suis totalement séduite par le fond, j'ai eu plus de mal avec l'écriture de Saramago que je découvre. Les phrases sont longues avec une ponctuation qui m'a perturbée ainsi que des digressions qui complexifient la lecture.
Bien que le lieu et l'époque soient différents ce roman m'a rappelé par son ton sarcastique et sa mise en lumière d'un système absurde, le roman deM.Boulgakov : le maître et Marguerite.
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