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Rose Celli (Traducteur)
EAN : 9782264036841
413 pages
10-18 (01/12/2004)
3.98/5   23 notes
Résumé :

On a pu dire qu'en demandant à un homme - ou à une femme - s'il préfère Tolstoï ou Dostoïevski, on peut " connaître le secret de son cœur ". Avec son érudition et sa verve coutumière, George Steiner explore ici les différences qui opposent le monde d'Anna Karénine et celui des Frères Karamazov. Ce sont deux interprétations du destin de l'homme, de l'avenir de l'Histoire et du mystè... >Voir plus
Que lire après Tolstoï ou DostoïevskiVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Tolstoï ou Dostoïevski, s'interroge George Steiner qui se garde bien de trancher et parcourt leurs oeuvres en révélant au lecteur un inestimable trésor littéraire.

Évoquant le contexte dans lequel les deux génies russes se sont épanouis dans la seconde moitié du XIX siècle l'essayiste décrit la transition opérée par la littérature en passant du vers à la prose, du théâtre au salon, du spectacle public à la lecture individuelle. Transition d'une civilisation chrétienne à une société laïque. Transition vécue par certains romanciers en des royaumes bordés de frontières naturelles (Espagne, France, Italie, Royaume Uni) et par les américains et russes en des empires immenses et infinis. Bouleversement d'un continent ravagé par la Révolution française et les guerres impériales. Contexte qui imprègne les livres De Balzac, Flaubert, Zola et les distingue de celles de Dostoïevski, Melville ou Tolstoï.

Pour l'analyste les deux écrivains russes surpassent nos romanciers englués dans un réalisme dont l'aboutissement ultime est le journalisme. Pour un romancier européen, les grandes catastrophes sont des catastrophes privées. Pour la dyarchie russe les cataclysmes s'en prennent à la société toute entière. Comme on le voit ces cinquante première pages portent bien au delà de nos deux russes et sont une étude pénétrante de l'art romanesque qui pourrait être lue indépendamment de la suite.

La deuxième partie, consacrée à Tolstoï, montre le caractère épique de son art, comparable à celui d'Homère et de sa poésie, mais rappelle que Flaubert et Madame Bovary inspirèrent « Anna Karénine » Tolstoï, aristocrate terrien, aimait la nature, délaissait les villes, vivait parmi ses paysans une existence plus proche de celles des contemporains d'Homère que de la notre. Sceptique et marqué par Rousseau, il croit que « tant qu'il y a de la vie, il y a bonheur ». Ses épopées créent des intrigues multiples ralenties par de nombreuses évocations de faits antérieurs et s'achèvent souvent sans conclusion laissant le lecteur libre d'imaginer le dénouement. Tolstoï encense Homère mais critique Shakespeare et lui reproche « un manque de naturel » dans l'expression des personnages qui augure de sa détestation de Dostoïevski.

Dostoïevski, hanté par le théâtre de Shakespeare et Schiller, crée des romans tragiques, vifs, souvent inspirés par des faits divers autobiographiques ou révélés par la presse, orchestrés selon les règles du roman populaire, voire gothique. Ses drames sont courts et respectent l'unité action. La richesse et le naturel des dialogues manifestent le génie du romancier et hissent ses romans sur des sommets indépassables.

La quatrième partie, d'une haute portée philosophique, compare les croyances des deux géants, confronte le panthéon et la métaphysique de Tolstoï à la religion de Dostoïevski, et poursuit la réflexion en analysant comment le régime soviétique, au fil de ses évolutions, s'est approprié, ou non, l'un puis l'autre de ces écrivains. La vérité (la raison, la nature) est au centre de la doctrine de Tolstoï. le Christ domine Dostoïevski. Celui ci se veut l'homme de Dieu, celui là s'affirme comme Son rival.

Deux oeuvres aux ressorts bien différents, deux écrivains opposés par leurs naissances et leurs destinées, dessinent deux modèles, deux types d'âme parmi les hommes. Mais le lecteur pourrait fort bien trouver son équilibre en s'appuyant tantôt sur l'un tantôt sur l'autre, me semble-t-il.

Pour conclure, je tiens d'abord à remercier Les Belles Lettres de m'avoir adressé cet essai, accompagné d'un marque-pages délicatement dédicacé, à l'occasion d'une Masse Critique Babelio, puis à souligner l'intérêt exceptionnel de ces pages qui par delà deux géants russes, sont une apologie de l'art romanesque et de la culture occidentale. Cet essai demande de l'attention, du temps, de l'effort, mais le lecteur sort grandi de cette confrontation d'idées avec George Steiner, un géant à l'immense culture doté d'un indéniable talent pédagogique qui donne envie de lire et relire les oeuvres analysées.
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J'ai commencé très tôt (trop tôt ?) à lire les écrivains russes, vers douze ans j'ai mis la main sur Anna Karénine et mon coeur s'est arrêté de battre.
Et puis plus tard j'ai lu Dostoïevski et les livres se sont enchainés.
Aujourd'hui je suis totalement incapable de trancher entrer ces deux monstres de la littérature mondiale, je les aime, peut être pour de mauvaises raisons mais qu'importe je ne pourrais pas supprimer leurs livres de ma bibliothèque ni savoir que je ne les relirai jamais.
Mais vrai bien sûr qu'ils sont aux antipodes l'un de l'autre ces deux géants.
Dominique Fernandez a tranché, lui c'est Tolstoï, et bien que George Steiner affirme « Chaque lecteur choisi l'un plutôt que l'autre » je n'ai jamais vraiment tranché.
Aussi tout naturellement ce livre m'a passionné car nous dit l'auteur il y a

« Trois très grands moments dans la littérature : le moment grec avec Homère, le moment Shakespearien et le moment russe ».

George Steiner fait donc ainsi l'analyse des romans des deux auteurs majeurs de la littérature russe. Il ne fait pas l'impasse sur les faiblesses de ces deux monstres de la littérature.
Surtout il replace leurs oeuvres dans l'histoire du roman, ainsi il nous fait voyager de Mme de la Fayette à Balzac, de la critique autour de Madame Bovary ou des romans de Stendhal. Des correspondances entres les géants du roman.
Pour Steiner c'est certain les russes sont les meilleurs
« Qu'il me soit donc permis d'affirmer mon inébranlable conviction que Tolstoï et Dostoïevski sont les plus grands des romanciers. Ils excellent dans l'ampleur de la vision et dans la forme d'exécution »

C'est passionnant de bout en bout, les comparaisons avec les autres grands du roman au XIX ème siècle, les particularités de chacun des romanciers, une analyse longue et complète du début d'Anna Karénine et une belle étude de l'Idiot, de celles qui vous donne immédiatement l'envie de rouvrir ces livres là.
Il les renvoie dos à dos : Tolstoï qu'il apparente à Homère et Dostoïevski qui trouve sa parenté chez les grands auteurs du théâtre tragique. Il voit en eux deux conceptions de la religion, l'un étant fasciné par le mal, l'autre persuadé que l'on peut réformer l'homme.

Une façon passionnante de comprendre le roman russe et de s'y replonger avec délectation


Lien : http://asautsetagambades.hau..
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George Steiner pose le principe : selon que nous aimerions Tolstoï ou que nous préférerions Dostoievski, nous serions des lecteurs différents.

Voici une somme à la fois savante et très facile à lire, car truffée d'anecdotes, sur ces deux grands maîtres de la littérature, de la littérature russe en général, mais le tout remis dans le contexte de la littérature du 19e siècle européenne et nord-américaine. Et c'est drôlement intéressant.

J'aime Dostoievski et j'ai été surprise au sortir du livre des thèses, pourtant logiques, développées par cet auteur.

Je ne dirai pas comme d'autres lecteurs que George Steiner ne montre aucune préférence. J'ai personnellement senti une attirance plus grande pour l'oeuvre de Léon Tolstoï. Mais cela n'a aucune importance.

Je recommande vivement à ceux qui ont lu ces deux auteurs, même si l'un davantage que l'autre. Vous ne serez pas déçus.
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Le choc des titans.

Peut-on définir une personne selon le choix qu'elle ferait entre deux maîtres de la littérature mondiale : Tolstoï et Dostoïevski ?

Voilà une question qui mérite un livre.

Pour être plus précise, une étude de Georges Steiner, professeur de littérature comparée.

Pour autant, pas de jugement de valeur à attendre. Pas de cases à cocher à l'image des tests des magazines pour vous révéler votre psyché.

Il s'agit plutôt d'une analyse approfondie de l'oeuvre de ces deux auteurs, ce qui les rassemble comme ce qui les oppose.

D'un côté, nous avons donc Tolstoï, le chantre de la vie rurale, auteurs de fresques historiques telles Guerre et Paix ou Anna Karénine. le moralisateur, spécialiste des intrigues multiples au souffle épique.

De l'autre côté, Dostoïevski, l'auteur des villes, spécialiste de l'action resserrée aux ressorts dramatiques.
L'auteur qui cherchait son inspiration dès la rubrique faits divers des journaux russes et sondait les mystères de l'âme.

Unis dans l'appréciation qui est faite de leurs oeuvres, en témoigne leur présence, côté à côté, eux qui ne se sont jamais rencontrés, sur la liste des monuments de la littérature mondiale.

Cette étude, présupposant une connaissance des principaux romans des deux auteurs, est très dense et exigeante. Mais quelle récompense ! Elle permet de mieux comprendre les romans et leurs auteurs, donnant des clefs de lectures pour mieux apprécier et analyser leurs travaux.

Une oeuvre passionnante et indispensable pour tous ceux qui aiment ces écrivains.
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Georges Steiner s'est éteint chez lui à Cambridge (Royaume uni), il avait 90 ans. Quelle immense malheur pour la littérature que cette perte. On n'entendra plus cet érudit discourir sur Tolstoï, Shakespeare, Dostoïevski, Heidegger. Aragon .. avec ce talent incomparable et cette lucidité extraordinaire.
. Je n'oublierai jamais cette éloquence qu'il avait quand il parlait si bien des géants de la littérature. Pour en parler si bien, il a su se hisser à leur niveau comme critique, comme philosophe, comme professeur, comme écrivain, apprendre leur langue, lire la totalité de leur oeuvre, travail de titan, voir transversalement les choses pour en extraire le meilleur et découvrir des aspects insoupçonnés. Quand cet esprit supérieur comparait, c'était sa spécialité, il ne comparait pas, il avait trop de respect pour eux, il confrontait ; il s'arrangeait toujours de manière dynamique pour cultiver la différence. Des générations d'étudiants s'en souviendront. Son Tolstoï ou Dostoïevski , je le place très haut dans ma bibliothèque, sans monter à l'échelle.
("Notre maladie héréditaire, c'est d'être juste envers ce qui est grand dans le monde de l'esprit")
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Citations et extraits (30) Voir plus Ajouter une citation
Je dis cela parce qu'une bonne part de la critique contemporaine présente un caractère différent. Narquoise, pointilleuse, extrêmement consciente de son origine philosophique et de ses outils compliqués, elle en arrive souvent à enterrer plutôt qu'à louer. Il est vrai qu'il y a beaucoup à enterrer si l'on veut préserver la santé de la langue et du sentiment. Au lieu d'enrichir notre moi conscient, au lieu d'être des sources de vie, trop de livres nous offrent la tentation de la facilité, de la grossièreté et d'un éphémère plaisir. Mais ces livres sont l'objet du métier forcé du chroniqueur, non pas de l'art méditatif et recréateur du critique. Il existe plus de « cent grands livres », plus de mille. Mais leur nombre n'est pas infini. A la différence du chroniqueur et de l'historien de la littérature, c'est des chefs-d'œuvre que devrait s'occuper le critique. Sa fonction essentielle est de distinguer non pas entre le mauvais et le bon, mais entre le bon et le meilleur.
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L'esprit russe est littéralement hanté par Dieu.

De là, une différence radicale entre le roman russe et le roman européen du XIX siècle. La tradition de Balzac, de Dickens, de Flaubert était séculière. L'art de Tolstoï et de Dostoïevski est religieux. Il jaillit d'une atmosphère pénétrée d'experience religieuse et de la croyance que la Russie est destinée à jouer un rôle capital dans l'apocalypse qui menace. Tout autant qu'Eschyle et Milton, Tolstoï et Dostoïevski sont des hommes dont le génie est tombé entre les mains du Dieu vivant. Pour eux, comme pour Kierkegaard, une seule alternative s'offre à la destinée humaine. Aussi ne peut-on comprendre véritablement leur œuvre en usant des mêmes moyens que pour Middlemarch, par exemple, ou pour la Chartreuse de Parme. Nous avons affaire à des techniques différentes et à des métaphysiques différentes. Anna Karénine et les Frères Karamazov sont, si l'on veut, des œuvres d'imagination, ou des poèmes de l'esprit, mais ils ont pour objet essentiel ce que Berdiaev appelle « la quête du salut de l'humanité ».
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Les romans de Dostoïevski marquent les étapes successives d'une enquête sur l'existence de Dieu. En eux s'est élaborée une philosophie profonde et fondamentale de l'action humaine. Les héros de Dostoïevski sont ivres d'idées et brûlés par le feu des mots. Ce qui ne veut pas dire qu'ils soient des types ou des personnifications allégoriques. Nul, à l'exception de Shakespeare, n'a représenté plus complètement les énergies complexes de la vie. Cela veut dire simplement que des personnages comme Raskolnikov, Muichkine, Kirilov, Versilov, Ivan Karamazov se nourrissent de pensée comme d'autres humains se nourrissent d'amour ou de haine. Là où les autres hommes brûlent de l'oxygène, eux brûlent des idées. C'est pourquoi les hallucinations jouent un si grand rôle dans les romans de Dostoïevski : l'hallucination, c'est l'état dans lequel la ruée de la pensée à travers l'organisme humain et le dialogue entre le moi et l'âme se trouvent extériorisés.
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Le courant du roman occidental est surtout prosaïque, au sens exact plutôt qu'au sens péjoratif du terme. Là, ni le Satan de Milton battant des ailes à travers l'immensité du chaos, ni les sorcières de Macbeth voguant vers Alep dans leur tamis ne sont vraiment chez eux. Les moulins à vent ne sont plus des géants, mais des moulins à vent. En échange, le roman nous dira comment sont construits les moulins, ce qu'ils rapportent et, avec beaucoup de précision, quel bruit ils font par une nuit de vent. Car c'est le génie du roman de décrire, d'analyser, d'explorer, et d'accumuler les données du réel et de l'introspection. De toutes les peintures de la vie que tente la littérature, de tous les contrepoids que les mots essaient de donner au réel, ceux du roman sont les plus cohérents et les plus complets. Les œuvres de Defoe, Balzac, Dickens, Trollope, Zola ou Proust enrichissent le sens que nous avons du monde et du passé. Elles sont cousines germaines de l'histoire.
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Si nous pouvons dire des épopées homérique et virgilienne qu'elles étaient des manières d'entretien entre le poète et l'aristocratie, nous pouvons dire du roman qu'il a été la forme d'art fondamentale de l'ère de la bourgeoisie.

Avec le roman ne naquit pas seulement l'art du bourgeois, de l'habitant des villes d'Europe ; depuis Cervantès il fut le miroir que l'imagination, quand elle fait appel à la raison, tend à la réalité quotidienne. Don Quichotîe lançait au monde de l'épopée un adieu ambigu et mélancolique ; Robinson Crusoé délimitait le monde du roman moderne. Comme le naufragé de Defoe, le romancier va s'entourer d'une palissade de faits tangibles : les maisons merveilleusement solides de Balzac, l'odeur des puddings de Dickens, les pharmacies de Flaubert et les interminables inventaires de Zola. S'il trouve une empreinte dans le sable, le romancier en déduira que c'est l'homme Vendredi qui se cache dans les buissons, non pas que c'est la trace d'une fée ou, comme dans le monde shakespearien, la trace fantomale du dieu Hercule « qu'Antoine aimait ».
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Vidéo de George Steiner
Nous venons de publier un recueil d'entretiens entre George Steiner et Nuccio Ordine, intitulé //George Steiner. L'Hôte importun//. Il est précédé par un beau texte en témoignage à Steiner, écrit par celui qui fut un de ses plus proches amis, Nuccio Ordine.
Pour en savoir plus : https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251453163/george-steiner-l-hote-importun
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Ce livre est le témoignage de la profonde amitié personnelle et intellectuelle qui a lié George Steiner et Nuccio Ordine. L'amour des classiques, la passion de l'enseignement, la défense du rôle du maître, la fonction essentielle de la littérature qui rend l'humanité plus humaine constituent les thèmes d'un intense dialogue, nourri de plus de quinze années de rencontres et de voyages dans diverses villes européennes. Ordine trace un portrait original de George Steiner, en le peignant sous les traits d'un « hôte importun ».
+ Lire la suite
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