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EAN : 9782378560645
272 pages
Verdier (20/01/2022)
3.91/5   27 notes
Résumé :
Pendant qu'il écrit son troisième roman, Langue maternelle, qui paraîtra en 1982, Josef Winkler loue une chambre dans une ferme de montagne de Carinthie. Il noue alors une relation de confiance avec sa logeuse, qui se met à lui raconter sa vie : née en 1928 en Ukraine, elle est arrivée en Autriche à l'âge de quinze ans, deportée de force par les allemands pour travailler dans une exploitation agricole.

C'est à Nietotchka Vassilievna Iliachenko que l'é... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
L'Ukrainienne est la vraie histoire de Niétotchka Vassilievna Iliachenko, née en 1928 en Ukraine et déportée dans un wagon à bestiaux par les allemands à quatorze ans en Carinthie au travail forcé. de la rencontre fortuite en 1981 entre Iliachenko et l'auteur autrichien, ce dernier logeant dans sa ferme pour écrire son troisième livre « Langue maternelle » , naîtra ce livre intéressant, où L'Ukrainienne prend la parole dans la majeure partie du récit pour raconter son enfance ukrainienne et ses deux premières années en Carinthie suite à sa déportation. Un témoignage douloureux qui fait office de miroir tendu au présent.

En 1933 , une famine artificiellement provoquée en Ukraine liée à la collectivisation des terres fera mourir de faim 6 à 7 millions de personnes. Cette extermination infligée par la faim couplée d'une violence inouïe de la part des chefs de kolkhoze, le père refusant d'y travailler, signera le quasi arrêt de mort de la famille Iliachenko. La famille se disloquera et sera réduite à la misère totale. L'arrivée des allemands en 41 vue comme des libérateurs , sera la goutte finale. L'ensemble des communistes dont des policiers russes et ukrainiens de la région où ils habitaient se mettront au service des allemands, dont Niétotchka et sa soeur en seront directement les victimes. Les deux soeurs seront déportées en 1943 des propres mains de la police ukrainienne en étroite collaboration avec les allemands . La majeure partie du livre raconte ces années terribles de violence et de famine que le pouvoir soviétique infligea à la population ukrainienne, qu'elle soit soumise ou non au régime, les tableaux de la famine et le comportement des chefs de kolkhozes y frôlant l'horreur . Une période noire de l'histoire européenne que je ne connaissais pas. L'arrivée des Allemands en 41 est accueillie par les Ukrainiens comme un retour à l'ancien régime, plus favorable aux aspirations nationales ukrainiennes, par opposition à l'attitude des "grand-russes" refusant de reconnaître les spécificités de l'Ukraine. Leur haine des russes et de la tyrannie communiste poussera 80000 volontaires d'entre eux à s'engager dans les rangs des SS. L'importance du collaborationnisme ukrainien restera longtemps un des secrets de l'idéologie soviétique d'après-guerre. On estime à 250000 le nombre de légionnaires ukrainiens qui prirent part à la formation militaire aux côtés des Allemands ( Wehrmacht,SS, police). La déportation et sa suite en sera d'autant plus douloureuse vu les espoirs placés en eux. Une histoire et un témoignage qui sera terriblement pénible pour l'auteur autrichien lui-même, dont la mère perdit la parole après la mort de ses deux frères sur le front, le père a combattu dans la Wehrmacht et l'oncle rejoint les SS.


En donnant la parole à Niétotchka, l'auteur utilise un style dépouillé teinté de naïveté avec de nombreuses répétitions, des sauts chronologiques et des ellipses qui pourtant en aucun cas n'affaibliront l'intérêt de l'histoire. Une langue parlée qui n'est pas la sienne , ponctuée de mots étrangers qui sied parfaitement au récit brut de cette femme qui vient du monde rural .
Après Les abeilles grises de Kourkov, nous voici dans une autre perspective du conflit Ukraine Russie dont les racines s'ancrent dans un passé lointain . Alors que dans la presse et l'opinion publique circulent de nombreuses informations soulignant les origines du conflit, la question qui occupe depuis la nuit des temps écrivains, critiques et philosophes, à savoir : quel rapport la littérature entretient-elle avec la réalité , cette dernière nous revient encore une fois comme bouée de secours pour entrevoir sa complexité. Une réalité très souvent réduite à des facteurs tangibles capable d'assouvir promptement les questions et les doutes, du « Fast-Information » d'où chacun se fait une opinion vite et décisive.
Alors qu'actuellement le carnage russe bat son plein le long des rives du Dniepr où se passe l'enfance de Nietotchka, lire aujourd'hui ce livre paru en allemand en 1983 n'en est que plus poignant. Que puis-je ajouter d'autre que, Lisez-le !






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"Un jour, lorsqu'on croisera les mains de Nietotchka Vassilievna Iliachenko, les tournesols de ce pays s'inclineront tous devant son cercueil, ils se détourneront du soleil et, refermant sur leurs graines noires les pétales de leurs lourdes têtes, ils porteront le deuil. Alors dans ce pays où elle fut amenée de force (…) il n'y aura plus que des tournesols noirs."

***

Début d'année 1981. Alors qu'il oeuvre péniblement à l'écriture de son troisième roman, Joseph  Winkler ressent le besoin de s'isoler loin du tumulte de Vienne. Regagnant sa Carinthie natale, il prend alors pension au sein d'une ferme montagnarde à Mooswald. Au fil des semaines, le jeune littérateur tisse un lien privilégié avec sa logeuse qui s'ouvre à d'intimes confidences.

Originaire d'Ukraine, Nietotchka Vassilievna Iliachenko fut arrachée du foyer familial par l'armée allemande une nuit de mars 1943 avec sa soeur aînée, puis transportée dans des wagons à bestiaux jusqu'en Autriche au titre du travail obligatoire (main-d'oeuvre de remplacement à la botte du régime nazi). Déportée à l'âge de quatorze ans, elle vit aujourd'hui sur l'exploitation où elle fut placée trente-huit ans plus tôt.

"Soir après soir, je l'écoutais. Elle attirait souvent mon attention sur le fait qu'elle m'avait logée dans cette même chambre où elle avait été elle aussi (...)."

Tout en achevant le manuscrit de Langue maternelle, Joseph Winkler s'emploie à enregistrer les conversations entretenues avec "la goton russe". Participant en parallèle aux activités agricoles,  il prolongera ainsi son séjour pendant un an.

*

Dans un style sobre, concis, très proche de l'oralité, L'Ukrainienne porte à notre connaissance l'histoire de vie tourmentée et ô combien bouleversante de Nietotchka Vassilievna Iliachenko. Aux cinquante premières pages retraçant la genèse dudit livre jusqu'à son accueil après publication,  suit la retranscription minutieuse de ses propos. 

De façon non linéaire, elle revisite les épreuves  éminemment douloureuses qui ont jalonné son existence. L'arrachement à sa patrie, aux siens et plus particulièrement à sa mère - un modèle de courage - qu'elle ne reverra plus jamais, succède au vécu de la terrible famine provoquée intentionnellement par Staline au début des années trente.

"En janvier 1931, la famine a commencé. À l'automne précédent, il y avait suffisamment de blé, ce n'était pas une mauvaise année. Les chefs de kolkhoze qui expropriaient les paysans leur prenaient aussi les céréales qu'ils jetaient par tonnes dans le Dniepr. Ils ont causé artificiellement cette famine pour que les gens aillent travailler au kolkhoze s'ils ne voulaient pas mourir de faim, parce que la cantine leur donnait du pain et de la soupe pour les journées de travail, rien de plus."

Corollaire de la collectivisation forcée des terres, l'Holodomor - littéralement "extermination par la faim" - causa selon estimation la mort de cinq à sept millions d'individus. Ce crime de masse dont la violence inouïe  et l'ampleur défient l'entendement fait l'objet de passages saisissants qui me marqueront durablement.

"Ma mère nous racontait que, dans certains villages ukrainiens, les filles et les garçons étaient raflés, carrément abattus et mangés. C'étaient surtout les bouchers et les patrons de restaurant qui raflaient ou faisaient rafler les filles et les garçons, qui les tuaient et vendaient leur chair, soit rôtie en escalope, soit crue. Ils faisaient passer cela pour de la viande de cheval, car la viande de cheval a un goût très proche de celui de la chair humaine".

Lorsque les soldats allemands envahissent le pays moins d'une décennie plus tard, en 1941, ils sont accueillis comme des "libérateurs''. Mais, les espoirs seront bientôt déçus car ces derniers n'ont d'autre dessein que piller  et mettre à leur service les ressources de L'Ukraine.

"En  janvier 1943, on a appris qu'une personne de chaque maison allait devoir partir s'installer en Allemagne pour travailler."
 
***

A l'aune de la tragédie actuellement en train de s'écrire, ces pages sombres et méconnues de l'Histoire se lisent avec une émotion particulièrement vive. Un témoignage aussi précieux que nécessaire que je vous invite à découvrir, édifiant…
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Commande à la Librairie Caractères (Issy)- le 16 avril 2022

Découvert cette publication en établissant une liste et sélection bibliographique autour de l'Ukraine...
Une lecture "coup de poing" qui remue les tripes, en lisant les violences et les barbaries qu'un pays puissant peut faire endurer à son peuple, ou à des pays-frères; Là, il est question de l'empire soviétique sous le régime stalinien s'attaquant à L'Ukraine....

Ce livre se divise en deux parties: la première, l'auteur raconte sa rencontre avec "l'Ukrainienne " dont il retranscrira aussi fidèlement que possible le parcours douloureux ainsi que celui de sa mère, figure centrale et bouleversante...ainsi que ses réflexions quant à ce coin montagneux où il était venu achever "Langue maternelle", son troisième roman....

Ce livre fût édité la première fois en 1983. Cette édition francaise a été augmentée de la préface de Josef Winkler(2021), ainsi que de la traduction de Lettres de Hapka Davidovna à ses filles depuis 1957 jusqu'à sa mort en 1974)...

L'auteur nous explique dans sa préface à l'édition française , l'origine de ce livre et les conditions très particulières dans lesquelles il a été recueilli et rédigé !

"En 1981, je passai une année entière à Mooswald en Carinthie dans la famille Steiner, dite Starzer.(..)
Partout les chambres étaient déjà louées aux touristes,seule Mme Valentina Steiner,que je croisai par hasard devant sa maison, me dit que je pourrais emménager quand je voudrais.On l'appelait la "Starzer Vale".Je savais qu'elle venait de Russie, rien de plus.
Quelques semaines plus tard, j'arrivai à sa ferme avec ma valise et le coffret noir, en plan incliné, de ma machine à écrire électrique Olivetti. (..)
A cette époque, plus de neuf mois durant lesquels je travaillai au roman"Langue maternelle", elle me racontait régulièrement le soir son enfance ukrainienne et sa déportation jusqu'en Carinthie en 1943 alors qu'elle avait quatorze ans.Au commencement,je ne pris pas de notes.Soir après soir,je l'écoutais. Elle attirait souvent mon attention sur le fait qu'elle m'avait logé dans cette même chambre où elle l'avait été elle aussi après avoir été transportée de force en Carinthie et où des années durant elle avait dû dormir près d'une servante.

Quand j'eus achevé le roman "Langue maternelle ", le printemps était arrivé. Elle travaillait au Jardin. Je m'asseyais non loin d'elle avec un magnétophone. Nous faisions ces enregistrements en secret,car son mari,le fermier, qui était également très porté dur l'eau-de-vie qu'il distillait chez lui,ne pouvait pas entendre ces histoires russes.Il ne voulait rien savoir.Il avait honte d'être marié à une Russe. (p.8)"

Ce livre-documentaire m'aura fait prendre connaissance avec cette ignominie inconcevable voulue par Staline:"L'Holodomor": l' "extermination par la faim" infligée à l'Ukraine....dans les années 1930...

Ce pays, décidément, aura subi dans son histoire des périodes d'une rare violence et d'une cruauté sans nom !...

Premier contact et première lecture de cet auteur autrichien, qui me marqueront à jamais...entre la qualité et l'importance de ce témoignage...avec, en plus, l'actualité déchirante de l'Ukraine, à nouveau mise en souffrance par le pouvoir russe. ..

Comment peut-on réitérer, répéter inlassablement les barbaries, la sauvagerie destructrice envers d'autres peuples, en oubliant les millions de personnes massacrées dans le passé ??!

Bénie la Littérature qui témoigne haut et fort, sauve de l'oubli des destinées anonymes,ayant affronté trop souvent le pire des violences de l'Histoire !

Après cette première rencontre des plus émotionnantes,je vais poursuivre ma lecture de cet auteur avec un texte plus personnel, "Requiem pour un père "...

Je finis ce billet par une petite note de joie...bienvenue..

"A Noël, j'apportai le livre à Mme Steiner.Elle en fût très fière. Avec une joie d'enfant, nous le déposâmes au pied du sapin..Elle savait désormais qu'étaient sauvegardées l'histoire de sa mère, qu'elle n'a jamais revue,et celle de sa propre enfance ukrainienne et de sa déportation." (p.9)
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J'ai commencé ce livre avant le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie de Poutine. Je l'ai lu en me remémorant les textes de Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de littérature en 2015, de Katja Petrowskaja (Peut-être Esther, le Seuil) ou encore l'extraordinaire et bouleversant Compagnon de route Friedrich Gorenstein (réédité par Héros-Limite - un texte qui devrait être obligatoire à l'école pour comprendre la tragédie Ukrainienne au XXème siècle). Je l'ai terminé dans le contexte actuel de cette fin février 2022 et cela a bien sûr modifié ma lecture et sa perception. Il s'agit d'un roman documentaire en deux parties, qui raconte l'Ukraine alors russe, victime de Staline durant l'Holodomor, celle de l'invasion nazie, des massacres et des déportations. Une grande partie de l'oeuvre de Josef Winckler est slavophile (Nietotchka est empruntée à Dostoievski) : "Depuis que j'ai quitté Nietotchka Vassilievna, je ne lis presque plus que de la littérature russe. Chez Dostoïevski, chez Tchékhov, chez Gorki, chet Tourguéniev, le long du Dniepr, je cherche encore des traces de la petite Nietotchka Vassilievna Iliachenko, de sa mère Hapka Davidovna Iliachenko, de son père Bassili Grigotovitch Iliachenko. Si je déploie une carte, c'est toujours la carte de la Russie." L'histoire ? Alors qu'il termine un manuscrit, en 1981, il fait la connaissance, installé dans une ferme au-dessus de sa vallée natale de Carinthie, d'une femme âgée d'origine ukrainienne qui va lui raconté sa vie... le procédé du roman documentaire teinté d'autofiction de la première partie permet d'aborder avec compréhension la seconde partie, plus brut, qui est la retranscription des cassettes d'entretiens avec Nietotchka Vassilievna. le texte est suivi de lettres pour cette nouvelle édition. le style est sobre et assez fonctionnel, on en attend pas moins d'un livre qui, au fond, doit avoir la sagesse de laisser la littérature (un peu) de côté, au profit de l'histoire, pure, juste et simple - quoique souvent poignante. le destin d'une femme qui raconte le destin de toute une région, de tout un pays qui se cherche entre passé et passé, imaginant difficilement le futur.
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Pour l'écriture de son roman "Langue maternelle", Josef Winkler s'est isolé dans une ferme en montagne à Mooswald, petit village de Carinthie, chez Nietotchka Vassilievna Oliachenko.

Petit à petit, il se laisse aller à vivre au rythme de cette famille de paysans, une vie rustique, tournée vers la terre, la récolte et le soin des bêtes. Au fur et à mesure des jours qui passent, il apprend à connaître la maîtresse de maison et décide de poser sur le papier le témoignage de cette femme que la vie n'a pas épargnée. C'est ce témoignage que nous découvrons dans L'Ukrainienne.

Nous suivons alors son parcours : son enfance pauvre et difficile en Ukraine, l'expropriation des paysans, l'interdiction de cultiver la terre, l'"Holodomor", famine mise en place par les forces soviétiques pour exterminer les Ukrainiens, son arrivée forcée par les nazis en Autriche pour travailler dans une ferme, le regard des autres qui l'appellent "La Russe"...

Elle nous raconte également la vie de sa mère, Hapka, femme forte et courageuse, dont elle a été séparée et pour qui l'absence, malgré leur correspondance (que l'on retrouve en toute fin du livre), est une véritable blessure.

J'ai beaucoup aimé cette lecture car j'y ai appris énormément et je me suis très vite attachée à ces deux femmes, fortes et courageuses, pour qui le malheur fait partie du quotidien. J'ai été bouleversée par leur histoire et révoltée par cette période de l'Histoire soviétique que je ne connaissais pas.

C'est une lecture qui n'est pas facile car le témoignage est livré tel quel, les phrases s'enchaînent sans style littéraire, les souvenirs et anecdotes sont bruts et anachroniques, le discours est souvent répétitif, illustrant combien ceux-ci sont encore vivants dans l'esprit de Nietotchka.

On ne lit pas cet ouvrage pour la beauté de la langue, on le lit pour la force du propos et pour le courage sans faille de Nietotchka et Hapka, qui, à elles deux, représentent au final tout un peuple brisé par la guerre et par les dictatures russes et allemandes.
C'est un très beau témoignage, une lecture très forte.
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critiques presse (2)
LeMonde
04 mai 2022
L'écrivain autrichien témoigne de sa rencontre, en 1981, avec une femme qui connut les jougs stalinien et nazi. Bouleversant.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaLibreBelgique
02 mai 2022
L'écrivain autrichien Josef Winkler a recueilli le récit d'une enfance dans un pays martyrisé.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
Parmi les chefs du kolkhoze, en plus du holova kolhospou ou du holova silrady, il y avait l’oupolnomotchenyl, le commissaire délégué, qui pouvait recourir à la force pour imposer la collectivisation. Il avait le droit d’exproprier les paysans, de le chasser de chez eux, de les envoyer en Sibérie, de les pendre ou de les faire abattre séance tenante s’ils n’obtempéraient pas. L’oupolnomotchenyl était parfois un criminel condamné auquel on avait confié les pleins pouvoirs. S’il arrivait à collectiviser un village, on considérait qu’il avait purgé le reste de sa peine.
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Préface de l'auteur à l'édition française

En 1981, je passai une année entière à Mooswald en Carinthie dans la famille Steiner, dite Starzer.(..)
Partout les chambres étaient déjà louées aux touristes,seule Mme Valentina Steiner,que je croisai par hasard devant sa maison, me dit que je pourrais emménager quand je voudrais.On l'appelait la "Starzer Vale".Je savais qu'elle venait de Russie, rien de plus.
Quelques semaines plus tard, j'arrivai à sa ferme avec ma valise et le coffret noir, en plan incliné, de ma machine à écrire électrique Olivetti. (..)
A cette époque, plus de neuf mois durant lesquels je travaillai au roman"Langue maternelle", elle me racontait régulièrement le soir son enfance ukrainienne et sa déportation jusqu'en Carinthie en 1943 alors qu'elle avait quatorze ans.Au commencement,je ne pris pas de notes.Soir après soir,je l'écoutais. Elle attirait souvent mon attention sur le fait qu'elle m'avait logé dans cette même chambre où elle l'avait été elle aussi après avoir été transportée de force en Carinthie et où des années durant elle avait dû dormir près d'une servante.

Quand j'eus achevé le roman "Langue maternelle ", le printemps était arrivé. Elle travaillait au Jardin. Je m'asseyais non loin d'elle avec un magnétophone. Nous faisions ces enregistrements en secret,car son mari,le fermier, qui était également très porté dur l'eau-de-vie qu'il distillait chez lui,ne pouvait pas entendre ces histoires russes.Il ne voulait rien savoir.Il avait honte d'être marié à une Russe. (p.8)
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En mars 1943, ma sœur Lidia Vassilievna Iliachenko et moi-même, Nietotchka Vassilievna Iliachenko, avons été arrêtées par des policiers dans la maison de nos parents à Doubynka, un petit village d'Ukraine non loin de Tcherkassy. Il était à peu près deux heures du matin quand un policier me donna un coup dans les côtes avec le canon de son fusil. On nous a mises avec d’autres gens dans un wagon à bestiaux et envoyées travailler en Carinthie.
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Dans notre région, il n'y avait pas beaucoup de fruits. Il y avait bien çà et là un cerisier, mais les branches étaient hautes, je n'aurais jamais pu en attraper une, ma mère ne savait pas non plus grimper aux arbres. Les autres enfants qui grimpaient aux arbres et mangeaient des cerises ne m'en lançaient pas une seule. Je rentrais voir ma mère et je disais en pleurant "Je leur ai demandé mais ils ne m'ont pas lancé une seule cerise."
Ma mère a dit "Qu'est-ce que je peux faire mon enfant ? Tu n'as pas besoin de cette cerise ! Qu'elle aille au diable!"
Ça m'a bien aidée. Si je ne pouvais pas avoir une chose, je me disais souvent que je ne devais pas forcément l'avoir, voilà comment j'ai appris à m'en passer. (P.123)
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Ma mère faisait le pain avec du millet. Quelqu'un, je ne sais plus qui, lui avait donné un petit sac de millet, mais on aurait dit que ce pain était fait avec de la sciure. J'avais une de ces faims, mais ce pain de millet, je pouvais à peine le manger, il me restait en travers du gosier.

Un mendiant est arrivé. Ma mère n'avait plus qu'un bout de ce pain de millet. Elle a rompu le pain de millet en deux et a donné une moitié au mendiant. J'ai dit: Mamo, pourquoi avez-vous fait ça ? Pourquoi avez-vous donné le pain au mendiant, nous aussi nous avons faim, pourquoi avez-vous fait ça ? Tu sais, jeune fille, a dit ma mère, il n'y a pas que nous, lui aussi il a faim. Si nous, nous mangeons la moitié et si le mendiant mange l'autre moitié, alors nous vivons et lui aussi il vit. Ça m'a fait un de ces effets, quand ma mère m'a expliqué ça, ça m'a tellement émue que je me suis trouvée contente du peu de pain de millet qui nous restait. Alors du coup, ma faim m'a passé. (P.109)
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Vidéo de Josef Winkler
En 1981, Josef Winkler loue une chambre dans une ferme de montagne de Carinthie, non loin de son village natal, afin d'y terminer son roman Langue maternelle (trad. Bernard Banoun, Verdier, 2008, prix de traduction Gérard de Nerval de la SGDL 2009). Ce dernier achevé, sa logeuse entreprend de lui raconter son histoire, qu'il enregistre au magnétophone. Comme d'autres, en 1943, elle et sa soeur furent arrachées à leur famille ukrainienne et amenées de force par l'armée allemande dans la campagne autrichienne, pour y travailler dans une exploitation agricole et ainsi compenser le manque de main-d'oeuvre. Josef Winkler découvre alors cette réalité occultée par l'histoire officielle autrichienne. Avec L'Ukrainienne, il donne la parole à cette femme, dont il livre une autobiographie bouleversante.
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