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Empire du Milieu et âme française
Interview : Zoltan Mayer à propos de La Chair du tigre

 

Article publié le 30/03/2021 par Nicolas Hecht

 

Quand Luxi arrive en France avec ses parents, c'est pour elle un retour au pays natal. La jeune ado chinoise sent depuis toute petite qu'elle a une « âme française » et que vivre en Chine est pour elle une anomalie. Mais pour la plupart de ses camarades de classe du collège niçois dans lequel elle étudie, Luxi est bel et bien une étrange étrangère. De fait, les tests ont montré que Luxi est surdouée, en témoignent ses centres d'intérêt (la nature et notamment les insectes), son amour et sa facilité à apprendre la langue française, mais aussi une attitude qui la marginalise.

 

Dans ce premier roman La Chair du tigre (éditions Anne Carrière), le scénariste et réalisateur Zoltan Mayer nous invite à nous glisser dans la peau de cette ado intelligente, attachante et mystique. Imprévisible aussi, à l'image de son entêtement à révéler à elle-même une camarade de classe, Jade, qui la prend vite pour souffre-douleur. Un livre qui raconte aussi la relation complexe entre une mère dépressive et une enfant persuadée d'être la mère de ses parents - et de la possible rédemption par la colère. Zoltan Mayer a répondu à quelques questions pour nous permettre de découvrir ce livre plus en profondeur, ainsi que son rapport à la littérature et à l'écriture.

 

© Céline Nieszawer

 

Ce texte était au départ un projet de scénario, que vous avez finalement laissé de côté pour en faire votre premier roman. Comment avez-vous travaillé sur l’écriture de ce livre, et le glissement de l’un à l’autre ? A la lecture, le roman est bien plus poétique que cinématographique finalement.

En fait, j’ai d’abord commencé par le roman, puis, je l’ai mis de côté et j’ai écrit le scénario. Après de nombreuses versions, je suis revenu au roman dont j’ai écrit les trois quarts environ, puis je l’ai à nouveau laissé tomber et un an plus tard, je l’ai repris entièrement. Avec le recul, je n’étais pas satisfait de mon travail et ne sont restées de la première version du texte que quelques pages que j’ai, au bout du compte, décidé d’expurger. J’ai donc écrit ce roman presque deux fois.

Quant au travail de glissement que vous évoquez, il s’est fait de façon assez naturelle. Débarrassé des contraintes dramaturgiques, sachant que je connaissais l’histoire par cœur, je me sentais libre. Libre d’inventer autour de la narration, de ne pas lui laisser prendre toute la place, de travailler sur l’intimité profonde des personnages, sur le microscopique, les non-évènements, de me concentrer aussi sur le « geste » écriture, la musique, la plasticité des mots, etc., tout ce qui en réalité me passionne dans la littérature.


Dès le premier chapitre de La Chair du tigre, on comprend que Luxi est un personnage complexe, non seulement surdoué (ou « enfant à haut potentiel », comme elle préfère le présenter) mais également hyper-sensible et presque mystique. Aviez-vous la volonté de ne pas infantiliser à outrance votre personnage, et donc le vocabulaire de son monologue intérieur ? Et peut-être éviter un écueil qu’on peut trouver dans certains romans récents prenant un enfant pour narrateur principal ?

C’est exact. J’ai fait ce choix qui, si je ne l’avais pas fait, m’aurait sans doute encouragé à me positionner au-dessus du personnage de Luxi. Cela aurait été préjudiciable à beaucoup de niveaux, me semble-t-il, et contraire à ma démarche artistique. Je ne veux pas juger, je ne veux pas me sentir au-dessus de mes personnages. Je veux les aimer, avec leur grandeur et leur faiblesse, éventuellement leur monstruosité. Le statut d’enfant à haut potentiel de Luxi était de ce point de vue une aubaine car elle pouvait parler comme une adulte, sans que cela ne dénature le récit, ou ne le transforme en un exercice de style un peu douteux.

En outre, mes rencontres avec des enfants de ce type m’ont toutes conforté dans cette idée de ne pas devoir adapter le langage de Luxi à la manière dont la plupart des gamines de son âge s’expriment. Beaucoup de jeunes adolescents surdoués parlent d’ailleurs comme des adultes.


On pourrait dire que le personnage de Luxi fait miroir à votre propre histoire : elle est passionnée par la France depuis toute petite, et vous c’est la Chine qui vous attire depuis très jeune. Vous avez d’ailleurs scénarisé et réalisé le long-métrage Voyage en Chine, sorti en 2015. Finalement, ça n’a pas dû être si difficile de se glisser dans la peau d’une ado chinoise de 12 ans…?

Oui, Luxi fait écho à ma propre histoire. Elle est aussi une sorte d’hybridation entre l’enfant que j’étais - pas du point de vue de l’intelligence ou des connaissances, mais de celui de l’amour de la nature et de la relation au sacré - et de celle que j’ai imaginé qu’était Sayaka Shoji, une violoniste japonaise dont le travail et le rapport qu’elle entretient à la création sont pour moi une grande source d’inspiration. À ce sujet, je vous conseille à toutes et tous d’écouter au moins son interprétation du concerto en ré majeur, de Brahms. 

 



C’est aussi l’histoire d’une fille et de sa mère Jing, qui ne se comprennent plus. Et d’une ado qui se vit comme la mère de ses parents. Leur relation est instable, à l’image de la dépression de Jing. Y avait-il quelque chose d’indécidable pour vous dans l’évolution de leurs rapports, pour laisser cette histoire avec une fin relativement ouverte ?

Non, car si la fin est plutôt ouverte du point de vue de Luxi, elle l’est moins du point de vue de Jing : cette mère froide et distante, métamorphosée en tigresse pour sauver son enfant. C’est un aspect thématique très important pour moi, car le livre raconte aussi ça : l’histoire d’une femme coupée de sa fibre maternelle, sans lien véritable avec sa fille, et qui, parce qu’elle est en danger de mort, se retrouve acculée à réinventer sa relation avec elle, et à s’ouvrir à l’amour. 


Vous effleurez également le thème du racisme anti-chinois, notamment à travers Jade, qui harcèle Luxi et l’agresse verbalement et physiquement. Pourquoi selon vous est-ce un racisme assez décomplexé aujourd’hui en France ?

Sans doute parce que l’Occident regarde la Chine avec les yeux d’un colonisateur blessé par l’émancipation d’un pays qu’il avait tendance à mépriser. On veut faire payer aux Chinois leur arrogance économique, je ne sais pas... C’est une possibilité.


A vous lire, on a l’impression que vous avez mis en place une interprétation personnelle des concepts de yin et yang tout au long du texte, tant ces énergies sont présentes et actives dans les pensées et actes des personnages. Ils sont aussi lumineux que sombres, et capables du pire comme du meilleur, notamment Luxi et Jing...

Je comprends ce que vous voulez dire, mais en réalité, je n’ai rien inventé. L’essence même du yin et du yang est la complémentarité et non l’opposition. Les Occidentaux l’envisagent souvent à travers le prisme du dualisme cartésien, alors qu’il évoque une forme de coopération. Je crois beaucoup à la perméabilité entre les contraires, aux bienfaits de la mixité, dans la biologie comme dans la pensée.

Pour conclure, concernant Luxi, elle a, il est vrai, une part d’ombre, mais je pense que ce qui l’anime au plus profond, c’est l’amour universel et la foi en la capacité de l’amour à réformer notre monde, à l’élever, le réparer. C’est cela le plus important.



Zoltan Mayer à propos de ses lectures


Quel est le livre qui vous a donné envie d'écrire ?

 

Je ne crois pas qu’il y en ait un en particulier, mais je peux dire que le théâtre - et je pense à Shakespeare, Tchekhov, Victor Hugo, Giraudoux (notamment Ondine), Alfred de Musset, Edward Albee, Tennessee Williams, Eugène O’Neill, Pirandello, m’ont ouvert la voie. Ensuite la découverte de la littérature japonaise et plus tard chinoise, a été déterminante.

 

 

Quel est le livre que vous auriez rêvé d’écrire ?

 

Éloge de l’ombre de Jun’ichiro Tanizaki et Alexis ou le traité du vain combat parce que c’est le premier roman publié de Marguerite Yourcenar et qu’il a cette fulgurance des premières œuvres.

 


Quelle est votre première grande découverte littéraire ?

 

Narcisse et Goldmund de Hesse.

 


Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?

 

Peut-être Lettres à un jeune poète de Rilke.

 


Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?

 

Il y en a tellement…

 


Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?

 

Les jours, les mois, les années de Yan Lianke. Du côté des saules et des fleurs et Chronique d’une saison des pluies de Nagai Kafu. 

 


Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?

 

Dire du mal, je sais le faire, mais en écrire, ça m’est plus difficile…

 


Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?

 

Il y en aurait beaucoup…

 


Et en ce moment que lisez-vous ?

 

Une chambre à soi de Virginia Woolf et Fantaisie villageoise de Marc Trillard. 

 

 

Découvrez La Chair du tigre de Zoltan Mayer publié aux éditions Anne Carrière

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