Citations de Rachilde (169)
La mer délirante bavait, crachait, se roulait devant le phare, en se montrant toute nue jusqu'aux entrailles.
On ne peut pas dire qu'il fait chaud, parce que l'air est toujours cinglant, le vent hurleur, et les vagues bondissent à vous recouvrir d'une pluie salée, à vous transir jusqu'aux os quand on s'égare le long de l'esplanade, mais il fait "trouble".
On regardait la muraille de la maison, en face, qui se moisissait sous l'averse. La belle nature, quoi !
Je m'assis devant le comptoir, tout près du bouquet de lilas. C'était du vilain lilas presque brun, mal éclos et déjà fané, mais ça me représentait le printemps que je n'avais pas vu naître, moi l'exilé. Je le respirais... comme on écouterait Dieu.
Cet homme-là était parfaitement chauve, au moins le matin.
La nuit montait autour de nous.
Sur mer, la nuit ne vient jamais d'en haut, elle monte des vagues, et on dirait que l'eau devient les nuages, un ciel renversé.
Combien de fois n’avait-elle pas entendu ces cris-là, hurlements pour les uns, soupirs pour les autres, préambules polis chez les savants, débuts tâtonnants chez les timides ...? Et quand ils avaient tous bien crié, quand ils avaient tous enfin obtenu la réalisation de leurs voeux les plus chers, selon l’éternelle expression, ils devenaient les assouvis béats qui sont tous également vulgaires dans l’apaisement des sens.
Extrait de "Fin de siècle"
Grande bataille au Théâtre d'Art. Lutte homérique entre symbolistes et naturalistes. Une étude vigoureuse de Chirac a été huée par les symbolistes, qui avaient écouté religieusement une très curieuse pièce de Rachilde, Madame la Mort. On s'est flanqué des gifles et des coups de poing. Les mystiques symbolistes, si hautains, si dédaigneux, en théorie du moins, sont-ils donc capables de manifestations bruyantes et passionnées ? d'en venir aux vulgaires râclées, pour imposer leur littérature ?
Bottom.
(La seconde moitié du livre regroupe dans un appendice des chroniques parues dans la presse.)
L'Aurore, ce matin-là, avait défilé tout son collier de perles : au bord de chaque feuille, au sein de chaque fleur brillait un bijou. La mousse du sentier, long écrin de velours, se couvrait d'étincelles ; j'hésitais par moments à les fouler aux pieds.
La pourriture arrive bien à briller, de temps en temps et tous les noyés que la mer cache en son ventre bleu lui font quelquefois des prunelles flambantes quand la brise est plus douce ou la vague plus chaude.
Un homme va naître. L'ange gardien, dépêché auprès de son âme, lui permet d'hésiter avant d'éclore. Il hésite... Les couches de sa mère deviennent laborieuses, et pendant ce temps l'âme de l'homme peut étudier les conditions de sa vie future.
L'ANGE. - Si tu nais, tu mourras. La vie est une maladie mortelle. Si tu vis beaucoup, tu souffriras beaucoup. Si tu meurs jeune, tu regretteras l'existence. Choisis !
"Scie"
Il essaya des lotions émollientes, espérant que l'inflammation se calmerait. Tous les yeux crevés n'avaient pas, enfin, cet aspect de braise fulgurante. Les lotions attirèrent un mal jaune, une espèce de pus qui se mit à couler pendant deux jours, menaça de gagner l'oeil saint et lui valut des exclamations de dégoût.
Elle rêvait d'une autre vie, d'un cloître, si on voulait, mais d'un cloître où l'on se trouverait deux de sexe différent, perpétuellement en tête-à-tête sur des coussins de velours.
Une véritable servante de Jésus-Christ en sait toujours assez lorsqu'elle se rappelle l'heure de la prière.
"Pourquoi les imbéciles vivent-ils ? La bêtise devrait être un crime reconnu par les lois."
J’ajouterai mélancoliquement : Voyez les lis de France, alors qu'il existait une France au lieu dit des vieilles Gaules, et non une petite province de l'Amérique, ces merveilleuses fleurs à l'ombre desquelles touffes solennelles on mit tant de bravoure et tant d'esprit. N'était-ce point parce qu'ils sortaient d'un fumier pourpre qu'ils resplendissaient d'une blancheur si éblouissante ? A leur époque, temps béni de généreux massacres, notre pays était plus pittoresque, moins névrosé, enfin mieux portant. Le sang habilement répandu fait la santé des corps, et trop de sang conservé mène à la pourriture. Dans quelques siècles, nous serons tellement civilisés que l'on défendra toute opération chirurgicale pour nous éviter la vue d'une goutte de sang. Mais dans quelques siècles l'Europe ne sera-t-elle pas pourrie tout à fait !
Pourquoi employer de vaines formules ? Pourquoi s'efforcer à prouver que le tueur est plus redoutable qu'un banqueroutier ou qu'un libertin ? Celui qui diminue le nombre de ses semblables, surtout aujourd'hui où des complications de lâcheté attiédissent la guerre et finiront par supprimer cette si nécessaire périodique saignée des peuples, celui-là, bon gré, malgré, améliore la situation de ses voisins, il prépare une place à qui n'en a pas, et ce qu'on peut lui reprocher c'est de se laisser aveugler par la fureur, car la fureur l'empêche de frapper juste.
- Cela est exact, proféra-t-elle les dents serrées, il vaut mieux être un bel animal, peu conscient, peu logique, sans morale et sans dignité. On fait le bien ou le mal par hasard... et on meurt d'une indigestion ou de vieillesse, ayant tout effleuré pour ne rien maudire.
Je n'ai jamais connu de femmes de lettres indulgente. Elles n'admettent pas les défauts du voisin depuis qu'elles ont appris à avoir les mêmes.
Les espèces des insectes, elles aussi, avaient changé. On trouvait de singuliers moustiques, en nuées épaisses, battant les eaux troubles de leurs ailes molles. Ils ne piquaient pas, mais tombaient en pluie sur les fruits ou les viandes, y devenaient subitement de petits vers grouillants et corrupteurs. Des sauterelles énormes, noirâtres, produisaient des larves dégoûtantes, des pucerons à trompes éléphantines dévoraient les légumes en y introduisant des sucs vénéneux. Sur les salades, d'un vert métallique, monumentales, des chenilles et des lombrics, d'aspects inconnus, se donnaient rendez-vous, bavant du venin. On commençait à ne plus vouloir manger de ces légumes, autour de Flachère, c'était le potager maudit, un vaste cimetière où brillaient déjà les feux follets de la légende, tout le phosphore des imaginations surexcitées, révoltées.