Citations de André Breton (593)
La fenêtre creusée dans notre chair s’ouvre sur notre coeur.
On y voit un immense lac où viennent se poser à midi des libellules mordorées et odorantes comme des pivoines.
(Les camps magnétiques La glace sans tain p.57)
AU FER ROUGE
Le regard qui jettera sur ses épaules
Le filet indéchiffrable de la nuit
Sera comme une pluie d’éclipse
Il descendra lentement de son cadre solaire
Mes bras autour de son cou.
(P. 719)
Il y aura toujours une pelle au vent dans les sables du rêve.
Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement.
Notre chance est éparse dans le monde, qui sait, en pouvoir de s'épanouir sur tout, mais chiffonnée comme un coquelicot en bouton. Dès que nous sommes seuls à sa recherche , elle repousse contre nous la grille de l'univers, elle joue pour nous duper sur la triste ressemblance des feuilles de tous les arbres, elle vêt le long des routes des robes de cailloux.
Dictée de la pensée, en absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.
Swift est surréaliste dans la méchanceté.
Sade est surréaliste dans le sadisme.
Chateaubriand est surréaliste dans l’exotisme.
Constant est surréaliste en politique.
Hugo est surréaliste quand il n’est pas bête.
Desbordes-Valmore est surréaliste en amour.
Bertrand est surréaliste dans le passé.
Rabbe est surréaliste dans la mort.
Poe est surréaliste dans l’aventure.
Baudelaire est surréaliste dans la morale.
Rimbaud est surréaliste dans la pratique de la vie et ailleurs.
Mallarmé est surréaliste dans la confidence.
Jarry est surréaliste dans l’absinthe.
Nouveau est surréaliste dans le baiser.
Saint-Pol-Roux est surréaliste dans le symbole.
Fargue est surréaliste dans l’atmosphère.
Vaché est surréaliste en moi.
Reverdy est surréaliste chez lui.
Saint-John Perse est surréaliste à distance.
Roussel est surréaliste dans l’anecdote.
Etc.
J’envie (c’est une façon de parler) tout homme qui a le temps de préparer quelque chose comme un livre.
Je ne veux pas changer la règle du jeu...je veux changer de jeux .
La surprise doit être recherchée pour elle même, inconditionnellement. Elle n'existe que dans l'intrication en un seul objet du naturel et du surnaturel.
Second Manifeste
Que pourraient bien attendre de l'expérience surréaliste ceux qui gardent quelque soucis de la place qu'ils occuperont dans le monde ?
Devant nous fuse un jet d'eau dont elle paraît suivre la courbe. "Ce sont tes pensées et les miennes. Vois d'où elles partent toutes, jusqu'où elles s'élèvent et comme c'est encore plus joli quand elles retombent. Et puis aussitôt elles se fondent, elles sont reprises avec la même force, de nouveau c'est cet élancement brisé, cette chute... Et comme cela indéfiniment."
LES ÉCRITS S'EN VONT
Le satin des pages qu'on tourne dans les livres moule
une femme si belle
Que lorsqu'on ne lit pas on contemple cette femme
avec tristesse
Sans oser lui parler sans oser lui dire qu'elle est si belle
Que ce qu'on va savoir n'a pas de prix
Cette femme passe imperceptiblement dans un bruit
de fleurs
Parfois elle se retourne dans les saisons imprimées
Et demande l'heure ou bien encore elle fait mine de
regarder des bijoux bien en face
Comme les créatures réelles ne font pas
Et le monde se meurt une rupture se produit dans les
anneaux d'air
Un accroc à l'endroit du cœur
Les journaux du matin apportent des chanteuses dont
la voix a la couleur du sable sur des rivages tendres
et dangereux…
p.121
DANS LA VALLÉE DU MONDE
Des animaux disjoints font le tour de la terre
Et demandent leur chemin à ma fantaisie
Qui elle-même fait le tour de la terre
Mais en sens inverse
Il en résulte de grand quiproquos
La Chine est frappée d'interdit
La péninsule balkanique est doublée par une partie du
cortège
Au levant seize reptiles étoilés a partir d'un feu
Souterrain sont hissés au sommet d'un mât
Agitateur du ciel
L'approche des crinières blanches est saluée
Par les feuilles lancéolées
Dont le murmure accompagne ce poème
Au dire d'un chanteur
L'ombre des ailes des pattes des nageoires
Suffit à la renommée
L'azur condense les vapeurs précieuses...
p.77
Il lit en lui à livre ouvert et ne fait rien pour retenir les feuillets qui s'envolent au vent de sa vie.
Nous demeurons quelque temps silencieux, puis elle me tutoie brusquement: "Un jeu: dis quelque chose.Ferme les yeux et dis quelque chose. N'importe, un chiffre, un prénom. Comme ceci (elle ferme les yeux): Deux, deux quoi? Deux Femmes. Comment sont ces femmes? En noir. Où se trouvent elles? Dans un parc...Et puis que font elles? Allons, c'est si facile, pourquoi ne veux tu pas jouer? Eh bien moi c'est ainsi que je me parle quand je suis seule, que je me raconte toutes sortes d'histoires. Et pas seulement de vaines histoires: c'est même entiérement de cette façon que je vis."
Etoiles véritables de nos yeux, quel est votre
temps de révolution autour de la tête ? Vous
ne vous laissez plus glisser dans les cirques
et voilà donc que le soleil froisse avec
dédain les neiges éternelles ! Les rivières
sont taries sur terre et dans les cieux. Les
anciens naufrageurs ont la partie belle et
vous voilà devant une cheminée endurcie
qui n'apprivoise plus même les étincelles
des forges ! Allons-nous en de nos âmes si
pauvres et faussées à force d'avoir été
brutalement ouvertes. Les berceaux ne
connaissent plus de voiles et je vois dans
leur flèche une enseigne atroce pour l'avenir
Quand les fenêtres comme l’œil du chacal et le désir percent l’aurore, des treuils de soie me hissent sur les passerelles de la banlieue. J’appelle une fille qui rêve dans la maisonnette dorée ; elle me rejoint sur les tas de mousse noire et m’offre ses lèvres qui sont des pierres au fond de la rivière rapide. Des pressentiments voilés descendent les marches des édifices. Le mieux est de fuir les grands cyclindres de plume quand les chasseurs boitent dans les terres détrempées. Si l’on prend un bain dans la moire des rues, l’enfance revient au pays, levrette grise. L’homme cherche sa proie dans les airs et les fruits sèchent sur des claies de papier rose, à l’ombre des noms démesurés par l’oubli. Les joies et les peines se répandent dans la ville. L’or et l’eucalyptus, de même odeur, attaquent les rêves. Parmi les freins et les edelweiss sombres se reposent des formes souterraines semblables à des bouchons de parfumeurs.
[in Clair de terre]
Je sais que si j'étais fou, et depuis quelques jours interné, je profiterais d'une rémission que me laisserait mon délire pour assassiner avec froideur un de ceux, le médecin de préférence, qui me tomberaient sous la main. J'y gagnerais au moins de prendre place, comme les agités, dans un compartiment seul. On me ficherait la paix.
On voit comme, en ce qu'elle pouvait encore avoir d'incertain, l'image se précise : c'est la révolte même, la révolte seule qui est créatrice de lumière. Et cette lumière ne peut se connaître que trois voies : la poésie, la liberté et l'amour qui doivent inspirer le même zèle et converger, à en faire la coupe même de la jeunesse éternelle, sur le point moins découvert et le plus illuminable du cœur humain