Description et façon d'écrire qui vaut l'effort. Percées lucides dans l'esprit humain. Un très bon écrivain, mais une oeuvre inégale pour moi: scènes et stratégies de guerre, politique, violence, courage, solidarité humaine / tensions amoureuses. Misogynie vue de l'intérieur. J'ai adoré de nombreux passages et descriptions, mais avais souvent hâte d'achever.
Commenter  J’apprécie         70
Il m'a fallu subir cet ouvrage pour une épreuve littéraire du bac scientifique en 1997.
La condition humaine est tout à fait le genre de livre qui, selon moi, font beaucoup de mal à la littérature et à l'humain.
Mal à la littérature lorsqu'on impose la lecture de ce genre d'oeuvres à des adolescents qui ne sont pas suffisamment outillés pour les comprendre et qui ne sont pas encore assez âgés pour avoir suffisamment vécu de plaisir à la lecture d'un livre et savoir qu'une écriture Malresque n'a rien de représentatif de la littérature. J'ai survécu à cette épreuve, mais pour un de sauvé, combien n'ont pas survécu et ne connaîtront pas le bonheur de lire.
Mal à l'humain quand on ne sait pas décrire la condition humaine avec plus de positif. A t-on besoin d'un Malraux pour savoir que nos vies sont difficiles et tristes ? N'a t-on pas plutôt besoin d'écrivains capables de faire d'une goutte de pluie, un océan de beauté plutôt qu'un tas de boue ?
Commenter  J’apprécie         70
Dernier roman de Malraux, paru d'abord en 1943 sous le titre "La lutte avec l'ange", puis en 1948 voici les Noyers de l'Altenburg, largement autobiographique, avec la très grande et lyrique écriture d'un des derniers géants.
Commenter  J’apprécie         70
En 1965, Malraux se remémore des évènements de sa vie, sans suite chronologique ; le fil conducteur est la vie face à la mort. Il raconte quelques expériences personnelles, avec tout son talent de romancier et l’exaltation de son goût pour l’aventure : la traversée d’une tempête dans un vieux coucou des années 1930, une attaque au char d’assaut en 1940, un interrogatoire par la gestapo, un simulacre d’exécution, toujours des scènes où il se trouve en danger. Mais il ne raconte presque rien de sa vie intime. Dès les premières lignes il montre une forme de mépris pour le quotidien et l’intime : « Que m’importe ce qui n’importe qu’à moi ? » ; dans le dernier, et terrible, chapitre consacré aux camps nazis, il en exprime son dégoût : « A la grande dérision sinistre qu’apporte la mort s’est substituée la dérision quotidienne de la vie ». Le quotidien c’est l’oubli de la mort et Malraux est obsédé par la mort. On apprend quasiment rien de sa vie personnelle à part le suicide de son grand-père et de son père.
La grande majorité de ce livre analyse les grands mouvements de la politique internationale avec un tropisme pour l’Asie (il s’attarde finalement peu sur le cas de la France, peut-être la réserve du ministre d’Etat). Au cours de ses voyages, il se remémore ce qu’était l’Inde, l’Indochine, la Chine, le Japon dans sa jeunesse et leurs métamorphoses. Il le fait sous la forme de conversations qu’il aurait eues avec diverses personnes : « Comme l’Asie retrouvée après trente ans dialoguait avec celle d’autrefois, tous mes souvenirs survivants dialoguent », évidemment ce sont des dialogues remodelés, sans trahir les idées de ses interlocuteurs, ils ne font que refléter ses propres préoccupations. Parmi les personnalités les plus célèbres : de Gaulle, Mao, Nehru. J’imagine que les gaullistes seront plus intéressés par sa conversation avec de Gaulle et les maoïstes avec Mao, mais à mon avis c’est avec Nehru que la discussion est la plus dense et la plus ample, toute sa visite en Inde contient la quintessence du livre qui mélange de graves réflexions sur le sens de la vie et de la mort, la religion, l’art, la culture.
Peut-être que Gandhi était la personnalité du vingtième siècle pour laquelle il avait le plus d’admiration. Malraux n’était pas un agnostique indifférent, la spiritualité était fondamentale pour lui ; si elle restait un mystère, elle donnait un sens. Il l’aborde de loin et par les voies obliques de l’art et de la culture, mais les relations qu’entretiennent les différentes civilisations avec la mort occupaient une grande part de sa réflexion et sur ce point l’hindouisme l’attirait particulièrement, plus que le christianisme ou le bouddhisme.
Commenter  J’apprécie         70
Ce 19 décembre 1964, le temps était très nuageux. Il faisait froid et les rafales de vent balayaient la rue Soufflot et la Place du Panthéon. Dans la tribune officielle, le général De Gaulle, les membres du Gouvernement, les officiels et de nombreux représentants d'anciens mouvements de résistance. La foule était venue nombreuse. Tous présents à la cérémonie officielle du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon.
Face à eux, placé sur le devant des marches du Panthéon, devant le catafalque de Jean Moulin, André Malraux, ministre des Affaires culturelles, prononce un discours en hommage à l'ancien chef de la Résistance. Discours qui marquera durablement les esprits.
Je ne relis pas sans une certaine émotion le texte de ce discours. Il conserve encore aujourd'hui une force évocatrice. On entend encore résonner la voix d'André Malraux et surtout apparaître l'ombre de Jean Moulin et de tous les résistants disparus.
Commenter  J’apprécie         70
Je l'ai lu il y a très, très très longtemps. Tellement longtemps qu'il y a prescription du côté de mes souvenirs.
Je l'ai lu à 16 ans. Et il apparaît que j'étais en phase avec les idées d'émancipation, de révolte, de révolution exprimées avec une force certaine par l'auteur. Des thèmes qui faisaient résonance avec mes quêtes d'alors. Je l'ai même lu très rapidement, pour l'ouvrage que cela représentait. Quelques jours.
J'ai essayé de le relire 2 ans plus tard et je ne l'ai jamais terminé... La fenêtre d'opportunité s'était refermée et j'étais sans doute bien plus loin dans ma recherche identitaire.
Commenter  J’apprécie         70
Je m'attendais à de l'action à tout va, une révolte ouvrière en somme, quelle ne fut pas, non pas ma déception, mais ma surprise. Il m'a tout de même fallu pas mal de temps pour entrer totalement dans ce roman tant il est riche et complexe. Certaines considérations philosophiques sont à relire plusieurs fois, voire à laisser mijoter une nuit. Sinon totalement conquis.
Commenter  J’apprécie         70
Mon deuxième de Malraux après avoir été séduit par La Condition Humaine.
L'overdose de métaphores et de figures de style, les dialogues dépourvus d'incises et les flashback non explicités rendent le récit très difficile à suivre. Je n'ai cerné ni l'intrigue ni la morale. J'ai rarement été aussi déçu par un "classique".
Commenter  J’apprécie         60
Ce livre a eu le mérite d'être pour moi une porte vers l'histoire de la Chine, que je connaissais fort peu, j'y ai ainsi appris l'existence de Sun Yat-sen, à titre d'exemple, ainsi que le rôle de Tchang Kaï-chek, et l'opposition entre les communistes et les libéraux pendant plusieurs années avant la seconde guerre mondiale. Quant au style, il est, selon mon souvenir, précis et efficace.
Commenter  J’apprécie         60
Dans un contexte très précis, celui de l'insurrection de Shanghai par les communistes et les nationalistes de Tchang Kaï-chek et du Kuomintang (puis de sa trahison envers les mêmes communistes) contre le gouvernement chinois, l'auteur exerce une profonde interrogation existentielle sur des hommes se battant pour leurs idéaux et contre leurs angoisses intérieurs. Divers personnages sont au coeur du récit : Gisors, un vieil intellectuel communiste accro à l'opium, son fils idéaliste Kyo qui dirige la révolution en question, May, l'épouse médecin de Kyo qui renvoie la part vivante et féminine au combat, Tchen, un disciple de Gisors dont son engagement devient une lutte mystique et suicidaire, Katow un activiste rescapé de la révolution russe, Hemmelrick, un ouvrier belge tiraillé entre sa famille et le conflit à venir ou encore Ferral et Clappique, d'un côté un représentant du commerce français, avide de son pouvoir monétaire et de l'autre, un ancien marchand d'art mythomane drôle et intimidant.
Si j'énumère tous les personnages, c'est parce que Malraux active plusieurs points de vue passionnants qui abordent des choix, des crises, des actes, des (in)certitudes, des ambiguïtés, des engagements, des passions et des craintes. Une crainte en particulier, celle de la mort qui pèse dans l'entièreté du roman. Dans cette rencontre imposante et intime entre l'Orient et l'Occident, l'écrivain inscrit chez ses protagonistes, une quête du sens dont le destin leur appartient à tous. Précurseur de l'existentialisme, plusieurs voies permettent à ces Hommes d'échapper à l'absurdité du monde : par l'acte révolutionnaire, la méditation contemplative et le pouvoir de domination sur les autres. Ainsi, la vision engagée de Malraux n'est jamais envahissante car c'est la perception de vie et de mort qui l'intéresse. Les deux se lient pour fouiller les plus profondes inquiétudes de l'être humain : la raison de nos actes, la souffrance amoureuse, la puissance obsessionnelle des motivations ou le deuil mais un aspect politique interpelle : le combat pour les intérêts sociaux contre la misère, le pouvoir capitaliste occidental sur l'Asie ou encore la dangerosité des partis extrêmes.
Avec son style elliptique, son écriture cinématographique parfois nerveuse et métaphysique, son désordre poétique et sensoriel qui creuse au plus profond de soi et ce mélange entre l'épopée historique et la réflexion philosophique, La Condition humaine est une oeuvre exigeante mais infiniment intense.
Commenter  J’apprécie         60
Un roman lu au lycée qui m’avait alors impressionné et passionné par ses thèmes (révolution,Chine…) , 1968 oblige . Sans lui dénier toute qualités (ce serait bien présomptueux) , à la relecture le style m’apparaît bien lourd et la réflexion un peu trop appuyée . Mais tout de même de grands passages . Je préfère le Malraux mémorialiste
Commenter  J’apprécie         60
Dans La Voie royale, André Malraux rapporte, sous une forme plus aventureuse (quoique), son voyage en Indochine. A l’époque, sans finance, il traverse le globe avec son épouse pour ramener des morceaux de temple cambodgiens pour les vendre en Europe, en plein engouement pour l’Art primitif.
Malraux est Claude Vannec, dans le roman, et il est accompagné par Perken, un aventurier danois, à la solde des siamois et plus ou moins roitelet d’un territoire du Laos. Ils obtiennent, difficilement, l’aide des services gouvernementaux français pour faire leur expédition, mais ils partiront trouver ces temples khmers disparus dans la jungle.
Ce qui m’a marqué dans ce livre, c’est le rapprochement évident que l’on peut faire avec les œuvres de Conrad. Que cela soit dans les descriptions de la jungle et de sa moiteur, de la difficulté d’y progresser et surtout dans sa capacité à vous étouffer au point que les protagonistes développent des sentiments de folie. Une jungle que Malraux assimile à un océan vert qui tente de vous noyer. Tout est danger, les bêtes et les hommes qui y habitent. Comme les insectes, moustiques, fourmis ou mille-pattes, quelque chose grouille dans cette mer d’arbres. C’est la terre originelle qui donne la vie en s’appuyant sur la mort. C’est sur la putréfaction de tout ce qui meurt, c’est l’engloutissement de tout, les temples comme de l’âme humaine.
La Voie royale est un livre court, avec des passages parfois difficiles à aborder, qui s’inscrit dans la lignée des romans de Conrad, comme Au Cœur des ténèbres.
Commenter  J’apprécie         62
Livre politique qui m'a été parfois difficile à comprendre, voire m'a un peu perdue.
Malgré tout, certains passages et certaines scènes sont marquantes et m'ont touchées.
J'ai beaucoup aimé le tout début qui nous fait entrer directement dans le livre, et aussi la fin qui est marquante.
Commenter  J’apprécie         60
Tome 2 de son roman autobiographique - à la suite des Antimémoires -, on ne peut que constater qu'André Malraux a bien mérité sa désignation de premier ministre d’État chargé des Affaires culturelles : le volume foisonne de références littéraires, théologiques, historiques et géographiques que l'auteur a emmagasinées tout au long de ses pérégrinations à travers le monde. On y découvre également une figure discrète, qui ne se donne à voir qu'à travers différents échanges décousus (et dans lesquels n'apparait qu'essentiellement le discours de l'interlocuteur), et quelques réflexions qu'il livre mais qui se destinent peut-être davantage à lui-même qu'à nous, lecteurs...
Commenter  J’apprécie         60
Quel est le poids de l'homme face à l'histoire ? Quels sont les choix qui bouleversent les destinées de millions d'hommes ? André Malraux place l'action de son roman en Chine, en 1927, lorsque les communistes sont écrasés par le Kuomintang de Tchang Kaï-Chek. Plus particulièrement, Malraux suit le parcours des jeunes communistes, chinois et européens, qui d'abord prennent le pouvoir à Shanghai puis subissent la répression socialiste.
Les personnages mis en scène sont liés par des intérêts communs, qu'ils soient politiques, économiques ou humains, mais ils diffèrent de par leur condition sociale, donc humaine : l'idéaliste Kyoshi issu d'un milieu aisé, Tchen qui est obsédé par l'assassinat qu'il commet au début du roman, Katow le russe qui trouve là le terrain d'expression de son idéologie communiste, Hemmelrich qui est autant préoccupé par le combat de ses idées que par le sort de sa famille.
Chacun est dépassé par les évènements qui les confrontent directement à leur propre condition. Sont-ils libres de leurs choix ? Les idées valent-elles que l'on meure pour elles ? Un livre majeur de la littérature française pour son sens philosophique et son contexte historique complexe.
Commenter  J’apprécie         60
Ce grand classique me laisse sur un sentiment un peu mitigé, proposant des phrases magnifiques qui viennent servir une intrigue en dents de scie où s’intercalent de façon assez bizarre de grands raisonnements métaphysiques assez troubles.
L’œuvre se fonde sur des éléments historiques, mais donne lieu à de nombreuses digressions d’ordre philosophiques et politiques. L’histoire se situe dans un Shanghaï en pleine révolution communiste contre un gouvernement chinois inféodé aux puissances occidentales et japonaise au début du XXe siècle. Menés par des leaders idéalistes, les travailleurs chinois se révoltent et s’emparent de la ville pour chasser les troupes gouvernementales. L’arrivée des troupes nationalistes, alliées de circonstance, parachève la victoire, mais vient poser un problème de conscience aux chefs de l’insurrection, sommés par Tchang-Kaï-Chek et par leur propre parti de rendre leurs armes alors que le retournement imminent des nationalistes contre les communistes ne fait aucun doute.
Résumé comme cela, on reste évidemment à la surface de l’œuvre en ne voyant que le concret, tandis que le livre est éminemment abstrait. Il est d’ailleurs assez déstabilisant de voir les personnages développer à quelques heures du signal du combat des réflexions métaphysiques sur le communisme comme véhicule d’une aspiration universelle qui le dépasse, sur l’amour, sur les liens terrestres, sur le fait de donner la mort, là où l’on pourrait légitimement s’attendre aux préoccupations très terre-à-terre des derniers préparatifs d’une opération désormais décidée. Il n’y a pas vraiment de personnage principal, le point de vue change d’un chapitre à l’autre en se focalisant sur sept ou huit personnages différents qui sont tous l’incarnation d’un rapport à leur cause, de valeurs humaines et d’une échelle d’action. On peut se trouver à un moment en présence de Tchen menant ses hommes à l’assaut d’un poste alors que rien ne le distingue a priori de tous les autres chefs qui combattent en même temps dans la ville, et à un autre en présence de Ferral défendant le renflouement du Consortium chinois par les banques dans le bureau d’un ministre français. Il y a ainsi un mélange délibéré des perspectives, des plans futiles sur le référentiel historique mais significatifs sur le référentiel intérieur, et inversement. Il y a néanmoins une focalisation plus évidente sur Tchen, jeune révolutionnaire qui fait l’expérience du meurtre et développe, de façon consciente, une forme d’addiction, et sur Kyo, vu comme étranger par toutes les classes et toutes les communautés, qui entend concrétiser l’enseignement marxiste d’un père éternel théoricien.
Paradoxalement, on compte un peu les Chinois sur les doigts de la main dans cette ville perpétuellement dans la nuit où plus d’un personnage sur deux est un Occidental ; les Chinois ne sont en général désignés que comme des masses anonymes. L’atmosphère festive de la ville, incarnée par le personnage haut en couleurs de Clappique qui apporte la seule touche d’humour, dissimule mal la colère larvée qui se déchaîne, d’abord pour rejeter l’ordre occidental, ensuite pour survivre à l’ordre nationaliste. Cette atmosphère évolue peu à peu vers l’angoisse : les attaquants deviennent les assiégés, la tête pensante du parti communiste abandonne ses partisans à une mort certaine pour d’obscures raisons stratégiques à long terme, et l’on atteint un point culminant avec le célèbre chapitre de la chaudière de locomotive, véritablement excellent, où il est impossible de ne pas participer comme si l’on y était à une attente effroyable qui est déjà, en soi, une torture. Alors que le roman voit des masses s’affronter au nom d’idéaux qui les englobent, l’image extrêmement pessimiste de l’homme qui est renvoyée est celle d’une perpétuelle solitude, d’une impossibilité de faire confiance à l’autre, d’une méconnaissance fatale au-delà de l’échelle individuelle, que ce soit dans la relation de camaraderie, dans la relation de hiérarchie, ou dans la relation amoureuse.
Un livre pas forcément évident pour tout le monde, très peu orthodoxe sur la forme (ce qui n'est pas une critique), très hétéroclite dans ses registres et ses thématiques, qui donne assez souvent une impression de discordance ou d’invraisemblance qui peut déstabiliser.
Commenter  J’apprécie         50
Bel ouvrage de Malraux, où il rend compte d'entretiens peut-être parfois en partie embellis avec le Général, dans sa retraite de Colombey, en 1969 ou 1970. Ce qui est beau, c'est la personnalité du Général, les sujets incongrus que Malraux lui fait traiter, l'entente, voire la complicité entre les deux hommes, la confusion savamment entretenue par son interlocuteur sur l'auteur des propos, et surtout, son idée de la France, avec cette question qui hante toutes les lignes : comment cet homme seul a pu à lui seul représenter la France ? Cependant, la forme de cet ouvrage, qui a l'avantage de permettre de brasser des sujets nombreux, a le gros désavantage de le rendre un peu décousu, voire confus par moments. Même s'il se laisse porter par la verve du Général, Malraux laisse par moment folâtrer sa belle plume.
Commenter  J’apprécie         50
La Condition humaine
André Malraux / Prix Goncourt 1933
Une œuvre majeure du XXe siècle.
« Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? L’angoisse lui tordait l’estomac …fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps moins visible qu’une ombre… »
Nous sommes le 21 mars 1927 à minuit trente, en pleine scène de crime, dans une chambre d’hôtel de Shangaï, une ville en état de siège, la plus grande ville de Chine. Son acte commis, poignarder un trafiquant d’armes, Tchen, activiste communiste, rejoint Kyo son camarade qui depuis plus d’un mois prépare l’insurrection. Il n’a pas oublié le document récupéré sur le mort, trafiquant d’armes, et qui permettra de s’approprier une cargaison d’armes d’un bateau ancré dans le port, armes qui manquent cruellement aux insurgés. Pour réaliser cette opération, Tchen et Kyo vont bénéficier de la complicité du baron de Clappique, un personnage trouble et multiface.
Après l’échec des émeutes de février, le comité central du parti communiste chinois a chargé Kyo de la coordination des forces insurrectionnelles. Le groupe de révolutionnaires communistes qui prépare le soulèvement de la ville comporte comme organisateurs outre Tchen et son maître à penser Gisors le père de Kyo, Kyo lui-même et un certain Katow, russe dévoué par idéalisme à la cause communiste chinoise, ancien militant de la révolution de 1917.
Tchen se confie à Gisors et lui avoue sa fascination pour le sang et la mort : il se sent l’âme d’un terroriste. Il n’aspire à aucune gloire, à aucun bonheur. Il sait qu’il n’est pas de ceux dont s’occupe le bonheur. Il est capable de vaincre mais non de vivre dans la victoire. Il n’attend que la mort. Et il veut lui donner le sens que d’autres donnent à la vie. La souffrance du monde, il aime mieux la diminuer que d’en rendre compte. Il n’aime pas une humanité qui est faite de la contemplation de la souffrance. Mourir le plus haut possible, telle est son ambition, mais assez lucide pour mépriser même les objets de son ambition et son ambition même. Ses idées jusque-là l’avaient fait vivre, maintenant elles pouvaient le tuer.
Les armes sont distribuées à travers toute la ville aux combattants clandestins sous la surveillance de Kyo.
Le 22 mars commence l’insurrection. On peut voir aussi des manifestants porter des banderoles : « Plus que douze heures de travail par jour », « Plus de travail des enfants au-dessous de huit ans », « droit de s’asseoir pour les ouvrières ». Les troupes de Tchang Kaï Chek sont attendues en renfort. Ferral, le président de la chambre de commerce française persuade les milieux d’affaires de soutenir Tchang Kaï Chek. Ses intérêts commerciaux avant tout !
Alors que la situation est très favorable aux insurgés, Tchang Kaï Chek s’oppose aux révolutionnaires, pactise avec les forces modérées et exige que les insurgés rendent les armes. Kyo alors décide de se rendre à Han Kéou, le siège du Komintern (Internationale communiste) afin de rencontrer le délégué Vologuine pour savoir s’ils peuvent garder les armes. Vologuine est partisan de jouer le temps. Tchen arrive à Han Kéou à son tour et confirme que pour lui la seule solution est d’assassiner Tchang Kaï Chek, et il tient à le faire lui-même, car pour lui ce serait l’extase avec sa propre mort en point d’orgue. L’Internationale est dubitative, et Kyo et Tchen ne sont pas du même avis.
Le 11 avril l’insurrection bat son plein. Tchen aidé de deux complices échoue dans son premier attentat contre Tchang Kaï Chek. Il prépare un second attentat en décidant de se jeter avec sa bombe sur la voiture de Tchang Kaï Chek. La chance n’est pas avec lui ce jour-là et pour jamais.
Puis Kyo et May sont arrêtés et Kyo jeté en prison. Hemmelrich, communiste belge activiste voit sa famille assassinée. Avec Katow il décide de se venger contre Tchang Kaï Chek. Gisors tentera alors de sauver son fils avec l’aide de Clappique. Les prisonniers torturés sont ensuite brûlés vifs dans la chaudière d’une locomotive. Kyo se suicide au cyanure et Katow marche en héros au supplice avec courage en offrant sa dose de cyanure à deux jeunes chinois. Clappique parvient à s’échapper grâce à un subterfuge. Un chapitre bouleversant de ce roman ou le tragique le dispute au grandiose.
La fin du livre se termine à Paris où Ferral ne peut sauver le consortium français en Chine, et à Kobé où May retrouve Gisors et sa pipe à opium et la méditation.
Voilà résumés brièvement les temps forts de l’histoire.
La Condition Humaine est un roman qui montre qu’outre l’irréductible échéance liée à la mort avec ses multiples et souvent indicibles souffrances il est donné à chacun de choisir son destin. La vie est une tragédie, reste à lui donner un sens. La Révolution au nom d’une foi en la fraternité en est un. C’est ce que les héros de la Condition Humaine ont choisi pour échapper à l’angoisse de n’être qu’un homme. L’amour aussi est présent dans ce livre pour adoucir cette condition et la solitude. Misère et héroïsme se conjuguent tout au long des chapitres de ce roman grandiose et d’une intelligence rare. De la dernière partie émane un parfum d’insoutenable.
Les héros de ce roman ont choisi pour combat de vaincre l’humiliation par le biais de la Révolution. Pour vaincre l’angoisse et l’absurdité existentielles, certains ont choisi l’amour, mais pas n’importe quel amour, un amour fusionnel et total, celui qu’éprouvent Kyo et May l’un pour l’autre et qui est susceptible de briser la profonde solitude des êtres. D’autres ont choisi de s’engager dans l’Histoire et d’agir pour influer sur le courant de leur destinée. Ce roman met en lumière la misère humaine, celle d’une humanité qui peut être héroïque et grandiose malgré l’irréductible et absurde échéance liée à la mort et les indicibles souffrances de la vie. Telle est la Condition humaine qui permet de choisir son destin à qui le veut. La vie peut être jugée tragique, mais il faut lui donner un sens. Ainsi la Révolution au nom d’une foi en la fraternité est une arme contre la misère qui enchaîne l‘homme et le prive de dignité. L’homme peut lutter contre sa condition. Ce roman est considéré comme le précurseur de la mouvance existentialiste dont Sartre et Camus seront les grandes figures.
Pour bien comprendre le roman, il faut retenir que le Kuomintang fut fondé en 1912 par SunYat Sen et domina le gouvernement central de la république de Chine à partir de 1928, jusqu’à la prise de pouvoir par les communistes en 1949. Dans le roman, en mars 1927, l’armée révolutionnaire du Kuomintang sous le commandement de Tchang Kaï Chek, marche vers Shangaï pour conquérir la ville où sur place les communistes préparent le terrain en soulevant le peuple. Cependant, Tchang Kaï Chek se méfie des communistes qui ont de plus en plus d’influence et décide de les trahir. Avec l’aide de l’Occident, il fait assassiner des milliers d’ouvriers et de dirigeants communistes le 12 avril 1927.
La technique d’écriture de Malraux est très particulière et d’aucuns l’ont comparée à des techniques cinématographiques en juxtaposant différents plans de façon discontinue, ce qui induit un style parfois heurté et haché, épuré et concis, le lecteur devant faire l’effort de reconstituer la réalité pour accéder à une lecture à plusieurs niveaux. Ipso facto la lecture n’est pas toujours aisée et une concentration certaine est requise. Toutefois un moment de stupeur passé, le lecteur vibre au fil des pages grâce à un style efficace et limpide et une analyse psychologique des personnages remarquable, qui eux-mêmes se questionnent constamment. Une bonne connaissance de l’histoire de la Chine après 1917 c’est à dire de la période de Sun Yat Sen et Tchang Kaï Chek, est requise pour bien comprendre tous les ressorts de cette Révolution qui se cherche.
Un roman majeur, fort, non engagé sur le plan politique, publié en 1933, classé en 5e position des 100 meilleurs livres du XXe siècle. Je l’avais lu à l’âge de 18 ans c’est à dire il y a 60 ans. Je n’en avais pas saisi toute la puissance, l’intelligence et l’humanité. Je pense que c’est à présent fait.
Commenter  J’apprécie         52