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Critiques de Annie Ernaux (2584)
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La femme gelée

il est difficile de comprendre au début pourquoi la narratrice va devenir une "femme gelée", c'est à dire endormie, privée de vie, d'énergie, bloquée dans une vie abrutissante. En effet, elle grandit dans un milieu modeste, avec des parents qui ne se donnent pas les rôles habituels: sa mère épicière tient la comptabilité, n'est pas une fée du logis, parle haut; son père patron de bar s'occupe plus d'elle, fait la cuisine et se montre plus discret que sa femme. Tous les deux sont d'accord pour que leur fille travaille bien en classe sans contribuer aux taches ménagères. D'ailleurs, Annie aura honte de cette organisation à l'adolescence!

Alors pourquoi la jeune fille, malgré son éducation, ses études et la rencontre d'un futur mari qui se dit son égal, va-t-elle tomber dans le piège?

D'abord, il y a l'influence de la société qui donne un certain rôle à la femme; être mariée puis mère, s'occuper de sa maison, semble le seul but qu'une femme puisse se donner. Il y a le regard des hommes, la peur de se retrouver seule et vieille fille, et surtout l'influence des autres femmes qui rentrent dans le jeu. Dans la vie conjugale, c'est insidieux; il y a l'exemple des parents du mari, son travail qui sera toujours plus important que celui de sa femme, la volonté de cette dernière de ne pas créer de disputes... et elle se retrouve avec les taches ménagères et l'élevage des enfants à assurer. Mornes journées... la perspective de travailler et d'assurer une double journée apparaitra du coup comme une vraie bouffée d'oxygène!

un livre qui parle encore, malgré les avancées du féminisme
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Tout ou presque a été écrit ici pour présenter cette publication des phrases qu'Annie Ernaux écrivait après ses visites hebdomadaires - ou presque - à sa mère, qui partait en morceaux car son cerveau était rongé, étouffé par le phénomène de la maladie d'Alzheimer ( beaucoup moins connue à l'époque qu'aujourd'hui). Je n'insisterai donc pas sur le caractère brutal, perturbant et bouleversant de ce qu'elle y décrit. Au passage je ne pense pas que les progrès de "prise en charge" (comme on dit de manière révélatrice) soient si importants depuis les années 1980.

La publication de ces écrits lui a posé problème et question : au début elle n'y pensait même pas. J'ai envie d'ajouter "bien sûr". Mais elle s'est décidé à le faire, de nombreuses années après pour "mettre en danger la cohérence d'une œuvre" (quelque chose comme ça, je cite de mémoire). Ce que j'ai lu d'A. Ernaux à ce jour (dans l'ordre du livre "Écrire la Vie") me semble on ne peut plus cohérent, par le sujet ( sa vie, des événements forts dans sa vie, son père, sa mère, la complexité de l'évolution de ses relations avec eux, la condition des femmes, le mépris de classe etc..) et par l'écriture - rejeter l'émotionnel, le pathétique, décrire, dire, le plus précisément sans être long, le plus juste et proche des pensées, ressentis..

Pour ce "journal" publié, la fonction cathartique me semble évidente : sortir de soi en écrivant des mots des émotions submergentes ( ça se dit ça ?), garder des traces, redire la vie de sa mère (une Femme), formuler l’indicible, se débarrasser de ses affects et pensées inconfortables ..

Depuis 5 ans Annie Ernaux est plus âgée (84 ans) que sa mère quand celle-ci est morte (79 ans) et, je crois, heureusement pour elle en bien meilleure condition psychique, pour le bénéfice de tous ceux et celles qui apprécient et sont, paradoxalement à son style descriptif, touchés, émus par ses livres dont celui-ci, dont les dernières pages, principalement, sont à mon avis bouleversantes, qu'on ait vécu ou pas le même genre de situation.
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L'événement

C'est la critique d'Isacom qui m'a donné envie de lire L'événement bien que j'ai du mal à lire Annie Ernaux que je trouve trop centrée sur elle-même.

Pour la première fois, elle m'a émue, notamment la scène où elle expulse le fœtus mort. Je ne vous divulgache rien puisque c'est la conséquence directe d'un avortement...

Ce texte est intéressant et important pour ne pas oublier le mépris, la haine qu'ont reçus les femmes enceintes qui voulaient mettre un terme à leur grossesse. Les médecins et l'équipe soignante ont été odieux envers cette jeune femme.

Merci à Simone Veil, Gisèle Halimi d'en avoir fait leur combat et de légaliser cette pratique.

Par ailleurs, j'ai apprécié qu'Annie Ernaux n'utilise pas le terme "tomber enceinte". Un point commun qui me fera peut-être plus aimer son style, qui sait...
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La place

Bien que j’aie savouré l’écriture neutre et réservée qui illustre admirablement la désunion et la distance émotionnelle qui peuvent régner entre un parent et son enfant, j’ai eu du mal à accepter un tel choix d’événements qui semble vouloir rendre compte de l’insuffisance des individus issus de classe populaire sous couvert d’objectivité. Je me suis reconnue dans la perception d’Annie Ernaux et je salue le style choisi, mais j’ai aussi éprouvé de la peine pour son père qui a peut-être été bien plus aux yeux du monde qu’un être honteux de sa classe sociale : puisqu’il s’agit d’un hommage , je déplore la forme sous laquelle il a été exposé. Avis mitigé et incertain, car il est délicat voire inique de fonder une opinion sur un récit qui rend compte d’une expérience familiale subjective et dont on ne sait pas tout.
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Mémoire de fille

Encore un Annie Ernaux que je dévore !

On aime son style ou on ne l'aime pas. Moi, je l'aime ! Pourtant, je suis du genre à fuir les autobiographies.



D'ailleurs, je ne qualifierais pas les livres d'Annie Ernaux comme des autobiographies (où l'on raconte sa vie d'un point A vers un point B et basta). Pour moi, Ernaux écrit des récits de vie tout simplement. Certes, ils sont inspirés par sa propre vie (d'ailleurs, est-on vraiment sûr ?).



Ces souvenirs, ces évènements survenus à un moment donné de sa vie, servent à dresser un portrait sociologique d'une époque. Moi qui n'ai pas vécu cette période, je la vis à travers ses écrits. Je visualise mieux certaines anecdotes racontées par les gens qui ont justement vécu cette période.



Contrairement à la plupart des récits autobiographiques, Annie Ernaux ne se victimise pas ni se met dans une position "héroïque". Au contraire, elle dissèque le personnage qu'elle était tout aussi bien que l'époque, le tout avec du recul et de l'impartialité. Il n'y a pas de recherche inutile pour enjoliver la chose, ni par les mots ni par l'action. Quant aux mots, ils sont justes. Pourquoi faire plus lorsqu'on décrit l'ordinaire ?



J'ai passé un très bon moment à lire ce bouquin et à découvrir les mémoires de cette jeune fille de 1958 racontées à travers les yeux d'une femme mature du XXIe siècle.



Dans ce livre, Ernaux raconte ce fameux été 58 lorsque, partie en tant qu'animatrice de colonie, elle découvre le sexe. Elle connaîtra aussi le bullying, les troubles alimentaires, le vol à l'étalage, la pression sociale du plaire et du paraître. Bien qu'elle dresse le portrait d'une époque révolue, on voit bien que, hormis l'innocence prétendue de l'époque, peu de choses ont changé.



Je recommande et poursuivrai ma découverte de l’œuvre d'Ernaux.
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La place

Un immense roman malgré sa brièveté.

Un hommage rendu à son père comme une excuse pour la distanciation sociale que l'auteur s'est infligée en entrant dans un milieu bourgeois après ses études.

Récit sur l'amour paternel et la grandeur d'âme d'une famille cantonnée dans sa classe ouvrière et qui n'a que la gentillesse à offrir à défaut de bagage culturel.

Quand le lien à nos origines familiales s'est distendu au gré d'une progression sociale, on en ressent comme un malaise d'usurpation avec ceux des étages supérieurs et de trahison envers ceux du rez-de-chaussée...

C'est le sens du message de "La place" : immergés dans chacun de ces milieux, on se sent de nulle part et on l'a perdue, cette place.
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Une Femme

En 1987 Annie Ernaux fait pour sa mère ce qu'elle a fait 4 ans plus tôt pour son père : elle en écrit l'histoire de sa vie et de ses relations avec elle., relations qui ont évoluées entre l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte. J'ai écrit que c'était "pour" eux, dans le sens où elle leur rend hommage ( c'est dit moins violemment que sa volonté de "venger sa race" comme elle écrivit un jour très jeune) et montre leur grandeur, leur dignité, leurs qualités, eux issus de milieux considérés comme "inférieurs" (terme de Annie Ernaux) par des milieux qui se sentent donc supérieurs et à qui la société, cette complexité, donne une place supérieure. Elle le fait aussi pour elle-même, pour être au clair peut-être, pour qu'ils ne soient pas mal compris et trop vite oubliés, pour que des personnes comme elles, en général invisibilisés par la société dominante de la Littérature, des médias, de l'Histoire, soient mieux connues. Ernaux allie toujours une fonction personnelle et une fonction sociale à ses livres et comme souvent dans les bons livres et grands livres, ces histoires personnelles font sens chez bien des lecteurs car ils sont pleins d'humanité.

Ne croyez pas ici ou là ceux qui parlent de mépris de sa part, c'est, selon moi, un problème entre eux et eux-mêmes qui n'a rien à voir avec Annie Ernaux. La lire les renvoit sans doute à des choses personnelles que eux n'ont pas réglées. Et puis le fait qu'elle a reçu le Nobel pour l'ensemble - cohérent, fidèle, droit - de son œuvre en agace certain(e)s, ceux que je qualifierais de rageux. Allez -y lire par vous-même. Elle écrit avec clairvoyance, lucidité, une mémoire qui est nourrie, entre autres et au-delà de ses souvenirs personnels, par les photos et, ce qui est plus original, en regardant, après, des gens qui lui rappellent ses parents (elle l'explique dans la Place, Journal du Dehors ..)

C'est fait avec respect, clairvoyance, lucidité, tendresse, amour. C'est donc touchant et pudique, émouvant car sans effet de style, fait avec simplicité, justesse et sans lyrisme, donc bouleversant.

Comme toujours aussi chez Annie Ernaux il y a quelques passages dans le récit où elle dit ce qu'elle veut faire en écrivant ces textes sur ses parents, ce qu'elle ne veut pas faire et comment elle veut s'y prendre.
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Hôtel Casanova et autres textes brefs

Je voulais lire celle qui a eu un Prix Nobel. Ce petit livre a fait l'affaire. Des petits textes extraits de "Écrire la vie". Des petits textes publiés dans plusieurs titres de la presse.



Elle écrit assez bien, sans aucun doute. Pas étonnant puisqu'elle est agrégée en lettres modernes, même si elle n'a pas réussi à finir sa thèse de doctorat. Mais c'est parfois ennuyeux et on a envie que ça finisse. Je ne suis pas qualifié pour juger la littérature mais j'estime que ça ne vaut pas quelques grands de la littérature française qui, eux, n'ont pas eu le Prix Nobel.



Une critique faite à son Prix Nobel est qu'elle l'a eu plus par le militantisme que par son style littéraire. C'est peut-être vrai et ce militantisme de gauche, voir extrême-gauche, apparaît dans ses écrits. Il est, d'ailleurs, le sujet d'un des textes : "Littérature et politique".



De sa page wikipédia : le prix Nobel de littérature lui est décerné en 2022 pour « le courage et l'acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle ».



Dans un des textes, "Retours", elle raconte la dernière visite faite à sa mère, chez elle, qui vivait dans une kitchenette. J'ai ressenti une visite faite plus par obligation que par un vrai amour pour sa mère. Le repas était silencieux, et sa mère cherchait parfois des sujets banals de conversation : le temps qui va faire, ...



Quelques passages assez crus : "De temps en temps la porte s'ouvrait brutalement et se refermait précautionneusement, on devait se tromper avec la salle de bains. Ce n'était pas dérangeant, je détachais provisoirement ma bouche de son sexe".



Conclusion qui n'engage que moi, avec une pile de sujets et de livres intéressants à lire, il est peu probable que je la lise à nouveau.

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Journal du dehors

Comme elle l'a déjà écrit, au moins, dans la Place (je n'ai pas encore tout lu d'elle), le fait de regarder certaines réalités, comme tout un chacun, fait naître en elle des pensées, des émotions, voire des réflexions. Mais les émotions sont ce qu'elle veille à éviter dans son écriture (ce qui frustre nombre de lecteurs qui, du coup, n'apprécient pas ses livres). A un moment ici, lors du compte-rendu écrit d'un récit oral entendu (la découverte d'une femme morte dans son appartement), elle saisit l'occasion pour (re)dire ce qu'elle ne veut pas faire en littérature.

Surtout, ce qu'elle voit, regarde, nourrit sa mémoire, la fait revivre et c'est finalement ses principaux écrits qui ont pu ainsi être écrits : « Des individus anonymes qui ne soupçonnent pas qu'ils détiennent une part de mon histoire, dans des visages, des corps, que je ne revois jamais. Sans doute suis-je moi-même, dans la foule des rues et des magasins, porteuse de la vie des autres. »

" Ce sont les autres, anonymes côtoyés dans le métro, les salles d'attente qui, par l'intérêt, la colère ou la honte dont ils nous traversent, réveillent notre mémoire et nous révèlent à nous-mêmes. »

Ici elle voudrait faire avec les mots écrits ce que fait (avec la chimie alors, les sels d'argents des appareils argentiques) l'appareil photo, la photographie : saisir un instant, une scènette.. "J’ai cherché à pratiquer une sorte d’écriture photographique du réel dans laquelle les existences croisées conserveraient leur opacité et leur énigme. (Plus tard, en voyant les photographies que Paul Strand a faites des habitants d’un village italien, Luzzara, photographies saisissantes de présence violente, presque douloureuse – les êtres sont là, seulement là -, je penserai me trouver devant un idéal, inaccessible, de l’écriture).»». « Trouver les mots qui contiennent à la fois la réalité et la sensation procurée par la réalité allait devenir, et rester à ce jour, ma préoccupation constante en matière d’écriture » (discours de Stockholm).

Alors elle a pendant plusieurs années écrit de temps à autres des petits textes relatant ce qu'elle a vu, entendu..

Étant moi-même photographe et observateur dans les rues des villes et aimant écrire, je n'ai pas trouvé inintéressants ces "petits" textes mais je préfère ses écrits au plus long cours, ses livres un peu plus consistants.

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La place

Portrait de son père et récit des faits marquants de sa vie, description de leurs relations.. Très bel "hommage" (je suppose qu'Ernaux réfuterait ce terme) non hagiographique, respectueux, touchant.

Qu'Annie Ernaux soit d'un milieu modeste (petit café-épicerie populaire) est connu. La description et l'analyse de la vie de ce milieu et de sa vie dans ce milieu constitue la principale motivation et matière de son œuvre. Le milieu dont son père était issu était encore plus "modeste", comme on dit joliment et pudiquement. On peut parler de pauvreté, voire de misère (ouvrier agricole en Normandie). Le texte est donc aussi un document sociologique précieux.

Essentiels aussi les quelques passages où A. Ernaux parle de son projet et de sa méthode, ses difficultés et choix d'écrivaine :

" Par la suite, j'ai commencé un roman dont il était le personnage principal. Sensation de dégoût au milieu du récit.

Depuis peu, je sais que le roman est impossible. Pour rendre compte d'une vie soumise à la nécessité, je n'ai pas le droit de prendre d'abord le parti de l'art, ni de chercher à faire quelque chose de « passionnant », ou d'«émouvant». Je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d'une existence que j'ai aussi partagée.

Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L'écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j'utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles."

" J'écris lentement. En m'efforçant de révéler la trame significative d'une vie dans un ensemble de faits et de choix, j'ai l'impression de perdre au fur et à mesure la figure particulière de mon père. L'épure tend à prendre toute la place, l'idée à courir toute seule. Si au contraire je laisse glisser les images du souvenir, je le revois tel qu'il était, son rire, sa démarche, il me conduit par la main à la foire et les manèges me terrifient, tous les signes d'une condition partagée avec d'autres me deviennent indifférents. A chaque fois je m'arrache du piège de l'individuel.

Naturellement, aucun bonheur d'écrire, dans cette entreprise où je me tiens au plus près des mots et des phrases entendues, les soulignant parfois par des italiques. Non pour indiquer un double sens au lecteur et lui offrir le plaisir dune complicité, que je refuse sous toutes ses formes, nostalgie, pathétique ou dérision. Simplement parce que ces mots et ces phrases disent les limites et la couleur du monde où vécut mon père, où j'ai vécu aussi. Et l'on n'y prenait jamais un mot pour un autre."

Plus loin il y a 2 autres passages-clefs pour comprendre et apprécier la démarche d'Annie Ernaux :

" Voie étroite, en écrivant, entre la réhabilitation d'un monde considéré comme inférieur, et la dénonciation de l'aliénation qui l'accompagne [..] je voudrais dire à la fois le bonheur et l'aliénation. Impression, bien plutôt, de tanguer d'un bord à l'autre de cette contradiction."



Enfin, quelques pages avant la fin, une réponse à une question que je me posais : comment fait-elle pour réussir à dire autant de choses précises d'un passé qui remonte parfois à un temps de l'enfance dont on a en général que des bribes floues de souvenirs confus ? Une mémoire exceptionnelle ? :

" J'ai mis beaucoup de temps parce qu'il ne m'était pas aussi facile de ramener au jour des faits oubliés que d'inventer. La mémoire résiste. Je ne pouvais pas compter sur la réminiscence [..] C'est dans la manière dont les gens s'assoient et s'ennuient dans les salles d'attente, interpellent leurs enfants, font au revoir sur les quais de gare que j'ai cherché la figure de mon père. J'ai retrouvé dans des êtres anonymes rencontrés n'importe où, porteurs à leur insu de signes de force ou d'humiliation, la réalité oubliée de sa condition."

Ouf ! Voici donc les clefs essentielles de son travail.
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La femme gelée

Décidément je trouve que Annie Ernaux est une écrivaine que je trouve intéressante et de valeur. J'apprécie ce qu'elle dit et la manière dont elle le fait, précisément, clairement, justement, lucidement, très intelligemment et sans concessions, sans effets de style recherché, visible.

Dans la Femme Gelée, elle dit ce qu'il s'est passé - quelle mémoire, qui reconstruit peut-être en écrivant - et surtout ses pensées et sentiments de ses années encore élève dans une école privée religieuse jusqu'à son mariage, la naissance d'un enfant.. Entre ces deux événements, le développement de son intérêt, attirance, curiosité pour l'autre sexe, avec discrétion (ou ellipse élégante) ses premières expériences dans ce domaine, un peu son époque étudiante (beaucoup plus présente dans l'Événement. Il y a d'ailleurs ce fait dans sa vie, dont elle ne parle pas dans ce bouquin -ci mais qui s'est produit dans ces années-là. Elle devait garder le récit de ce fait majeur pour un livre seul, l'Événement, justement).

Annie Ernaux, ça paraît facile à lire ( en tous cas pour moi qui ne suis pas du tout dérangé par sa syntaxe parfois bousculée) et à comprendre, c'est fluide, les mots sont compréhensibles - parfois même du langage parlé - mais, régulièrement, un bout de phrase dans le flot de la lecture, entre 2 virgules, est plus intrigant - pas saisissable au premier coup d’œil - suscite la curiosité et donnerait matière à réfléchir, mais A. Ernaux continue, ne s'y arrête pas, ne développe pas, n'explicite pas, ne précise pas.

Bref, c'est plus riche et complexe, nuancé, que cela peut en avoir l'air au premier abord.

Je trouve que la Femme Gelée pourrait être utilement lu par les jeunes femmes - pour ne pas faire les mêmes concessions, aux autres et à soi, ne pas avoir les mêmes renoncements - et, aussi et peut-être surtout par les jeunes hommes, pour qu'ils s'interrogent, en étant amenés à être centrés sur les ressentis et la réflexion d'une femme, pour qu'ils jaugent leur attitude, leur comportement, souvent inconscients car conditionnés, par rapport aux femmes. C'est ce que j'ai fait et je trouve cela fort utile, concrètement applicable. La femme Gelée, comme un livre de prévention..

Et puis j'apprécie sa hargne générale, sa rage - mais pas le regret, le ressentiment ni la tristesse, sentiments qu'elle garde peut-être pour elle - le côté entier et indépendant dans la pensée qu'elle a mis dans ses livres sinon dans sa vie ( " toute mon histoire de femme est celle d'un escalier qu'on descend en renâclant"..).

Je me suis interrogé sur le choix de cet adjectif dans le titre. Cette image de l'escalier descendu m'aide à comprendre : dans le processus de gel la température descend peu à peu. Chaque degré peut correspondre à un renoncement, un concession, une erreur, une impossibilité, une difficulté, un choix etc et degré àprès degré, comme ceux d'un escalier, la température passe la barre du zéro et l'eau, vivante, se fige. gèle. C'est par ce genre de formule, disséminée dans le texte, que tout un chacun peut comprendre Annie Ernaux.

Annie Ernaux c'est, par le récit minutieux, détaillé sans que cela soit long et pesant, des guides d'émancipation, pour les femmes, et aussi pour les hommes !
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Ce qu'ils disent ou rien

Le dernier roman d’Aurélie Valognes m’a donné très envie de me replonger dans l’œuvre d’Annie Ernaux, plusieurs fois citée. J’ai choisi une œuvre d’adolescence, un récit d’à peine 150 pages, qui dévoile une fois encore la conscience éclairée de la romancière, qui sentait depuis l’enfance qu’elle n’appartenait pas au monde social de ses parents.



« J'ai pensé qu'elle avait changé depuis qu'elle avait quitté le travail à l'usine textile, ça doit être ça le progrès social, l'ordre, dommage qu'il n'y ait pas eu de progrès dans sa conversation. » Anne, double d’Annie, observe énormément sa mère, seul modèle féminin à sa disposition immédiate. Tout en elle la rebute, malgré leur proximité. Dans le regard de l’adolescente, il y a déjà deux figures féminines : celui de la mère et celui de la femme. La première la rassure tout en l’agaçant, mais la deuxième la dégoûte. Une dichotomie difficile à assumer…



« N'ont que leur certificat d'études mais mille fois plus chiants là- dessus que les parents de Céline, ingénieurs, quelque chose comme ça, c'est vrai qu'eux, ils n'ont pas besoin de hurler, ils sont l'exemple vivant de la réussite, tandis que les miens qui sont ouvriers, il faut que je sois ce qu'ils disent, pas ce qu'ils sont. » Anne ne sera pas comme ses parents ; ouvrière à 14 ans. Les professeurs lui ont trouvé des capacités à poursuivre ses études, et en ce mois de juillet, la voilà qui se « repose » du B.E.P.C., en attente d’intégrer un lycée.



« S'il y avait eu un autre moyen pour connaître des garçons intéressants, je m'en serais bien passée de l'amitié. » Il fait chaud durant cet été- là, et Anne, comme quelques- unes de ses amies, a envie de découvrir le corps d’un garçon, de vivre les émotions exprimées à demi- mots dans « Femmes d’aujourd’hui ».



Au final, un récit d’autofiction fidèle au style d’écriture d’Annie Ernaux. Phrases courtes, non verbales ; idées lancées comme elles viennent. Et malgré tout, un rythme. Mais ce texte manque clairement de maturité et se montre répétitif. Pas le meilleure de l’auteure, mais à lire pour avoir une vision plus globale de l’œuvre littéraire de notre Prix Nobel 2022.

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La femme gelée

Dans cette auto-critique méthodique, Annie Ernaux nous invite à découvrir son quotidien de la moitié du 20e siècle (paru en 1981). Avec un style direct -qui s'affirmera avec le temps-, elle pose le(s) constat de sa vie jusque-là.



Tout d'abord, emprunt de ressentiment -voire de tristesse- sur une jeunesse insouciante, mais quelque peu perdue, où la vie s'écoulait selon des postures bien établies. Sa famille non conformiste y alimentait sa candeur, et déjà les soubresauts d'une envie d'ailleurs.



Puis, vint le temps de la Honte et de l'éclosion de sentiments mitigés contre ses racines populaires et son envie de devenir "être UNIQUE". Elle comprend néanmoins très vite, que cette société-là ne lui laissera de la place que si elle re-rentre dans le rang.



Enfin , elle se soumet aux rôles établis : une "femme parfaite" dont les rêves de liberté seront pour un temps mis de côté. Mais combien ?



La colère alors, sourde gronde. La "femme gelée" se dit "maintenant, j'ai arrêté !"



Peu importe, ce qu'on pourra en dire, devenue -et toujours restée- une "femme imparfaite", elle décide de s'affirmer et nous enjoint dans cette posture.



J'ai vraiment apprécié, la narration de ce récit, en audio qui se prête bien à cette lecture.



AVIS PERSONNEL : Non, ce Prix Nobel n'est pas galvaudé, quoiqu'en disent les conservateurs !
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Le jeune homme

J'ai beaucoup apprécié la lecture le "L'événement" de cette autrice mais ce récit n'a eu aucun effet sur moi. On dirait qu'il s'agit d'extraits d'un journal intime. C'est un roman "pas d'histoire, pas d'intérêt".



Je me demande comment ce livre a pu être publié. Une chance qu'il était court, sinon je l'aurais probablement abandonné.
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La femme gelée

La femme gelée

Annie Ernaux

Audiolib



Mon avis :



J'avais envie de continuer à découvrir Annie Ernaux. J'ai choisi celui-ci.

Elle raconte le destin la vie d'une femme des années 60. Etre une bonne mère de famille, s'occuper de son foyer des tâches ménagères de ses enfants et de son mari.



J'ai bien aimé les relations avec sa mère, une femme différente qui aimait lire et lui a transmis ce goût de la lecture alors que son père disait que c'était perdre son temps.

Elle fait une analyse complète de la condition de la femme, son rôle dans la société et sa représentation.



Ce n'est pas celui que j'ai préféré, je l'ai trouvé parfois pesant. La voix est bien en accord avec le texte, mais parfois monotone certainement dû à l'écriture et au style du roman.



Je remercie @audiolib NetGalley France.

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Regarde les lumières, mon amour

Drôle de titre pour un roman d’Annie Ernaux… Quoi que. Je ne connaissais de cette autrice, que ses ouvrages des années 80-90 très autobiographiques et intimes sur sa vie de femme et de fille. J’interprétais donc ce titre comme celui d’une rencontre amoureuse prometteuse…

Comme je me trompais, j’omettais alors la corde sociologique de la formation d’Annie Ernaux. Ce livre, essai et roman à la fois, nous plonge dans l’univers de la grande distribution. Pendant près d’un an, elle va se rendre régulièrement dans l’hypermarché près de chez elle et traquer le comportement de ses concitoyens. Inconnue parmi ces inconnus, elle va étudier leurs faits et gestes, cherchant le commun, l’originalité ou l’incongru. Elle va aussi examiner le phénomène commercial capitaliste de ces grands magasins, toujours plus de rayons, toujours plus d’articles. Elle dénonce, au hasard des drames lointains, dans des manufactures de vêtements, survenus dans l’année, et nous rend complices de ces abus d’emplois de main d’œuvre à bas prix des pays dits du Tiers-monde.

Elle aura un œil très attentif au rayon des livres… Elle y viendra souvent.

Que dire des fêtes calendaires où du jour au lendemain des articles mis en lumière se retrouvent jetés au fin fond de bacs perdant valeur et intérêt ?

De rares échanges anodins avec d’autres usagers, des regards inquisiteurs à la caisse sur les achats des voisins d’attente… Des faits, gestes et pensées que nous avons tous certainement vécus, un jour ou l’autre en faisant nos courses : un miroir. Des phrases simples, justes qui résonnent, faisant sourire ou grimacer.

J’ai aimé déambuler avec elle dans cet univers familier car quels que soient l’enseigne et le lieux d’implantation des géants de la consommation que nous fréquentons, ils répondent tous aux mêmes impératifs et critères de l’acheter toujours plus.

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Regarde les lumières, mon amour

Comme Annie Ernaux le dit elle-même, ce n'est ni une étude sociologique, ni un essai critique mais simplement son journal ; celui d'une femme du XXIe siècle, qui a connu l'épicerie familiale, l'ouverture des premiers supermarchés, l'essort des centres commerciaux et peut-être ce qui aura été leur apogée avec l'arrivée de nouvelles habitudes de consommation.



Annie consommatrice, plus qu'observatrice sillonne les rayons du temple de la consommation, le " Kremlin" "aux briques rouges" dit-elle et fait part au lecteur de ses réflexions.



Elle évoque ce lieu comme un carrefour où les gens se croisent et coexistent, sous la lumière crue des néons et des panneaux "jaune acide" de promotions, tous différents mais surtout, femmes. Celles dont la place reste inexorablement au supermarché, comme une "extansion " de leur place domestique, malgré la volonté de changements.



Tout cela, vivifié par l'acuité d'Annie, par sa plume facétieuse, son humour et par ce lien intime à la fois individuel et universel qu'elle tisse avec le lecteur.



Voici une citation — le choix était grand — celle qui permet de mieux définir ce produit à consommer sans date de péremption et qu'elle aimerait que nous extirpions du caddie " entre la plaquette de beurre et la paire de collant"... :



" Comme chaque fois que je cesse de consigner le présent, j'ai l'impression de me retirer du mouvement du monde, de renoncer non seulement à dire mon époque mais à la voir. Parce que voir pour écrire, c'est voir autrement. C'est distinguer des objets, des individus, des mécanismes et leur conférer leur valeur d'existence."



Lire Regarde les lumières mon amour, c'est alors voir notre société à travers un lieu peu littéraire, le supermarché.
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La femme gelée

Lu en 2022. Mon troisième ouvrage de l'auteure. Restée un peu sur ma faim après "La place " et "La honte", bien que toujours un peu gênée par l'écriture "clinique" et factuelle de Annie Ernaux, j'ai davantage apprécié cet ouvrage.

L'on peut facilement s'identifier, compatir, ou du moins ne pas rester indifférente à ces modèles ou contre-modèles féminins, à ces stéréotypes (matrimoniaux, maternels) enfermants, à tous ces obstacles à l'émancipation et l'épanouissement personnel. Des réflexions sociétales on ne peut plus actuelles...
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La place

J'ai été très ému à sa lecture; mais avec le recul, je pense que c'est un mauvais livre, plein de pathos et de mièvrerie. Veuillez accepter mon opinion, d'autant plus que cet auteur a eu récemment des positions sociétales étranges. Et il est vrai que j'ai un gros problème avec mon géniteur.
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Journal du dehors

Dans ce journal, Annie Ernaux note des instants de scènes de gens qu'elle a croisés dans différents lieux, comme dans les parkings, ou chez les coiffeurs, ou dans les hypermarchés par exemple ; elle "ne leur parle pas", elle "les regarde" et "les écoute seulement". Elle note donc ce qu'elle a vu, ce qu'elle a entendu, fait part de ses impressions.

Un journal court, simple, plaisant à lire, sur des petites scènes réelles de la vie.

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