AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Annie Ernaux (2584)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


La place

J'ai un peu de colère ce matin, un peu d'indignation : je viens de lire La Place. Probablement pas de quoi se mettre en rogne, penseront certains. Peut-être, mais c'est assez spécial pour moi cette affaire.



Comme Annie Ernaux, je suis née dans le trou du cul de la Normandie, à quelques kilomètres d'elle seulement, dans l'une des villes citées dans l'ouvrage. Comme elle, je suis issue d'un milieu ouvrier mâtiné de paysan. Comme elle, je suis la seule de ma famille à avoir suivi des études supérieures. Comme elle, j'ai vu chaque jour se creuser un peu plus le fossé social qui me sépare encore aujourd'hui — et plus que jamais — de ma famille.



Je vais même vous faire une petite confidence supplémentaire, c'est qu'à la différence d'Annie Ernaux, même parmi les culs terreux, ma famille était considérée comme le top du top de la ringardise et de l'arriération sociale. Nous ne partions jamais en vacances, ne portions aucune marque, n'étions jamais au courant des nouveautés, mes parents avaient une 2 CV pourrie sur toute la durée des années 1980, époque où elle était ultra passée de mode à la campagne et pas du tout vintage… (Exemples pris parmi une multitude d'autres qu'il n'est pas nécessaire de déballer ici.)



Comme Annie Ernaux, je suis désormais enseignante loin des terres chéries où j'ai grandi. Voilà pourquoi je me permets d'être indignée par ce livre que je trouve, malgré toutes les précautions dont se barde l'auteure, très méprisant pour la condition sociale de ses parents.



Personnellement, j'y perçois du racisme. Certes, ce n'est pas du racisme ordinaire, mais c'est du racisme de classe. Pour moi, ce qui constitue l'essence même du racisme, ce n'est pas de dire qu'il existe des différences entre les groupes humains, car ça, il faudrait vraiment être atteint d'une forme de cécité assez invalidante pour ne pas les percevoir. le vrai racisme, c'est de classer les groupes humains sur la base même de ces différences ; de dire que ça c'est mieux ou ça c'est moins bien parce que je suis plus ceci ou moins cela.



Or, quand je lis Annie Ernaux, à aucun moment je ne ressens de bienveillance pour les classes populaires. Elle nous fait une liste longue comme le bras de leurs manquements ou de leurs insuffisances sans jamais la nuancer par les aspects puants de la bourgeoisie à laquelle elle accède et qui pourtant sont absents chez les classes populaires. Elle n'aime pas le milieu dont elle est issue et ça se voit, ça suinte de partout, ça transpire.



Moi non plus mon père n'a jamais lu de livre, moi aussi mon père est un rustre fini, pourtant, combien de fois me suis-je dit auprès de gens très bien sous tous aspects, très bien nés, qui ont une bonne PLACE, combien de fois me suis-je dit, que vous êtes cons mes braves et que mon père vous torcherait si vous aviez l'un et l'autre à résoudre un problème auquel vous n'avez jamais eu à faire face ni l'un ni l'autre.



J'ai vécu auprès d'Amérindiens analphabètes qui m'ont fascinée. J'ai vécu auprès de chercheurs imbuvables et imbus qui m'ont révulsée. J'ai vécu auprès de certains culs terreux normands absolument sans intérêt ; j'ai vécu auprès de certains culs terreux normands dont la puissance de raisonnement m'impressionne encore aujourd'hui et à laquelle je me réfère bien des années après avoir quitté mon milieu et ma Normandie natale.



Donc je ne peux pas lire ce livre sans m'indigner quelque peu. (À titre de comparaison, si je place un autre Normand dans la balance, lui aussi transfuge de classe, comme Annie Ernaux, en la personne de Michel Onfray, lorsque je lis son petit opuscule intitulé le Corps de mon père, je perçois un rapport au père et aux classes populaires tout autre et qui, personnellement, me sied beaucoup mieux.) Je n'y ressens aucun amour des classes populaires, juste un sentiment de culpabilité de leur avoir tourné le dos et d'essayer vaguement de se racheter en écrivant ce bouquin.



Mais cette écriture !!?? Cette écriture !! L'écriture plate, la bien nommée. Comme c'est méprisant. Je cite : « Pour rendre compte d'une vie soumise à la nécessité, je n'ai pas le droit de prendre d'abord le parti de l'art, ni de chercher à faire quelque chose de " passionnant ", ou d' " émouvant ". Je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d'une existence que j'ai aussi partagée. Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L'écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j'utilisais en écrivant autrefois à mes parents pour leur dire les nouvelles essentielles. »



Voilà l'argument le plus petit, le plus mesquin qu'on puisse imaginer. Encore heureux qu'elle n'est pas devenue peintre d'art sans quoi, pour faire le portrait de ses parents, elle se serait sentie obligée d'utiliser un gros rouleau de peintre en bâtiment. Quelle connerie ! C'est d'autant plus une connerie que dans ses autres romans par la suite, elle ne s'est plus défaite de ce style (ou de ce non style, c'est selon), preuve qu'il n'a qu'un rapport assez éloigné et douteux avec le propos.



Pour en finir avec ce non style, j'aimerais convoquer une citation de Herman Broch dans Les Somnambules et qui m'est revenue à l'esprit à la lecture de ce livre : « Au fond de tout cela il y a une logique complètement dépouillée d'ornements et il semble qu'on ne fait pas une conclusion trop risquée en disant qu'une pareille logique requiert en tous lieux un style dépouillé d'ornements. Certes, ce style apparaît même aussi bon et aussi juste que l'est tout ce qui est nécessaire. Et cependant, c'est le néant, c'est la mort qui sont liés à ce dépouillement d'ornements, derrière lui se cache la figure monstrueuse d'un trépas, où le temps s'est effondré en ruines. »



Pourtant, j'aurais aimé aimer ; j'aurais aimé me sentir en résonance avec cette auteure qui a vécu des choses si proches de celles que j'ai vécues et que je vis encore. Il est vrai qu'elle restitue bien la sensation de se sentir étrangère chez soi, de ne plus avoir grand-chose à partager quand on se voit. Mais elle occulte un autre aspect : elle nous parle d'un " héritage ", sous-entendant qu'il est lourd à porter dans le milieu bourgeois où elle évolue désormais, sans jamais nous en dire quoi que ce soit si ce n'est que du négatif. J'ai peine à croire que son père ne lui ait absolument rien légué de positif et qui lui serve encore aujourd'hui. Pourtant, pas une ligne ne l'évoque.



En somme, ce que je lis dans cette platitude, c'est un portrait sans aménité, sans chaleur. Elle écrit dans l'extrait que j'évoque plus haut " les faits marquants " de la vie de son père. Mais qu'est-ce qu'elle en sait ? Sa naissance à elle n'est-elle pas un fait marquant de l'existence de son père ? Elle évoque rapidement, très rapidement le fait qu'elle ait eu une soeur qui est décédée en bas âge. D'où sa naissance à elle, d'où le fait que ses parents soient " âgés ", d'où le fait qu'ils lui " passent " beaucoup de ses lubies, notamment les longues études. Elle n'en dit pas un mot.



J'ai bien connu des gens comme le père d'Annie Ernaux, des Normands simples et pudiques, pas expansifs mais avec beaucoup de coeur, des gens sincères et droits, et j'ai plus de respect et d'amour pour eux qu'elle ne semble en éprouver pour son propre père.



Bref, un drôle d'hommage qui, sous des airs de vouloir saluer sa mémoire, sonne à mes oreilles comme une ultime marque de mépris et d'incompréhension. Désolée de ne pas vous suivre Annie Ernaux, désolée de ne pas goûter votre snobisme (au sens premier " sine nobilitate ") des couches populaires qui se sont saignées pour que vous soyez ce que vous êtes. J'en viens, j'en suis et c'est peut-être pour ça que je réagis si fort aujourd'hui. D'autant plus fort que le non style de cet ouvrage a donné des idées à de bas suiveurs comme Delphine de Vigan, pour ne citer qu'elle, dont la prose et l'éthique me dégoûtent.



Aussi, plus que jamais, souvenez-vous que ce que j'exprime ici n'est que mon avis, un avis pas forcément à sa place, c'est-à-dire, pas grand-chose.



P. S. (suite aux commentaires) : J'ai omis de parler, puisque la barque était déjà bien pleine, de certains petits côtés racoleurs dans l'écriture d'Annie Ernaux qui me déplaisent au plus haut point, loin du respect que j'aurais attendu vis-à-vis d'un père, quand bien même on ne partage rien avec lui et l'on ne le comprend pas.



Par exemple, parmi plusieurs autres, l'évocation totalement gratuite du fait que pendant la toilette mortuaire de son père, elle ait vu son sexe. Qu'est-ce qu'on en a à foutre, et surtout, qu'est-ce que ça apporte au portrait ou pseudo-portrait ? Ce voyeurisme ordinaire me débecte au plus haut point, et c'est précisément cet aspect, ainsi que l'écriture plate et l'autojustification de ses choix d'écriture qu'a repris Delphine de Vigan, en bon âne suiveur, dans sa mixture imbuvable.



P. S. 2 (après l'attribution du Prix Nobel à cette auteure de « machins » vaguement écrits) : Il fut un temps où recevoir le Prix Nobel, ça signifiait « avoir du talent », littérairement parlant, mais comme cette notion est subjective, on peut toujours vous rétorquer que c'est une question de goût, que vous n'avez rien compris à ceci ou à cela, etc.



Désormais, la valeur cardinale n'est plus le talent littéraire, c'est-à-dire l'aptitude à générer de l'émotion chez le lecteur, à l'élever, à le faire réfléchir, non, maintenant, c'est la politique des quotas vis-à-vis des « minorités » : une femme / un homme ; une blanche / un noir ; un juif / une homo, etc. Et le talent dans tout ça ??? le mot « talent » signifiait à l'origine « celui ou celle qui est possesseur d'un don particulier ».



Virginia Woolf, par exemple, elle qui ne reçut jamais le Prix Nobel, possédait pourtant un talent, quelque chose de rare et d'unique, dont elle fit don à l'humanité. Excusez-moi, mais j'ai beau chercher, je ne vois pas qu'Annie Ernaux, et quelques autres parmi les derniers Prix Nobel, soient affublés d'un quelconque don particulier. D'où ma surprise, pour ne pas dire ma stupeur, face à de telles mises sur piédestal de statues fort ordinaires. Cela fait suite, peut-être, au " président normal ", c'est dans l'air du temps, il faut croire...
Commenter  J’apprécie          729109
La femme gelée

Des aspirations de l’enfance pour l’aventure et la curiosité, aux élans de l’adolescence pour la passion et la liberté, une fois mariée, elle devra les délaisser, car l’homme travaille et veut manger, dans une maison propre et bien rangée, avec des enfants calmes et bien élevés. C’est une femme gelée.



Élevée à Yvetot, au cœur de la Normandie, Annie Ernaux garde une image particulière des femmes de sa vie. Loin du modèle urbain de la petite fée du logis, ces femmes des champs ne ressemblent en rien aux images de papier glacé des magazines qu’elle dévore avidement. Ce ne sont « pas des femmes d’intérieur, rien que des femmes du dehors ».

Très tôt assignées aux travaux des champs, trop tôt engrossées. Trop vite « la marmaille » : six, sept, huit, dix mômes. « Un truc de pauvres », dont elle prendra conscience plus tard, peu à peu. Annie Ernaux vient d’un milieu modeste et paysan, avant que ses parents ne deviennent ouvriers, puis commerçants.



La petite fille apprend ses leçons : « papa-part-à-son-travail », « maman-reste-à-la-maison », « elle-fait-le-ménage », « elle-prépare-un-repas-succulent ». Des phrases rabâchées, qu’elle apprend par cœur comme toutes ses leçons, mais qui ne correspondent en rien à la réalité qu’elle connaît, car son père ne part pas au travail, mais sert au café et à l’alimentation et fait même la vaisselle ainsi que la cuisine. Quant au ménage, sa mère s’en occupe quand elle a le temps, c’est-à-dire pas souvent.



Ses parents travaillent d’arrache-pied pour se sortir de leur condition et accompagner leur petite fille vers une vie meilleure. Loin encore du modèle social bourgeois de la femme au foyer, qui tient sa maison au carré, élève ses enfants, et laisse son mari travailler.

Protégée du rôle d’aide-ménagère que connaisse déjà ses camarades, sa mère veillera à toujours lui laisser le temps de s’épanouir dans la curiosité et la découverte artistique, persuadée qu’elle est que seule la connaissance et la pensée libérée l’amèneront vers une bonne situation et lui permettront de se soustraire au « pouvoir des hommes ».



« Je suis allée vers les garçons comme on part en voyage. Avec peur et curiosité. ». Annie Ernaux ne cache rien de ses émois physiques ni de ses passions intellectuelles pour mieux appréhender sa condition de femme telle qu’elle l’a vécue. Car évidemment, l’idéal dont elle rêvait ne se réalisera pas avec le premier et grand amour, malgré les points communs, les fous rires partagés en changeant le premier bébé. La vie de couple une fois entérinée, le mariage une fois prononcé, ramènera vite dans le droit chemin l’homme tant aimé vers le modèle qu’on lui a aussi enseigné. Son rôle de mâle ingurgité, il lui recrachera à la figure une fois sa situation professionnelle stabilisée. Désormais, il travaille, désormais il est cadre, il a réussi ce qu’il voulait. Elle n’a pas d’autre choix que de l’accompagner.

Il avait de grandes idées pourtant, rutilantes d’égalité, mais la tentation de l’embourgeoisement sera plus grande. Lui aussi veut sa femme au foyer, disponible et corvéable. À son service.



Il faut lire avec quel détail Annie Ernaux décortique chaque perte de sa liberté de femme, son « enlisement », dans ce véritable pamphlet pour l’égalité des sexes. Une condamnation sans appel au cœur du quotidien. Il faut dire que l’auteur, même si au moment de la publication de La femme gelée, en 1981, n’en est qu’à son troisième roman, son style est déjà bien affirmé : à la fois autobiographique et sociologique, dans un souci toujours charnel d’exposer les corps et les personnages : une manière de se décrire à la fois de façon personnelle et universelle.



« Papa va travailler, maman range la maison, berce bébé et elle prépare un bon repas », ce refrain entêtant de la chanson de l’école élémentaire ne cessera de l’indigner, car désormais sa vie est « un univers de femme rétréci, bourré jusqu'à la gueule de minuscules soucis. De solitude. Je suis devenue la gardienne du foyer, la préposée à la subsistance des êtres et à l'entretien des choses. »



Trouvera-t-elle la force pour reprendre possession de son corps et de son destin et réaliser enfin ses rêves de liberté et d’humanité, car après tout : « que faire de sa vie est une question qui n’a pas de sexe, et la réponse non plus ».



Retrouvez la chronique sur mon blog Fnac Experts/Le conseil des libraires :
Lien : https://www.fnac.com/Le-blog..
Commenter  J’apprécie          2178
Passion simple

Pendant toute ma lecture de Passion Simple d'Annie Ernaux, je me suis dit que cela ferait un épisode croustillant des Boloss des Belles Lettres. J'imagine des formules taillées au sécateur dans le buisson foisonnant des métaphores argotiques. Quelque chose dans le genre :



« C'est l'histoire d'une bourgeoise qui s'est fait motoculter par un alien venu de l'est. le hussard, il lui a fait le coup de l'Orient-Express, tu vois, par-dessus le mur de Berlin, en misant sûrement tout sur son cierge… Mais la pouliche, elle le kiffait tellement grave qu'elle en mouillait ses serviettes Tena rien qu'à se remater le making of.



La meuf elle est plus trop fraîche, tu vois, du genre date limite courte, et elle se tape des soirées bridge avec des as de la cafetière, des mannequins qui chauffent du bulbe mais pas tellement de la braguette. Or voilà qu'elle est tombée sur un James Bond roumain, tchèque ou ruskof — on sait pas trop — avec la devanture d'Alain Delon dans Les Aventuriers.



Ça l'a fait chavirer la gonz, tu penses bien, en plus il est pas de la même promo qu'elle, son matador : facile dix rouleaux de moins dans l'almanach, et même s'il siphonne autant que Boris Eltsine, il pète la calamine mieux que Pop'eye, il est sapé Armani et il se la joue BMW. Toutes les bergères, elles le passent aux rayons X, tu penses, et voudraient bien se faire presser le pamplemousse mais lui il préfère la vioc pour le changer de sa routinière.



La nana avec son bic et ses crayons de rimmel, elle se doute bien qu'il finira par lui lâcher le compotier un jour ou l'autre, mais elle se projette pas trop dans son planning. Alors, entre deux petits coups de polish, elle carpe diem tout son flouze dans les boutiques Nelcha, elle champollionne des mots croisés en regardant Roland Garros ou se fait tirer la courte paille dans l'horoscope du Figaro madame. » Etc., etc.



Bref, nul besoin de pousser plus loin la contrefaçon. Tout ceci pour dire que j'ai eu la sensation qu'Annie Ernaux s'écoute penser et se regarde écrire, en nous contant une amourette de midinette à l'âge de la ménopause.



Elle est tombée amoureuse ? Ouais, pas banal. C'était juste pour le cul ? Ouais, pas banal non plus. Elle y repensait tout le temps et n'arrivait pas à faire autre chose au début ? Ah, c'est original. À vue de nez, il ne doit pas y avoir plus de trois milliards de femmes en ce moment dans le monde qui ont vécu des choses comme ça mais en mieux.



Bon, mais c'est vrai que c'est très, très bien écrit… euh… qu'est-ce que je raconte moi ?… euh… bah, non… c'est toujours son écriture plate, quoi. Donc, si vous aimez bien ce style, vous aimerez encore celui-ci mais si comme moi vous n'aimez pas… enfin, vous m'avez comprise.



En somme, pour moi, une lecture d'un vibrant manque d'intérêt mais, comme je le dis toujours, ceci n'est que mon simple avis sans passion, c'est-à-dire, pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          20625
La place

Un texte que j'ai trouvé froid. Le regard est distancié. On ne ressent pas d'émotion. L'auteure évoque là son enfance et parle plus précisément de son père, bâtissant même son roman autour de la mort de celui-ci. En fait Annie Ernaux semble gênée par la condition modeste de sa famille, elle fera tout pour s'élever, pour se sortir de ce milieu et accéder à la petite bourgeoisie. Je trouve qu'il y a un peu de mépris, et beaucoup de honte vis à vis d'une famille trop humble, pas assez cultivée. J'ai été choquée par le regard de l'auteure sur sa famille et ce monde qu'elle ne juge pas digne d'elle. Elle ne semble pas avoir de véritable affection pour sa famille, elle regarde tout de haut comme le ferait un simple spectateur. Ce livre dont j'attendais beaucoup, première rencontre avec Annie Ernaux, me laisse sur ma faim, et je ne suis pas certaine de vouloir découvrir d'autres oeuvres de cette auteure.
Lien : http://araucaria.20six.fr
Commenter  J’apprécie          2056
L'événement

Je déteste cette histoire !



Je déteste le regard méprisant du médecin (et des autres…)



Je déteste cet « ami » qui se croit tout permis, parce que si une fille est tombée enceinte, c’est qu’elle est trop libre…



Je déteste le sort de cette étudiante, sa solitude dans une impasse, sa vie entre les mains d’une faiseuse d’anges.



Je déteste tout ça, et je remercie celles et ceux qui ont fait en sorte que moi, ma sœur, ma fille, ne vivrons pas « L’événement ».



Un témoignage bouleversant, je déteste que ce soit si vrai et qu’on ne puisse l’oublier une fois le livre refermé.

Commenter  J’apprécie          1802
Regarde les lumières, mon amour

Salariée d'hyper depuis 20 ans, derrière ma caisse depuis 7 ans,je lis, regarde et écoute à peu près tout ce qui s'y rapporte.

Ayant soupé des reportages économiques sur la grande méchante grande distribution qui malmène nos producteurs et exploite ses salariés, j'étais bien impatiente de lire ce regard sociologique d'Annie Ernaux, de sortir des marges, du marketting, de politique commerciale et autre business.

Pas trouvé " Regarde les lumières mon amour " dans "mon" Carrefour. Pas de panique, y'a la Fnac en face.

Après lecture, je me dis que l'auteure sera rassurée de ne pas se retrouver cloitrée entre un Musso et un Lévy, lectures de prolos, trouvables dans les commerces de prolos...



" Ce qu'on peut désigner par le terme de littérature n'occupe qu'une portion congrue de cet espace "



Oui nous ne vendons que des classiques et des best sellers, parce que nous sommes des généralistes, que les murs ne sont pas extensibles, et que notre but est de faire du chiffre.

Comme un fin bricoleur se rendrait à Casto plutôt qu'à carrefour, un lecteur cherchant un titre précis ira chez le libraire.

Cela ne fait pas de nos clients des débiles notoires. NOS clients, effectivement, c'est bien le terme que nous employons pour parler de vous.



" Par respect pour nos clients, il est interdit de lire les revues et les magazines dans le magasin (...) ce nos est typiquement faux jeton"



Ce "nos" irrite l'auteure qui estime ne pas être la propriété d'Auchan.

Est ce tout aussi choquant et faux jeton qu'un médecin dise "mon patient", un avocat "mon client", mon patron "mes collaborateurs" ?

Qu'on le veuille où non, dès lors que l'on pose les pieds dans un commerce, nous faisons partie de sa clientèle. Je ne trouve pas cela péjoratif, ni faux jeton.



" A la question posée rituellement à la caisse, est ce que vous avez la carte de fidelité ?, je répondrais tout aussi rituellement : je ne suis fidèle à personne "



Alors la j'explose ! Si vous saviez Madame Ernaux le nombre de clients qui donnent cette réponse, croyant sortir du lot. Avez vous une vague idée de la raison pour laquelle ce rituel est immuable ? Parce que nous y sommes obligées, parce que nous n'avons pas le choix, parce qu'il suffit d'un oubli pour qu'un client mécontent aille se plaindre à l'accueil de l'incompétence de la caissière. Croyez vous vraiment que cela nous amuse de prononcer 300 fois par jour "avez vous notre carte de fidélité" ?

Ceci dit, devant l'affluence des "je ne suis pas fidèle", j'utilise depuis quelques temps une petite variante, du genre, "avez vous la carte Carrefour", ainsi le jeu de mots n'a plus lieu d'être. Mais pas facile de changer ses automatismes, il m'arrive encore par mégarde, surement en auto hypnose après 250 scans, de lâcher un "Vous avez la carte de fidelité ?". Et là, bien souvent, je m'en mords les doigts !



A vous qui répondez simplement "oui" ou "non", MERCI !



" Cet art des hyper de faire croire à leur bienfaisance".



Oui, tous les commerces tentent de nous persuader qu'ils sont les plus performants. Cela s'appelle de la stratègie marketting. Tout le monde sait que dans une grande surface, on n'est pas au secours catholique. Il appartient à chacun de ne pas faire d'amalgame entre publicité et information. C'est notre devoir de consommateur averti. La grande distribution n'est pas responsable de tous les maux.



"Je voudrais lui poser la question de son salaire. Je n'ose pas"



Allez, moi j'ose : 15 746 € pour 2013. Temps partiel. Choisi, précision importante.

Moi elle me fait vivre depuis toujours, cette grosse usine à gaz. Pas grassement, certes, mais comme n'importe quelle autre salarié du privé de n'importe quel autre secteur. La vendeuse de lingerie haut de gamme qui bosse dans la galerie commerciale ne vit pas mieux que moi. C'est l'image de l'employé de grande surface, et en particulier la mienne, celle de caissière, qui est dégradante et mal perçue.



Je le vois quand je côtoie des non Carrefouriens ( oui cela m'arrive, je ne suis pas que caissière ) et quand le sujet du métier arrive sur le tapis : "je suis caissière" ... Je perçois dans leur regard un "oh ma pauvre c'est pas marrant comme job ".

Et bien moi je le vis très bien. J'aime mon travail et n'ai aucune intention d'en changer. j'aime MES clients, mes habituels, ceux qui m'engueulent quand je pars en vacances.



Je suis bien loin des "Trois Fontaines", en Bretagne Sud, où la clientèle est beaucoup moins cosmopolite, plus monochrome, plus locale, plus rurale, où il y a peu de délinquance. Plus tranquille, en somme.

J'ai bien conscience que moi et mes congénères de région parisienne, on ne fait pas le même métier et on n'a pas le même niveau de vie avec le même salaire.



Je dirais qu'Annie Ernaux a le mérite de s'être intéressée à mon milieu. Bien que je ne sois en osmose totale avec son ressenti, j'ai lu son récit avec intérêt. J'ai trop perçu le clivage entre elle et le reste de ce monde là, clients et employés. ce qui lui donne un air supérieur un peu agaçant.



Le problème c'est qu'elle est resté à côté de ce monde là, alors que pour le comprendre il faut être dedans.



Commenter  J’apprécie          17253
Le jeune homme

Jusqu’à ce que « La Grande Librairie » sur France 5 lui consacre une émission entière, je n’avais encore jamais rien lu d’Annie Ernaux. Si François Busnel a l’art de savoir titiller l’envie des lecteurs, c’est cependant la petite phrase notée en exergue de son quatorzième roman qui m’aura définitivement donné envie de le lire :



« Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues »



À elle seule, cette petite phrase résume également la raison d’être de chacun de mes avis car tant que n’ai pas écrit de chronique, je ne considère pas la lecture comme terminée.



Ce court récit autobiographique d’à peine quarante pages raconte la liaison d’Annie Ernaux avec un jeune étudiant de Rouen dans les années 1994-1997. Alors âgée de cinquante-quatre ans, elle entame une relation amoureuse controversée avec un jeune homme de vingt-cinq ans, qui lui permet de « revivre » son passé. Ce jeune amant lui donne non seulement l’occasion de rejouer des scènes de sa jeunesse, mais lui ouvre également la porte vers ce milieu populaire dont elle est issue. Un retour en arrière qui ravivera également le souvenir particulièrement marquant de cet avortement clandestin qu’elle a subi en 1963. C’est d’ailleurs au moment où elle commencera l’écriture de cet événement clé de sa vie (« L’événement »), qu’elle mettra un terme à la relation avec ce jeune homme qui aurait finalement pu être son enfant…



« Il m’arrachait à ma génération mais je n’étais pas dans la sienne. »



Si ce récit d’Annie Ernaux touche à l’intime, il raconte également l’universel. En relatant sa vie, Annie Ernaux écrit également la vie. Alliant simplicité et densité, elle va à l’essentiel du vécu, tout en offrant sa vision de la société et en défendant la condition féminine. Comme quoi, il ne faut pas forcément plus de quarante pages pour parvenir à partager un histoire forte.
Lien : https://brusselsboy.wordpres..
Commenter  J’apprécie          1656
Les années

Avec Les Années, Annie Ernaux réussit le tour de force d'écrire un récit de vie qui ne soit absolument pas narcissique ni même autocentré. Cette chronique de l'après guerre évoque par petites touches l'évolution de la société française à travers les souvenirs de l'auteur et sa propre expérience. Ecrit à la troisième personne, il porte un regard presqu'extérieur sur la femme qu'elle était. Elle se souvient, de conversations de table quand elle avait 6 ans, de la télévision qu'on regardait au café du coin, de la première voiture et de ce type qui vantait Paic Citron sur Europe 1, des vacances en Espagne si bon marché, de 68 et de Sartre, de Kiri le Clown et de la petite ville normande où elle a grandi. Les couches de mémoire se sédimentent et Annie Ernaux exhume 60 ans d'impressions, de jalons qui marquent une époque, un moment du temps. On disait "encore un que les boches n'auront pas", on disait "épatant" puis "débile", on disait "mon copain", on avait un téléphone, un ordinateur, un Ipod et à chaque fois l'engin nouveau s'intégrait à la vie au point qu'on ne puisse pas imaginer la vie sans lui.

Le récit d'Annie Ernaux est très touchant. il nous renvoie à notre condition d'étoiles filantes qui accumulent expériences, sensations, souvenirs et connaissances, importantes ou dérisoires mais qui pour la plupart sont vouées à disparaître avec nous et, en même temps, il rappelle de manière saisissante ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue, ces milliers de minuscules sensations, de plaisirs plus ou moins grands, de secondes où le bonheur surgit d'un rayon de soleil ou d'une odeur retrouvée.
Commenter  J’apprécie          1650
La place

Il y a quelques jours j'ai découvert Annie Ernaux et son récit "Une femme" ; j'ai souhaité poursuivre cette prise de contact particulièrement émouvante avec "La place", oeuvre réputée indissociable de la susnommée.



Indissociables, elles le sont fondamentalement, comme le sont deux géniteurs. Dans "Une femme", l'auteur retrace l'existence de sa mère ; dans "La place", elle nous livre leurs heures écourtées de son père, parti le premier. Ce récit autobiographique a été écrit quelques années avant "Une femme" et pourtant je suis heureuse d'avoir lu les deux textes "dans le désordre". J'ai ainsi mieux visualisé la mère de l'auteur, fatalement moins mise en avant ici et pourtant essentielle à la pleine appréciation de l'éclairage donné au père. Je pense que sans cette connaissance profonde de "la femme", j'aurais moins bien compris "l'homme" et partant de là, "le couple", "la famille" et enfin, "la fille".



"La place" m'a beaucoup touchée mais moins émue qu'"Une femme". Au-delà de l'indissociation, ces deux récits sont intimement imbriqués et, telles les pièces d'un puzzle, ils se complètent avec harmonie, recelant la même trame forte, le même ton convaincant, le même style efficace, la même pudeur délectable et le même reflet réaliste. Si j'ai été moins émue, je ne peux incriminer ni le fond ni la forme du récit mais mon rapport personnel à mon propre père et à ma propre mère. Car, en effet, la puissance d'évocation d'Annie Ernaux crée réellement ce prodige : chaque lecteur peut être confronté à sa propre histoire, éparpillée parmi ses mots. Selon son passif et ses affinités avec ses parents, il y trouvera l'émotion là où il l'attend ou, au contraire, là où il ne l'attend pas.
Commenter  J’apprécie          1383
Regarde les lumières, mon amour

En direct des "3 Fontaines"

Ecrire sur la grande distribution est un exercice rare, comme oublié. de son expérience de cliente dans un hypermarché Auchan, Annie Ernaux nous présente, d'une écriture subtile, le journal de ses émotions et des scènes littéraires qu'elle a pu observer. Une analyse fine de la société. D'une intelligence rare !



Lu en 2014, relu en mai 2018.



Mon nouvel article sur Fnac.com/Le conseil des libraires :
Lien : https://www.fnac.com/Annie-E..
Commenter  J’apprécie          12110
La place

« La place », où Annie Ernaux se fait la biographe de son père. Quel bel hommage, et quelle belle illustration du défunt ascenseur social !

Annie Ernaux, biographe de son père, et partiellement d'elle-même par la même occasion.



« La place » est un petit ouvrage (à peine plus de cent pages) qu'on peut qualifier de minimaliste : c'est parfois froid, sans vraiment de pathos… et pourtant Dieu sait si le sujet s'y prête, au pathos. S'il s'agit là d'un exercice de style, c'est parfaitement réussi ; et même si, habituellement, j'ai toujours du mal avec ce genre de prose, je dois avouer que là, elle m'a emmené…

Grace à ce style épuré, je suppose ; car autrement, comment emmener le lecteur au terme d'une histoire comme il y en a tant : le père qui s'extrait de sa condition ouvrière pour tenir un café-épicerie, et la fille qui bénéficie de « l'ascenseur social de la République » ; brillantes études, enseignement, agrégation… Et au fur et à mesure que les échelons sont franchis, un écart qui se creuse avec son milieu social d'origine, inexorablement.



Et puis… d'origine normande, comme l'auteur, j'ai connu dans mon enfance ce genre de café-épicerie, il y en avait deux près de chez moi ; c'était avant le Super-égé et la Coop, bien sûr. Rien que d'en parler ici, leur odeur particulière, un mélange de fumée de tabac, de produits d'entretien et de cidre « dur », servi « à la tireuse » me monte aux narines…et le souvenir de ma mère me disant : « va me chercher un paquet de chicorée chez P. ». Chez P. … C'était plus loin que chez H., mais c'était moins cher…



Bref, un petit ouvrage au style particulier, mais qui m'a ouvert la porte des souvenirs d'enfance…avec parfois des expressions locales en usage chez mes grands parents comme « quart moins d'onze heures » pour onze heures moins le quart, probablement héritées de l'anglais.

Commenter  J’apprécie          1210
Le jeune homme

Le reflet du temps qui passe.



30 ans de moins et sans argent, l'homme qui consume de passion la narratrice se fait révélateur de son propre désir et de ses manières bourgeoises. Devant l'inconvenance sociale de cette union, elle redevient la fille scandaleuse fière de son genre et de sa classe. Une ode à la puissance de la conscience sociale. 



40 pages à peine, avec une police d'écriture large, mais non moins essentiel. Ce n'est pas la longueur d'un texte qui importe selon moi, mais ce qu'il peut dire ou fait surgir à sa lecture. Un texte court qui parle de sujets que de nombreux longs romans n'abordent jamais : la conscience de classe et la

condition d'être une transfuge qui refuse d'oublier ses origines sociales ; le scandale encore et toujours d'être une femme libre aux yeux de certains hommes et d'autres femmes.



Dans ses yeux se reflète sa jeunesse qui n'est plus, physiquement bien sûr, aussi socialement. Il est

étudiant quand elle est devenue professeure et écrivaine reconnue. Avec lui, elle est de nouveau cette jeune femme que d'aucuns trouvaient effrontée portant des robes courtes sur les plages normandes, mais elle n'a plus honte désormais d'être libre en tenant la main d'un garçon de trente ans de moins qu'elle.



Encore une fois, avec le Jeune homme, Annie Ernaux parle d'elle pour mieux parler de nous tous. Un texte bref et irradiant comme peut l'être une passion, celle d'être une femme ou un homme tout simplement.
Commenter  J’apprécie          1195
La femme gelée

Annie Ernaux est une militante, si elle raconte son enfance, son adolescence et ses premières années de mariage ce n'est pas pour le plaisir de se remémorer des moments agréables ou pas, mais pour montrer pourquoi elle se bat pour l'égalité des hommes et des femmes.



Sa mère et son père sont les chevilles ouvrières de la femme libre qu'elle est devenue. Sa mère d'abord, qui travaille dans l'épicerie familiale et inculque à sa fille que sa place n'est pas à la maison et qu'elle doit faire des études pour être libre. Son père, ensuite, qui ne lui donne pas l'image d'un homme macho et tout puissant en s'attelant aux tâches ménagères.



Mais avant de comprendre la portée du message parental, Annie a dû faire son expérience de la domination masculine. Après une adolescence où le puissant désir de plaire aux garçons n'a pas empêché des études brillantes, elle s'est mariée, mais a réalisé rapidement qu'elle s'était piégée elle-même, - et éloignée de son idéal de liberté et d'égalité homme femme - qu'elle était devenue une femme gelée.



Avec un style direct et imagé, Annie Ernaux met en garde les filles contre les embûches d'une société patriarcale. Mariage, bébé, ménage, sans contrepartie, n'ont jamais rendu une femme libre, qu'on se le dise !

Commenter  J’apprécie          1072
La bataille du rail : Cheminots en grève, écriv..

36 auteurs pour autant de nouvelles, illustrés par les dessins de Mako.

36 auteurs engagés, car cet ouvrage polyphonique n'a qu'une seule ligne éditoriale : celle de défendre les services publics, un certain « idéal de solidarité »

concrétisé ici par le train dans la tourmente de cette nouvelle « bataille du rail ».



36 pierres apportées à l'édifice d'une lutte, puisque les droits d'auteurs sont entièrement reversées aux caisses des grévistes contre cette réforme ferroviaire 2018.

À chacun d'en juger la nécessité bien sûr, mais il fallait le préciser, car il ne s'agit pas ici d'un don seulement caritatif, mais profondément politique.



Bien sûr, ces nouvelles sont très différentes, et parfois inégales, mais toutes réussissent la gageure de parler à nous tous, qui avons en commun cet « imaginaire du rail».

Comme Didier Daenincks dont « le sang noir du monde ferroviaire coule dans [s]es veines. »



Lu en juillet 2018.
Commenter  J’apprécie          10611
Le jeune homme

Un si petit livre signé Annie Ernaux, ça ne se refuse pas !

Après avoir lu Les armoires vides, La place, La honte, L’événement, Les années, Le vrai lieu et Écrire la vie qui reprenait une grande partie de l’œuvre de notre Prix Nobel de Littérature 2022, me voici avec Le jeune homme, ouvrage qui permet de comprendre un peu mieux son autrice.

Alors, je me suis plongé dans la lecture : Le jeune homme et ses 37 pages dans lesquelles Annie Ernaux, avec sa franchise habituelle et son écriture épurée, se confie.

Ce jeune homme, étudiant, a trente ans de moins qu’elle et c’est lui qui est demandeur. Alors, pourquoi pas ?

C’est à Rouen où Annie Ernaux a fait ses études supérieures, qu’ils font l’amour et se découvrent. Surtout, elle ne voit pas pourquoi elle se refuserait ce que certains hommes vivent sans vergogne.

Pour elle, c’est un vrai bain de jouvence. Elle a 54 ans, est ménopausée et il lui témoigne une grande ferveur, se montre d’une jalousie extrême. Elle s’amuse des regards au restaurant, ceux des autres hommes mais surtout des femmes de son âge et se voit même draguée par d’autres jeunes hommes.

J’ai souri en lisant cette expérience initiatique et apprécié la formule comparant le présent à un passé dupliqué. J’ai été un peu sceptique quand elle parle de pauvreté du jeune homme puis raconte leurs voyages à Venise, Madrid, Capri et même Fécamp ! Annie Ernaux assure !

Moins drôle mais tout aussi évocateur de l’œuvre de l’écrivaine, l’évocation de son avortement clandestin relie Le jeune homme à ses livres précédents et permet de mieux les comprendre.


Lien : https://notre-jardin-des-liv..
Commenter  J’apprécie          1050
Une Femme

J'achève à l'instant ma lecture et je suis encore très émue.



Ce bref récit - qui m'a donné l'opportunité de découvrir son auteur - est un concentré de réalisme et d'émotion. Pourtant, il traite d'un sujet commun : la disparition de la mère. Comme nous sommes tous nés d'une mère (enfin, avant qu'on légalise le clonage mais patience, c'est pour bientôt, on est bien partis pour... no more comment), nous sommes tous condamnés à la perdre un jour et ce, selon toute logique et en l'absence d'impondérables, avant qu'elle nous perde elle-même.



De ce récit simple, hautement personnel et traité non comme une longue confidence dégoulinante de pathos mais comme une chronique factuelle, surgit le sentiment irréversible de notre impuissance devant la fatalité, de notre embarras devant la vieillesse, de notre désarmement devant le déclin et de notre totale inaptitude à anticiper ce qui est pourtant inévitable.



Ce paradoxe entre la maîtrise de nos existences et notre fragilité émotionnelle devant la mort est ici parfaitement mis en lumière par ce témoignage poignant d'une fille ni excessivement aimante ni excessivement indifférente, une fille comme... moi, et peut-être comme vous, qui sait ? Toutefois, peut-on réellement se dire "ni excessivement aimante ni excessivement indifférente" ? Cette situation unique dans notre existence de perdre celle qui nous a donné la vie, qui a normalement veillé à notre éducation et à notre évolution dans la société ne se représentera pas une seconde fois. Dans cette situation, disais-je, nous sont révélés des mécanismes émotionnels inconnus de nous-mêmes. Pendant qu'autour de nous la vie continue - ce monsieur-ci continue de marcher dans la rue, cette dame-là rit à une plaisanterie - c'est comme un gouffre qui s'ouvre devant nous et nous fait redevenir aussi nul et inefficace qu'un nourrisson. On aime quand on croyait ne plus aimer, on regrette quand on croyait assumer, on voudrait quand on ne peut plus vouloir...



L'auteur a voulu faire partager au lecteur cette dimension et je trouve qu'elle y parvient à la perfection. Nonobstant un style sur lequel j'ai ponctuellement dérapé - simple question de tournures de phrases - ce fut une belle lecture, une narration rythmée à travers laquelle, à maintes reprises et jusqu'à l'égarement, je me suis retrouvée et j'ai aussi retrouvé ma propre maman. J'ai beau ne pas me sentir proche d'elle, quand elle me quittera, je serai désemparée.



Annie Ernaux le dit elle-même à la fin de l'oeuvre, il lui aura fallu dix mois pour décrire une existence qui tient en cent pages, c'est vous dire l'intensité de chaque mot.





Challenge ABC 2014 - 2015
Commenter  J’apprécie          1059
La femme gelée

Trois sentiments.



La tristesse, d'abord. Tristesse de se rendre compte que, malgré une éducation ouverte, malgré un modèle parental à contre-courant, malgré un parcours scolaire abouti, on sait, on sent que la fatalité finira par rattraper l'héroïne. La fatalité, en l'espèce, ce sont les conséquences du simple fait d'être née femme, et d'être par là condamnée à jouer le rôle que nous assignons aux femmes.



Vient un autre sentiment : la honte. Honte, en tant qu'homme, d'être complice quotidiennement de l'exploitation des femmes, et de profiter matériellement et symboliquement de tous les avantages qui en découlent.



Et puis la colère. Colère qu'en quarante ans depuis la parution du roman, rien n'ait changé. Ou si peu. Il suffit par exemple de regarder les données sur la répartition du travail domestique dans les couples hétérosexuels pour en convenir.



Cet ouvrage aurait dû me déplaire : auto-fiction auto-centrée, monologue écrit dans un style soi-disant plat... Prétextes évidents afin de repousser la confrontation.



Car le style est moins plat que neutre, le texte faisant oeuvre aussi bien de roman que de monographie sociale, dans laquelle se dévoile la condition d'une femme tout au long de son parcours de transfuge de classe.



Annie Ernaux parle d'elle et de toutes les femmes. Son écriture est à la fois méthodique et incarnée, pleine de vie et de souffle malgré la soumission à la force des stéréotypes et des rôles sociaux de genre. Une excellente lecture.
Commenter  J’apprécie          1043
La Honte

Honte : « Sentiment pénible excité dans l’âme par la conscience d’une faute commise et la confusion, le trouble qu’on en ressent ».



Premier livre d’Annie Ernaux que je lis et mes impressions sont mitigées, à l’image de cette confusion entre ce que je m’attendais à lire et ce que j’ai lu. L’auteure se souvient d’une drame survenu dans sa maison familiale en juin 1952, j’aurai imaginé que la suite allait tourner dans la honte de cette image mais l’auteure part dans les souvenirs des années cinquante. Elle pointe du doigt les us et coutumes de cette époque sans lien apparent avec le 15 juin 1952. Quelque chose m’échappe et me dérange dans ce récit. Où est la honte d’avoir habité une époque et de la voir évoluer, grandir avec son temps. Il n’y a pas vraiment de jugement, juste une suite de moralité, de bonne conduite, de schéma propre à ces années. Chaque temps a ses avantages et inconvénients. Le tout est d’avoir le recul nécessaire pour vivre en accord avec soi-même.



En conclusion, je n’ai pas compris où voulait en venir Annie Ernaux, honte à moi! Quant à la plume, elle m’a plutôt laissée de marbre, je n’ai pu m’attacher au récit ni aux images, une espèce de litanie en arrière sans réel rapport avec la honte telle que je la définis moi personnellement.
Commenter  J’apprécie          10328
Les années

Le premier livre que j'ai lu d'Annie Ernaux est "La Place".

Cette lecture m'avait bouleversée, sans doute par quelque effet de miroir que les livres de cette auteur ne manquent jamais de nous tendre.

Pourtant, elle ne cherche pas à émouvoir son lecteur, au contraire, son travail se caractérise par une sorte de mise à plat des faits et des situations hors contexte affectif.

Écrivain, elle met l'émotion à distance, elle la bride, elle la tient tellement en respect qu'elle l'efface. Elle se force à dire la vie sans émois...

Et elle y va de sa magistrale "écriture blanche", "plate", "au couteau", et elle me bouleverse... et elle m'impressionne...

Parce que c'est sans concessions, sans faux fuyant, sans mensonges.

C'est un travail de forçat et d'ascète. Une ligne et une méthode tenue jusqu'au bout sans défaillir.

Dans ce premier livre lu d'elle (et c'est un hasard bienvenu) cette forme de travail était déjà en marche pour aboutir semble-t-il à l'œuvre d'une vie qui s'appelle "Les Années".

Annie Ernaux est la reine du paradoxe et si elle était une figure de style, elle serait un Oxymoron.

Ce livre qui ne parle que d'elle est un miroir sans tain dans lequel elle s'efface comme pour mieux nous révéler à nous mêmes.

C'est une autobiographie impersonnelle, une forme donnée à une prochaine absence/disparition, un abîme mis à plat.

Il tente d'approcher la profondeur du temps dans la linéarité chronologique.

C'est un récit de vie sans "vécu" et qui fait abstraction de l'affect, ne se concentrant que sur la description des choses, du monde comme il va.

Ce texte a l'ambition de rendre palpable l'histoire sociale d'une époque en la passant au tamis d'un "je" omniprésent et qui semble pourtant constamment nié.

C'est une histoire individuelle écrite à la troisième personne du singulier et la première personne du pluriel.

Elle et nous sont Annie Ernaux.

Elle ,c'est celle qui est sur les douze photos décrites et soigneusement choisies pour nous faire passer de décennie en décennie.

Ce n'est déjà plus Annie Ernaux et ce ne le sera jamais plus.

C'est à partir d'objets qui produisent du paradoxe que ce texte est construit : des photographies du sujet qui est en train de s'écrire et qui d’un même mouvement en posent l’absence et la présence passée...

Rajoutons à cela que ces images ne nous sont pas montrées, mais dévoilées par le texte.

Consciencieusement et courageusement l'auteur les décrit en y cherchant sans relâche le "punctum "que Barthes explique dans "La chambre claire".

Elle traque la “blessure”, la “piqûre”, “la marque faite par un instrument pointu”. “Le punctum d’une photo c’est ce hasard en elle qui me point (mais aussi me meurtrit, me poigne)”.

Par ce travail remarquable que j'imagine douloureux, s'ouvre la mémoire, les réminiscences, les images et les sons d'une époque et petit à petit, par le jeu de la lecture et de nos propres souvenirs, le ELLE se transforme en NOUS... C'est presque magique, toujours extrêmement troublant !

Chacune de ces photos sont comme des portes pour la mémoire individuelle de l'auteur qui trace le chemin. Ce passé singulier devient collectif à la lecture, parce c'est un fait, nous nous reconnaissons tous en passant par ces portes.

Suivant celle que nous prenons, en fonction de notre génération, nous plongeons dans des souvenirs virevoltants, et toutes les autres font échos à un passé proche ou lointain de gens connus, parents, grands parents ou autres, qui nous a été plus ou moins transmis...

L'image qui symbolise la quête d'une forme pour son travail, Annie Ernaux nous la propose, et voici ce qu'elle en dit :

"...le tableau de Dorothea Tanning, Anniversaire, qu'elle peignit juste après sa rencontre avec Max Ernst. Il est également en creux dans mon livre. Ce tableau représente une femme presque nue et, derrière elle, des portes à l'infini. Cette œuvre m'accompagne depuis que je l'ai vue lorsque je préparais mon diplôme sur «La femme et l'amour dans le surréalisme».

J'ai été prise dans les filets de ce récit époustouflant, qui en quelques 241 pages nous fait vivre par le menu soixante années en réussissant l'exploit de faire resurgir en nous des images qui sont les nôtres.

Assez brutalement, elle nous fait toucher du doigt notre grégarité et notre contingence.

Ce travail exceptionnel dans sa forme et courageux dans son engagement force l'admiration.

J'avais fini "La Place" la gorge nouée et les larmes aux yeux, j'ai terminé les "Années", admirative et envahie d'une grande tristesse.

Ce texte est nimbé d'une grande douleur qui ne se dit pas, les larmes sont ravalées, les rêves n'affleurent pas, l'amour ne s'y raconte pas, et du coup, la pilule est bien amère.

Annie Ernaux a l'art de toucher là où ça fait mal, et on ne lui en veut pas.

On a même envie de lui dire merci !

des liens et des images sur le blog
Lien : http://sylvie-lectures.blogs..
Commenter  J’apprécie          1014
Mémoire de fille

Ce n’est pas la première fois qu’Annie Ernaux revient sur un épisode de son passé, c’est même le leitmotiv de ce que l’on peut appeler son oeuvre, depuis La place, en passant par les Armoires vides, elle nous a habitués à ce discours au microscope, qui met en lumière la difficulté de s’intégrer à une nouvelle niche sociale sans renoncer à ses origines. Et pourtant, cette fois un pas a été franchi, un pas qui permet de comprendre tout le reste : des critiques ont parlé de chainon manquant, et l’auteur le confirme :



« Depuis vingt ans, je note « 58 » dans mes projets de livre. C’est le texte manquant, Toujours remis. Le trou inqualifiable. »



La difficulté de l’entreprise reste palpable, et est confiée au lecteur, à travers cette justification de l’utilisation alterne du « je » et du « elle ». Et c’est fondamental, car le récit se construit à l’aide des souvenirs de l’épisode estival traumatisant, mais aussi de l’analyse que l’écrivain en fait après ces décennies, des conséquences immédiates mais aussi du rôle fondateur des traces profondes de l’événement

La tâche est rude,



« pour faire ressentir la durée immense d’un été de jeunesse dans les deux heures de lecture d’une centaine de pages »



quelques semaines suivies de quarante ans de présence clandestine en filigrane, quarante années de non-dit, mais de ressenti et qui élucident cette sensation de mal-être qui m’a toujours interpelée dans les récits de l’auteur.

Et cette fois tout est là, justifiant le reste,



« à quoi bon écrire si ce n’est pour désenfouir des choses, même une seule, irréductibles à des explications de toutes sortes, psychologiques, sociologiques, une chose qui ne soit pas le résultat d’une idée préconçue ni d’une démonstration, mais du récit, une chose sortant des replis étales du récit et qui puisse aider à comprendre - à supporter - ce qui arrive et ce qu’on fait ».



Et comme toujours, au delà de l’intime, le récit lève le voile sur les us et coutumes d’une époque, la jeunesse des années soixante. Est-elle différente? Désir de se fondre dans le groupe, au risque d’un rejet, (pas besoin de Facebook pour être mis à l’écart), vertige d’une soudaine liberté qui avec le sentiment d’immortalité induit la prise de risque, la différence est ténue, le SIDA et la technologie de communication ont juste modifié les outils.



Enfin, ce qui apparaît, c’est que cet épisode douloureux, et la période qui l’a suivi, a sans nul doute une implication majeure sur l’avenir de la toute jeune fille de 58 : serait-elle devenue cet écrivain talentueux que l’on suit avec plaisir depuis tant d’années? Aurait-elle pu accéder à cette destinée qui fait d’elle « un être littéraire, quelqu’un qui vit les choses comme si elles devaient être écrites un jour »?


Lien : http://kittylamouette.blogsp..
Commenter  J’apprécie          987




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Annie Ernaux Voir plus

Quiz Voir plus

Connaissez-vous vraiment Annie Ernaux ?

Où Annie Ernaux passe-t-elle son enfance ?

Lillebonne
Yvetot
Bolbec
Fécamp

10 questions
292 lecteurs ont répondu
Thème : Annie ErnauxCréer un quiz sur cet auteur

{* *}