Voilà un roman que j'ai mis du temps à lire - plutôt, à me décider de lire. Je redoutais son aspect cryptique, de n'y rien comprendre et de passer à côté de ce chef d'œuvre annoncé partout. Et finalement, quand je m'y suis plongée, je me suis rendu compte que mon a priori était complètement bidon. Ce roman se lit tout seul.
D’emblée, l’auteur nous place, avec La cité des nuages et des oiseaux, dans la tradition des épopées antiques. D’ailleurs, il s’est inspiré d’un texte de Diogène dont il ne reste plus aujourd’hui que quelques fragments, Les merveilles d’au-delà de Thulé. On entend aussi des échos à d’autres textes antiques, notamment à L’âne d’or ou les métamorphoses d’Apulée.
La cité des nuages et des oiseaux pourrait alors se lire comme la version contemporaine de ces Merveilles. En effet, le roman propose une structure assez complexe et similaire. Il se base sur un texte fictif mais semblable à celui de Diogène, qui s’intitule La cité des nuages et des oiseaux. D’ailleurs, ce texte fictif et fragmentaire est attribué, dans le roman, à Diogène.
Dans sa structure, La cité des nuages et des oiseaux renoue avec la tradition de l'épopée, dont il reprend les codes. Le roman mêle les 24 folios de ce texte avec plusieurs récits parallèles, qui suivent plusieurs personnages, entre la Constantinople du XVè siècle et un vaisseau du XXIIè siècle en partance vers un Ailleurs habitable.
Chaque histoire parallèle a un lien avec ce manuscrit antique. On en retrouve des feuillets ici, sauvés de la destruction; puis il est mis en scène là. Enfin, l’histoire qu’il raconte est répétée de parents à enfants, perdurant à travers les siècles et les époques. « Le principal, ce n’est pas le contenu du chant, mais le fait que le chant ait perduré ».
On a donc un récit choral, avec des récits enchâssés qui se répondent. Tout ceci est un gigantesque puzzle dont chaque trame est une pièce qui s’assemble avec les autres. Cela peut paraître compliqué de prime abord, mais s’y retrouver est assez aisé. Car grosso modo, chaque fil est raconté de manière grosso modo chronologique. Cela rend le suivi assez simple d'autant plus qu'Anthony Doerr est un sacré conteur. La prose est fluide, captivante, et ne présente aucune difficulté. Tout un art.
Ce roman possède un sacré souffle, qui nous attrape dès le début pour ne plus nous lâcher jusqu’au bout. On traverse les époques, les lieux, et même l’espace sans jamais perdre de vue ce manuscrit qui rythme les différentes trames narratives, et fait battre le cœur des personnages.
Ce faisant, le roman renoue avec le but de l’épopée en rappelant sa dimension fondatrice, presque mythique.
Au-delà du récit, La cité des nuages et des oiseaux est une ode à la littérature, au pouvoir de l’imagination et de l’imaginaire, et enfin au livre. Il offre ainsi une mise en abyme permettant l'élaboration d'un discours métalittéraire.
Le soi-disant manuscrit traverse tant bien que mal à travers les siècles, et parvient, à l’état fragmentaire et dans différentes versions, aux Hommes de notre monde contemporain et du futur. Ce qu’il reste du texte originel c’est sa substantifique moëlle : sa vibrance, son immortalité et son universalité.
La cité des nuages et des oiseaux peut alors se lire comme un métatexte qui rappelle le pouvoir des mots et de l’imagination, qui éloignent la mort et fascinent par leur pouvoir magique. J’ai adoré la célébration de tous les acteurs du livre : le poète, le copiste, le traducteur, le bibliothécaire (en dédicace du roman, d’ailleurs) et tous les amoureux des livres qui, tour à tour dans le roman, se battent pour la survie de ces feuillets…
En bref, à la fin de ce roman passionnant et captivant, on se rend compte que ce qui importe, finalement, n’est pas tant la fin de l’histoire des feuillets de Diogène ou de chaque trame narrative qui en est liée. Mais bien la manière dont les personnages font vivre un texte à travers le temps et les galaxies. Formidable mise en abyme qui apporte une réflexion sur le livre et la littérature.
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