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Citations de Antoine Volodine (313)


Le temps s'était réchauffé, pourtant les vieillardes restaient emmitouflées dans leurs peaux de mouton. Elles étaient assises en tailleur, la carabine posée sur les genoux, et elles fumaient, muettes, comme exclusivement occupées à savourer le parfum des herbes et des champignons dont elles avaient bourré leurs pipes. Les pans crasseux de leurs manteaux exhibaient des broderies baroques, et pareillement le cuir de leurs mains et même celui de leurs joues, car elles n'avaient pas perdu encore toute notion de coquetterie, et certaines ici ou là étaient maquillées au point de chaînette.
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«  L’étrange est la forme que prend le beau quand le beau est sans espérance » …
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[Un père abusif]
- Tout à l'heure tu m'as dit que Samiya Schmidt lui avait percé l'oeil et l'oreille avec un tuyau. Quand on a la cervelle traversée par un bout de fer, en général, on s'occupe pas d'espionner les conversations des autres. Si ça se trouve, il est déjà mort.
- Parle pas si fort, supplia Myriam Oumarik.
Elle avant vraiment l'air d'avoir peur. Il se rapprocha d'elle et baissa le ton.
- Il a eu le cerveau bousillé, dit-il. Il pourra pas s'en sortir.
Maintenant ils étaient assis sur le bord du lit, côte à côte. (...)
- Il s'en sortira très bien, murmura-t-elle. C'est pas la première fois que quelque chose de pareil lui arrive. Il s'en sort toujours. Il n'est ni mort ni vivant depuis sa naissance. Les radiations lui font rien. Les bouts de fer dans le crâne non plus lui font rien.
- Tout de même, la tête transpercée par un tuyau, objecta Kronauer à voix basse.
- C'est que du théâtre, dit Myriam Oumarik. C'est que du rêve. Sa tête transpercée ou pas peu importe. On est tous ni morts ni vivants à "Terminus Radieux". On est tous des morceaux de rêves de Solovieï. On est tous des espèces de bouts de rêves ou de poèmes dans son crâne. Ce qu'on lui fait, ça compte pas pour lui. Ce que lui a fait Samiya Schmidt cette nuit, c'est comme un épisode dans un livre, ça compte pour du beurre.

p. 369-370
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(Mémé Oudgoul).
Son organisme avait réagi de façon positive à l'exposition répétée aux matières fissiles. Les rayonnements ionisants avaient détruit toutes les cellules malades ou potentiellement cancéreuses que sa chair pouvait héberger. Certes, la radioactivité l'a avait rendue légèrement iridescente dans l'obscurité, mais surtout elle avait stoppé dans ses chairs le processus du vieillissement, et, d'après ce que la Mémé Oudgoul sentait intimement, elle les avait stoppées pour toujours. Ces phénomènes ne présentaient pas que des avantages, et, en particulier, ils l'avaient signalée à l'attention des autorités qui lui avaient demandé non sans dépit, à plusieurs reprises, pour quelle raison elle ne mourait pas. Le Parti avait du mal à accepter qu'elle se refusât à rejoindre dans la tombe ses camarades de liquidation. Une proposition de blâme avait été discutée (...) son immortalité était, sciemment ou non, une insulte aux masses laborieuses. On avait à l'oeil son déviationnisme organique.

pp. 44-46
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On avait dépassé minuit. Il faisait très chaud. Comme toutes les nuits en été depuis une quinzaine de décennies, l’impression d’étouffement ne s’était pas atténuée avec le soir. Il allait falloir patienter jusqu’à l’aube pour retrouver de quoi respirer, un peu d’éphémère fraîcheur.
Dans le tramway, les passagers avaient fermé les yeux et ils ballottaient sur leurs sièges. Outre le conducteur et Mevlido, ils étaient six, tous des hommes ou, du moins, des individus mâles ou principalement non femelles. Sous l’influence des miasmes qui soufflaient depuis les maisons insalubres, chacun somnolait ou agonisait le plus loin possible de ses voisins. Je me rappelle très bien la scène : je faisais partie de ce groupe et, tout en appliquant moi aussi la procédure recommandée pour vivre ou pour dormir, j’observais les choses entre mes cils. Nous étions tous habillés dans le même style, chemisette blanche au col graisseux ou T-shirt maculé de cambouis, pantalon de toile militaire, tongs ou vieilles chaussures fatiguées. On ne peut rien espérer d’autre, à cette heure, de ceux qui empruntent la ligne circulaire et rentrent chez eux, dans les mondes de second ordre, les havres pour réfugiés et les ghettos.
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Peut-être qu’on est déjà mort, tous les trois, et que ce qu’on voit, c’est leur rêve.
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Les pièces qui furent montées ces jours-là, en présence de coléoptères obscurs et d'arbres mouillés, appartiennent à l'ensemble des "Sept Piécettes bardiques", que Bogdan Schlumm intitule également "Le Bardo de la méduse", pour insister sur le caractère gélatineux des voix et des personnages qui s'y établissent. Ce sont des piécettes dont Bogdan Schlumm a toujours prétendu qu'elles devaient être interprétées simultanément, sur une scène susceptible d'accueillir à la fois les sept décors et les sept groupes d'acteurs. A ma connaissance, aucune compagnie théâtrale n'a joué "Le Bardo de la méduse" en respectant ces instructions extrémistes de l'auteur. De nombreuses aberrations ont été mises en scène dans le cadre du théâtre expérimental, certaines restituant avec un minimalisme nauséeux la réalité carcérale, certaines dangereuses pour les comédiens et le public, d'autres ignobles, d'autres enfin tout simplement ridicules, mais celle-là, cette aberration-là, non. Nulle part dans le camp ou dans le monde n'ont été représentées intégralement et simultanément les sept saynètes de Bogdan Schlumm. Celui-ci, pendant une période de son séjour au pavillon Zenfl, s'est ingénié à nous faire croire qu'une troupe d'amateurs de Singapour, le "Baba and Nyonya Theater", jouait régulièrement, le deuxième dimanche de chaque mois de novembre, les "Sept Piécettes bardiques" dans leur forme polyphonique la plus radicale. Selon les dires de Bogdan Schlumm, le public asiatique venait assister à ces représentations depuis Sydney, Hong Kong ou Nagasaki, avec ce même enthousiasme qui pousse les fanatiques d'opéra chinois à traverser le globe pour aller écouter l'intégrale en cinquante-cinq actes du "Pavillon aux pivoines". Renseignement pris, cette histoire de Singapour reflète surtout les désirs refoulés de Bogdan Schlumm, ses risibles songeries de gloire à grande échelle, en pleine contradiction avec ses discours hostiles au star system. En réalité, Schlumm exagérait les faits d'une manière éhontée. Le "Baba and Nyonya Theater" a donné UNE fois UNE piécette bardique, "Baroud d'honneur avant le Bardo". La salle étant restée vide jusqu'à la fin, les comédiens ont décidé d'annuler la deuxième séance, qui était programmée pour le lendemain.
p. 111
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L’espace n’est construit ni d’éther ni de vide, mais de souffrance abjecte et de désespoir .

p132 (repris aussi sur la quatrième de couverture)
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Sa vision du monde était illuminée par la morale prolétarienne : abnégation, altruisme et combat. Et comme nous tous, bien sûr, il avait souffert des reculs et des effondrements de la révolution mondiale. Nous n'arrivions pas à comprendre comment les riches et leurs mafias réussissaient à gagner la confiance des populations laborieuses. Et avant la rage c'est d'abord I'ahurissement qui nous saisissait lorsque nous constations que Ies maîtres du malheur triomphaient partout sur le globe et étaient sur le point de liquider les derniers d'entre nous. Nous n'avions aucune explication quand nous nous interrogions sur les mauvais choix de I'humanité. L'optimisme marxiste nous interdisait d'y voir les preuves de graves défauts dans le patrimoine génétique de notre espèce. Une attirance imbécile pour I'autodestruction, une passivité masochiste devant les prédateurs, et peut-être aussi et surtout une inaptitude fondamentale au collectivisme. Nous pensions cela au fond de nous, mais, comme la théorie officielle balayait ces hypothèses d'un haussement d'épaules, nous n'abordions pas le sujet, même entre camarades. Même dans les plaisanteries entre camarades.
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Le vent de nouveau s’approcha des herbes et il les caressa avec une puissance nonchalante, il les courba harmonieusement et il se coucha sur elles en ronflant, puis il les parcourut plusieurs fois, et, quand il en eut terminé avec elles, leurs odeurs se ravivèrent, d’armoises-savoureuses, d’armoises-blanches, d’absinthes.
Le ciel était couvert d’une mince laque de nuages. Juste derrière, le soleil invisible brillait. On ne pouvait lever les yeux sans être ébloui.
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"Certains spectacles m'affligent encore. D'autres, non. Certaines morts. D'autres, non. J'ai l'air d'être au bord du sanglot, mais rien ne vient.
Il faut que j'aille chez le régleur de larmes."
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On ne sait jamais, ce salaud, à quelle race il appartient. Plutôt il a vogué de race en race comme une goule, et ensuite il s'est fixé, il s'est trop bien fixé à la race des saloperies ambulantes. Pourquoi il a été choisi pour l'expédition, va savoir. Le charognard traître par excellence. Un vrai Wolguelam pure souche c'est tout dire. On lui demandait pas de venir, surtout si c'était pour son propre compte. Du côté des steppes jaunes il était né, à courir en sale solitaire. Ca lui a donné les idées et la pratique, tout ce qui est interdit en magie et la haine de la famille qui était aussi un autre tabou. Une haleine wolguelam sous une apparence feuhl. Ca vous refuse de paraître aux festins tribaux, monsieur enverra son sang par porteur spécial. Une grande giclée de sang, va savoir s'il en a mâché ne serait-ce qu'une goutte. Une pinte de sang facile à obtenir, à condition d'avoir eu des clients dans la semaine. Avec ses frères tout pareil, pas un scrupule. Tous ceux qui le gênaient, toux ceux qui voulaient le remettre sur le droit chemin, il les laissait derrière lui en cadavres. Soit parce qu'ils avaient été trop insistants avec lui, soit parce qu'il les avait entortillés au creux de ses sortilèges sur la vieillesse et le temps qui coule. D'un seul coup il les jetait dans ses miroirs et son goudron. pas beaucoup savaient en ressortir. Comme ça il a eu Golpiez. Les faibles d'abord. Il a eu Golpiez, il aura tous ceux qui comme lui réfléchissent trop au temps qui coule. Et lui, le genre à mâchouiller du tang-tang pour bien se différencier du reste du clan. A quoi on a pensé en l'emmenant sur Terre !
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Le bruit de cette avancée. Sa violence crissante. Un homme avance à allure forcée au milieu d'une végétation qui ne lui témoigne aucune bienveillance. Un homme traverse la steppe au lieu de dormir à jamais sur la terre. Un homme casse le silence des herbes.

p.27
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Eloge des camps par le détenu Matthias Boyol, mélopée tragi-comique au coin du feu; p. 236.
Rien n'est plus souhaitable, surtout pour quelqu'un né dans le camp, que la vie dans le camp. Ce n'est pas une question de décor, ni de qualité de l'air, ni même de qualité des aventures qu'on risque d'y connaître avant la mort. C'est surtout une question de contrat respecté entre le destin et soi. Il y a là un avantage supérieur qu'aucune des précédentes tentatives de société idéale n'avait réussi à mettre au point. A partir du moment où tous peuvent prétendre à entrer dans le camp et où jamais nul n'y est refusé ou n'en ressort, le camp devient l'unique endroit du monde où le destin ne déçoit personne, tant il est concrètement conforme à ce qu'on est en droit d'attendre de lui.
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L'étrange est la forme que prend le beau quand le beau est sans espérance.
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.. puis la lune vint. J'aurais aimé parler à quelqu'un. J'aurais aimé que quelqu'un me parle des hommes et des femmes que j'avais peints, m'en parle avec amour, avec fraternité et compassion, me dise : J'ai bien connu Lydia Mavrani, raconte-moi encore comment elle était après avoir survécu, ou : Donne-moi des nouvelles de Bella Mardieossian... ou encore : Nous aussi nous appartenons à cette humanité mourante que tu décris.
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Au bout d'un moment, nous franchîmes une cour borgne, un dernier couloir de terre, et, comme le chemin s'arrêtait là, la bonne humeur nous quitta. Des résidus de soleil couchant pigmentaient en violet l'endroit où nous avions débouché. Derrière nous pointaient les chicots d'entrepôts effondrés. Nous zigzaguâmes entre les gravats et, parvenus en bordure de bassins, nous considérâmes sans rien dire les barques démolies, couchées pour toujours dans la vase. Le décor avait des couleurs épouvantables. L'estuaire n'était plus qu'une navrante étendue de boue et, au loin, à plus d'un kilomètre, la dentelle des premières vagues évoquait une vomissure.

p.130
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Seules des femmes prenaient la parole dans la pièce. Des démentes, des prostituées, des mortes. Et elles s'exprimaient uniquement au moyen de phrases terriblement brutales et concises, qui sonnaient comme des avertissements, des conseils incompréhensibles et des slogans. Ma grand-mère et ma mère avaient intégré ces slogans à leur personnalité, à leur intimité, à leur existence quotidienne. Comme s'il s'était agi de la chose la plus naturelle du monde, elles les prononçaient en ma présence et elles me les transmettaient. Elles m'ont transmis mille autres choses, bien sûr, mais c'est cela que je me rappelle avant tout quand je pense à elles. C'est cela que je veux retenir avant tout. Quand je faisais ma toilette, j'entendais la voix de ma mère derrière la cloison, sa voix éraillée, ORDONNE TES OS A LA PERFECTION ! ORDONNE TES ORIFICES A LA PERFECTION ! ORDONNE TA FIGURE A LA PERFECTION ! NETTOIE SUR TOI LES FLAMMES DE L'AUTOMNE, LAVE-TOI ! ORDONNE TES MAINS FROIDES A LA PERFECTION ! SORS DE L'EAU, CHANTE LES CHANTS, LAVE-TOI ! À mon tour, je répétais ces phrases qui devenaient pour moi familières et essentielles.
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Tu te souviens des aventures que tu t'es racontées ou que tu as vécues avant le voyage. Tu te souviens de la fin de l'année du Coq, du début de l'année du Chien, de tes rencontres avec Gloria, des heures de nuit, des heures de folie, des étreintes étranges, des phrases étranges. Appelle en toi ce beau et douloureux théâtre. Tu sais marcher dans les rues comme entre les pages d'un livre, tu as appris cela il y a longtemps, appelle en toi cette science, réfugie-toi dans l'ombre qui brûle entre les murs. C'est là. Va en cercles. Tu aimes ces rues. De toute façon, tes vaticinations amoureuses sont assez fortes pour sécréter à chaque instant de nouvelles racines, de nouvelles raisons de continuer l'amour.
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Voilà ce qui se présente quand on me demande de voyager jusqu'au plus extrême de mes souvenirs, ou lorsque, par exemple, vous m'interrogez sur le pourquoi de cette nostalgie d'un paradis noir qui m'accompagne et ne me lâche pas, et qui toujours, à un moment ou à un autre, visite ceux qui remuent et parlent dans l'espace de mes narrats étranges. Je suis né contre mon gré, vous m'avez confisqué mon inexistence
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