Citations de Arthur Schnitzler (316)
Casanova avait cinquante-deux ans. Depuis longtemps déjà ce n'était plus, comme en sa jeunesse, le goût des aventures qui le poussait à travers le monde, mais plutôt la menace de la vieillesse imminente. Aussi sentait-il croître en son âme nostalgique un désir de revoir sa Venise natale, si fort que, tel un oiseau qui des hauteurs de l'air descend peu à peu pour mourir, il décrivait autour d'elle des cercles qui allaient en se rétrécissant.
En fait, sur cette terre, il ne circule que des condamnés à mort.
Mépriser l'existence quand on jouit d'une santé du tonnerre, regarder calmement la mort en face quand on voyage pour son plaisir en Italie et qu'autour de vous la vie resplendit de toutes ses couleurs, j'appelle cela tout simplement de la pose. Qu'on enferme ce monsieur dans une chambre, qu'on le condamne à la fièvre, à la suffocation, et qu'on lui dise : «Vous serez enterré entre le 1er janvier et le 1er février de l'année prochaine», on verra alors quels discours philosophiques il vous tiendra...
As-tu voulu me laisser mourir chez moi? Voilà de la charité mal comprise. Qu'importe le lieu où l'on meurt? On est chez soi là où est la vie. Et je ne veux pas, je ne veux pas mourir sans lutter.
Je dis que le malade doit suivre son inspiration.
Voilà le grand psychologue, dit Félix en souriant. Quand un médecin vous parle brutalement, on se sent sur-le-champ en parfaite santé.
Non, non. C'est tout l'un ou tout l'autre. De quel droit M. von Dorsday jouirait-il d'un privilège ? Si lui me voit, que chacun me voie. Oui ! L'idée est merveilleuse. Tous me verront, le monde entier me verra.
JULIAN. Tu penses encore à tout cela?
IRÈNE. Toi aussi. Et qui a été le plus bête? Qui? Demande-le-toi en ton âme et conscience. Qui? As-tu été plus heureux avec aucune autre? As-tu été autant aimé? As-tu été seulement aimé? Je suis certaine que non. Cette histoire idiote, cette aventure au moment de mon engagement en Allemagne, tu aurais pu me la pardonner. Vous, les hommes, vous en faites des histoires...quand ça nous arrive, à nous.
FÉLIX. Je ne sais pourquoi. Mais...songer qu'on abandonne des êtres qu'on ne reverra peut-être plus, en tout cas on ne les retrouvera pas tels qu'on les avait quittés, et sans doute leur fait-on du mal en les quittant...
DOCTEUR REUMANN. Si telle est la raison de vos hésitations, alors chaque heure perdue l'est en pure perte. Rien ne vous éloigne davantage des êtres chers que d'être enchaîné à eux par un sentiment de culpabilité. Saisissez cette chance unique,partez pour Gênes, pour l'Asie mineure, le Tibet, la Bactriane.
Peut-être que personne n'existe. Ce qui existe, c'est : télégramme, hôtel, montagne, gare, forêt. Mais pas un être humain. Nous les rêvons seulement. Il n'existe que maître Fiala, avec son adresse. Inchangée. Oh non, je ne suis pas folle du tout. Simplement un peu agitée. Absolument normal, quand on va naître au monde pour la seconde fois. Car l'Else d'avant est déjà morte. Oui, je suis morte, sans aucun doute. Pas besoin de Véronal. Ne devrais-je pas le jeter ?
Pour finir, Papa s'est-il... Si papa est mort, tout va bien, je ne serai pas obligée d'accompagner monsieur von Dorsday dans la forêt... Oh, quelle misérable je suis ! Dieu, faites qu'il n'y ait rien de grave dans ce télégramme. Dieu, faites que Papa soit en vie. Arrêté, oui, mais pas mort. S'il n'y a rien de grave, je veux bien faire un sacrifice. Je deviendrai petite bonne, je travaillerai dans un bureau. Ne sois pas mort, Papa. Puisque je suis prête. Puisque je ferai tout ce que tu veux...
GEORGE (comme pour lui-même) : Les cheveux gris ne prouvent rien. Les années non plus ne prouvent rien. Il y a bien des hommes qui à soixante ou soixante-dix ans deviennent père ou partent encore à la guerre, non? Peut-on les appeler vieux? Non. La mort seule prouve qu'on est vieux. Ce ne sont pas les centenaires qui sont vieux, mais ceux qui doivent mourir le lendemain. ( Montrant par la fenêtre) Cette jeune femme est vieille si au prochain coin de la rue elle s'effondre, morte.
ALBRECHT : Comme c'est chevaleresque et comme cela sonnera bien dans les livres d'histoire : "Il y a trente ans les cuirassiers bleus se chargèrent du fardeau d'une faute, puis vint un héros pour laver leur honneur." Max! Aucun de ceux qui se battirent et fuirent à l'époque n'est plus là, nous marchons contre un autre ennemi et pour le compte d'un autre maître, la bannière elle-même ne sait plus qui la portait alors...Le diable m'emporte si je sais pourquoi je vais me laisser massacrer !
LE MÉDECIN : Trop tard... savez-vous ce que ça signifie? Il y a plus d'horreur là-dedans que dans le mot "jamais".
Bill:
Le mot de passe de la soirée? Je suis désolé, je... Il me semble que je l'ai oublié.
Cape rouge:
C'est fâcheux.
KATHARINA. Mais cela doit être aussi un réconfort. Quand on est conscient d'avoir été le bienfaiteur et le protecteur d'une pauvre petite créature -
WEIRING. Oui, j'ai cru ça autrefois, -quand elle était encore une belle jeune fille, - et Dieu sait que je me trouvais noble et généreux. Mais quand les premiers cheveux blancs apparurent, et les rides, et que les jours passèrent et avec eux toute sa jeunesse - la jeune fille, petit à petit, de manière presque imperceptible, est devenue une vieille demoiselle, - et alors j'ai commencé à me rendre compte de ce que j'avais fait.
KATHARINA.Monsieur Weiring -
WEIRING. Je la revois assise tous les soirs en face de moi, près de la lampe, là, dans cette chambre; elle me regardait, elle souriait calmement , avec son air presque soumis - comme si elle voulait me remercier; - et moi - moi j'aurais voulu me jeter à genoux devant elle pour lui demander pardon de l'avoir si bien gardée de tous les dangers - et de tous les bonheurs!
L'humanité a l'oreille ainsi faite qu'elle continue à dormir quand le bruit retentit et ne se réveille qu'avec l'écho.
La comédienne : C'est mieux quand même que de jouer une pièce imbécile.... tu ne trouves pas ?
L'auteur : Eh bien, je trouve, que heureusement, tu joues aussi des pièces valables.
La comédienne : Tu penses évidemment à la tienne, roquet présomptueux !
L'auteur : Parfaitement !
La comédienne : En effet, une pièce magnifique !
L'auteur : Eh bien, tu vois !
La comédienne : C'est vrai, tu es un génie Robert.
L'auteur : à propos, voudrais-tu m'expliquer pourquoi tu n'as pas joué avant-hier soir ? Tu n'étais absolument pas malade.
La comédienne : Je voulais t'agacer, c'est tout.
L'auteur : Pourquoi ? Qu'est ce que je t'ai fait ?
La comédienne : tu as été présomptueux.
L'auteur : Comment cela ?
La comédienne : Tout le monde au théâtre te trouve présomptueux.
L'auteur : Ah bon.
La comédienne : Alors je leur ai dit : cet homme peut l'être, lui.
L'auteur : Qu'est ce qu'ils ont répondu, les autres ?
La comédienne : Que veut-tu que me répondent les gens ? Je ne parle avec personne.
L'auteur : Ah bon.
La comédienne : Ils m'empoisonneraient tous avec plaisir. Mais ils ne réussiront pas.
L'auteur : Ne pense plus aux autres. Réjouis-toi d'être ici, avec moi, et dis-moi que tu m'aimes.
La comédienne : Il te faut d'autres preuves ?
L'auteur : C'est impossible à prouver, de toute façon.
Nous ne percevons jamais qu'un certain nombre d'enchaînements de causalité, et en plus jusqu'à un certain point seulement, alors que chaque instant que nous vivons représente le point de recoupement d'un nombre infini d'enchaînements de causalité qui viennent de l'infini et se poursuivent dans l'infini.
Notre existence, et même la possibilité de poursuivre cette existence sans être ridicule à nos propres yeux ou devenir fou, repose en fait sur trois hypothèses très problématiques: la première, c'est que l'humanité est le centre du monde, la seconde, que le Moi est le centre de l'humanité, la troisième enfin que ce Moi est habité par une libre volonté toujours agissante. Et aussi douteuses que puissent nous paraître ces suppositions, nous ne pouvons que les accepter comme des faits prouvés et intangibles, sinon nous serions obligés d'abandonner complètement notre travail, nos aspirations, nos lois, notre haine, notre amour, notre conscience, tout ce qui est nous-mêmes.