Citations de Estelle Faye (383)
Les Parthes étaient de grands guerriers, les meilleurs cavaliers et archers de l’univers connu, réputés pour leur résistance et leur courage. Pourtant, leur royaume avait disparu, ou peu s’en fallait. Leur gloire n’était plus qu’un lointain souvenir. L’Empire romain avait toujours su évoluer, s’adapter. Il avait amalgamé les cultes de Grèce et d’Egypte, les coutumes de Gaule et d'Ionie, il était devenu chrétien… Il allait survivre, forcément pour des siècles encore. Rome allait survivre.
Les forêts rhénanes étaient plus touffues que celles de Gaule, les loups, les lynx et les sangliers y étaient plus gros et plus nombreux. Certains prétendaient qu’il s’agissait des premières forêts du monde. Jules César, en son temps, y avait croisé des créatures qui n’existaient plus que dans les légendes.
Bien sûr, elle méprisait toujours autant le maquillage. Et en même temps, Enoch, dans sa manière d’appliquer les fards, avait quelque chose d’un magicien, d’un sorcier opérant une métamorphose. Il n’était plus seulement l’irritant coq, dont la compagnie lui pesait depuis leur nuit dans la forêt. Il montrait un nouvel aspect de lui-même, plus étrange et presque fascinant.
Le Forum était devenu le domaine des jeunes gens comme Aedon, des êtres délicats, élégants et parfumés, plus occupés d’intrigues que d’exploits guerriers. Aucun d’eux n’aurait sacrifié ne serait-ce qu’un peu de sang pour Rome. Gnaeus avait de la peine à se l’avouer, mais il ne se reconnaissait pas dans Aedon. Thya, par contre… Thya recelait dans un corps frêle un courage et une volonté dignes des premiers Romains. Si seulement elle était née quelques siècles plus tôt… déplorait le général. Hélas, les temps avaient changé.
Un grillon chante dans un coin de la chambre, symbole de bonne fortune, dans une minuscules cage dorée. Je ne l’avais pas remarqué avant. Il ne s’agit probablement pas d’un grillon vivant, ils sont devenus trop rare. Plutôt l’un de ces grillons morts ranimés par impulsions électriques, qu’on négocie dans les arrières boutiques du Marché Chinois. Mais il apporte une note chaleureuse à la pièce.
Certains soirs, dans ma loge, je me laisse emporter par mon rituel, assouplissement, vocalises, costume, maquillage… J’oublie, en vrac, le fond de teint qui coule, la peinture qui pèle sur les murs, les relents de vieille sueur qui imprègnent ma robe, la chaleur étouffante que le ventilateur n’arrive brasse sans conviction. Pendant quelques minutes, à peine un songe, je me crois revenu au temps d’avant. A cette civilisation que je n’ai pas connue.
Si les détails des histoires variaient selon les conteurs, les rêves, eux, étaient partout les mêmes.
- Tu vois, Li Mei, je croyais qu'une longue vie m'apporterait beaucoup de choses. Sagesse, sérénité, connaissance... Des fadaises, oui, lâche-t-il avec une moue amère. Des illusions. En fait, j'ai beaucoup perdu.
(Pieds-de-Cendres)
Depuis hier, je ne tombe qu'au milieu de gens qui veulent se foutre sur la gueule. Une sorte de malédiction. Mais j'ai d'autres plans pour mon après-midi.
- Alliés à cet Enoch, nous serions cent fois plus puissants, rétorqua-t-elle.
- Allons, ricana Ulve, que pèsera un unique prêtre face aux Frison, aux Cimbres, aux Vandales ?
- Le temps des Nodes n’est plus, ma fille, reprit le chef d’un air sombre. Ici, nous survivons parce que nous ne sommes plus une menace pour personne. Tout a un prix.
- Le devoir exige des sacrifices. Ce n’est pas à la fille de Gnaeus Sertor que je vais apprendre cela.
Thya se reprit. Personne n’avait le droit de se servir der son père. Pas contre elle. Pas ainsi.
- Laisser des innocents mourir, ce n’est pas un sacrifice. C’est juste… plus facile.
Thya voulu s’interposer, demander quels crimes avaient commis ces deux femmes, la gamine surtout. Mais au moment où elle allait parler, elle saisit une expression particulière sur le visage du chef et ceux de ses paysans. Une lueur trop reconnaissable dans leurs yeux. Cette expression, ce regard, Thya les avait déjà vus. Sur son frère, Aedon, lorsqu’il s’apprêtait à achever un animal pris au piège. Lorsqu’il inventait de nouveaux châtiments, toujours plus cruels, pour ses esclaves pour le plaisir de les regarder souffrir. La logique, la raison, la justice, n’avaient rien à voir dans cette affaire. Ces gens soif de souffrance. Soif de mort et de sang.
Bien sûr, il n’y avait rien d’extraordinaire, pour une jeune fille de seize ans, de recourir aux services d’un maquilleur. Mais elle n’avait jamais utilisé le moindre fard, elle avait même réussi à décourager les rares esclaves chargée autrefois de la coiffer. Au fond, sur le sujet de la parure, elle partageait l’opinion des vieux moralisateurs romains. Les tresses et le maquillage étaient des signes de décadence. Elle n’y avait jamais eu recours. Jusqu’à aujourd’hui.
Aujourd'hui, nous savons comment le monde est mort. L'Apocalypse est devenue une légende, notre légende, comme Les Chevaliers de la Table Ronde ou le capitaine Nemo dans son Nautilus, pour les humains d'autrefois.
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Quand le pétrole, le charbon, toutes ces ressources encore accessibles ont commencé à manquer, l’homme s’est mis à fracturer le sol. Il a fissuré les couches profondes de la terre, y a injecté des cocktails délétères pour exploiter jusqu’aux dernières particules de gaz de schistes. C’est là que la terre a commencé à mourir. Que le sol a dépéri peu à peu, que se sont creusés les premières Fissures. Mais l’homme n’a pas voulu voir tout de suite ce qui lui arrivait.
Alors la Nature s’est révoltée. Oh, pas d’un coup. Pas dans un grand chambard général, pas comme dans les films-catastrophes étranges et exagérés qui se multipliaient autour de 2012. L’Apocalypse n’a pas eu lieu dans une immense explosion, une déflagration réduisant à néant, en quelques années une civilisation entière. Non, le monde a mis du temps à mourir. C’est ça que l’homme n’a pas compris. Mais peu à peu les tempêtes sont devenues plus violentes. Les océans montaient, en Asie l’eau saumâtre empoisonnaient les rizières. Dans les pays du Nord, certains hivers, le froid polaire descendait jusqu’aux grandes métropoles, qui jusque-là n’avaient connu que des climats tempérés. Dans les déserts du Sud, l’Harmattan, le vent des djinns, ensevelissaient les cités sous le sable, et ceux qui le respiraient se débattaient en pleine rue, pris de démence, ou sombraient en catatonie.
[Chet à propos de Sybil] Elle ne semble pas affectée par la canicule, sans doute instaure-t-elle son propre microclimat autour d’elle. Elle en a les moyens. A deux ans, elle créait déjà des châteaux fabuleux, de véritables palais de fées, rien qu’en fixant le bac à sable ne bas de notre immeuble. C’était un spectacle fascinant, les grains jaunâtres semblaient s’agencer d’eux-mêmes, comme par magie, pour exaucer la fillette aux grands yeux sombres. La petite Sybil heureuse applaudissait, souriait…
Elle sourit de moins en moins à présent. Ou plutôt, elle sourit autant mais plus aussi large, plus aussi franc. Elle a dans les yeux un sérieux d’adulte, de femme âgée, responsable. Avec, en fond, la sagesse blasée de ceux qui trop vécu. Elle est la chef incontestée des Enfants Psys. Une bonne partie du destin de la ville repose entre ses mains.
Alors je continue ma route, et le vent plus frais emmêle mes cheveux gris, ma différence que je n’ai plus envie de cacher. Advienne que pourra.
– Tu ne tiens pas debout, me reproche-t-elle.
– Je n’ai pas besoin de tenir debout, je suis assise.
Ce n’est pas une très bonne plaisanterie, certes, mais je fais de mon mieux.
Aujourd'hui, il est certain que les fantômes existent. Cependant personne ne sait d'où ils viennent, ni pourquoi. Ce sont des formes floues, éthérée, qui se confondent presque avec la brume. On mes aperçoit sur les quais, au fond des impasses, dans les coursives, près des fontaines et sur le balcon des maisons hautes. Certains se perchent sur les toits de vieilles tuiles moussues, au sommet de pigeonnoers décrépits... Ils n'ont pas l'air totalement humains, non plus. Certains ont des bois de cerf, dautres de longues oreilles comme les lapins et les lièvres, d'autres, des queues épaisses de renards. D'autres font penser à des arbres et des plantes, avec des bras comme de vieilles branches couvertes de lichens, de chevelure comme des fougères ou du lierre.
- Qu'en penses-tu, Morde ? On tente ? On lui confiance ?
- On ne fait confiance à personne, répliqua le monstre. On tente quand même.