Citations de François-Henri Désérable (577)
Vous, je ne sais pas, mais moi je vois la vie comme deux lignes parallèles : la première représente ce à quoi l’on aspire, ce que l’on voudrait être ; la seconde, ce que l’on est réellement. Et bien sûr elles ne se superposent jamais tout à fait, mais tout l’enjeu est d’en réduire l’écart autant que possible. On ne mesure pas la réussite d’une vie à l’écart entre ces deux lignes, mais à l’effort consenti pour le réduire.
Voilà d’où il vient, ton Piekielny. Tu as commencé ton enquête en pensant le trouver sur Google : il était dans Gogol.
Et si la postérité, me dit Clément à qui je viens de lire ce passage, non seulement nous rendait immortels mais, de surcroît, faisait que nous fussions les seuls à avoir existé? Gary sort du bureau du Général, et sur qui tombe-t-il? Pierre Mendès France et Raymond Aron. Il entre dans une taverne et qui en sort au même moment? Maurice Druon. Il s'y attable et qui vient lui parler? Joseph Kessel. Y avait-il seulement des anonymes pour peupler la terre en ces temps-là?
L'Histoire bégaie, se répète, c'est une vieille rombière qui radote sans cesse (...)
Si l'on voyage, ça n'est pas tant pour s'émerveiller d'autres lieux ; c'est pour en revenir avec des yeux différents.
Les Iraniens vivaient avec dans la bouche le goût sablonneux de la peur. Seulement, depuis la mort de Masha Amini, la peur était mise en sourdine : elle s'effaçait au profit du courage.
La mère d'Edgar reprochait à Tina sa légèreté, son extravagance, ce qu'elle appelait ses caprices de comédienne, et Tina ne voyait dans sa belle-mère qu'une dévote aux idées rétrogrades, qui tirait un plaisir perfide à lui faire en permanence, mille réflexions désobligeantes. C'était une grande femme maigre qui n'avait jamais travaillé de sa vie, qui trouvait les Français fainéants, prématuré l'âge de la retraite, et qui se rengorgeait au récit de l'hiver où on l'avait vue défiler dans les rues de Manosque, comme si elle avait défendu la liberté sur les barricades. Une connasse, résumait Tina.
Parfois on ne se comprend plus, on avance à l'aveugle, on se heurte à des murs, jusqu'au jour où l'on finit par se dire mutuellement ce qu'on a sur le cœur, comme on craque une allumette dans la nuit : pas pour y voir plus clair, mais pour mesurer la part de ténèbres que chacun porte en soi.
(p. 165)
« Est - il sensible ou moqueur,
Ton cœur ?
Je n’en sais rien ,mais je rends grâce à la nature
D’avoir fait de ton cœur mon maître et mon
vainqueur » .
PAUL VERLAINE .
Mon Dieu, dis-je.
Mon quoi ? Les nazis ont détruit le peuple juif, et les Soviets le patrimoine. Résultat, dit Dalija, il ne reste plus rien.
Il n'y a guère que les lycées pour faire trembler le château : quand ils se barricadent, quand la jeunesse est dans la rue, la rue exhale comme un parfum de révolution, de Grand Soir, de lendemains qui fredonnent. Puis les vacances arrivent; chacun rentre chez soi (c'est qu'en fin d'année il y a le bac, l'année prochaine les études de droit, et dans vingt ans le vote à droite).
(...) il me rappelait la définition que Camus donnait du charme : une manière de s'entendre répondre oui sans avoir posé aucune question claire (...)
J’entends encore le juge me dire eh bien vous savez quoi, si j’étais vous, cette histoire j’en ferais un roman, et je me revois sortant du palais de Justice, je me revois descendant les marches du palais dans la douceur du soir en me disant il a raison, le juge, je me disais cette histoire, petit père, tu devrais en faire un roman.
Il était de ceux sur qui le temps n'a pas de prise, qui ne marquent aucun âge, qui là-dessus se réservent le droit de garder le silence et, leur pose-t-on la question, s'y dérobent élégamment - à quoi bon parler d'une chose qui change chaque année ?
Donc le Nobel pourquoi pas, qui sait, mais pas pour si peu de livres dont si peu ont marché, et surtout pas si jeune, à quarante-deux ans, ce qui n’est pas assez vieux pour croire au père Nobel,
Vous, je ne sais pas, mais moi je vois la vie comme deux lignes parallèles : la première représente ce à quoi l’on aspire, ce que l’on voudrait être ; la seconde, ce que l’on est réellement. Et bien sûr elles ne se superposent jamais tout à fait, mais tout l’enjeu est d’en réduire l’écart autant que possible. On ne mesure pas la réussite d’une vie à l’écart entre ces deux lignes, mais à l’effort consenti pour le réduire.
Ça devenait alors une arme redoutable, un coup dans la mâchoire, avait précisé l'armurier, et l'assaillant n'avait plus qu'à boire de la soupe pendant six mois. Voilà à quoi songeait Vasco quand il songeait à Edgar, de la soupe, viens donc me trouver, et tu vas boire de la soupe pendant six mois.
Je songeais qu'il faudrait établir une typologie du silence, les décrire puis les classer, du silence suggestif au silence oppressant, du silence solennel au silence désolé, du silence monotone d'un coin de campagne en hiver au silence pieux des fidèles à l'église, du silence éploré des chambres funéraires au silence contemplatif des amants au clair de lune, tous, il faudrait les décrire jusqu'aux silences radiophoniques de Tina.
Vous savez, me dit Roger Grenier, Romain Gary avait ses petits arrangements avec la vérité. Je savais : c'était un écrivain. La vérité, l'âpre vérité, il préférait la déguiser, la travestir - c'est qu'elle n'était pas toujours parée de ses plus beaux atours, cette vérité, elle n'était pas toujours reluisante, elle ne brillait pas des mille feux que le réel avait éteints mais que les Lettres étreignaient, étaient à même de ranimer. Alors la vérité à vrai dire il s'en foutait, il en faisait sa vérité, il la maquillait, la poudrait, la fardait comme se fardent les filles dans les sous-bois, sur les trottoirs, partout enfin où la pudeur se négocie puis se brade.
-Modiano![...] il vient d'avoir le Nobel!
Je levai les bras au ciel, comme si j'avais moi-même remporté le prix - en littérature comme en sport, on a le droit d'être chauvin. Puis je pensai à Philip Roth, que j'imaginai dans sa maison du Connecticut, levant non les bras mais les yeux au ciel, secouant la tête, la prenant entre ses mains et finissant par lâcher, incrédule : Patrick fucking who?