Pour moi, au-delà des aventures picaresques, le Pinocchio de Collodi offre une métaphore du passage de l`adolescence à l`âge adulte – thème d`un roman « jeunesse » s`il en est ! le personnage de Pinocchio est emblématique de l`adolescent qui, entre l`enfant et l`adulte, peut se percevoir comme un être hybride, presque comme un « monstre ». J`ai donc voulu transposer cette métaphore, ses images, thématiques et personnages, dans une version un peu lyrique et poétique, en tentant de respecter l`esprit de l`oeuvre de référence. J`ai aussi joué avec les connotations souterraines des « Aventures de Pinocchio », texte étrange et subversif, traversé par des images sexuelles (le nez qui s`allonge, l`âne, la relation trouble entre Pinocchio et la fée), et des images de mort (comme Pinocchio pendu à un arbre)
Oui, le choix de restituer la focale du pantin au « je » et au temps présent du récit s`est imposé d`emblée ; il est comme inhérent au parti. Ce pour être au plus près du ressenti du personnage (agent d`identification du lecteur), et relever le défi du « mentir-vrai » du texte, dans cette version dramatique (note : le défi est aussi technique, car l`association « je » + temps présent peut lanciner à la lecture). Comment se met-on dans la peau d`un être qui doit tout apprendre ? Disons que 1), investir les personnages, c`est le boulot de l`écrivain, 2), ayant été enfant puis adolescent (si, si !), on se souvient des questionnements et des élans d`alors !
Ces petites crapules sont des transpositions du chat et du renard de Pinocchio (« micio » = « minet » en italien, et le Roux…). Comme dans le Collodi, ils tentent de dévoyer Fantoccio et d`en tirer profit. Mais pour Fantoccio, leur fréquentation lui permet de découvrir les dessous de la ville, et plus largement de la vie, dans la relation à l`autre, au monde dans sa complexité. Et oui, une transgression des tabous, règles, limites (ou au moins une confrontation à ceux-ci) entre dans la construction de soi, dans l`initiation, l`émancipation. Fantoccio se crée sa propre morale, ou son libre-arbitre, comme nous tous : avec les valeurs qui lui ont été transmises, et celles acquises dans l`expérience personnelle, le rapport à l`autre, le vécu…
Qu`est-ce qui nous construit, et notamment à l`âge charnière de l`adolescence ? La transmission des valeurs parentales ou du milieu d`origine, l`instruction, l`éducation, la transgression ou la confrontation relativement aux règles et à l`autorité… et l`art, dans son usage et sa pratique. Il offre une vision singulière du monde et enrichit comme par procuration. Dans ce sens, la lecture est éminemment profitable aux adolescents, personnalités en construction. Quant au théâtre : c`est l`art qui s`approche le plus du vivant (opinion personnelle), et Fantoccio traite avant tout du rapport à la vie. le roman propose aussi là une métaphore parallèle : dans cette période précise en Italie, grâce à Goldoni, le théâtre évolue de la commedia dell`arte, ses schémas et figures archétypiques, à un abord de thèmes sociétaux et relationnels en prise avec l`époque. « La belle aubergiste » est une pièce marquant cette évolution (la première jouée sans masques ?), avec une incidence féministe novatrice.
Réponse en plusieurs temps. 1), c`est le choix de l`Italie, en hommage à Collodi et à cette oeuvre phare de la littérature. 2), Collodi était toscan (de Florence), donc Pinocchio aussi ! 3), l`implantation à Sienne obéit à ces premières contingences, et aussi à la typicité de la ville : c`est un lieu clos (par des murailles) où s`inscrit une riche scénographie de traditions et de quartiers ; l`endroit idoine pour l`angle du théâtre – autre typicité : les bottini, circuit d`alimentation d`eau souterrain, et image de la vie profonde qui émerge. Quant au choix de la période : à la lecture de Pinocchio, il est impossible de fixer une temporalité précise, entre le Moyen-Âge et le XIXe siècle ; j`ai donc choisi le XVIIIe, plus précisément l`année de la création de « La belle aubergiste » (1753), pour l`articulation des métaphores. J`aime aussi la dualité historique et politique de cette Toscane alors assujettie aux Habsbourg ; dualité de cultures qui fait écho (un peu lointainement) à la dualité de nature du pantin, mi-chose, mi-garçon.
Fantoccio répond là à une double pulsion : celle de sa soif d`apprendre, de découvrir le monde, de s`y inscrire par le truchement du théâtre, et celle de l`attirance amoureuse et sexuelle pour Livia. Livia est la transposition de la fée de Pinocchio. À vrai dire, j`ai scindé la figure de la fée en deux personnages : la sorcière Strega qui donne la vie « organique », Livia qui révèle à Fantoccio sa masculinité, qui fait de lui un homme au sens du genre – elle « l`élève » également, en égérie, par sa propre passion pour le théâtre, l`initiation à cet art, et par son autodétermination : elle pèse sur sa vie, s`accomplit par ses choix.
Pas un précisément. C`est plutôt un état béat (et béant) de lecteur depuis l`enfance, une soif d`histoires insatiable et pourtant assouvie – allez comprendre… Au final, ça donne envie de s`y mettre.
Aucun. Il ne faut pas lire dans cette réponse de la prétention, mais au contraire de l`humilité. Chacun des grands auteurs et grands textes m`ont nourri, stimulé, et j`en éprouve plutôt de la gratitude. Après, dans l`exercice de l`écriture, on fait avec les moyens qu`on a… J`assume le fait d`écrire et de ne pas être Victor Hugo.
Bien difficile à spécifier, dans le nombre (quel plat vous a ouvert à la gastronomie ?). Assurément, dans les premières passions de lecteur, il y a le club des cinq et Tintin.
Le bonheur fou, ou Un roi sans divertissement, de Jean Giono.
e ne sais pas si le terme de « honte » convient en la circonstance. La lecture doit rester un plaisir premier ; où serait alors la culpabilité de ne pas aimer ? Disons que le fait d`avoir abandonné la lecture de la Recherche de Proust m`interpelle. J`ai pourtant essayé trois, quatre fois. Mais j`essaierai encore !
Garantie méconnue (pardon aux initiés) : Ruses et aventures d`Alfanhui, de Rafael Sanchez Ferlosio (Verdier, 1988, pour l`édition française). Un roman peut-être « jeunesse », mais on se fout de la classification, tant c`est étrange et beau.
Sans aucune hésitation : le petit Prince d`Antoine de Saint-Exupéry.
Non.
Au gré de l`humeur du soir : Victoire, de Joseph Conrad, Poèmes à Lou, d`Apollinaire, des romans «jeunesse » d`aujourd`hui, parmi la pile sur ma table de nuit.
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"La Joconde" de Léonard de Vinci :