Que s’est-il passé au bord du canal ?
La scène commence ainsi… Noah Sadler, enfant d’une famille aisée, se trouve au bord du canal avec son meilleur ami Abdi Mahad, fils de réfugiés somaliens. Un appel au secours… Les pompiers, la police… Noah Sadler est repêché, du moins son corps. Son esprit inerte. Abdi n’est pas dans un meilleur état, s’il est conscient, il refuse de prendre la parole. Peu de temps avant dans cette ville de Bristol, une marche contre le racisme a dérapé. La police est accusée d’avoir mal assuré sa mission. C’est une enquête délicate que l’enquêteur Jim Clemo reprend en mains après un long arrêt maladie. Une enquête sensible où la question est toute aussi simple que complexe : que s’est-il passé ?
Jour après jour, le quotidien de deux familles opposées
Exit les chapitres, Les meilleurs amis du monde se découpe en six journées. Gilly MacMillan nous transporte dans des parcours de vie tumultueux en nous présentant les points de vue des protagonistes des deux familles.
D’abord, Noah Sadler, qui s’il ne peut ni parler ni bouger, arrive à avoir conscience de son environnement et à penser. Ses scènes sont paradoxalement et tristement vivantes. Mort à l’extérieur, vivant à l’intérieur. Pire encore, gravement malade depuis plusieurs années, Noah Sadler est condamné. Il raconte pas à pas ses sentiments, sa vie auprès d’Abdi, les conflits qui ont opposé ses parents, son profil est construit ingénieusement et l’écriture nous rend sensible à son personnage. Gilly MacMillan s’intéresse aussi aux deux parents Sadler. La mère qui a tout donné pour son fils et qui ne voit pas d’un très bon œil la famille Mahad, contrairement à son mari. Ed Sadler, le père, est au contraire fier de l’amitié naissante entre Abdi et Noah… Il connait plutôt bien le parcours de la famille Mahad, qui a vécu un temps dans un camp somalien puisqu’il y était reporter photographe. D’ailleurs, la soirée de l’accident, Ed vivait l’un des moments les plus marquants de sa vie : sa propre exposition présentant son travail auprès dans les camps de réfugiés. La famille Sadler est celle d’une famille plutôt aisée mais dont la maladie ronge la famille et pour qui l’évènement du canal est une rupture brutale de l’unité familiale.
Gilly MacMillan brosse tout un autre portrait de la famille Mahad. Nur et Maryam sont Somaliens. Ils ont vécu plusieurs mois dans un camp de réfugiés avant d’arriver dans la ville anglaise de Bristol. La famille essaie de s’intégrer comme elle peut, Nur est chauffeur de taxi et connait quelque peu l’anglais. Maryam est une mère aimante et qui a besoin de sa fille Sofia pour lui traduire l’anglais. Sofia fait des études, tandis qu’Abdi est plus jeune, et scolarisé dans la même école privée que Noah. Les finances familiales ne sont pas extraordinaires mais suffisantes pour vivre. Le rêve de l’intégration s’éclipse brutalement lorsque Noah est aux urgences et qu’Abdi, sous le choc, n’émet pas un mot.
Une histoire touchante qui ne va pas jusqu’au bout
Vraisemblablement, tout oppose la famille Sadler et Mahad. Que ce soit l’argent, l’intégration, la langue… Le lien entre les deux familles qui connaissent des relations relativement neutres sont l’amitié entre Noah et Abdi. Chacun présente leur amitié comme sincère. Pourtant plus l’enquêteur Jim et son suppléant Woodley creusent, plus l’idée d’une tentative de meurtre surgit. Si c’est le cas, est-ce volontaire ou un accident ? Il n’en faut pas plus pour Emma Zhang, journaliste, qui pressée de réaliser des scoops, va se servir de cette affaire pour en faire une polémique autour d’un crime raciste.
J’ai bien aimé cette histoire de Gilly MacMillan, Les meilleurs amis du monde. Ne serait-ce qu’il est difficile de ne pas être touché. La vie quotidienne de Noah Sadler, dans l’état et l’avenir qu’on lui sait, est rendue encore plus triste lorsque l’on découvre les difficultés sociales qu’il a. Quant à la vie de la famille Mahad et de l’ambiance qui règne à Bristol, sur la recherche de polémiques par les médias agitant le drapeau de la haine, nous sommes cette fois-ci touché par les réalités contemporaines de notre époque. De manière inquiétante, l’histoire de Noah et d’Abdi pourrait être réelle. Elle est une formidable leçon contre les préjugés, et soutient l’idée qu’il faut patienter la fin de l’enquête pour s’en faire une opinon concrète.
Cependant, Gilly MacMillan a manqué de peu une histoire brillante. Les meilleurs amis du monde aurait gagné à être choquant si le climat raciste sortait de la simple description d’ambiance pour en devenir une expression à Bristol. Plusieurs fois l’écrivaine mentionne la marche contre le racisme, et appuie fortement sur l’origine étrangère de la famille Mahad, ces points-là auraient pu davantage être appuyés pour que l’histoire prenne de l’ampleur et choque le lecteur. Si je n’ai rien à dire sur la famille Sadler, les détectives m’ont peu marqué. Sans vraiment de personnalité, ils n’apportent pas grand chose à l’histoire, si ce n’est peut-être même du superflu avec l’histoire de la sœur du détective Jim. De même, le passé du détective n’est que décris et n’influence pas son enquête présente. Enfin, Emma Zhang qui est la journaliste à la recherche de la polémique n’a qu’un rôle secondaire. On aurait pu imaginer qu’elle soit le détonateur entre le crime qu’elle juge raciste et la population locale hostile aux immigrés. Avec ces ingrédients, Gilly MacMillan aurait pu nous livrer un roman brillamment antiraciste et plus choquant. Pour autant, Les meilleurs amis du monde reste une histoire que je recommande.
Lien :
https://leschroniquesdejerem..