Citations de J.M.G. Le Clézio (1811)
Les oiseaux ne meurent pas, sauf quand les hommes les engluent dans leurs pièges. Ils vivent entre le ciel et la mer, puis un jour ils disparaissent, avalés par l'espace, sans qu'on sache où ils se sont enfuis.
Ce ne sont là que quelques arpents, un simple creux de la terre, une rainure dans les roches volcaniques, sur cet autre rocher qu'on appelle Rodrigues. Mais c'est un lieu plein de sens et de puissance, comme si la chaleur et la lumière, au cours des âges, avaient épaissi les choses, et avaient donné aux plantes et aux hommes qui y survivent un petit peu de la force de la lave.
Fintan guettait les éclairs. Assis sous la varangue, il regardait le ciel du côté du fleuve, là où l'orage arrivait. Chaque soir, c'était pareil. Au coucher du soleil, le ciel s'obscurcissait à l'ouest, du côté d'Asaba, au-dessus de l'île Brokkedon. Du haut de la terrasse, Fintan pouvait surveiller toute l'étendue du fleuve, les embouchures des affluents, Anambara, Omerun, et la grande île plate de Jersey, couverte de roseaux et d'arbres. En aval, le fleuve formait une courbe lente vers le sud, aussi vaste qu'un bras de mer avec les taches incertaines des îlots qui semblaient des radeaux à la dérive. L'orage tournoyait. Il y avait des traces sanglantes dans le ciel, des déchirures. Ensuite, très vite, le nuage noir remontait le fleuve, chassant devant lui les vols d'ibis encore éclairés par le soleil.
Le Surabaya, un navire de trois cents tonneaux, déjà vieux, de la Holland Africa Line, venait de quitter les eaux sales de l'estuaire de la Gironde et faisait route vers la côte ouest de l'Afrique, et Fintan regardait sa mère comme si c'était la première fois. Peut-être qu'il n'avait jamais senti auparavant à quel point elle était jeune, proche de lui, comme la soeur qu'il n'avait jamais eue. Non pas vraiment belle, mais si vivante, si forte. C'était la fin de l'après-midi, la lumière du soleil éclairait les cheveux foncés aux reflets dorés, la ligne du profil, le front haut et bombé formant un angle abrupt avec le nez, le contour des lèvres, le menton. Il y avait un duvet transparent sur sa peau, comme sur un fruit. Il la regardait, il aimait son visage.
Même la vérité peut être un mensonge si tu n'y crois pas, et même le mensonge peut sembler vrai si je le raconte bien. (p109)
Tout être humain est le résultat d'un père et une mère. On peut ne pas les reconnaître, ne pas les aimer, on peut douter d'eux. Mais ils sont là, avec leur visage, leurs attitudes, leurs manières et leurs manies, leurs illusions, leurs espoirs, la forme de leurs mains et de leurs doigts de pied, la couleur de leurs yeux et de leurs cheveux, leur façon de parler, leurs pensées, probablement l'âge de leur mort, tout cela est passé en nous.
Ce qui peut être dit et pensé doit être
car l'être est et le néant n'est pas.
Citation de Parménide d'Élée
On croit toujours qu'il faut illustrer l'idée abstraite avec un exemple du dernier cru, un peu à la mode, ordurier si possible, et surtout - et surtout n'ayant aucun rapport avec la question.
Lui qui avait rompu avec Maurice et son passé colonial, et se moquait des planteurs et de leurs airs de grandeur, lui qui avait fui le conformisme de la société anglaise, pour laquelle un homme ne valait que par sa carte de visite, lui qui avait parcouru les fleuves sauvages de Guyane, qui avait pansé, soigné, recousu les chercheurs de diamants et les Indiens sous-alimentés ; cet homme ne pouvait pas ne pas vomir le monde colonial et son injustice outrecuidante, ses cocktails parties et ses golfeurs en tenue, sa domesticité, ses maîtresses d'ébène prostituées de quinze ans introduites par la porte de service, et ses épouses officielles pouffant de chaleur et faisant rejaillir leur rancoeur sur leurs serviteurs pour une question de gants, de poussière ou de vaisselle cassée.
Je n'ai pas besoin d'aller plus loin . Maintenant je sais que je suis enfin arrivée au bout de mon voyage. c'est ici, et nulle part ailleurs .
Moi je ne sais pas ce que c'est que l'art, je sais que l'amour est la seule chose digne d'être éternelle.
Il attend, il rêve les yeux fermés à la jeune fille aux cheveux d'or belle comme une fée, qui reviendra demain dans le parc. Peut-être qu'elle tournera son regard pâle pour chercher du côté des grands arbres, et lui n'y sera pas.
La gare, c'est aussi un des endroits où on peut voir sans être vu parce qu'il y a trop d'agitation et de hâte pour qu'on fasse attention à qui que ce soit.
La nuit tombait vite, près de la Hamada. l'ombre entrait dans le fond de la vallée, laissant que les pitons de pierre rouge dans la flamme du soleil.
Le crépuscule est gris d'abord, puis rouge, avec de grands nuages pareils à des crnières de flamme.
Le soir, quand le soleil était près de l'horizon et que l'ombre des buissons s'allongeait démesurément, les hommes et les bêtes cessaient de marcher.
La nostalgie n'est pas un sentiment honorable. Elle est une faiblesse, une crispation qui distille l'amertume. Cette incapacité empêche de voir ce qui existe, elle renvoie au passé, alors que le présent est la seule vérité.
La route est vaste comme le ciel bleu
Moi seul je ne connais pas la sortie
Quel que soit le but qu'il cherche, l'enfant qui transporte une arme cesse d'être un enfant. Il appartient à un autre âge de la vie, il est entré dans un autre temps, un temps violent, féroce, impitoyable. Le temps des adultes.
Mais à Rodrigues, la réalité est sans limite, elle envahit jusqu'à l'imaginaire, mêlée de chiffres, de calculs, de symboles, ou bien fuyant dans le vent vers l'horizon dévoreur d'oiseaux, vers la mer, vers le ciel mobile, jusqu'à la lumière du soleil et jusqu'aux feux éternels des astres.