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Critiques de Jules Barbey d`Aurevilly (287)
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Le bonheur dans le crime - La vengeance d'u..

Lu dans l'édition France Loisirs « courts romans et autres nouvelles » de 2004. Nous voici plongés dans une petite ville de Normandie au milieu du XIXe siècle. Une histoire d'adultère et de meurtre qui nous tient en haleine jusqu'au bout. L'intrigue prend son temps pour se dévoiler, racontée par l'intermédiaire d'un médecin, témoin de l'aventure. Questionnement autour du bien et du mal. L'amour peut-il s'accomplir dans le meurtre ? Les personnages sont puissants, l'écriture précise.

Barbey d'Aurevilly reste un grand maître de l'intrigue sociale.
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Les Diaboliques

Jules Barbey d'Aurevilly, je ne connais que de loin, cité lors des lointains cours de français. C'est à l'occasion d'une lecture commune que j'ai pu le découvrir. Les diaboliques c'est un recueil de six nouvelles. Six nouvelles assez dérangeantes...

Dans Le rideau cramoisi, c'est un jeune militaire qui s'éprend de la jeune fille de ses hôtes mais il va se retrouver pris dans une situation quelque peu génante. L'auteur explore tout à tour, désir et désespoir du jeune homme mais le personnage au centre de la nouvelle est bien Alberte, qui devient la preuve d'une faute...

Dans Le plus bel amour de Don Juan, on présente le compte de Ravila qui raconte la plus belle conquête. La chute est à la hauteur des attentes de ses convives mais des lecteurs ?

Dans Le bonheur est dans le crime, l'auteur raconte la passion qui nait entre Mlle Hauteclaire Stassin et le comte de Savigny. Un amour tellement fort qu'il peut briser qu'il trouve entre eux...

Dans Le dessous de cartes d'une partie de whist, on découvre des femmes et leurs petits et horribles secrets. Cette nouvelle met beaucoup de temps à se mettre en place et n'a pas plus éveillé mon intérêt que cela...

Dans A un diner d'athées, on raconte la rencontre de Mesnilgrand à l'église, que fait-il donc là ? Mesnilgrand parle de sa passion brève et secrète avec la femme de son major... L'auteur ne manque pas de qualificatifs pour évoquer la fausse pureté de la femme, le final est assez troublant...

Dans La vengeance d'une femme, une prostituée raconte son histoire assez troublante, un mariage de raison et un amour tué à la racine... très forte aussi dans sa narration, on sent toute la haine que celle-ci éprouve.

Contente d'avoir découvert l'auteur mais je ressors mitigée de cette lecture, l'introduction des nouvelles, pour arriver au coeur de l'histoire est très longue et lasse. Ce qui m'a amené à découper ma lecture des nouvelles par fragments. L'auteur ne semble pas avoir une image très flatteuse de la femme : tour à tour, allumeuse, vengeresse, facile, criminelle... diabolique. Oui j'ai aimé sa belle plume, même si elle a tendance à s'étendre un peu dans la description des différentes poupées gigognes qui entourent ses histoires, on s'ennuie avant d'arriver au coeur du sujet. Dommage aussi que la misogynie ressorte un peu trop à mon goût de ses nouvelles.

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Journaliste : Articles et chroniques

Comme de nombreux écrivains au 19e siècle, Barbey d'Aurevilly a entretenu des relations étroites avec la presse. le métier de journaliste, qu'il a exercé pendant cinquante ans, lui a à la fois assuré un revenu et une renommée. Mais ses relations avec les différents journaux auxquels il a collaboré n'ont pas été de tout repos…Personnage contrasté, dandy, libertin, défenseur de la tradition, de l'Église et de la monarchie, il dénonce avant tout l'esprit bourgeois et matérialiste de son époque. Avec un indéniable talent et n'hésitant pas à s'attaquer à des auteurs illustres, Victor Hugo, Zola, Alexandre Dumas, le « bas bleu » George Sand, il défend sa conception du monde, de la littérature et du journalisme. Regrettant amèrement le temps où ce dernier ne se consacrait qu'à la politique et à la littérature et n'était pas devenu un bazar de l'esprit où les commérages remplacent les débats de fond, où l'on parle de tout et de n'importe quoi…



Il a fondé quelques journaux, dont « La Revue du monde catholique », et collaboré à de nombreux autres, le Pays, Le Figaro, le Constitutionnel, le Gaulois. Il se rallie en 1851 au régime impérial et soutient Napoléon III. Il aurait aimé se consacrer à la politique mais on lui confie plutôt des rubriques de critique littéraire ou d'art, ses convictions passionnées entrainant polémiques, parfois procès voir la censure…



Ce livre de Pierre Glaudes nous permet de découvrir quelques articles de cet écrivain enflammé, dont la plume est parfois féroce mais le propos toujours argumenté, et dont l'activité de journaliste, « cet écrivain d'un jour » n'est pas forcément connue. Et pas inintéressant de se plonger dans l'histoire de la critique littéraire…

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L'Ensorcelée

Je dois avouer qu’en littérature j’aime les excès. Le presque trop, à la limite du kitch, si on veut. Ou le presque rien, le dépouillement extrême. Barbey d’Aurevilly, de par son style, si imagé, si plein de termes excessifs semble de plein droit appartenir au premier type. Mais les choses sont plus compliquées.



Je m’explique. Dans l’Ensorcelée, il y a comme deux livres, écrits chacun selon leur logique et leur cohérence propre. Le premier, serait le récit réaliste des événements survenus à Blanchelande, quelque part autour de 1804 (mort du duc d’Enghiens, le seul événement historique datable que j’ai repéré). Ces événements sont relativement courts à résumer, très linéaires, très prévisibles, les choses sont annoncées d’avance, et ne se détourent pas de ce que l’on attend, très simples en fait.



Une femme mal mariée, à un homme plus âgé, qu’elle n’aime pas et même méprise, alors qu’elle est encore jeune, mais au moment où elle va cesser de l’être, développe un amour malsain pour un prêtre défiguré. Ce dernier se sert de cet amour pour utiliser Jeanne comme agent dans ses activités de Chouan. Une fois qu’il n’en a plus l’usage, il la laisse tomber. Elle en meurt, probablement en se suicidant. Le mari, qui aime sa femme, et déteste le prêtre, se venge en tuant ce dernier.



Et dans ce récit réaliste, tout est en suggestions et dans les choses à demi-dites, mais en même temps très limpides. La personnalité de Jeanne, tout en frustrations, et dont le cœur et encore plus le corps, se révoltent contre la vie qu’elle doit subir, et que l’on devine même si Barbey ne nous donne aucun détail, mais la courte partie dans laquelle il précise les circonstances du mariage sont très parlantes. Le dégoût, l’insatisfaction morale et physique de la vie qu’elle mène avec son mari, font que dans cette période de sa vie où sa jeunesse est en train de finir, elle se lie follement, à quelqu’un qui d’une certaine façon la ramène à son passé, à un moment où tout était possible. Mais ce « choix » amoureux pose aussi la problématique du masochisme du personnage. Aimer un prêtre, un homme dont la laideur est effrayante, et un homme d’un orgueil monstrueux c’est forcement se condamner à souffrir, et ne pas pouvoir vivre une véritable relation amoureuse. Le rapport dominé-dominant dans une relation de type amoureux est suggérée dans le récit, même si là encore Barbey n’insiste pas et laisse son lecteur deviner les choses. De même l’amour malheureux de Thomas pour sa femme, est lisible entre les lignes. Il l’a épousé sans dote, elle semble faire à peu près ce qu’elle veut chez elle, il lui fait confiance, cela ne devait pas être si courant à l’époque. Et il tue l’homme qui au-delà d’être le responsable de la mort de se femme, est celui qui elle aimait. Un triangle amoureux, voué à la souffrance, pervers au possible, comme Barbey les dresse dans pratiquement tous ses livres. Il est un observateur impitoyable de la nature humaine dans ce qu’elle a de plus trouble, et ses constats sont froids et sans appel.

Ce premier roman contenu dans l’Ensorcelée est finalement plus que sobre et dépouillé, presque rien, et les choses sont bien plus suggérées que dites de façon explicite.



Mais par-dessus ce récit si simple, un autre se superpose. Et celui-ci est baroque au possible. Il y a du fantastique, de la sorcellerie, de mystérieuses cloches qui sonnent, des visions dans un miroir, des morts qui célèbrent des messes maudites. Et plein de personnages pittoresques, qui avec leur accent et leur bonhomie racontent des histoires. Et racontent l’histoire de Jeanne en expliquant les événements par des envoûtements, des bergers sorciers, et autres diableries. Parce que c’est finalement plus rassurant de croire que ce sont des interventions de ce type qui sont la cause de ce qui s’est passé, et non pas le désir, le goût de la souffrance, la perversité qui se cache dans le cœur de chacun d’entre nous. Plutôt que de croire qu’une femme à priori sensée, une riche et excellente maîtresse de maison, peut se prendre de malsaine passion pour un être monstrueux, de corps et d’esprit, jusqu’en mourir, il vaut mieux se dire que c’est la vengeance de bergers sorciers. Et Barbey se délecte visiblement dans les descriptions fantastiques, les bergers démoniaques et les sortilèges, il en rajoute sans vergogne dans le climat trouble. Sachant très bien que ses lecteurs vont adorer. Malgré tout, sauf la scène ou maître Thomas voit son cœur mangé à la broche, peu de faits réellement surnaturels sans aucun doute se produisent. Plus une ambiance et une menace qui plane que des véritables événements.



Et si on suit bien le récit, à aucun moment le narrateur ne dit clairement s’il croit à la version fantastique de l’histoire. La vérification définitive, serait d’assister à une des messes de l’abbé de La Croix-Jugan célébrée après sa mort. Mais :



"Plus tard, j’ai voulu me justifier ma croyance, par une suite des habitudes et des manies de ce triste temps, et je reviens vivre quelques mois dans les environs de Blanchelande. J’étais déterminé à passer une nuit aux trous du portail, comme Pierre Cloud, le forgeron, et à voir de mes yeux ce qu’il avait vu. Mais comme les époques étaient fort irrégulières et distantes auxquelles sonnaient les neuf coups de la messe de l’abbé de La Croix-Jugan, quoiqu’on les entendît retentir parfois encore, me dirent les anciens du pays, mes affaires m’ayant obligé à quitter la contrée, je ne pus jamais réaliser mon projet."



Cette façon d’imbriquer les choses, d’avoir plusieurs niveaux du récit, de suggérer, de laisser dans l’ombre les aspects les plus essentiels du livre, tout en donnant l’impression de conter quelque chose de très truculent, patoisant, est tout simplement génial. Et fait que l’on peut relire le livre plusieurs fois, et y trouver des éléments différents à chaque lecture. Les côtés emphatiques et très baroques, qui frappent au premier abord, ne sont qu’une première couche, qui cache bien d’autres aspects, si on se risque à la gratter. Et on arrive très vite à quelque chose de très dur et froid. Barbey d’Aurevilly, c’est le feu et la glace en même temps.
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Une page d'histoire

Une page d'histoire est une nouvelle bouleversante! Dans un langage poétique, Barbey nous relate l'histoire d'une famille de Normandie, les Ravalet, qui, subissant une espèce de sortilège, se salissent toujours les mains dans les affaires à scandales, comme l'a été la famille Borgea en Italie. Une atmosphère ténébreuse et vicieuse a régné sur cette famille partant de leurs aïeux jusqu'à leur dernière descendance. Si ce n'est pas qu'un Ravalet ait violé une fille, puis l'ait jeté dans une fossé, ça sera un Ravalet qui tuerait un prêtre parce qu'il lui a refusé la prise de l'hostie.... Il y a de quoi ne pas s'étonner de voir leur descendance se livrer à un amour incestueux, entre un frère et une sœur...

Un petit texte bien écrit qui serait un essai plutôt qu'une nouvelle. L'auteur cherche à dépasser l'histoire, trouver des indices, des raisons en tant que poète de cette nature pécheresse qui a mit en déroute cette famille jusqu'à ce qu'elle s'éteigne!
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Les Diaboliques

Textes présentés, établis et annotés par Jacques Petit



ISBN : 9782070100491



Il n'existe que six "Diaboliques", soit, dans l'ordre : "Le Rideau Cramoisi" - "Le Plus Bel Amour de Don Juan" - "Le Bonheur Dans Le Crime" - "Le Dessous de Cartes d'Une Partie de Whist" - "A Un Dîner d'Athées" et "La Vengeance d'une Femme." Barbey eut l'idée, dit-on, idée qu'il ne put suivre faute sans doute de temps - et puis, tout bien considéré, ses "Diaboliques" n'étaient-elle pas parfaites en cet état ? - de leur adjoindre six nouvelles vantant au contraire le Bien et la Vertu. Mais entraîné notamment par la rédaction du "Chevalier des Touches" et surtout d'"Un Prêtre Marié", il laissa reposer son projet et interrompit même quelque temps l'écriture de son recueil de nouvelles.



A ce jour, même ceux qui n'ont guère lu Barbey, à moins d'être des "beaufs" parfaits (et peu importe leur catégorie sociale : un "beau" naît "beauf", on n'y peut rien ), citent au moins "Les Diaboliques" quand on évoque devant eux l'écrivain. Les plus heureux n'ont oublié ni "Le Rideau Cramoisi" qu'Alexandre Astruc porta à l'écran en 1953 avec la participation d'Anouk Aimée et de Jean-Claude Pascal (lequel fut, rappelons-le au passage, un inoubliable Philippe Bridau dans "La Rabouilleuse" de Louis Daquin, tiré de Balzac, sept ans plus tard) , ni "Hauteclaire", de Jean Prat, avec une Mireille Darc brune et un Michel Piccoli presque aussi bon que dans le "Don Juan" de Marcel Bluwal. Les autres se contentent de parler d'histoires de fantômes dont on ne sait trop s'ils en sont de vrais ou pas, et de criminels qui triomphent alors que les bons et les vertueux sont impitoyablement foulés aux pieds. C'est-à-dire que, si l'on excepte "Le Rideau Cramoisi", nouvelle sur laquelle s'ouvre le recueil et qui frappe déjà très fort, et "Le Bonheur dans le Crime", les quatre autres nouvelles qui forment le livre le plus célèbre de Barbey sont soit ignorées, soit très mal connues du grand public.



Il serait fou, dans ce billet si bref, de vouloir évoquer avec précision ces six nouvelles qui symbolisent si bien l'énorme face d'ombre qui était celle de l'écrivain normand. Un féru d'astrologie ajouterait que "Les Diaboliques" est un livre Scorpion (face Hyde ) par excellence : la fascination du Mal, l'Au-Delà qui s'invite sans en avoir l'air à moins qu'il ne s'agisse d'un "truc" de magicien (mais lequel ? et d'ailleurs, on sent bien que Barbey ne veut pas ici, contrairement à ce qu'il a pu faire dans d'autres textes, "jouer" avec son lecteur), l'horreur glaçante à l'état pur et le Crime s'unissant à la Mort en une valse éblouissante.



Peut-être un jour, à l'occasion d'une "relecture", évoquerons-nous les nouvelles avec lesquelles nous nous sommes senti moins d'atomes crochus. Mais aujourd'hui, nous ne retiendrons, parce qu'elles sont grandioses, horribles, et qu'elles étaient immortelles avant même d'être imprimées, que "Le Rideau Cramoisi", "Le Bonheur Dans Le Crime" et, peut-être la plus épouvantable de tout l'ensemble quand on y regarde bien, "Le Dessous de Cartes d'Une Partie de Whist."



Pour la première nouvelle, tout le monde connaît peu ou prou l'intrigue. Un jeune militaire, logé chez de paisibles petits bourgeois alors qu'il stationne avec son régiment dans une obscure petite ville de province, est visité toutes les nuits par la fille de la maison, Alberte. Dans le lit, cette fille est unique, passionnée, extraordinaire, inattendue car elle sort tout de même de son couvent. Dans la maison, quand le soleil retrouve ses droits, elle est pâle, glacée, avec ce physique mi-androgyne/mi-chlorotique (peut-être songerait-on aujourd'hui à l'anorexie ou un phénomène similaire) qui séduisait tant l'auteur, en tous cas pour nombre de ses héroïnes. La nuit, elle n'est que flammes, elle est presque l'Enfer de la Luxure. Le jour, c'est à peine si elle semble savoir que son amant est dans la maison et, bien entendu, elle va à la messe et ne sort qu'accompagnée, par sa mère ou une domestique.



Et puis, une nuit, au beau milieu de leurs ébats, voilà qu'Alberte se fige, toute roide, entre les bras de son amant. Elle ne respire plus : elle est morte. Affolé - on le serait à moins - le jeune homme se précipite chez son colonel qui est encore, à l'époque, et comme le dira plus tard, en des circonstances plus comiques, l'inénarrable Sapeur Camember, "le père du régiment." Le colonel écoute, donne de l'argent au jeune homme, lui fournit un bon cheval et lui dit de partir le plus loin possible. Il s'occupera du reste ...



Mais voilà, le reste, le lecteur, pas plus que le narrateur, devenu plus mûr, ne le saura jamais. Avec une adresse de redoutable bretteur ou de démon du Plus Grand Cercle, Barbey esquive toutes les occasions qui auraient pu permettre à notre triste héros de connaître la vérité. Et la voiture dans laquelle a commencé l'histoire - son héros s'entretenant avec un ami et passant, tout à fait par hasard, devant une maison où frémit le rideau cramoisi de ce qui fut la chambre d'Alberte - de s'éloigner et de nous emporter tous, frustrés (pas tant que ça dans le fond, soyez honnêtes ! ;o) ) et nous demandant si Alberte était réellement morte, si c'est son ombre que les deux hommes viennent de voir s'agiter derrière le fameux rideau ... ou si, peut-être, Alberte n'a jamais été qu'une morte, une chimère ...



L'atmosphère se fait plus rationnelle dans "Le Bonheur Dans Le Crime", histoire en apparence banale d'un adultère entre un riche châtelain et la maîtresse d'armes chez qui il a pris l'habitude de s'entraîner. Hauteclaire, car tel est le nom de cette demoiselle, est très célèbre dans la ville - à nouveau une petite bourgade de province. C'est une escrimeuse de très haute valeur, qui n'a eu aucune peine à s'imposer dans un monde d'hommes lorsqu'elle a repris la salle de son père. Bien qu'occupant une situation un peu spéciale au sein de cette société provinciale, elle gagne bien sa vie et sa réputation est parfaite. Il y a bien quelques mauvaises langues qui cancanent mais bon ! ne faut-il pas que les mauvaises langues cancanent ? N'est-ce pas leur raison d'être ?



Et puis, du jour au lendemain, Hauteclaire disparaît et ses clients trouvent porte close. Pendant ce temps, Barbey nous la retrouve, déguisée en humble servante, au service de l'épouse légitime de son amant, le comte de Savigny. Femme froide en apparence et très grande dame, Mme de Savigny souffre d'une santé délicate. Le médecin à qui Barbey a confié la tâche de nous narrer l'histoire - toujours ces récits emboîtés dont il se délectait - la soigne avec efficacité et la maintient, vaille que vaille. Mais un matin sinistre, par suite d'une erreur commise par Hauteclaire dans le dosage d'une certaine médecine, la comtesse de Savigny rend à Dieu son âme si distinguée. Après un deuil de bon ton et une enquête faite plus pour la forme que pour l'amour de la vérité, il épousera Hauteclaire et tous deux continueront à s'aimer à la folie, se suffisant mutuellement l'un à l'autre et s'avançant dans la vie avec la même arrogance et la même puissance que deux grands fauves en couple. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Barbey pose la rencontre du médecin, accompagné par un ami à qui il s'empresse de raconter le drame, dans un parc zoologique. On notera aussi l'allure de mignon d'Henri III qui laisse supposer, chez le comte de Savigny, une sexualité à notre avis assez particulière.



Mais la plus belle de ces "Diaboliques", parce que la plus affreuse dans ce qu'elle sous-entend entre une mère et sa fille, reste sans conteste "Le Dessous de Cartes d'Une Partie de Whist." Ancêtre posé et tout aussi britannique du bridge actuel, le whist est le jeu-phare du salon, très couru quoique une fois encore provincial, de la comtesse de Tremblay, une veuve réputée pour sa froideur, sa vertu et son extraordinaire beauté. A ces côtés, sa fille, Herminie, elle aussi très belle et qui attend, comme de juste, le prétendant idéal. Un beau soir, débarque dans cette société policée un Ecossais certainement d'origine bretonne car Barbey, avec sa passion des noms incroyables, a choisi de le nommer Marmor de Karkoël (!!!). C'est un beau jeune homme de vingt-huit ans, élégant, racé, avec cependant en lui des yeux qui rappellent, selon le narrateur, ceux de Macbeth. Très vite, car c'est un joueur extraordinaire, qu'on pourrait presque qualifier de "professionnel", il devient un habitué du salon de la comtesse, à un point tel que certains (et certaines ) sont déçus les rares fois où il ne vient pas y faire sa partie.



Je ne m'étalerai pas sur la suite. Sachez seulement que, dans ce merveilleux salon de la comtesse, il y avait aussi de non moins adorables jardinières. Vint le jour où Karkoël s'envola et où des bruits commencèrent à courir. Bruits particulièrement sinistres qui aboutirent à la découverte, très officielle, dans la terre de l'une des jardinières, du corps d'un enfant mort-né (ou à qui on n'avait pas laissé le temps de pousser son premier cri).



Depuis quand était-il là ? Oh ! On jouait encore au whist dans le salon qu'il y était déjà. De qui était-il le fils ? De la comtesse ou de sa fille ? Les deux avaient-elles eu des relations avec Karkoël ? Sans le savoir ou en se tolérant l'une l'autre ? ...



Allons, je vous laisse à vos rêveries, à vos dégoûts aussi. Pour mieux savourer cette dernière nouvelle, il faut vraiment la lire. A ma connaissance, on n'a jamais cherché à la porter à l'écran. C'est bien dommage mais il y faudrait, il est vrai, éminemment de subtilité ... et un sens aigu de la monstruosité qui, à mes yeux, aurait pas mal de choses en commun avec "Le Silence des Agneaux" de Jonathan Demme. Eh ! oui !



Un dernier conseil : Noël approche. Offrez "Les Diaboliques" de Barbey : c'est sans espoir mais à elles six, elles constituent en quelque sorte - me permettrait-il cette comparaison osée ? - le cachet d'onyx qui marque son oeuvre pour l'Eternité. ;o)
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Une vieille maîtresse

Cette "Vieille Maîtresse" n'est pas, nous le savons, le premier roman de Barbey d'Aurevilly mais assurément, c'est le premier qui arbore sa marque sans complexe aucun. Sur la route éreintante de l'écriture, l'auteur a peiné, trébuché, il est tombé aussi et il a, bien entendu, remis maintes et maintes fois, sur le métier avide et jamais satisfait, le style qu'il sentait vibrer en lui depuis toujours. Et le miracle s'est accompli : ce style, il a réussi non pas à le domestiquer - ses soudains emportements à bride abattue, sa causticité larvée, ses éclats de préciosité hautaine, il les conservera jusqu'à la fin, pour le meilleur comme pour le pire - mais à l'empêcher de fuir sous sa plume, de se dérober à sa vision cynique et furieuse de l'âme humaine. C'est ce style sans pareil, si aisément reconnaissable pour tout amateur de littérature que peut l'être, dans un tout autre genre, celui d'un Céline ou d'un Simenon, qui, malgré les longues et minutieuses descriptions, malgré les états-civils plus échevelés les uns que les autres, malgré le mélodrame indécrottable dans lequel l'oeuvre plonge ses racines têtues, malgré même les idées religieuses, fortement teintées de jansénisme, de l'auteur, et malgré un parisianisme parfois outré, charme et captive le lecteur. Il nous donne foi dans les paysages dépeints, dans les passions exprimées et dans les chutes élégantes et sans espoir : veut-on s'éloigner de Barbey, qu'il nous ramène à lui - on peut en faire l'expérience avec "Ce Qui Ne Meurt Pas", roman languissant, dans la veine de "L'Amour Impossible" mais en plus mûri et fort de toute la science accumulée par l'auteur en matière d'écriture, dont on cherche frénétiquement à se détacher au plus vite mais que, toujours sous l'enchantement, on lit jusqu'au bout.



"Une Vieille Maîtresse" reprend le classique triangle amoureux déjà étudié et réétudié par Barbey sous tous les angles mais les personnages ont cette fois dépassé le stade de la silhouette ou de la marionnette creuse que l'on fait volter et virevolter avec plus ou moins de conviction dans un décor esquissé. Il y a d'abord Vellini, la "femme fatale", celle par qui le scandale arrive et demeure, Vellini, petite, olivâtre, maigrelette et sans réelle beauté, Vellini, la brune Espagnole pimentée d'Andalousie qui a uni son sang à celui de son amant, Vellini qui, selon ses propres certitudes et superstitions, a ainsi créé entre eux un lien qui ne se peut rompre. Même quand elle n'est pas physiquement présente, Vellini s'impose à chaque page. A travers elle, c'est le Destin qui s'exprime ici, mais un Destin qui ne peut lui-même échapper à sa propre et implacable loi. Vellini, tout à la fois séduisante et redoutable, faite semble-t-il d'un seul bloc mais d'un bloc aux mille nuances, souvent incompréhensible, y compris pour elle-même - Vellini qui fait subir mais qui subit aussi. D'ailleurs, longtemps, le texte porta tout simplement son nom : "Vellini."



Cette femme forte, qui ne se laisse jamais détourner de son but, a pour amant un dandy libertin, Ryno de Marigny, qui, en bon dandy abonné à la pose de l'ennui, a déjà essayé de rompre avec elle. "Plus rien de physique, surtout !" a-t-il dit et répété. Mais en vain. Comme le lecteur s'en revient à Barbey, Marigny s'en revient toujours à Vellini - et la fin du roman, impitoyable dans sa constatation cynique, nous le prouvera largement. Pourtant, quand il tombe amoureux de Hermangarde de Polastron, blonde, jeune et superbe créature qu'il a croisée dans les salons qu'il fréquente, Marigny se dit que cette fois, c'est la bonne. Il déclare à une Vellini infiniment plus sceptique que tout est réellement fini entre eux et il court se marier.



Hermangarde est, comme il se doit, l'antithèse parfaite de Vellini, en tous cas physiquement et sur le plan de l'éducation reçue. (Sur le plan de la naissance, par contre, Vellini n'a pas beaucoup à lui envier mais je vous laisse découvrir pourquoi.) Mais les deux femmes ont en commun une passion sans limites pour Marigny, une passion qui, pour l'une comme pour l'autre, ne s'éteindra jamais.



Il ne faudrait pas oublier d'évoquer les "seconds rôles", plantés de façon magnifique par un Barbey qui n'est pas loin de les laisser "casser la baraque" - pour peu que ce trio d'aristocrates bon teint, rescapés d'une XVIIIème siècle finissant, nous permette cette expression un peu triviale. La marquise de Flers tout d'abord : elle a connu les bals de Marie-Antoinette aussi bien que l'ombre luisante de sang de la guillotine, elle n'ignore rien de ce que peut dissimuler le mot "libertinage" et elle a, comme nombre de personnes de son siècle, une grande ouverture d'esprit. Marigny la prend par la franchise en lui racontant l'étrange histoire de sa relation avec Vellini et Mme de Flers, se laissant prendre elle aussi à la sincérité du dandy (quand il assure avoir rompu, Marigny ne ment pas : il y croit aussi fort qu'il croit en sa nouvelle paire de bottes), lui accorde la main d'une petite-fille qu'elle voudrait pourtant tenir à jamais éloignée du malheur. Puis Mme de Mendoze : amie intime de la marquise, elle est née au même siècle, elle a traversé les affres de son agonie et la curieuse comédie des deux Restaurations mais, en tous cas au début, elle se montre plus réservée envers M. de Marigny avant de se laisser elle aussi séduire par la sincérité apparente de son amour. Enfin, le dernier en piste mais non le moindre, l'étonnant, l'excellent vicomte de Prosny, ancien galant de Mme de Flers et qui tient, durant tout le roman, le rôle de la Gazette vivante ou du Concierge A Qui Rien N'Echappe. C'est que, lorsqu'ils s'y mettent, les hommes font, en matière de commérages et de curiosité indiscrète, bien mieux que les femmes les plus avisées.





En toile de fond, bien plus réelle que les salons parisiens fréquentés par nos héros, la côte normande, essentiellement vue de l'automne et de l'hiver, une côte spectrale, hantée par les vents, la pluie et les légendes locales, où Vellini, puis Hermangarde s'en vont errer tour à tour, luttant contre les éléments déchaînés et la nuit qui n'en finit pas, dans leur quête effrénée, incontrôlable de leur boussole commune : Marigny.



"Une Vieille Maîtresse", à bien y regarder, c'est du mélo à l'état pur. Mais Barbey est comme Balzac : il nous attire, nous accroche, nous séduit aussi sûrement que sa Vellini. Et on lit, on lit, on ne peut pas plus renoncer à tourner les pages qu'on ne renoncerait à respirer. On passe bien sur quelques maladresses et quelques exagérations - elles aussi font partie de Barbey, on ne va pas le trahir en les lui reprochant. Sous nos yeux fascinés, l'écrivain normand assemble, mêle et démêle fils et récits. Ces derniers s'emboîtent l'un dans l'autre avec une précision de boîtes gigognes, un narrateur suit l'autre sans que le lecteur en soit déstabilisé un seul instant : c'est du grand art, la libération d'un homme qui, pour la première fois, maîtrise la force qui l'habite et le pousse à écrire. ;o)
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Les Diaboliques

Dans ce livre, recueil de six nouvelles plus ou moins longues, Barbey d’Aurevilly nous parle de toutes ces femmes aux multiples facettes, pouvant être froides, méprisantes, impassibles, comédiennes, vengeresses, cruelles, manipulatrices, même démoniaques, au choix… Tout en étant d’un autre côté fougueuses, maladroites, amoureuses, passionnées… au choix… Ici les femmes sont les dominantes, celles qui ont le dernier mot, et les hommes sont les pauvres victimes d’un ensorcellement, d’un pouvoir magnétique de la femme, comme la mante religieuse. Ce qui n’empêche pas de trouver aussi des hommes cruels, meurtriers, vengeurs. De la simple vengeance au meurtre, à la folie, où sont les limites ? Des souvenirs parfois glaçants pour ces hommes qui en ont croisées, dans l’admiration pour certains.



Ici le narrateur est toujours le témoin d’une histoire qu’on le lui a racontée et le retranscrit au lecteur. Nous sommes au 19ième siècle et l’on y croise donc l’aristocratie, les dandies, les prostituées, l’adultère… Barbey d’Aurevilly est un très bon conteur, sait nous tenir en haleine et nous surprendre. Il a fait le choix de traîner en longueur, faut-il encore l’apprécier. Pour ma part j’ai senti parfois que c’était trop, trop de bavardages qui peuvent me lasser. Mais c’est une époque et on le lit comme tel. Entre Le rideau cramoisi, Le plus bel amour de Don Juan, Le bonheur dans le crime, Le dessous de carte d’une partie de Whist, A un dîner d’athées et La vengeance d’une femme, ma préférence se porte sur Le plus bel amour de Don Juan pour la description de cette femme et cette fille où là le faux-semblant est à son paroxysme ainsi que la perfidie, comme beaucoup dans ce recueil, mais j’ai aimé ces portraits. Je dois dire que Le bonheur dans le crime m’a séduite aussi par l’aplomb de cette autre femme et l’effacement dont elle a pu faire preuve.



Des portraits brossés avec un talent littéraire indéniable, savoureux, de l’ironie (et ça j’adore !) d’une psychologie très juste mais paradoxalement assez caricaturale, ce qui est sans doute voulu. Il met en exergue les possibilités sans limites de la partie sombre des êtres, surtout des femmes évidemment, Les Diaboliques, et de l’amour sous toutes ses formes, du plus perfide au plus meurtrier et écoeurant. Des descriptions très longues, mais qui permet d’avoir des personnages fouillées autant physiquement que moralement et psychologiquement. Des énigmes, des questions en suspens. J’ai adoré ces histoires mais cela ne peut être un coup de coeur car l’approche par le bavardage n’est pas dans ce que je préfère. C’est difficile à définir, j’ai aimé sans être totalement charmée, charmée par les mots, l’histoire mais pas par l’esprit « bavard ».
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Les Diaboliques

Ces histoires à faire froid dans le dos, l'amante morte dans les bras du soldat, la fausse servante empoisonneuse, la marquise qui se fait putain, auraient pu fasciner. Elle l'auraient dû. Mais Barbey est trop bavard, il enrobe trop, il discute, il batoille, il décrit tout trop longuement pour ne pas ennuyer un lecteur de nouvelles habitué au vertige rapide et sans fioritures de Maupassant. Bref, le diabolique, chez Barbey devient barbant, anecdote, blabla de salon, morbide batifolage, que l'on lit avec intérêt mais sans frisson, tellement on s'est habitué au quotidien de l'horreur.

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Le chevalier des Touches

En 1858, Jules Barbey d'Aurevilly rencontre Jacques Destouches alors interné à l'asile du Bon-Sauveur de Caen, "maison de santé" où il passa les trente-deux dernières années de sa vie. Mais qui est Jacques Destouches ? C'est un personnage historique, ancien Chouan ayant participé à la guerre des partisans en Normandie - car la Chouannerie a dépassé les frontières de la seule Vendée.



"Le chevalier des Touches" est un roman qui se veut biographique mais qui en vérité est assez éloigné de la réalité avérée par L Histoire. Arrêté à Avranches et condamné à mort à l'âge de dix-huit ans, Jacques Destouches sera délivré par ses acolytes à la suite d'une périlleuse expédition. le récit tourne donc entièrement autour du récit de ses aventures, narrées par une vieille fille ayant eu partie liée avec les révoltés au service des royalistes. Beaucoup d'aventures structurent donc la narration, servie par un style académique non déplaisant.



Balzac eut peu d'admirateurs aussi fervents que Barbey d'Aurevilly. On se rappellera sans doute que ledit Honoré écrivit en 1828 "Les Chouans", un roman aussi historique que politique puisque paru sous le règne de Charles X. Nul doute que Barbey d'Aurevilly s'inspira une fois encore du Maître au moment d'écrire "Le chevalier des Touches". Hommage certain, associé à sa propre curiosité qui lui fit rencontrer son sujet quelques années avant qu'il ne meure dans l'oubli. Là encore, est-ce le souci de l'hommage qui le pousse à sublimer dans cette fiction historique les vertus et capacités d'un loyal serviteur des Bourbon qui, s'il ne manqua certes pas de courage, sombra dans la folie au point qu'il fut envoyé au loin, jusqu'au Canada. le portrait que brosse Barbey d'Aurevilly du turbulent contre-révolutionnaire manque certes d'objectivité mais non de sentiment. A lire comme un simple récit d'aventures guerrières et sentimentales.





Challenge XIXème siècle 2020
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Une vieille maîtresse

Etrange, étrange Berbey d’Aurevilly, tantôt pieu dévot, tantôt dandy fêtard ! Un dualisme que l’on retrouve au cœur de cette œuvre au croisement de multiples influences. Le héros, Ryno de Marigny, est un jeune aristocrate romantique qui semble tout droit tiré d’un poème d’Ossian : haute stature, vaste poitrine et œil fière… Mais aussi libertin aux innombrables conquêtes. Et voici ce vaillant pris entre deux femmes.



D’un côté, la pure et blonde Hermangarde, qui du haut de ses dix-huit ans, incarne la dernière lueur de noblesse et de beauté jetée par le feu agonisant qu’est la noblesse française. De l’autre, la Vellini, une bâtarde d’hidalgo ayant roulé sa bosse d’un bout à l’autre de l’Europe et connu cents amants ; laide et terne quand son brasier intérieur s’éteint. Mais quand il se rallume, nulle ne peut lutter avec le pouvoir d’attraction qu’elle exerce. Et il le sait bien, puisqu’il en subit l’emprise depuis dix ans !



Et ce dantesque combat du bien contre le vice, de l’ange contre Lilith… Fait l’objet d’un pari général parmi ses amis. Pour corser le tout, et rompre la linéarité de l’histoire, certains passages-clés sont racontés par le biais d’un truchement : le vicomte de Prosny, antique aristocrate décavé passé par tous les régimes et toutes les époques avec la même indifférence et le même appétit, a courant de tous les ragots, et courtisan la même belle depuis soixante ans. Et celle-ci n’aime rien tant que connaître les derniers développements de l’affaire.



Un esprit fantasque ne manquerait pas de comparer ces protagonistes à la personnalité de Barbey d’Aurevilly lui-même. Hermangarde, c’est sa foi, son idéal et son désir de pureté fait chair. La Vellini, c’est le « Sardanapale d’Aurevilly » qui sommeille en lui, comme le surnommaient ses amis, jeté dans toutes les débauches et enchainant les passades. Et ces deux aspects antagonistes se combattent dans le cœur du beau, du mirifique et héroïque don Juan qu’est Ryno de Marigny dans lequel il s’idéalise… Même si son véritable portrait est plus proche du vicomte de Prosny.



En somme, on pourrait l’accuser d’hypocrisie et de bigoterie, s’il n’y avait deux choses. Premièrement, cette ironie féroce qui transforme la lutte entre le bien et le mal en pari sportif. Deuxièmement, son amour de la côte normande et de ceux qui y vivent. Le naturel et la tendresse avec lesquels il en parle laisse peu de place au doute : il a fréquenté les pêcheurs et les mendiants, bu le cidre dans les bouges. Et là se révèle peut-être le vrai Barbey d’Aurevilly : rejeton d’une famille de coqs de villages ayant fait l’emplette d’une particule, prédestiné à vivre une vie paisible ente une famille et la gestion de ses terres… S’il n’était monté à Paris.
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Les Dames Baroques

« Les dames baroques », anthologie dirigée par Estelle Valls de Gomis, regroupe les textes de pas moins de vingt auteurs, certains jouissant déjà d'une certaine réputation dans le monde des littératures de l'imaginaire tels que Charlotte Bousquet ou Justine Niogret, d'autres encore peu connus, et certains plus anciens puisque datant du XIXe, voir du XVIIIe siècle. Vingt nouvelles, trois cent pages, le tout consacré au personnage de la femme fatale, figure ô combien complexe et énigmatique qui hante depuis toujours un bon nombre de récits. Les angles d'approche adoptés sont, évidemment, extrêmement variés. Certains textes prennent ainsi l'allure d'un conte où une princesse de diamants désespère de se trouver un époux (« Lapidaire »), tandis que d'autres se plaisent à mettre à l'épreuve leurs prétendants (« La Belle aux Cheveux d'Or ») ou se livrent à un morbide loisir (« La princesse aux lys rouges »). D'autres prennent place à notre époque et narrent les déboires de femmes en proie à une mystérieuse magie : bague ayant gardé l'âme de sa dernière propriétaire (« La Dame de Gwenninis »), rêve s’immisçant dans le réel (« Le Bol d'Argent »)... D'autres encore relatent les malheurs d'hommes victimes de la beauté d'une femme (« Jusqu'au bout de la vérité ») ou bien d'un amour trop dévorant (« Rosea Furiarum »).



Tour à tour innocente ou manipulatrice, maléfique ou bienfaisante, bien réelle ou au contraire fruit des fantasmes les plus fous, les femmes présentent dans cette anthologie possèdent toutes des facettes différentes que l'on se plaît à découvrir au fil des pages. Certaines nouvelles sont évidemment plus marquantes que d'autres et parmi elles quatre ont particulièrement retenu mon attention. Étrangement il s'agit de quatre textes dans lesquels sont narrés, de manière très différente, le calvaire d'une femme : sorcière injustement accusée et condamnée par l'église à brûler chez Armand Cabasson (« Le baiser de la sorcière »), favorite d'une noire déesse dont on s'approprie une fois par an le corps chez Justine Niogret (« Le jour de la Belladone »), jeune pied de bot martyrisée et apprentie d'un alchimiste en quête de la vie éternelle chez Elie Darco (« Les crocs de la Basilicate »), et enfin fille moderne perdue dont on ignore si elle est victime de folie ou de l'influence néfaste d'une défunte sorcière. D'autres nouvelles valent également le coup d’œil, même si on pourrait souvent regretter la trop grande brièveté de certaines qui s'achèvent à peine commencées et entraînent ainsi une certaine frustration.



Au final, une anthologie au thème atypique proposant un large panel de textes dans lequel chacun devrait trouver son compte. C'est là une bien belle initiative qu'a eu Estelle Valls de Gomis qui nous offre avec « Les dames baroques » un ouvrage dense et original que j'ai pris plaisir à découvrir.
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L'Amour impossible

Une forme très particulière de l'amour impossible, du moment où nous sommes en période du romantisme où la plupart des enjeux se jouent autour des personnalités qui se rebellent contre la société, on obéit parfois à la loi seul contre tous ou l'amour s'en va contre le monde, mais l'amour impossible qui nous concerne ici est celui de deux êtres, conscients de leur égo un peu trop suprême, qui reconnaissent en eux cette entrave qui ne saura les soumettre à un amour aveuglant...ils choisissent de planer sur la planète de Platon...

Pour un premier roman de Barbey, on lui pardonne sa jeunesse dans le style!
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Une vieille maîtresse

Paru en 1851, ce roman est le roman de l'amour mais également de l'emprise. Celle d'une femme, la vieille maîtresse, la Mauricaude comme on la surnomme, la Vellini, cette vieille maîtresse non pas uniquement par l'âge, quoi que plus toute jeune, mais par la durée de sa liaison avec Rony de Marigny. Ce dernier a multiplié les conquêtes mais lui est toujours revenu et lorsqu'il lui annonce qu'il se marie avec la belle et innocente Hermangarde, avec qui il partage un amour sincère et qui lui apporte également une aisance financière, elle lui prédit que cette union ne changera rien à leur lien qu'elle appelle amour mais qui ressemble presque à un ensorcellement tant ils sont unis, pour toujours, quoiqu'il fasse.



Deux femmes que tout oppose, tout différencie, l'une au tempérament de feu, au physique peu plaisant, prête à tout pour garder une place privilégiée dans le cœur de son amant et l'autre, jeune, jolie et tendre, qui tombe sous le charme de Rosny et qui fera les frais d'un mariage, certes d'amour, mais dont l'ombre et la présence de la maîtresse et de l'attirance de son époux pour celle-ci mettront en péril.



L'auteur utilise nombre de procédés pour nous conter cette histoire d'amour diabolique. Il y a les gens de l'entourage : parents, ami(e)s ou commères, mais également échanges épistolaires pour retranscrire les ressentis de chacun. L'auteur dresse ainsi un portrait de chacun de ses personnages,  leur concédant une sincérité dans leurs sentiments, même la Vellini qui n'hésite pas à user de stratagèmes pour garder Rosny près d'elle. Mais elle a des arguments : un passé de dix ans avec lui, émaillé d'un deuil douloureux et même si Rosny joue la carte de l'honnêteté que ce soit avec sa maîtresse mais également avec sa future belle-famille, rien n'y fera : les deux amants sont comme les deux pôles d'un aimant qui s'attirent dès qu'ils sont en présence l'un de l'autre.



Avec une écriture très riche, imprégnée des décors de la Normandie natale de l'auteur dans la deuxième partie avec tout ce que l'environnement peut offrir de violence, de mer déchaînée comme le sont les sentiments et l'issue que l'on pressent, l'histoire se déroule sous nos yeux, très imagée avec ce qu'il faut de revirements grâce à l'intervention des personnages secondaires servant d'agents de liaison.



On ne peut détester l'un ou l'autre des protagonistes, ils sont tous sincères dans leurs sentiments, même si la Vellini endosse le mauvais rôle, celle de la maîtresse bafouée, abandonnée et diabolique dans son obstination à se rapprocher du couple, utilisant tous les moyens pour continuer à exister et prendre le dessus dans le cœur de son amant.



L'auteur s'attache à la personnalité des personnages, avec une maîtresse tour à tour ensorceleuse ou sorcière, devenant provocatrice et sensuelle, faisant de Rosny son jouet, lui-même ne comprenant pas toujours pourquoi il succombe à chacune de ses réapparitions, se retrouvant dit-il sans volonté face à elle alors qu'il est sincère dans ses sentiments avec son épouse celle-ci n'usant d'aucun stratagème pour lutter contre sa rivale, allant presque jusqu'à se sacrifier.



Les personnages secondaires reflètent à la fois les bruits des salons parisiens de l'époque, où tout se disait, se savait ou s'inventait  mais également l'ambiance du pays normand donnant à l'ensemble un roman tragique et passionnel où les personnages se déchirent et courent vers un destin inévitable avec des scènes où la nature et sentiments se mêlent. Trois visages de l'amour : la fougue, la fragilité et l'homme déchiré entre deux femmes.



J'ai eu parfois un sentiment de quelques longueurs, de redites par la reprise de certains événements par d'autres narrateurs ou procédés de narration mais cela vient peut-être également du fait que j'avais hâte de découvrir l'issue de cette double histoire d'amour. Le désarroi de Rosny, partagé entre deux femmes, une qu'il aime et une autre à laquelle il ne peut résister, m'a touchée et l'écriture de Jules Barbey d'Aurevilly donne au roman un souffle à la fois de romantisme, d'aventure et de dramaturgie propre à ce genre de récit avec un final en total accord avec le fond de l'histoire.



Un classique de la littérature française que j'ai aimé découvrir et qui fait scandale à sa sortie par son audace...
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Le Cachet d'Onyx

Une petite nouvelle très dense, intense en émotions! L'auteur crache les déchirures de son cœur de jeune homme, blessé en amour, qui ne pense que vengeance. Le ton est rude, les mots, les phrases pleuvent comme sous l'effet d'un enchantement. On croirait que le texte a été écrit sous l'impulsion d'un état extatique purement surnaturel. L'auteur semble porter le crime d'Othelo, ou vais-je dire sa vengeance, oui il veut venger Othelo avec ce texte, c'est une vibrante haine portée envers cette femme qu'on aime à la folie, qu'on rejette comme par un coup de tonnerre, et qu'on veut tenir comme une esclave, on lui marque d'un cachet d'Onyx à un endroit tenu secret...en tout cas, c'est une nouvelle qui ne se lit pas facilement tant l'auteur y fait bouillir ses émotions d'un jeune désespéré, assoiffé de vengeance!
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L'Ensorcelée

J’ai fait la connaissance de Jules Barbey d’Aurevilly lorsque j’étais encore au lycée. Notre prof de français nous avait demandé de lire Une vieille maîtresse. Je me souviens d’avoir beaucoup apprécié cette lecture malgré une première moitié du livre ennuyeuse à mourir et qui aura eu raison du peu de courage de mes camarades de classe de l’époque. Mais pour les quelques rares téméraires qui ont poursuivi la lecture jusqu’au bout, leur volonté aura été récompensée par une deuxième moitié absolument passionnante pour laquelle je me rappelle mon enthousiasme.

Je n’avais pas renoué avec Barbey depuis lors, bien que ma bibliothèque comptât parmi ses rayonnages deux autres œuvres de cet auteur. J’ai donc proposé l’une d’entre elles, L’ensorcelée, en lecture commune. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre et j’ai abordé ce roman sans aucun a priori. Et la surprise fut plutôt agréable.



L’ensorcelée est un roman qui oscille entre le fantastique et le réel. Barbey y a mis tous les ingrédients caractéristiques d’un roman fantastique : des personnages énigmatiques, une lande désolée et lugubre, des scènes étranges, des légendes et des superstitions, un brin de sorcellerie bref … un véritable cocktail détonnant.

Et parmi ces personnages énigmatiques, on compte surtout l’abbé de la Croix-Jugan, cet homme mystérieux qui fait tourner les têtes et le cœur des femmes jusqu’à leur complet dépérissement.

L’auteur l’assimile souvent à la figure du Diable, de par son aspect physique tout d’abord mais aussi par son comportement froid et distant. Le lecteur est pourtant dans la confidence et connaît l’histoire de l’abbé contrairement aux autres personnages. Mais malgré ça, il est resté quand même pour moi doté d’une aura mystérieuse tout au long du récit car finalement on ne sait pas tant de choses que ça sur son compte. Tantôt on le croit sans cœur et tantôt on le voit voler au secours d’une pauvre vieille mourante.

C’est une façon assez cruelle pour l’auteur d’aborder le thème de l’amour non partagé. La pauvre Jeanne n’est pas la première victime de l’abbé ce qui lui donne une dimension mystérieuse supplémentaire, comme si l’abbé avait le pouvoir d’ensorceler ses admiratrices. Que le lecteur ne s’imagine pas obtenir une explication à tout ça, il devra se contenter de son imagination et de ses propres suppositions.



Cette histoire de l’abbé de la Croix-Jugan nous est rapportée par le narrateur qui la tient lui-même d’un fermier rencontré au hasard d’un voyage et complétée ensuite par ses propres recherches. Le procédé est intelligent car il excite la curiosité du lecteur. Qui n’aime pas qu’on lui raconte les vieilles histoires, les légendes d’un village ou d’une région ?

Qui plus est, Barbey nous relate tout ça dans un style magnifique où il n’hésite pas à utiliser le patois local normand ce qui donne encore plus d’authenticité et de réalisme au texte.

Il ancre son récit dans un contexte particulier qui est celui de la chouannerie normande. Il est vrai qu’en ce qui concerne la chouannerie, on pense surtout à la Vendée et j’ai trouvé très intéressant que Barbey nous parle de ce qu’il en était de ce mouvement contre-révolutionnaire dans une autre région ( la sienne et aussi celle où j’ai grandi ). Le contexte lui donne d’ailleurs l’occasion de nous exposer ses vues politiques : clairement royaliste, Barbey nous dresse un portrait très sombre et pessimiste de la France sous la République puis l’Empire.



J’ai donc beaucoup apprécié cette lecture, son côté à la fois fantastique et réel, le savant dosage des éléments fantastiques qui nous fait parfois douter, l’immersion dans la vie d’une région au temps de la chouannerie, le fait que Barbey soit très cru dans les faits qu’il raconte. Violence des actes et violence des sentiments, il n’épargne en rien le lecteur.

Un roman très fort, puissant où l’on ne s’ennuie pas à un seul instant. Il ne me reste plus qu’à sortir Les Diaboliques de ma bibliothèque.


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Du dandysme et de George Brummell

Au-delà de la biographie admirative volontairement mythifiée du dandy anglais de la première moitié du 19ème siècle George Brummell, c'est bien au service de sa propre cause que s'emploie le talent de Barbey d'Aurevilly, proposant une véritable théorie du dandysme comme modèle d'indépendance d'esprit et d'existence, défiant le pouvoir et les hautes classes sociales, avec un art raffiné de l'artifice, du signe, du langage, du double-sens et un opportunisme de l'instant présent, singulièrement capable de juger le bon moment pour le bon mot et la bonne victime.

Personnage conceptuel échappant à l'Histoire, Brummell devient sous la plume de l'auteur normand si anglophile un mythique et rebelle dandy flamboyant, reprenant le "il y a un je ne sais quoi chez le dandy" décrit par Montesquieu, le spécifiant par une sorte de grâce qui le différencie des simples mortels.

Avec une écriture exquise sertie dans un génie narratif propre à Barbey d'Aurevilly, ce récit biographique s'affranchit des faits réels de la vie de Brummell, le dandy anglais devenant un personnage littéraire idéalisé incarnant entre les lignes Barbey d'Aurevilly lui-même et son dandysme normand puis parisien (Paris étant un passage obligé du dandysme et le territoire naturel de tous les bouffons des puissants), même si l'auteur restera singulièrement solitaire et souvent à l'écart des cercles de courtisans.



Volontairement chargée d'approximations, cette biographie de Brummell filtre tout ce qui gênerait le mythe du dandy parfait. Brummell, jeune hussard, proche du prince de Galles, séduit la Cour britannique et devient une institution du dandysme anglais puis s'exilera en France où il mourra en dandy. On l'aura compris : avec le grand Brummell de Barbey d'Aurevilly, c'est sa vie qui est son œuvre.

Rien sur ses revers de fortune, alors que Brummell a vécu dandy moins de temps qu'il n'a été dans la déchéance et la médiocrité, devenu dans son exil un perdant endetté, revanchard et oublié. Rien sur le petit Brummell escroc, maître-chanteur, grossier, prétentieux, voleur, menteur et manipulateur.

L'intérêt de cette œuvre réside surtout dans la capacité que l'auteur a à défendre la fatuité anglaise : la vanité des hommes, sentiment négatif mais sincère, étant incontournable, autant l'assumer et la mettre en scène pour construire une vie indépendante et moqueuse des pouvoirs. Mais c'est oublier de la part de l'auteur que le dandy est une fragile apparence, un porteur de masques qui ne vit que dans la considération d'autrui et dépendant des subventions des dominants.



Très éloigné de la théorie du dandysme surstoïcien de Baudelaire dans Le peintre de la vie moderne où le dandy est un personnage typique des périodes intermédiaires où les pouvoirs migrent des vieilles classes possédantes vers les nouvelles dominantes, le Brummell de Barbey d'Aurevilly fait silence à dessein sur certaines évidences : Brummell n'a fait personne, c'est la couronne britannique et les classes dominantes qui l'ont fait dandy puis l'ont défait. Entretenu par les riches tant qu'il était à la mode, l'éphémère Brummell et ses savants nœuds de lavallière ont été une illusion d'indépendance.

Car la rébellion du dandy tourne toujours à vide puisqu'il se rebelle pour lui-même et son miroir, éternellement incapable de dépassement de soi. Obsédé par sa posture, Brummell en oublia d'être lui-même, donc il ne fut rien et mourut comme tel, laissant derrière lui une ou deux anecdotes mondaines, un ouvrage de mode et quelques fort malveillants mots d'esprit.

Ainsi, le mythe forgé par Barbey d'Aurevilly se révèle aussi fragile, assujetti aux puissants et vain que le furent Brummell et sa collection de porcelaines de Saxe.
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La vengeance d'une femme

Pour une vengeance noire, une BD en noir et blanc fait vraiment l'affaire, avec des scènes érotiques, on voit cette femme comme une assoiffée de la chair plutôt comme une vengeresse de la chair...en tout cas, l'atmosphère dans la BD est moins sombre que dans la nouvelle originale de Jules Barbey d'Aurevilly bien que les images soient en noir et blanc
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Une vieille maîtresse

Une vieille maîtresse, c'est le trio classique de l'homme partagé entre l'ange et la sorcière, entre l'idéal et le monstre, entre l'esprit et les sens - mais de manière joliment ambiguë jusque dans la défaite finale.

Au centre, il y a Ryno de Marigny, un homme qui a, comme on dit, déjà beaucoup vécu, affligé d'une réputation de Don Juan de salon en partie justifiée, un homme ardent à l'amour et volage, sans cruauté pourtant mais fatal, et fatalement déformé par le prisme des esprits mesquins.

Face à lui, la blonde Hermangarde qu'il s'apprête à épouser, fille de noble famille, belle, pure, entière comme le sont tous les anges, profondément éprise de ce futur mari qui l'adore comme on adorerait une icône capable de renverser toutes les autres idoles.

Derrière, la brune Vellini, qu'il a aimée autrefois, à qui l'ont lié dix ans de vie commune, un sortilège de sang, un désir charnel jamais vraiment éteint. Vellini, fille adultérine d'une duchesse espagnole et d'un obscur torero, à demi courtisane, plus toute jeune, moricaude, laide, violente et sensuelle comme le sont les sorcières, détentrice d'un pouvoir que l'homme cultivé des salons parisiens ne sait comprendre mais ressent dans tout son être.

Après dix ans de passion, Ryno n'aime plus Vellini et Vellini n'aime plus Ryno. Les choses entre eux sont claires, et très sincèrement, Marigny s'estime capable de se ranger enfin comme parfait époux d'Hermangarde. Mais quel homme saurait lutter contre la fatalité - ce joli nom que l'on donne aux faiblesses de l'âme et du cœur ou aux pouvoirs de l'inconscient ?



Il a suscité bien des analyses, soulevé bien des critiques, ce roman que son auteur a pu considérer comme une condamnation de l'empire des passions quand de nombreux contemporains y voyaient un texte immoral, peignant beaucoup trop bien ce qu'il prétend condamner - tout particulièrement de la part d'un auteur affirmé catholique ! Belle réponse de Barbey, d'ailleurs, qui dans sa préface de 1866, très engagée et passionnante, revendique le droit des artistes catholiques à peindre l'âme humaine telle qu'elle est, jusqu'aux excès et les séductions des passions et à laisser le lecteur en tirer ses propres conclusions, plutôt que se cantonner aux fadeurs débilitantes des textes édifiants. Réactionnaire jusqu'au bout des ongles, Barbey l'était toutefois avec panache, bien loin de l'image de moralisme étriqué qu'on attache souvent aux milieux légitimistes de son temps.



Le résultat est un texte à la fois très symbolique et très juste, riche de ses ambiguïtés comme l'est au fond la vie, ouvert aux interprétations de chaque sensibilité et dépourvu de toute morale facile. L'ange et la sorcière, d'ailleurs, s'ils ont tous les attributs de leur rôle, sont loin d'y rester étroitement cantonnés.

Angélique, Hermangarde est loin d'être mièvre, c'est avant tout un caractère dont la grande fierté et l'extrême sensibilité peuvent être vus comme trop exigeants, incapables de s'accorder aux dualités de son époux, de comprendre les faiblesses fondamentales de cet homme si fort et si fondamentalement humain.

Quant à Vellini, malgré son indolence lascive et sa superstition qui en font, a priori, une intelligence médiocre, malgré ses caprices bizarres et son caractère volcanique potentiellement assez pénible, c'est aussi une femme honnête et franche, capable de tout entendre et de comprendre beaucoup, jamais vénale, parfois cruelle par colère mais dépourvue de toute réelle méchanceté, capable d'une véritable compassion vis à vis de ses rivales malheureuses.

La dualité morale entre elles deux doit tout autant au regard de la société et à l'attitude de Ryno qu'à leur seul caractère, à leur seule nature. Barbey lui-même le souligne dans une autre préface : "La vieille maîtresse eut été sa vertu, s'il l'avait épousée, et en ne l'épousant pas, il en a fait son vice !" Et au lecteur d'aujourd'hui qui soupirerait de ces sempiternelles oppositions entre vice et vertu, on peut répondre que l'opposition entre raison et déraison en matière amoureuse reste, elle, de toute éternité !



Le roman est un peu inégal - après une première partie assez impeccable, la seconde peine parfois à trouver son rythme et s'empêtre dans quelques longueurs. Le mélodrame y est aussi plus présent, parfois peut-être un peu facile. Mais la puissance de tout cela n'en reste pas moins forte, grâce à des symboles forts, à de très beaux personnages (et je n'ai même pas évoqué mon préféré, la délicieuse grand-mère d'Hermangarde, esprit élevé, audacieux, généreux, dont l'effacement entraîne un inéluctable déclin, comme la disparition de l'esprit d'Ancien Régime sonne, pour l'auteur, le début de toute décadence). Tout cela porté, enfin, par une langue très raffinée et très précieuse, une langue de cabinet de curiosité qui n'appartient qu'à Barbey et s'épanouit dans de superbes descriptions de la côte normande.
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L'Ensorcelée

Lorsque le récit commence, un voyageur à cheval arrive à l’auberge du taureau rouge, à l’orée de la lande de Lessay, dans le Cotentin. Il y rencontre un fermier, maître Tainnebouy, qui accepte de le guider à travers la lande. Au cours de leur périple, le fermier se met à raconter à son compagnon l’histoire de l’abbé de la Croix-Jugan.

Cet abbé fut naguère un chouan qui, suite à une défaite face aux républicains près de St Lô, décida de se suicider. Recueilli et soigné par une vieille femme, il survécut mais les républicains le retrouvèrent et le défigurèrent de façon abominable. Après-guerre, on le vit réapparaître aux vêpres de l’église de Blanchelande, enveloppé dans un capuchon noir. Le chouan, devenu prêtre, fascina la belle Jeanne de Feuardent, femme d’un riche propriétaire terrien. Succombant à un attrait incontrôlable pour cet homme à l’horrible figure, Jeanne devint l’ensorcelée, celle dont la mort engendra les pires tragédies...



La découverte de l’univers de Barbey d’Aurevilly fut un vrai choc. Étrange, inquiétant, sauvage, son récit sans concession exacerbe la violence des passions amoureuses. A l’évidence, le bonhomme entretenait une fascination pour le sacrilège, l’horrible (le visage du prêtre) et les forces occultes (les bergers errant sur la lande aux pouvoirs de sorciers). La lisière du fantastique est aussi par moment allègrement franchie, notamment lors de l’épisode du miroir. L’écriture est à la fois précise, expressive et tout en tension. Il y a bien quelques longueurs mais les événements marquants sont si nombreux qu’à chaque fois que le propos semble s’enliser, l’intérêt du lecteur est relancé par un coup de théâtre. La violence est omniprésente et s’accompagne d’un refus de toute morale. Une forme d’outrance et d’insolence propre au dandysme qui sonne comme un défi adressé au bon goût. Et que dire des personnages : point de tiédeur ou de demi-mesure. Du prêtre à Jeanne en passant par le mari trompé, les sorciers et même la Clotte, vieille femme paralytique qui sera lynchée sur la place publique, tous sont animés d’une force de conviction absolument remarquable et représentent des figures marquantes qu’il est difficile d’oublier.



Je suis sacrément content d’avoir plongé sans retenu dans ce bouillonnement des passions saupoudré d’un zeste de surnaturel où la morale n’a pas sa place. La violence de l’écriture de Barbey, surprenante et sulfureuse, m’a, je dois l’avouer, ensorcelé au point que j’ai hâte de poursuivre la découverte de son œuvre avec le recueil de nouvelles Les diaboliques (tout un programme !).


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