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Critiques de Jules Barbey d`Aurevilly (287)
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Le chevalier des Touches

"Le portrait de Martin Sommervieu" m'a incité à relire une fois de plus le Chevalier des Touches et à ouvrir cette vieille édition de la fin du XIX, illustrée par Julien le Blant, que cinq générations familiales ont lu, annoté, corné, parfois taché, et assurément usé, en appréciant son éternelle actualité et son ancrage régional.



Le salon de Valognes m'évoque d'autres salons à Alençon, Lisieux, Mayenne et aussi en Bretagne, à Vannes, ou en Vendée, près des Lucs, à écouter devant une cheminée, celles et ceux qui nous ont précédé nous décrire des épisodes qu'ils ont vécus ou connus au fil des ans. Cette ambiance chaleureuse des maisons familiales, quasi inchangées au fil des années, rajeunit spontanément les mémoires et il suffit d'une retrouvaille ou d'un album photo pour lancer la conversation et revivre une des guerres mondiales, l'exode, le débarquement, le sauvetage d'un pilote allié abattu, d'un naufragé ou d'un proscrit. Quelle famille n'a pas à chaque époque son épopée et son Chevalier des Touches ? Qui n'a pas entendu Mai 1968, ou mai 1981 raconté et embelli et qui demain n'aura pas à réentendre évoquer telle action des Gilets Jaunes ou le drame du Bataclan ou de Charlie Hebdo ?



Et les Percy, l'amazone et l'abbé, je les ai croisés, ou plutôt j'ai eu la chance de connaitre leurs réincarnations et quelle famille n'a pas ses demoiselles de Touffedelys ? Ce sont nos grandes tantes qui eurent 18 ans en 1918 et restèrent célibataires suite à l'hécatombe de la grande guerre. Ce sont nos tantes dont les fiancés furent prisonniers en 1940 et massacrés ensuite en Allemagne.



J'ai passé les dernières soirées projeté dans ce salon de Valognes au milieu d'amis, qui certes n'ont connu ni la révolution ni l'empire, ni la restauration, mais ont vécu les épisodes suivants et accomplissent leur devoir de mémoire en transmettant ce qu'ils ont vécu.



Le Chevalier des Touches est intemporel, éternel, c'est le héros de chaque époque, de chaque province et c'est ce qui le rend si proche, si attachant, quoique ce chouan ne reculait devant rien comme l'illustre le terrible épisode du Moulin Bleu.



Une lecture qui dope la mémoire et excite l'imagination, voici ce que Barbey d'Aurevilly a eu le talent de nous offrir avec ce salon qui devient un écran laissant place à l'histoire et ses héros et héroïnes.

Un chef d'oeuvre que j'espère relire à l'avenir.
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Les Diaboliques

N'avez-vous jamais ressenti la tentation intempestive, lors d'un déjeuner en famille, un de ces dimanches de printemps, attablé entre votre vieille tante dévote et face à votre cousine compassée, de tenir un propos malaisant et d'une obscénité telle qu'il ferait suffoquer votre vieille tante et défaillir votre pauvre cousine ?



Eh bien ! Sous couvert de prêcher le mal pour en dégoûter les bons dévots, Barbey d'Aurevilly nous lègue six nouvelles énigmatiques et licencieuses à souhait, pour le seul « plaisir aristocratique de déplaire » comme l'eût dit Baudelaire.



Entendons-nous bien. Il ne s'agit pas d'un roman cru ou érotique à la Pierre Louÿs, Apollinaire ou D.H. Lawrence. Mais si l'on se glisse un instant sous la soutane d'un sympathisant jésuite de la fin du XIXème siècle on peut imaginer la subtile indécence de ces nouvelles.



D'ailleurs, cet ouvrage, archétype du dandysme littéraire, ne manque ni d'espièglerie, ni d'effronterie, tant et si bien que le Parquet de Paris songea à intenter une action pour atteinte à la morale publique.



C'est que derrière le plaisir coupable de mettre en scène ces femmes à la morale jugée dissolue, le lecteur découvre un écrivain minutieux à la plume sophistiquée. Outre l'éminente qualité littéraire, le lecteur est saisi par la sensualité qui, puisant sa source dans l'encrier, afflue le long de la plume et se distille sur les feuillets pour enfin innerver toute la langue « aurevillienne ».



En fait d'architecture, ces nouvelles sont d'anatomie comparable (à l'exception de « la vengeance d'une femme ») : le narrateur rencontre un personnage masculin, Don Juan (lui-même), un athée repenti ou un militaire en fin de carrière, qui lui confesse un évènement dont il fut acteur ou témoin et impliquant une femme. La « diabolique » est dépeinte de l'extérieur et à aucun moment le lecteur n'accède à ses pensées, ses ressorts, ses mobiles. C'est un personnage distancié dont la silhouette, cachée derrière un rideau cramoisi, reste ambiguë.



Le charme réside également, genre littéraire oblige, en une chute plus sibylline que le récit lui-même.



Ce n'est pas à dire que le récit ne présente pas d'intérêt car, si certains critiques ici jugent le style trop verbeux et l'action peu haletante, cette indéniable et volubile nonchalance est finalement repêchée par la malice du verbe et l'esthétisme de la forme.



Il nous faut à présent dire un mot de la dernière nouvelle, coup de coeur personnel, « la vengeance d'une femme », dont la structure est quelque peu différente. Première différence notable, les prolégomènes dandys des premières pages passent à la trappe au profit salutaire d'une narration à la mécanique plus accrocheuse. Seconde singularité, le lecteur accède enfin au discours direct d'une « diabolique » car il ne s'agit plus de propos rapportés mais d'un personnage principal féminin qui s'exprime pour son compte.



Il ne tient qu'à vous désormais d'entreprendre le périple jusqu'à la Normandie natale de Barbey, sur les traces de ces Diaboliques dont certains villageois, autour d'une partie de whist, susurrent encore les méfaits.
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L'Ensorcelée

Tandis qu’il chevauche de nuit à travers la lande de Lessay, alors de sinistre réputation dans le Cotentin, le narrateur entend de lointaines cloches. Son compagnon de route, Maître Tainnebouy, lui indique en frissonnant que, depuis un terrible drame survenu quelques décennies plus tôt, elles sonnent la messe de l’abbé de la Croix-Jugan, à l’abbaye de Blanchelande. Aussitôt, dans l’oppressante obscurité de ce désert humain réputé le théâtre d’étranges apparitions, il entreprend de raconter l’histoire maudite, devenue légende, de ce prêtre, ancien chouan, et de Jeanne-Madeleine de Feuardent.





Barbey d’Aurevilly est un maître conteur. Tout autant que la tension dramatique au coeur du récit, c’est la restitution soigneusement travaillée de l’atmosphère particulière de ce coin désolé du Cotentin qui donne toute sa saveur à son histoire, dans une mise en abyme propre à suggérer son authenticité. Ainsi, après une longue mise en bouche destinée à nous faire prendre la mesure de lieux en tous temps propices à la crainte et aux superstitions, il parvient à se poser en une sorte d’anthropologue familier de la campagne normande entre les 18e et 19e siècles, recueillant dans leur jus des propos révélateurs de l’âme du pays. Véridique ou pas, peu importe, la narration est convaincante. Tandis que sa verve élégante et poétique rivalise avec la savoureuse langue paysanne de ses personnages, se met en place un climat angoissant, baigné de fantastique, que l’on n’a aucune peine à penser représentatif des croyances qui pouvaient courir les campagnes à l’époque, dans une conception religieuse du monde.





Noir et mélancolique, peuplé de caractères déchus, stigmatisés par les épreuves et étreints par un indissoluble mal-être en cette période post-révolutionnaire, le roman prend forcément une dimension allégorique quand on connaît les positions monarchistes de Barbey d’Aurevilly. Construit autour d’un personnage monolithique et inaccessible, qui, atrocement puni pour sa fidélité à des idéaux d’un autre temps, entraîne malgré lui aux enfers un entourage qu’il fascine jusqu’au maléfice, ce livre désenchanté reflète le drame d'un auteur qui ne se reconnaît pas dans son époque et ne peut se départir de la nostalgie d’un passé irrémédiablement révolu. Un passé qui ressemblerait à la fois à ce fascinant prêtre maudit, et à une lande désolée, hantée par les seules âmes aussi perdues que la sienne…





De digressions en références historiques et en réflexions philosophiques, la plume enfiévrée de Barbey d’Aurevilly nous livre un récit addictif, impressionnant de verve et de puissance d’évocation, à la frontière du fantastique, et un frappant tableau de la campagne et des mentalités du Cotentin au début du 19e siècle.


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Une vieille maîtresse

Après dix ans d’une liaison passionnée et orageuse avec une mystérieuse et fantasque Andalouse au tempérament de feu, le séduisant et donjuanesque Ryno de Marigny tombe profondément amoureux de la sage Hermangarde de Polastron, une jeune beauté blonde qu’il décide d’épouser. C’est compter sans la détermination à le reconquérir de son ancienne maîtresse, La Vellini, qui ne tarde pas à rôder autour de la demeure des jeunes mariés, à Barneville dans le Cotentin…





En partie inspirée d’une expérience amoureuse de l’auteur, cette histoire d’un homme malgré lui incapable de se détacher de sa maîtresse, et qui finit par briser la vie de son couple, fit scandale lors de sa publication, suscitant la réprobation morale et religieuse d’un public habitué au fort engagement catholique de l’auteur. Pourtant, rien dans ce roman n’est aussi manichéen que le simple triomphe du Mal sur le Bien, de la passion charnelle sur la pure vertu, que semblent à première vue incarner les figures si contrastées de la démoniaque Vellini et de la séraphique Hermangarde.





Ici, point de cruauté ni de manipulation perverse comme dans Les Liaisons dangereuses de Laclos, opposant, d’un côté, les libertins, de l’autre, leurs victimes : chez Barbey d’Aurevilly, aucun des personnages ne mène le jeu, mais tous le subissent avec un égal malheur. Ryno est sincère dans son amour pour Hermangarde, mais, tout comme sa sulfureuse maîtresse, s’avère prisonnier d’une addiction subie comme une malédiction, d’une fatale domination de la chair sur un esprit vaincu et une raison perdue, comme si un maléfice les liait à jamais dans une relation destructrice, voire vampirique, symbolisée par leur pacte de sang. La blanche épouse quant à elle, une fois revenue de son idolâtrie pour son mari, se mure dans sa blessure et son orgueil, se statufiant en être de glace privé de toute capacité de pardon, et laissant, sans dialogue et sans la moindre lutte, le champ libre au feu de sa rivale.





Dans le cadre d’un Cotentin sauvage propice à toutes les légendes et tous les ensorcellements, Barbey d’Aurevilly nous livre, dans un style de haute volée, une peinture et une analyse en profondeur de comportements humains, que la bonne société d’alors observe, commente et condamne sans comprendre. L’on ne s’étonnera dès lors plus que Théophile Gautier ait déclaré à son propos que "Depuis la mort de Balzac, nous n'avons pas encore vu un livre de cette valeur et de cette force."


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Les Diaboliques

Il y a dans « Les diaboliques » matière à susciter une haine quasi générale. On tient là une œuvre libertine dans toute sa splendeur : morgue aristocratique et misogynie triomphante. La Femme (avec un grand F) est meuble, cible ou trophée sur une étagère, au choix. Celle-ci ne s'en offusque pas particulièrement : certes elle est en dessous de l'Homme aristocratique. Mais en dessous d'elle, il y a l'homme (avec un petit h) du peuple ; elle est assurée de sa supériorité sur lui, et le range parmi les utilitaires. On se plaint moins de son infériorité quand on est soi-même le supérieur de quelqu'un. Dans ce monde où le principe d'égalité entre les hommes n'est rien de plus qu'une chimère ridicule, on tue le temps comme on peut. Et quant on a épuisé les ressources de la chasse et du jeu, on écoute les souvenirs des vieux séducteurs impénitents.



Normalement à ce stade, 10% de ceux qui ne l'ont pas encore lu salivent, 10% restent perplexe, et les 80% restant l'ont rayé de leur liste au feutre rouge. Et ils ont tort.



Ils ont tort, car Barbey d'Aurevilly atteint une qualité d'écriture qui n'est pas vraiment égalable. Ils ont tort, car cette beauté mâtinée d'élégance décadente amplifie et pousse aux extrêmes les sentiments qui font l'objet de ces six nouvelles, surtout quand il s'agit de vengeance ou de haine. Ils ont tort, car c'est un monde agonisant qu'il décrit. Une à une, nouvelle après nouvelle, toutes ces beautés aristocratiques se fanent et s'éteignent. Et derrière elles, robuste, surgit la silhouette sculpturale d'une maître d'armes plébéienne, au poignet et au tempérament de fer ; un monde nouveau qui s'annonce...



Oui, 'Les Diaboliques' sont le dernier feu et la dernière flamme de l'aristocratie mourante, qui pendant mille ans régna sur l'Europe. Quant elle vit sa fin proche, elle eut pour elle le même regard de mépris qu'elle avait eu pendant des siècles pour les hommes et les femmes du peuple. Et c'est ce moment qu'a capté Barbey d'Aurevilly.



Quand bien même les particules et les regards de haut vous hérissent le poil, ne vous privez pas de cet instant.
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Le chevalier des Touches

« Et nous que la déroute a fait survivre, hélas ! » (P. Verlaine)

Qu'ils sont tristes, pathétiques, souvent grotesques et baroques, ces survivants d'un monde à jamais révolu, qui s'est effondré sur lui-même avant de tomber dans les oubliettes de l'Histoire. Tous ces « colonel Chabert », ces « Chevalier Des touches », qui errent comme des âmes en peine dans ce monde nouveau qu'ils ont combattu de toutes leurs forces, qu'ils exècrent… Une lente descente aux enfers pour ces vaincus de l'Histoire qui se demandent pourquoi ils ne sont pas morts avec leurs compagnons d'infortune.

C'est une nuit de décembre à Valognes, petite ville du Cotentin. Une nuit pluvieuse et sans lune. L'abbé Percy est seul dans la rue déserte. Il se rend chez ses amis pour leur causerie habituelle du soir quand le Chevalier Des Touches, héros perdu de la chouannerie que tout le monde croyait mort, apparaît soudainement devant lui avant de s'évanouir dans la nuit.

Secoué par cette apparition fantomatique, l'abbé raconte son histoire à son auditoire médusé, des vieillards tout comme lui, des survivants désabusés de la déroute, qui s'efforcent de croire au retour des valeurs de la monarchie. le Chevalier, ou son fantôme, est de retour à Valognes !

On remonte avec frénésie le passé, quand tous étaient jeunes et fringants. Mademoiselle de Percy, alors combattante du Roi, raconte de sa voix énergique l'expédition des douze. Douze guerriers, douze royalistes, douze chouans qui tenteront de libérer le Chevalier Des Touches, surnommé la Belle Hélène à cause de sa grâce quasi féminine, fait prisonnier par les soldats de la révolution.

C'est tragique, sanglant, et funèbre. C'est courtois. Les haines sont implacables et les vengeances terribles. C'est parfois totalement improbable. Comme tous les barouds d'honneur, c'est beau, c'est bruyant, et parfaitement inutile, car la révolution a déjà triomphé.

Puis la vieillesse et le désabusement reprennent le dessus. A quoi bon exhumer cette histoire que tout le monde a oublié à l'exception de ces vieux birbes assis frileusement autour d'un feu de cheminée ? C'est au moment où Mlle de Percy se décide à poser l'éteignoir sur cette triste épopée qu'elle voit ce jeune garçon oublié dans un coin d'ombre. Il regardait les yeux grands ouverts ces reliques du passé qui s'étaient souvenus de leur splendeur déchue ; il avait tout écouté de ses deux oreilles, bien décidé à empêcher l'histoire du Chevalier Des Touches de disparaître à jamais de la mémoire des hommes.



Challenge XIXème siècle 2016





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Les Diaboliques

A travers ces six récits effroyables, Barbey d'Aurevilly raconte la passion amoureuse, dévorante, diabolique, au delà de toute morale. Du bonheur que n'assombrit pas le crime à la vengeance d'une femme amoureuse, de la jalousie d'une mère à l'amour d'une fille pour l'amant de sa mère, de l'athée endurci qui va confier au prêtre une bien douloureuse relique à la jeune fille possédée par un amour mortel… toutes ces histoires tiennent du Diable.



Si la sensualité est sans limites, si le crime est dicté par les plus noirs ou les plus célestes desseins, rien ne l'arrête quand la pureté se mêle aux plus sombres désirs, jusqu'à jeter une fière duchesse espagnole dans la déchéance de la prostitution. Et dans ces calmes petites villes de Normandie où le temps semble parfois arrêté, un pot de fleurs peut dissimuler de bien lourds secrets, un rideau cramoisi de bien lugubres souvenirs, comme si la vie avait tenté de s'y épanouir pour être étouffée sous le poids du quotidien. Car la mort guette, une mort parfois tragique parfois héroïque, celle des splendeurs passées, des époques perdues.



Barbey nous transporte sur des chemins sombres, dans ces nuits obscures de l'âme humaine où parfois le ciel se déchire sur une lueur rouge comme une trace de sang dans laquelle il va tremper sa plume de conteur...diabolique ! Et on s'en délecte.
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La vengeance d'une femme

Les souvenirs sont trompeurs : j'ai soutenu crânement que cette nouvelle des Diaboliques n'était pas sanglante… avant de la relire, et qu'elle me saute au coeur, puisque de coeur il est question.

L'entrée en matière de Barbey d'Aurevilly est un constat : la littérature, enfermée dans un « bégueulisme », n'est pas du tout morale, elle est pétrie de peur et d'hypocrisie : elle ne parle pas de l'inceste, par exemple, et en cela n'exprime pas la société où il est si répandu.

Pourtant, la nouvelle « La vengeance d'une femme » ne parle pas d'inceste, mais d'une autre sorte de « crimes de l'extrême civilisation, plus atroces que ceux de l'extrême barbarie, par le fait de leur raffinement, de la corruption qu'ils supposent et de leur degré supérieur d'intellectualité. »

Barbey décrit un libertin, un viveur, un « dégustateur de femmes » revenant d'Orient, c'est tout dire, dont la vue est happée par le tortillement d'une femme en jaune. Il la suit, elle l'invite, elle se dénude et le foudroie par sa beauté.

Des pages absolument sublimes suivent : « elle était bien plus indécente, bien plus révoltamment indécente que si elle était franchement nue. ».

D'une panthère (encore)elle a la souplesse, les bonds, les égratignures et les morsures. Elle se donne, elle s'enroule, elle se perd dans le plaisir.

« Positivement, elle lui soutira son âme, à lui, dans son corps, à elle. », car « il y a dans ce qu'on appelle le plaisir, avec trop de mépris peut-être, des abîmes aussi profonds que dans l'amour. »

Sauf qu'elle regarde un portrait accroché à son bras, alors qu'ils sont au comble de l'extase, il est jaloux, froissé dans sa vanité et voilà : elle est mariée à un grand d'Espagne, elle-même fait partie de la haute aristocratie, ce fut un mariage sans sentiment et… elle le hait.

Le récit est alors repris par la duchesse d'Arcos, elle qui a été élevée dans la plus stricte étiquette qui comprime les coeurs comme dans un corset.

Son coeur, elle découvre qu'elle en a un lorsqu'elle rencontre Esteban, marquis de Vasconcelos, portugais.

Suit le récit d'un amour brûlant et chaste, presque mystique, transcendance de l'amour, sentiment de ne faire qu'un, de n'avoir qu'un seul coeur…

Aux pages décrivant le plaisir, suit donc l'hymne de l'amour, en des pages inoubliables elles aussi.

Sa vengeance ? descendre si bas dans la société, en se prostituant, et en cherchant les maladies inévitables des filles de sa condition, que son nom, celui de son mari, en sera entaché pour toujours.

Le grand d'Espagne qui a le privilège rare de ne pas se découvrir devant le Roi, devient le cocu d'une putain.

Pourquoi cette vengeance ? parce que (scène que ma mémoire un peu bégueule sans doute, avait éliminé, scène rappelée par Patsales, qu'elle en soit remerciée) le mari fait étrangler l'amant, lui fait arracher le coeur, le donne aux chiens, alors qu'elle voudrait, puisque c'est son coeur à elle, le manger.

Diabolique nouvelle, en la terminant je me suis dit qu'il n'était pas besoin de thriller, Barbey suffit amplement.



PS : Je suis obligée de « faire comme si »il s'agissait d'une BD, mais c'est bien de la nouvelle qu'il est question.

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Le bonheur dans le crime - La vengeance d'u..



Quoi de plus indiqué, pour finir l’année dans le bonheur, que cette nouvelle, piochée dans « Les Diaboliques » parfaitement incorrecte et immorale.

Au Jardin des plantes, un médecin, dont Barbey d’Aurevilly décrit longuement l’athéisme et le cynisme contemple en compagnie du narrateur une panthère de velours noire, « magnifique échantillon des redoutables productions de son pays…forme idéale de beauté souple, de force terrible au repos, de dédain impassible et royal ».

L’autre panthère, vêtue celle-là d’une longue robe de satin noir, puissante, impérieuse, inquiétante par sa puissance animale, apparait, au bras d’un homme bien connu du docteur. « La femme, l’inconnue, était comme une panthère humaine, dressée devant la panthère animale qu’elle éclipsait. »

Et qu’elle domine, malgré les barreaux.

La bête sent ce pouvoir, baisse la tête, ferme les yeux, fascinée.

Mais notre héroïne ne se satisfait pas de ce triomphe, elle passe le bras dans la cage, fouette avec son gant le museau de l’animal » qui arrache… le gant, pas le bras, avec une soudaineté et une violence inouïe « la formidable bête outragée avait rouvert des yeux affreusement dilatés, et ses naseaux vibraient encore… »

Cette scène d’ouverture donne le ton, d’abord de l’amour fou du couple, et de leur crime impuni, longuement médité, ne leur suscitant aucun remords, dont nous allons prendre connaissance grâce au médecin.

Ils s’affrontent au fleuret, ces deux amants, et se jouent de la femme (puisque Serlon est marié) qu’ils empoisonnent : mais, et là réside tout le génie de Barbey d’Aurevilly : l’épouse abusée préfère le silence, pour « tenir son rang de noble » et ne veut pas se venger.

Je meurs, dit-elle, et eux sont dans les bras l’un de l’autre, heureux et délivrés de moi.

Car « ces deux êtres, immuablement beaux malgré le temps, immuablement heureux malgré leur crime, puissants, passionnés, absorbés en eux », continueront à partager leur bonheur.

Le vice puni, et la vertu récompensée ? foutaises, semble dire Barbey d’Aurevilly, (même s’il s’en défend, bien évidemment) en comparaison avec la passion entière, durable, miraculeuse et sans une ombre, de ces « deux animaux de la même espèce. »

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L'Ensorcelée

« Je viens de relire ce livre qui m'a paru encore plus chef-d'oeuvre que la première fois. » - Charles Baudelaire.

Qu'importe si cette histoire est abracadabrantesque, cousue de fil blanc, de fil noir...

Plus que l'histoire elle-même, c'est la manière de la narration qui donne ici la force au texte. Car L'Ensorcelée est construit sous forme de récits enchâssés les uns aux autres et c'est ce qui m'a, me semble-t-il, tenu en haleine jusqu'au bout de l'histoire.

J'ai été séduit ici par l'art de Jules Barbey d'Aurevilly de nous conter une histoire, de la poser dans " son jus " ...

Venez, approchez, je vous emmène en Normandie dans la lande sauvage et secrète de la presqu'île du Cotentin, tout près de Lessay. Nous ne sommes pas très loin des paysages maritimes de la Bretagne et d'une idée du mystère qui habite certaines terres... C'est peut-être par une nuit comme celle-ci, ballotée par les vents, fouettée par les pluies venues de nulle part, qu'il faut aborder cette histoire. Nous sommes au milieu du XIXème siècle. Deux voyageurs font connaissance par hasard dans un cabaret, au Taureau rouge, « un cabaret d'assez mauvaise mine ». L'un, le narrateur, qui se rend à Coutances s'est égaré, l'autre qui s'appelle Maître Louis Tainnebouy connaît bien les lieux et se rend à une foire le lendemain. Pour raccourcir le trajet, ce dernier propose que tous deux traversent à cheval cette lande austère et désolée...

Lorsque la jument de l'un deux se met à boîter, ils décident de faire halte au milieu de cette nuit dont le silence est brusquement rompu par les neuf coups d'une cloche qui résonnent au loin. Maître Tainnebouy est alors troublé. Il croit reconnaître la cloche de Blanchelande. C'est comme si la lande s'ouvrait brusquement, entraînant nos deux voyageurs dans un passé presque révolu. Nous voilà d'emblée plongés en L'an VI de la République française. Maître Tainnebouy va alors se faire conteur d'une histoire totalement insolite, celle de cet étrange abbé de la Croix Jugan, ancien chouan dont s'était éprise d'une fatale passion Jeanne-Madeleine le Hardouay, née de Feuardent, déchue par son mariage au rang de roturière. Mais qui était cet ecclésiastique ? Mais qui était Jeanne le Hardouay ?

C'est un ancien chouan, un prêtre à la gueule cassée par des ennemis qui ont cru le tuer au moment de la chouannerie, on a déchiré son visage, il n'en a plus, il n'aurait pas dû survivre, il a survécu, il est devenu un être défiguré, orgueilleux et impassible, entièrement voué au service de deux causes, Dieu et la monarchie. Comment a-t-il pu inspirer alors un tel amour auprès de Jeanne le Hardouay ? C'est l'histoire d'un amour profondément tragique que nous narre ici Barbey d'Aurevilly.

Jeanne-Madeleine le Hardouay, née de Feuardant est une héroïne bien malgré elle. J'ai aimé cette femme....

Voici un récit qui convoque des personnages pittoresques, qui ressemblent trait pour trait au paysage du lieu. Des femmes, des hommes, des pierres, des croix, des églises, de la terre aussi, des bêtes à peine moins hostiles que les habitants de ce pays vis-à-vis de leur destin... Des pâtres qui traînent par-là, mécréants et qui vont jouer un rôle décisif dans le récit.

Comment ne pas songer alors à ces contes d'antan de la Bretagne profonde, comme ceux que me racontait ma grand-mère, m'évoquant par exemple le souvenir d'un exorcisme dont elle avait été témoin enfant dans son village natal ?

Comme ceux issus de la Légende de la mort, d'un certain Anatole le Braz... Comment ne pas songer un seul instant à ce récit de naufrageurs, à cette jeune femme noyée, échouée sur le rivage, qui portait une bague au doigt qu'un des pilleurs d'épaves trancha... Bien sûr, l'histoire ne s'arrêta pas là. Mais je m'égare...

C'est une histoire façonnée de ténèbres et de croyances, le théâtre d'enjeux qui semblent nous dépasser a priori.

L'écriture de Barbey d'Aurevilly est sans doute moins lisible aujourd'hui. Elle mérite d'être visitée pour sa langue d'une maîtrise impressionnante. C'est un plaisir de lire un texte classique aussi beau.

Mais que nous dit ce roman presque deux cents ans plus tard ? Que certaines croyances ont la vie dure... On ne croit plus au diable aujourd'hui, à la malédiction tracée de certaines destinées... Mais on croit à d'autres choses tout aussi irrationnelles, invraisemblables. On s'en étonne chaque jour.

Ici est peut-être dénoncée une manière de sceller déjà par avance le sort à quelqu'un qui ne vous ressemble pas.

La littérature classique a souvent cette magie de nous replonger dans nos existences actuelles.

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L'Ensorcelée

A l'instar de Jeanne-Madeleine de Feuardant, l'héroïne bien malgré elle de ce roman fantastique et mystique, j'ai été ensorcelée par les charmes de la lande désertique et maudite de Lessay, dans le Cotentin.



Avec le verbe haut et évocateur du conteur, Jules Barbey d'Aurevilly, l'écrivain enfant du pays, déroule la légende de l'abbaye ruinée de Blanchelande sur laquelle plane l'ombre de l'abbé de la Croix-Jugan, gentilhomme chouan à la destinée tragique, défiguré par une tentative de suicide et la torture infligée par les Bleus. Par le récit du narrateur qui se laisse lui aussi conter cette terrible histoire de malédiction et d'atavisme, on tremble de voir le diable sceller les destins d'une noblesse condamnée à déchoir après s'être avilie dans les excès de sa condition.



Entre folklore normand, chant de veillée, tradition populaire ou encore magie des bergers et des vieilles gens, c'est une atmosphère oppressante et fantastique qui emprisonne le lecteur dans ses rets. "L'Ensorcelée", d'abord publié en feuilleton comme c'était souvent le cas des romans au XIXème siècle, se veut une chronique à la fois historique et rurale, témoignage d'une guerre civile implacable qui laissa des marques profondes dans les sociétés bretonnes, normandes et vendéennes de l'époque, opposant pour des lustres familles et "pays".



Un superbe roman classique servi par une plume ensorcelante.





Challenge XIXème siècle 2021

Challenge MULTI-DEFIS 2021

Challenge COEUR d'ARTICHAUT 2021

Challenge des 50 objets 2021
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L'Ensorcelée

Sur fond de chouannerie, l'abbé Jéohël de La Croix-Jugan est, quelque part, un précurseur de Jack Torrance dans "Shining" de Stephen King... dans ce livre de 1852.

Cependant, comme c'est un drame du terroir Normand qui se situe sur Blanchelande, près de Neufmesnil, dans le Cotentin, il y a de la lenteur paysanne, comme dans "Regain" de Jean Giono, ou "Les Creux-de-Maisons" d'Ernest Pérochon.

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L'ensorcelée est Jeanne Le Hardouet, une fière Normande, née noble, née De Feuardant. La révolution et la chouannerie étant passées, elle a épousé un Bleu ( un républicain ), mais elle garde la fierté de sa noblesse. Quand elle retrouve un ancien chouan, Jéohël de La Croix-Jugan au visage ravagé par le plomb, elle retrouve l'esprit de la cause royale, et elle passe des heures avec lui chez la vieille Clotte.

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Jules Amédée Barbey d’Aurevilly, dandy normand de la Manche, doit bien connaître l'église et l'abbaye de Blanchelande qu'il décrit. Son style original, adulé ou méprisé par ses contemporains, est fascinant, malgré les lenteurs et les longueurs qui permettent au lecteur de pénétrer l'atmosphère paysan post-révolutionnaire. J'ignorais que la chouannerie avait atteint mon pays, la Normandie. 10.000 morts y sont recensés. Louis de Frotté était le chef résistant de ce secteur, de 1793 à 1799. Bonaparte a mis fin à la chouannerie.

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L'histoire de Jéohël et Jeanne est un roman à tiroirs.

-- C'est un roman raconté par un paysan du cru au narrateur ;

-- dans l'histoire s'est créée la légende,

-- due aux incertitudes : suicide ou meurtre, et par qui ?

-- due aux jaseries des commères du lavoir ;

-- due au sort ( ensorcelée ) jeté par le pâtre sur Jeanne ;

-- due à l'épeurement provoqué par le lieu : une rivière, une lande déserte la nuit, avec des lumières dans l'église de Blanchelande isolée, l'appel au meurtre du boucher dans le cimetière contigu, etc... Toute une atmosphère très bien rendue par Barbey.

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L'appel au meurtre du boucher sur la vieille Cotte est une très belle analyse du démarrage des mouvements de foule, foule qui s'excite sur des mots clés prononcés sans aucune preuve de quoique ce soit... "C'est "Humain, trop humain" ! Ces mouvements de foule m'intriguent, et depuis longtemps, je dois lire "La foule solitaire" de David Riesman.

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Je précise deux témoignages personnels :

-- le sort existe encore de nos jours. J'ai été victime d'un sorcier vaudou entre 2000 et 2004 pour rester avec la même femme. Je l'ai quittée 30 fois, et à chaque fois, je revenais vers elle.

J'ai assisté à deux cas de possession. Madame Visnelda, dont parle Tobie Nathan, désenvoûteuse, était ma voisine à La Réunion.

-- le revenant que voit le ferronnier à la fin du livre, cela existe : ce sont les esprits. Le ferronnier est sans doute une âme blanche qui peut voir les esprits. Ainsi, Jésus apparaît à certaines personnes après sa mort jusqu'à l'ascension.

Pour ceux qui me prennent pour un zinzin, lire les ouvrages de Patricia Darré , Alain Joseph Bellet, ou le nouveau livre qui va sortir de notre ami Christian Boudeweel : )

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Les Diaboliques

Douloureuse épreuve! (Fini uniquement pour cause de club de lecture…)

Ce sont six nouvelles de quarante pages, dont le fil rouge est censé apparaitre dans le titre.

Même en cherchant bien, à part dans quelques interjections ou insultes, le Malin n’est pas vraiment présent (amateurs d’épouvante, plongez-vous plutôt dans Amityville).

Chaque nouvelle m’a semblé boursouflée, faite d’une accumulation de portraits détaillés sans lien réel avec la mince intrigue qui en fait le squelette, truffée de références qui étaient sûrement parlantes en 1870.

Le style est lourd, verbeux, et il est tout à fait possible pour se sortir de ce guet-apens de parcourir les pages en diagonale : la montagne accouche à chaque fois d’une souris.



C’est rare, mais cette fois, rien ne réussit à rattraper le candidat….


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L'Ensorcelée

Dans ce roman à tiroir, Barbey d’Aurevilly nous invite à des escapades successives, qui ont en commun le lieu où se déroule les séquences, à savoir la Normandie. Région agricole et déshéritée, avec une tradition orale, seul moyen de communication, et dont les légendes alimentent les soirées de veillée.



C’est ainsi que le narrateur qui s’est égaré sur son chemin vers Coutances, se retrouve accompagné d’un fermier qui le guide pour traverser une zone de tous les dangers,



« Dans l’opinion de tout le pays, c’était un passage redoutable. »,



d’autant plus funeste si les voyageurs ont eu la malchance d'entendre retentir la cloche de Blanchelande.



Le fermier lui doit des explications : il lui conte l’histoire dramatique de l’abbé de la Croix Jugan, un chouan à la destinée cruelle.



Le roman prend vite des allures gothiques, avec l’irruption du surnaturel et de la religion, assortie de quelques scènes de torture. Le genre est cependant mis à distance puisqu’il fait l‘objet d’un roman dans le roman.



Le langage vernaculaire illustre les propos des autochtones, pas toujours très clairs à déchiffrer, d’autant qu’il s’agit d’un dialecte qui date.



Ce texte prend un malin plaisir à égarer le lecteur, comme le voyageur, en le promenant d’une histoire à l’autre. De facture classique, il se lit sans déplaisir.



320 pages Folio première édition en 1854


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Une vieille maîtresse

Tout est déjà dans le titre.



Une « vieille maîtresse », c'est-à-dire à la fois une ancienne maîtresse et une femme qui n'est plus de la première fraîcheur. Toute la Vellini est dans cette contradiction : elle est celle dont on ne peut se défaire alors qu'objectivement rien en elle ne justifie l'attachement qu'elle suscite. Elle est petite, olivâtre, maigre, serpentine, d'un exotisme de mauvais aloi - n'est-elle pas un peu gitane?...



Jusqu'au choix de l'article indéfini qui, à rebours de son usage habituel, souligne le caractère exceptionnel, proprement unique de cette Vellini que Ryno de Marigny n'arrive pas à quitter.

Ce n'est pas un archétype : c'est un monotype. On a cassé le moule….



On est délibérément dans l'exception, dans le paradoxe, dans l'irrationnel.



Dans la passion.



Et pour corser le goût de l'antithèse, Barbey fait brûler cette passion-là dans une Normandie maritime- son cher Cotentin- battue par les vents et humide à souhait, qui a presque des airs de Bretagne sauvage…



Ryno c'est un peu Barbey lui-même : monarchiste mais rétif à toute autorité, catholique mais impie, réactionnaire mais scandaleusement marginal- un vrai dandy, un homme à femmes, un viveur, un mondain.



Las de toutes ses tribulations passées, Ryno est décidé à « faire une fin » en se mariant, à rentrer dans le troupeau docile des bons maris bénis par la sainte Église et encensés par la famille de hobereaux dont il est issu. Il s'est épris d' Hermengarde, une oie blanche, blonde, sage, belle, jeune, de bonne famille : la conversion ne devrait pas être trop douloureuse…



Quand soudain lui revient en plein coeur une ancienne maîtresse avec qui il s'était lié par le sang : l'Espagnole Vellini…Les deux amants se retrouvent dans la lande traversée de tempêtes et d'orages tandis que la jeune Hermengarde dépérit…



C'est follement romantique, totalement immoral, excessif et échevelé, mais on en redemande !
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Les Diaboliques

Jules Barbey d’Aurevilly était un homme de paradoxes et de contradictions. A la fois catholique affirmé et dandy jouisseur, ses récits sont teintés d’une certaine ambivalence, partagés entre un certain moralisme religieux et une fascination pour le mal. C’est cette ambiguïté et cet attrait pour « le sublime de l’enfer » qui font le charme de ses récits en les empêchant de sombrer totalement dans le rigorisme moralisateur. Cette personnalité complexe n’est pas la seule qualité de l’auteur. Il faut reconnaitre que la langue est séduisante, Barbey d’Aurevilly écrit beau. Mais une belle plume ne suffit pas toujours. Je n’ai pas été entièrement séduite par ce recueil de nouvelles. « Les diaboliques » offre à la fois le pire et le meilleur.



La 1ère nouvelle, « le rideau cramoisi » fait indéniablement partie des réussites du recueil. Cette histoire est un petit bijou. L’intrigue, très bien menée, fait la part belle au mystère et à la sensualité. L’auteur joue sur une ambiance quasi gothique, à la lisière du surnaturel, où se mêlent joliment Eros et Thanatos. Classique, me direz-vous. Certes, mais quand c’est bien fait on ne boude pas son plaisir.



Sur le 2ème récit, intitulé « le plus bel amour de Don Juan », j’aurais bien du mal à émettre un jugement. En fait, j’ai complètement oublié cette nouvelle. Ce n’est qu’en tombant sur le sommaire à la fin de l’ouvrage que l’existence même de ce récit m’a été rappelée. Un texte totalement oublié quelques jours après sa lecture, ça n’est pas bon signe.



« Le bonheur dans le crime » est l’autre perle des « diaboliques ». Cette nouvelle au titre digne du Marquis de Sade est savoureuse. La finesse des portraits psychologiques vient mettre en valeur une histoire bien menée. Le récit est parcouru d’une jolie sensualité troublante dans l’évocation des amours des personnages. Enfin, la conclusion est assez osée. La morale n’est pas sauve, les amants criminels vivent heureux. Cette audace fait toute la saveur de cette nouvelle.



« Le dessous de cartes d’une partie de whist » me laisse une impression plus mitigée. Si le fond de l’intrigue est intéressant et si les portraits psychologiques sont encore une fois assez subtils, cette nouvelle m’a parue très longue. L’auteur délaye, étire, allonge son récit d’une façon qui m’a semblé souvent artificielle. J’ai parfois eu l’impression que Barbey d’Aurevilly se regarde écrire et surtout je me suis ennuyée.



« A un diner d’athées » est la nouvelle qui me pose le plus de problèmes. Tout d’abord sur la forme. Le récit est assommant durant les 50 premières pages. Dommage pour une nouvelle d’une soixantaine de pages. Il s’agit d’un dîner où se réunissent divers personnages, réputés pour leur conviction athéiste. L’un d’eux va raconter aux autres convives une anecdote horrible. Pendant 50 pages, l’auteur va dresser le portrait psychologique de ce narrateur. D’une part, il le fait d’une façon prodigieusement ennuyeuse (quel besoin de s’appesantir sur la généalogie et la carrière militaire de ce personnage?!) et d’autre part cela n’a pas grand intérêt puisque ce personnage n’est là que pour raconter. C’était long, mais long… Ajoutez à cela le regard accusateur et sans nuance que l’auteur porte sur les athées (en gros, c’est la lie de l’humanité, des gens sans aucun sens moral, qui se plaisent à se vautrer dans l’abject) agrémenté çà et là de quelques sorties antisémites et vous obtenez un texte insupportable. Ou plutôt qui le serait s’il ne se concluait pas par un dénouement hallucinant, une scène d’une violence inouïe qui réveille le lecteur en lui foutant une grande claque dans la gueule. Ce passage, s’il ne fait pas de ce « à un dîner d’athées » une bonne nouvelle, il fait regretter que Barbey d’Aurevilly ne se soit pas contenté de raconter simplement son histoire sans alourdir son récit de ses conceptions réductrices. Derrière l’auteur qui se regarde écrire, on sent qu’il y aurait pu avoir un grand écrivain d’horreur gothique s’il n’avait pas caché un talent de conteur derrière une écriture parfois prétentieuse.



Talent de conteur qu’on retrouve dans la dernière nouvelle « la vengeance d’une femme ». Dans ce très bon récit, rondement mené, l’auteur fait encore une fois preuve d’un talent certain pour décrire le sordide. Talent dans la description de ces horreurs mais aussi imagination et audace, qui culminent dans une scène atroce où Bien sûr on pourrait regretter la touche de misogynie qu’on sent poindre parfois, ici comme dans tous les récits du recueil d’ailleurs (la femme est par nature vénéneuse), mais il faut replacer l’œuvre dans son époque, c’était là une conception largement répandue.



J’ai eu beaucoup de mal à venir à bout de ces textes. Une écriture dense, de nombreuses références culturelles et historiques rendent la lecture ardue. Je n’ai donc pas eu le courage de me plonger ensuite dans le dossier analytique qui venait compléter mon édition.



Une lecture en demi-teinte donc mais que je suis tout de même contente d’avoir faite. Tout d’abord pour ma culture générale, Barbey d’Aurevilly est un auteur qui a influencé nombre d’écrivains, je suis donc contente de l’avoir lu. Ensuite parce que certaines nouvelles étaient très réussies. Je pense que je lirai un jour « une vieille maîtresse », une autre de ses œuvres cultes, mais ce sera certainement dans plusieurs années.

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Une histoire sans nom - Une page d'Histoire..

Ma critique porte sur la nouvelle "Léa".



Amédée de Saint-Séverin et Réginald de Beaugency, élevés ensemble bien que n'étant pas frères de sang, reviennent de leur long voyage en Italie (trois ans). Un retour somme toute forcé puisque la sœur d'Amédée, Léa, est bien malade. Ils avaient laissé une gamine de treize ans et retrouvent une belle jeune fille de seize ans. Belle ? Du moins au yeux de Réginald car la pauvre adolescente se meurt d'un mal inconnu. La mère découvre que celui-ci éprouve pour sa fille un sentiment déraisonnable vu la situation. Elle le met en garde. Réginald va être ainsi tiraillé entre la raison et l'amour.



Le sujet est typique du XIXe siècle : l'amour impossible, la confrontation entre le cœur et l'esprit, la passion dévorante créant une sorte de dépression chez celui qui la subit... Mais n'oublions pas que l'auteur n'est pas quelqu'un à tomber dans le piège de la mièvrerie ! Il va faire sortir de ce thème un texte magistral ! Une nouvelle, une vraie de vraie, avec une chute brillante de concision. Et quel style ! Allez, je vous laisse la lire.


Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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L'Ensorcelée

Amateurs de sensations fortes, vous avez trouvé votre récit, amoureux de l'art d'écrire, vous avez trouvé votre conteur!



L'ensorcelée vous emmène sur la lande cotentinoise, normande, certes, mais déjà un peu bretonne par ses prieurés abandonnés, ses cloches funestes, ses bergers errants et un peu sorciers...



Dans un système savant de récits emboîtés où la forte langue d'un conteur populaire- le sympathique Maître Louis Tainneboy- toute mâtinée de patois - ainsi dit-on "tousée" pour "tondue", par exemple- se mêle à la langue élégante, recherchée et truffée d'archaïsmes- "fieffée" pour "louée", voilà qui fait furieusement ancien régime - d'un Barbey plus dandy et hors norme que jamais, de parler en parler, et de parenthèse en parenthèse, donc, L'Ensorcelée nous entraîne , et nous embobine mieux qu'un sortilège dans une histoire farouche où les passions impriment sur les visages leur marque de feu.



C'est le visage torturé du Moine soldat, Jéhoël de la Croix-Jugan- un nom magnifique!- , c'est le visage marbré de taches d'une "couleur violente, couperose ardente de son sang soulevé" de Jeanne-Madelaine le Hardouey née de Feuardent- un nom prédestiné!



Mais ce sont loin d'être des passions partagées!



Passion politique pour l'un - la Chouanerie est encore bien vivante sur cette terre catholique et monarchiste- et passion amoureuse pour l'autre.



En tous les cas, rien de très chrétien dans ce moine suicidaire et violent, criant vengeance et représailles, et tout encapuchonné de noir, qui fait à la fois penser à celui de Lewis et au tableau de Zurbaràn..(d'ailleurs Barbey doit lui aussi avoir ce tableau en tête quand il décrit, du point de vue des paysans, son moine diabolique " la bouche en feu du four du diable, disaient ces paysans qui savaient peindre avec un mot, comme Zurbaràn avec un trait" )....



Le charme de ce récit, donné pour véridique et rattaché de toutes ses fibres aux coutumes, moeurs, histoire, conflits locaux et régionaux, vient de ce qu'il flirte très ostensiblement avec la magie, l'irrationnel, le diabolique.



Même le paysage semble habité d'une vie envoûtante et volontiers maléfique: haies qui ont des oreilles, creux masqués d'ombre où se couchent les brigands, feux de tourbe des jeteurs de sort de grand chemin, sources claires d'un lavoir où flottent blanche coiffe et triste noyée, coucher de soleil orange comme la géhenne...



Les personnages secondaires sont inoubliables: la Clotte, vieille belle au passé sulfureux dont Barbey fait, par goût de la provocation, la voix de la "morale" que personne n'écoute et qu'on fera taire violemment, Nônon Cocouan, alerte commère à la langue bavarde, Louisine-à-la Hache-, belle guerrière aguerrie, Maître le Hardouey, ancien "Bleu" et acquéreur des biens de l'Eglise, et le Pâtre, enfin, insolent et insaisissable, ensorceleur de troupeaux et de brebis perdues...



Prenez, prenez donc la route de la lande, mais surtout perdez-la, allez à la male herbe, sur les sentiers dangereux où l'on croise des chats qui parlent et des brigands qui se taisent, des Moines qui jurent comme des diables et des épouses infidèles chaudes comme des garces!





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Les Diaboliques

Fuyant la guerre et la Commune, Barbey d'Aurevilly trouva refuge en Normandie, à Valognes, dans le Cotentin, et c'est là qu'il écrivit les dernières lignes de son fameux volume "Les Diaboliques".

Vingt ans se sont passés entre le projet, initialement intitulé "Ricochets de conversation" et la première parution du livre en octobre 1873.

Il est composé de six nouvelles :

"Le rideau cramoisi", " Le plus bel amour de Don Juan", "Le bonheur dans le crime", "Le dessous de cartes d'une partie de whist", "Un dîner d'athées" et "La vengeance d'une femme".

En décembre 1870, dans une préface provisoire, l'auteur met en garde :

"Les histoires sont vraies. Rien n'est inventé. Tout vu. Tout touché du coude ou du doigt. "Les Diaboliques" ne sont pas des diableries, ce sont des diaboliques : des histoires réelles de ce temps civilisé et si divin que, quand on s'avise de les écrire, il semble que ce soit le Diable qui les ait dicté..."

Le 11 décembre, le vent est aux saisies et le procureur général fait enlever chez l'éditeur, M. Dentu, pour attentat à la morale publique, tous les exemplaires restants

Gambetta plaida la cause de Barbey d'Aurevilly auprès du garde des Sceaux. L'affaire fut stoppée.

En 1908, Léopold Delisle, qui était natif de Valognes, déclina l'honneur, soixante ans après, de faire partie du comité célébrant le centenaire de Barbey d'Aurevilly, à cause du "Dessous de cartes d'une partie de whist".

Personne, aujourd'hui ne conteste plus au livre sa qualité de chef-d’œuvre. "La littérature inacceptable de 1850 est devenue suprême et définitive consécration".
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Une histoire sans nom

« Les plus grandes séductions peut-être que l’histoire des passions pourrait raconter, ont été accomplies par des voyageurs qui n’ont fait que passer et dont cela seul fut la puissance… »



Une histoire sans nom. Qui ? ou bien Innommable, indicible ? Il ne m’en fallait pas plus pour découvrir cette nouvelle, j’étais intriguée. J’ai apprécié cette lecture très intéressante. La description des décors (le village du fond de la montagne, le palais des dames de Ferjol avec son escalier immense), la relation mère-fille épouvantable, tout est oppressant. L’incompréhension de ce qui se passe -pourtant il n’y a pas à chercher bien loin (et malgré tout j’ai cherché), ces quelques couleurs (blanc noir vert rouge-sang et bleu, voire cendre) qui décrivent tant les lieux que les personnages et qui reviennent comme des tâches régulières pour s’ancrer dans ma mémoire après cette lecture forte. J’ai vraiment adoré d’autant qu’il y a cette plume ironique qui me faisait rire par son mordant. Cette impression aussi, tout au long du texte, d’avoir plus qu’un narrateur. Nous étions plusieurs à voir cette scène et pas seulement les protagonistes, comme un djinn espiègle qui alimentait insidieusement nos visions de parcellaires commentaires. Je la trouve très réussie cette nouvelle de Jules Barbey d’Aurevilly. Entre religion et sexualité, entre Dieu et le Diable, une plongée dans un univers clos, étouffant.



« Aussi, se condamner au silence, c'est se condamner à étouffer sans mourir. »

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