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Critiques de Laurent Seksik (694)
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Les derniers jours de Stefan Zweig

« Lotte ne veut pas mourir » pourrait être titrer ce roman restituant les derniers mois de Stefan Zweig et de son épouse Charlotte Altmann.



Zweig est un pessimiste né et son penchant suicidaire apparait dès 1925 dans « Le Combat avec le démon (sur Kleist, Hölderlin et Nietzsche) ». La montée du nazisme, ses exils vers le Royaume Uni, les USA et le Brésil exacerbent cette tendance et la chute de Singapour et les lettres de menaces reçues l’amènent au geste fatal du 22 février 1942.



Lotte est la joie de vivre. Beaucoup plus jeune que son époux sexagénaire elle s’épanouit au Brésil et rêve d’un avenir débarrassé du nazisme grâce à la victoire des démocraties rendue probable par l’entrée en guerre de l’Amérique.



Laurent Seksik décrit la mécanique du couple qui s’inscrit dans un rapport parent-enfant et non pas dans un rapport adulte-adulte. Lotte est entrée dans la vie de Stefan en étant sa secrétaire et elle n’a jamais réellement remplacée Friderike, première épouse, demeurée en relation épistolaire avec l’écrivain qui ne laisse pas la seconde lire ses œuvres et la cantonne à des occupations ancillaires.



L’isolement du couple, le contexte militaire et concentrationnaire de 1942, dépriment Zweig et le poussent vers l’inexorable ; son emprise sur Lotte la conduit à s’unir à lui dans le suicide.



Ce roman, fort bien écrit, est à la fois une biographie de Stefan Zweig et l’analyse glaciale de l’emprise d’un homme sur une femme ainsi condamnée à mort. Un ouvrage à méditer !



PS : les intellectuels européens exilés en Amériques :
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Le cas Eduard Einstein

Ouawh ! Désolée de commencer cette critique par cette banale exclamation mais c'est le premier mot qui me vient à l'idée pour vous parler de ce superbe ouvrage !

Bon, je vais essayer de reprendre un tantinet mes esprits afin de vous décrire le mieux possible, dans un langage correctement lisible et qui ne relèverait pas du langage parlé pour vous communiquer, je l'espère, mon enthousiasme concernant ce livre.



Ce livre est bien plus qu'un simple roman ; certes, vous me rétorquerez qu'il s'agit également d'une biographie mais c'est encore bien plus que cela. Ce livre est également un ouvrage historique puisqu'il rend compte de l'état de l'Europe en ce début de XXe siècle notamment l'ascension d'Hitler au pouvoir et l'extermination massive des juifs ainsi que des handicapés (physiques ou mentaux) et des personnes âgées (bref, toutes les personnes considérées par le parti nazi comme étant inaptes au travail donc pas assez rentables pour pouvoir participer à l'effort de guerre).

Albert Einstein, bien que son nom soit connu de tous grâce à sa célèbre formule E = mc2, n'était avant de devenir un génie, simplement un homme. Un homme juif qui plus est donc pourchassé par l'état allemand de l'époque. Mais également un être (écartons tout ce qui concerne la religion ou encore le fait d'âtre un des plus grand physiciens de tous les temps) qui a aimé et a décidé d'épouser celle qu'il aimait en ce début de XXe siècle, malgré le fait que sa famille lui ait fortement déconseillé ce mariage. Cette femme, malgré qu'elle soit boiteuse et ait des difficultés à marcher, s'est trouvé belle dans les yeux de son Albert car ces défauts-là, lui, ne les voyait pas. Elle s'appelait Mileva Maric et était d'origine serbe. Mileva et Albert eurent trois enfants ensemble : une petite fille (qui, pour leur plus grand malheur, ne vivra que quelques mois) et deux garçons : Hans-Albert et Eduard. Ils étaient beaux, ils avaient vingt ans et étaient complètement insouciants. Cependant, leur mariage se dégrada rapidement quand Albert prend la décision de partir pour Berlin, seul, abandonnant ainsi sa femme et ses deux enfants sur le quai de la gare.

Un père absent donc dans la vie de Hans-Albert et d'Eduard et qui même s'il a refait sa vie et épousant sa cousine et n'a jamais laissé sa femme à court d'argent en lui laissant notamment toute la bourse du Nobel, n'a jamais été là pour ses enfants qui, eux, ne réclamaient qu'un peu de chaleur paternelle. Et je crois que pour Eduard, qui a commencé à avoir de sérieux troubles mentaux à partir de dix-neuf - vingt ans, troubles très graves car allant jusqu'à la schizophrénie, cette absence de père a été encore plus traumatisant que pour son frère aîné qui, lui, est devenu un brillant ingénieur, s'est marié et a eu deux enfants.

Pour Eduard, la vie est toute autre puisqu'il ne peut pas travailler ne même se débrouiller seul puisqu'il ne fait même pas la distinction entre le bien et le mal ou encore entre la vie et la mort. Pourtant, il n'y a pas plus sensible que lui et être plus attachant. Il partagera ainsi sa vie entre l'appartement qu'il partage avec sa mère et l'asile de Burghölzli à Zurich, où il passera trente-trois années de sa vie. C'est sa seconde maison d'ailleurs.



Je voudrais mentionner un personnage qui m'a beaucoup touché dans cet ouvrage. Il s'agit de Heimrat, l'un des gardiens d'Eduard à Burghölzli puisque c'est le seul qui sera véritablement humain avec lui et qui ne le considérera pas comme un débile profond ou encore comme un animal de foire, dépourvu de sentiments.



Un ouvrage extrêmement touchant très bien écrit, avec des chapitres courts, chaque chapitre étant consacré à une personne différente, qu'il s'agisse de Mileva, d'Albert, d'Hans-Albert au encore d'Eduard. Le lecteur sait parfaitement que cet le personnage principal de ce livre est bien Eduard , l'éternel enfant qui restera toute sa vie "dérangé" pour dire les choses pas trop brusquement et non pas à son père comme l'on pourrait s'y attendre, lui, le Grand Albert Einstein, prix Nobel de physique puisque dans les chapitres consacrés à Eduard, l'auteur emploi le pronom personnel "je" (c'est à dire qu'il le laisse parler en quelque sorte tandis que dès qu'il s'agit des autres membres de la famille Einstein (que se soit le père, le mère ou encore l'autre fils), il emploie le pronom personnel "il" ou "elle".



Je trouve vraiment l'idée excellente d'avoir consacré un livre entier à Eduard car c'est une personne que j'ai trouvé vraiment très attachante et loin d'être bête (contrairement à tout ce que l'on veut bien lui faire croire) car en plus de son malheur, il faut rajouter qu'Eduard sait qu'il est loin d'être intelligent (bien qu'il l'ait été) mais que cela ne l'empêche pas d'Exister et d'être Lui. A découvrir !
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Romain Gary s'en va-t-en guerre

« On associe le génie de Gary à sa mère. L’énigme Gary c’est son père » rappelle le bandeau de ce roman qui se focalise sur les deux journées de janvier 1925, où Roman, âgé de 11 ans, apprend le 26 que son père abandonne sa famille puis, le lendemain 27, qu’il refait sa vie avec Frida enceinte de ses oeuvres.



Roman Kacew part en guerre contre son papa Arieh Kacew, fourreur juif à Wilno (Vilnius, capitale de la Lituanie) et quand il sera devenu Romain Gary, prétendra être fils de l’acteur Illich Mosjoukine, ce qui est invraisemblable pour les historiens.



Roman Kacew part en guerre contre l’antisémitisme qui sévit dans cette province alors polonaise après avoir été russe, et Laurent Seksik excelle dans sa peinture du ghetto entre les deux guerres.



Roman Kacew part en guerre contre la misère qui mêne sa mère, modiste, à la faillite et les contraint à l’exil.



En 1943, à Wilno, quand les SS éxécutent Arieh Kacew, Frida et leurs enfants Valentine et Pavel, il demande à son fils de lui pardonner sa désertion en songeant fièrement à celui qui, naturalisé français, part en guerre contre le III Reich, parmi les pilotes des Forces Françaises Libres.



Témoignage bouleversant sur les ruptures familiales et sur les heures noires de l’Europe, cet essai n’a pas l’envergure qu’ont Le cas Eduard Einstein ou Les derniers jours de Stefan Zweig puisqu’il analyse deux journées seulement de la vie du double Prix Goncourt, mais il sort de l’ombre son père, totalement éclipsé de nos mémoires par sa mère Mina Owczyńska.



PS : Le cas Eduard Einstein
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Le cas Eduard Einstein

Si personne n’ignore l’existence de Albert Einstein qui reçut le prix Nobel de physique en 1921 et dont le travail est notamment connu du grand public pour l’équation E=mc2, beaucoup plus rares sont ceux qui connaissent les enfants qu’il a eu avec Mileva Maric, une jeune physicienne brillante serbe dont il se sépare en 1914.

C’est sur le cas du fils cadet, Eduard, né le 23 juillet 1910 à Zurich dont la santé va se détériorer brutalement alors qu’il est âgé de vingt ans que Laurent Seksik se penche.

Tout comme son frère aîné Hans-Albert, Eduard a beaucoup souffert de la séparation de ses parents. Très intelligent, il est en première année de médecine, compte s’orienter vers la psychiatrie quand la maladie se déclenche et que son état devient ingérable.

Sa mère n’a d’autre choix que de le conduire à l’asile, dans la clinique psychiatrique Burghölzli de Zurich.

La lourde porte de l’établissement se referme quand débute le roman…

C’est donc la chronique de la vie et de la maladie incurable de Eduard, la schizophrénie, avec en fond, la plongée de l’Europe dans le nazisme.

Trois destins s’entrecroisent dans le roman.

Celui de la mère dont la vie a chaviré et dont le monde s’est obscurci depuis l’internement de son fils. Son univers est depuis délimité par le tracé de la route qui va de sa maison à la porte du Burghölzli. Sa douleur résonne tout au long du roman.

Celui du père, ce père absent, ce père complètement désarmé et désemparé devant la maladie de son fils et qui depuis Princeton où il vit en exil depuis 1933 avouera l’ampleur de son désespoir et son impuissance en écrivant : « Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution. »

Une troisième voix est celle d’Eduard lui-même, que Laurent Seksik a parfaitement su imaginer et rendre plus que crédible, n’hésitant pas à le faire dialoguer avec un infirmier.

Nous entendons alors tous les questionnements qui ont pu le traverser, son admiration pour sa mère, la nostalgie de la belle époque quand ils vivaient encore tous les quatre, ses hallucinations, ses sentiments, ses souffrances évidemment et son immense douleur liée à l’abandon de son père.

Eduard va subir de nombreux électrochocs, sera enserré dans une camisole lors de ses accès de violence. Seront également expérimentés sur lui des chocs à l’insuline, des heures terribles à vivre qui détruisent Eduard plus qu’ils ne le guérissent.

Parallèlement à ce monde inhumain des soins psychiatriques d’alors, c’est à la montée du nazisme et de l’antisémitisme que nous assistons et au climat de terreur qui s’installe en Allemagne.

Après avoir été vénéré pour ses travaux, alors qu’en son honneur, avait été élevée à Potsdam la tour Einstein dont l’immense télescope était destiné à vérifier la validité de ses théories, Albert Einstein subit des attaques visant ses origines juives, sa sécurité est menacée. Devenu une cible ambulante, il doit quitter l’Allemagne et part s’installer en Amérique.

Mais contrairement à l’opinion répandue, l’Amérique n’accueille pas Einstein à bras ouverts. Il est accusé de sympathies communistes, on lui reproche son pacifisme et son engagement en faveur des Noirs américains ne plaide pas en sa faveur. Le FBI enquête et Edgar Hoover, le nouvel homme fort de l’Agence pense qu’Einstein est un agent à la solde de Moscou…

Très bien documenté, notamment grâce à la correspondance entre Mileva et Albert Einstein,

Le roman de Laurent Seksik, un drame intimiste, remet sur le devant de la scène ce fils oublié qui finira ses jours parmi les fous, délaissé de tous, dans le plus grand dénuement et analyse de façon remarquable le lien particulier entre celui-ci et son père, Albert Einstein.


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Le cas Eduard Einstein

Déjà 72 critiques sur ce livre, je vais donc tenter de la faire brève. L'histoire du fils cadet d'Albert Einstein se déroule en Suisse, dans les années 1930,

Eduard est déclaré schizophrène et enfermé dans un asile où il subit divers traitements dont des électrochocs, à cette époque, on endormait pas pour ce genre de" torture". Seule sa mère, Mileva, va s'occuper de lui et lui rendre visite jusqu'à son dernier souffle. Albert vit à Berlin, Mileva n'a pas voulu le suivre et est restée en Suisse, d'où à la longue le divorce. Albert finira par s'exiler en Amérique, il était recherché par les nazis. Il ne viendra jamais voir son fils.

L'un après l'autre, dans le 1er chapitre, c'est la mère qui parle, dans le second chapitre, c'est Eduard et dans le 3ème, c'est le père et ainsi de suite. C'est fascinant de découvrir ainsi la vie de cette famille dont le père est un grand savant, on se fait parfois des idée, souvent fausses, sur la vie des "grands" de ce monde, on imagine un tas de choses et finalement, ce sont des êtres humains comme les autres avec leurs secrets, leurs défauts et leurs sentiments. On a seulement appris en 1985 après avoir découvert et publié la correspondance entre d'Albert Einstein et sa femme Mileva, l'existence d'une petite fille Lieserl, morte à l'âge de deux mois après avoir été abandonnée à une nourrice, pas déclarée," enterrée dans un coin de Serbie connu d'eux seuls et dont ils ne révéleront jamais le lieu". Ce livre nous décrit également la vie dans un asile de fous à cette époque. C'est une vraie découverte, j'ai aimé, j'en parle autour de moi tant j' ai été remuée par ce roman biographique
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Le cas Eduard Einstein

L’enquête de Laurent Seksik sur Eduard, fils d’Albert Einstein et Milena Maric, est aussi intéressante qu’éprouvante et c’est pourquoi j’ai laissé passer quelques jours avant de rédiger ce commentaire.



Basé sur les correspondances familiales et une bibliographie impressionnante, cette plongée dans les secrets de la famille s’inscrit dans un contexte qui est celui de la première moitié du XX siècle, de l’effondrement des empires allemands et austro hongrois, puis du nazisme et des persécutions raciales. Une période riche sur le plan scientifique avec le développement de la mécanique quantique et de la psychanalyse. Une époque inquiétante avec la montée des théories eugénistes et de pureté raciale qui condamnaient doublement les juifs handicapés mentaux.



Albert Einstein (1879-1955) rencontre Milena Maric (1875-1948) à Zurich et conçoivent Lieserl née en janvier 1902 et décédée quelques semaines plus tard. Albert et Milena se marient en janvier 1903 malgré la farouche opposition des parents Einstein. Hans-Albert né en mai 1904 et Eduard-Tete en juillet 1910. Le couple se sépare en 1914, divorce en 1919. Albert obtient le prix Nobel de physique en 1921 et en donne la totalité des bénéfices à Milena qui se consacre alors à l’éducation de leurs fils.



Albert retrouve en 1912 sa cousine Elsa Einstein (1878-1936), alors divorcée de Max Lowenthal dont elle a eu deux filles Ilse et Margot. Albert et Elsa se marient en juin 1919 ; ils n’auront pas d’enfants.



Eduard-Tète (Tete = petit) connait peu son père qu’il verra une dernière fois en 1933 quand le savant s’exile aux USA. Il manifeste des troubles psychiques, est diagnostiqué schizophrène en 1931 et interné dès l’année suivante à l’hôpital suisse de Burgholzli jusqu’à sa mort en 1955. Il a donc vécu la moitié de son existence en asile, souffrant d’une pathologie héritée de sa mère dont plusieurs proches sont sujets à des troubles mentaux. Et pourtant Eduard-Tete était un excellent musicien, un poète, et un étudiant en médecine prometteur, mais sa personnalité était complexe, la relation avec son père difficile et les traitement médicaux qu’il a enduré ont probablement aggravé ses problèmes.



Laurent Seksik offre un choeur à trois voies où Albert, Milena et Tete s’expriment successivement au fil des chapitres permettant au lecteur de se mettre dans la position de chacun d’eux. Tete juge sévèrement son père. Celui ci confesse que son fils est un problème qui le dépasse complétement …



Cette « histoire de fou » m’a beaucoup appris sur Einstein et son entourage familial et scientifique ; elle m’a bouleversé en montrant les souffrances de Tete ; elle m’a ému en révélant le dévouement infini de Milena qui a consacré près de quarante ans à son fils.
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Le cas Eduard Einstein

Regardez bien cette photo en couverture, on y voit deux Einstein : Eduard et Albert, le fils et le père. Cette photo immortalise leur dernière rencontre, juste avant le départ d'Albert Einstein fuyant l'Allemagne nazie pour les Etats-Unis. La scène se passe à Zurich, dans l'hôpital de Burghölzli. Les Einstein sont sur leur 31, ils viennent de donner un concert ensemble, ils ne se regardent pas. Albert porte un élégant costume trois pièces et une cravate (un peu de travers), il tient un violon et un archet, il a l'air absent et triste. Eduard arbore un noeud papillon et semble totalement absorbé par la lecture d'une partition, il a l'esprit ailleurs, comme s'il cherchait à s'extraire de l'instant présent et à s'isoler de la réalité, peut-être pour ne pas avoir à parler à son père, qu'il déteste.



Sur cette photo, tout est dit.



Sur cette photo, on ne devine pas que le fils est fou, qu'il est schizophrène. Qu'il entende dans sa tête des loups hurler et voit parfois des choses qui n'existent pas. On ne devine pas qu'il a plusieurs fois tenté de se suicider. Eduard Einstein, né en 1910, passera la plus grande partie de sa vie dans cet hôpital psychiatrique, jusqu'à sa mort en 1965. Cette photo de couverture, premier contact avec le livre, ressurgit de façon époustouflante à la fin du récit.



Laurent Seksik a choisi de faire parler à tour de rôle les trois personnages principaux de cette histoire familiale. Eduard, Albert, et bien sûr Mileva, née Maric, la mère d'Eduard et la première femme d'Albert dont elle se sépare en 1914 lorsque Eduard a quatre ans.



Laurent Seksik parvient de façon incroyable à donner corps à ses personnages, à les reconstituer dans leur réalité humaine. Bien entendu, des esprits chagrins pourront toujours prétendre que les pensées et les dialogues intérieurs, voire certaines anecdotes du récit, ne sont que le résultat de l'imagination de l'auteur et peuvent s'écarter de la réalité historique. Mais ces éventuelles critiques doivent être balayées devant l'efficacité du procédé qui permet d'accéder à la psychologie et à l'intimité des personnages, de façon logique et presque évidente, à partir d'éléments retrouvés dans des lettres et des témoignages.



Albert Einstein n'a jamais pu s'occuper correctement de son fils. Son divorce, sa fuite et son exil peuvent revêtir l'apparence d'une lâcheté teinté d'égoïsme, malgré l'argent promis et versé. On peut penser cependant que jusqu'à sa mort, il regrettera d'avoir été un père absent et inutile.



Mileva Maric consacrera sa vie à veiller sur Eduard. C'est une scientifique. Elle a probablement aidé son mari à bâtir sa théorie de la relativité tout au début de sa vie de couple. Divorcée, oubliée de tous, son destin est tragique.



Les monologues d'Eduard Einstein sont les plus poignants. Malgré sa folie, il est cultivé, sensible et intelligent. Il est conscient de sa différence et de ses brusques excès de violence, même s'il n'en perçoit pas toujours la portée. Il reste toujours digne, bienveillant avec son entourage, et s'attache surtout à ceux qui ont la bonté de s'intéresser à lui. Les électrochocs et la camisole constituent l'essentiel des soins prodigués et sont peut-être d'ailleurs partiellement responsables de son état. Les méthodes thérapeutiques permettant de soigner les fous en ce début de XXe siècle sont encore balbutiantes et sans doute inefficaces. Mais son principal problème reste sa relation conflictuelle avec son père. Ce dernier est paradoxalement omniprésent et absent, sa renommée est trop écrasante pour le fils et il est coupable d'avoir abandonné sa famille.



Laurent Seksik ne parle pas, sauf çà et là par petites touches, projetées comme des éclaboussures par des événements extérieurs au récit, des faits d'armes scientifiques et des différents engagements qui ont rendu célèbre Albert Einstein. On plonge donc ici surtout dans l'intime, dans les replis oubliés de la biographie du savant. Ce livre n'est pas un essai mais un roman. Cependant, il dévoile une partie importante et méconnue de la vie du plus grand scientifique du XXe siècle, qui fut l'un des artisans de la théorie des quantas (pour laquelle il obtient le prix Nobel) et le père de la relativité, mais également le père de… comment déjà ? Ah oui, le père d'Eduard Einstein, le fils oublié de l'histoire, le fou qui voulait devenir psychanalyste.
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Le cas Eduard Einstein

"Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution" écrit Albert Einstein en exil.

Eduard Einstein a 20 ans quand sa mère, Mileva, d'origine serbe, le conduit à l'asile au début des années 30.

A l'époque peu de traitements pour traiter la schizophrénie, à part les inévitables électrochocs.

Par la suite Albert Einstein va apprendre que des cas de schizophrénie avaient existé dans la famille de sa première épouse Mileva.

Einstein a suivi de loin l'évolution de la maladie de son fils.

Il a renoncé à l'idée de l'emmener voir le Docteur Freud en consultation.

Il va se sentir totalement impuissant et va partir en exil aux Etats Unis, sans pouvoir y faire venir son fils Eduard.

Ce roman nous montre une autre facette du savant Albert Einstein, grand savant, homme de conscience politique poussée et engagé dans de nombreux combats mais totalement démuni pour gérer la folie de son fils.

Au fil du livre nous apprenons que Albert Einstein et sa première épouse avaient eu une petite fille, appelée Lieserl, alors qu'ils avaient très peu de moyens pour l'élever. Cette petite fille a été laissée en nourrice pendant longtemps et est morte jeune.

Cette mort "occultée" a-t-elle eu une incidence sur l'évolution psychique de Eduard? c'est difficile de le dire.

Einstein père va être absent, il va vivre dans un premier temps à Berlin avec sa seconde épouse Elsa et laisser Mileva s'occuper de son fils. Mileva va connaître de gros ennuis financiers: l'internement de son fils coûte cher, les biens de son ex-mari ont été saisis par les nazis.

Einstein va quitter l'Allemagne en 1933, il dira au revoir à son fils interné à Zurich et ensuite le père et le fils ne se verront plus jusqu'à la mort du savant en 1955.

Ce livre est une réussite par sa justesse de ton pour évoquer un sujet difficile.

Laurent Seksik, écrivain-médecin, auteur du très beau "Les derniers jours de Stefan Zweig" réalise encore un coup de maître.

Un drame de l'intime se déroule sous nos yeux à travers la douleur d'une mère et l'impuissance d'un père pourtant si célèbre et reconnu.
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L'exercice de la médecine

Poursuivant la lecture de l’oeuvre de Laurent Seksik, je me suis délecté de cet ouvrage qui rappelle l’exode des juifs persécutés en Russie tsariste, en Allemagne nazie, puis en France occupée et décrit surtout l’exercice de la médecine avec ses progrès progressifs et ses exigences éthiques dans un monde délétère.



La palette de médecins, ancrés dans une vocation séculaire héritée d’une tribu de thérapeutes issue d’Alexandrie au premier siècle de notre ère, avec Pavel, le russe, Mendel, l’allemand et aujourd’hui Léna, cancérologue parisienne traverse le siècle et surmonte les obstacles qui ont dissuadé Tobias de s’inscrire dans la vocation familiale. Les personnages sont attentifs, nuancés, mais inflexibles si besoin.



Médecin, Laurent Seksik nous offre un texte superbe qui rend hommage aux soignants et à leur art menacé par un étau économique et technocratique toujours plus envahissant.
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La folle épopée de Victor Samson

« À chaque endroit où il posait son sac, on lui demandait où il allait. Il répétait : En Amérique, réaliser le rêve de mon père. »



Si Victor veut réaliser le rêve de son père — qu’une avenue américaine un jour porte son nom — c’est que le pauvre homme est mort dans des conditions affreuses, victime de l’ostracisme (et de l’anti sémitisme) alors qu’il faisait le bien autour de lui avec un remède de son invention, la Jacobine. Un rêve qui va conduire Victor à rencontrer des personnages célèbres, à connaître la guerre et ses horreurs, et l’amitié, la vraie, celle qui crée des liens indéfectibles pour la vie. Victor qui va devenir aussi un héros de l’Union Soviétique, un acteur à Hollywood, et même découvrir avant l’amour sur la route de la Chine.



Dans ce beau roman d’apprentissage (merci à Babelio et aux Éditions Flammarion) Laurent Seksik revient sur un sujet qui lui est cher : la persécution des juifs. Mais pas seulement. Alliant noirceur et fraîcheur, humour et action, il adresse aux jeunes adolescents un utile message de tolérance et d’espoir. À l’heure où les racistes de tous poils intensifient leur discours haineux, il montre comment L’étranger peut devenir un Bouc émissaire, celui sur qui on fait porter tout le poids des malheurs, mais aussi celui dont le fils peut devenir, malgré l’adversité et les doutes, un jeune homme qui va au bout de ses rêves.



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Un fils obéissant

J'avoue , une fois de plus j'ai été attiré et séduit par la belle couverture de cet ouvrage et le résumé de la quatrième, succint , a fini par me convaincre .

Je dois vous avouer aussi , cependant que je ne suis pas forcément adepte de ce genre littéraire qu'est l'autobiographie , sutout quand celle - ci est centrée sur la relation entre un fils et son père, au moment de la disparition de l'un d'eux , en l'occurence le père mais la notoriété de l'auteur m'a fait changer d'avis , au moment de l'achat tout au moins . Je pense en effet que la disparition d'un être cher , aimé et respecté , est un tel tsunami , que l'objectivité risque d'être un peu " battue en brèche " et le récit se tourner vers une idéalisation du caractère et du comportement du défunt , idéalisation tout à fait compréhensible pour moi , je tiens à le préciser .

Être juge et partie de son propre malheur peut , certes , faire beaucoup de bien à celui ou celle qui " couche les mots sur le papier " , mais est- ce bien nécessaire de livrer ainsi des sentiments intimes à des lecteurs forcément détachés de l'événement et qui pourraient se sentir un peu " voyeurs " du malheur des autres . Car il va loin ce livre , il en montre des " choses " , il en réveille des souvenirs du pére , du grand - père , du grand - oncle , des anecdotes plaisantes ou plus graves , il laisse la place aux faits , certes , mais aussi aux supputations quand au rôle réel de ce père qui a " un fils obéissant " , mais qui se montre aussi assez directif quant aux choix de vie de son brillant rejeton .Une famille juive assez conventionnelle où le poids des traditions " s'impose " avec une fausse légèreté mais s'impose tout de même. On n'aura tout de même pas l'outrecuidance de contester l'amour qui suinte à travers chaque phrase mais on a tout de même une certaine impression de soumission à l'autorité paternelle.

Je disais que certaines situations étaient remarquables , la rencontre avec Le Clézio, par exemple , et le " merde " de dépit de l'auteur apprenant qu'il avait.....réussi sa troisième année de médecine, études choisies ....par son père alors que le jeune homme voulait être écrivain.....

Il y a dans ce roman de l'émotion , c'est indiscutable , l'écriture est talentueuse , on ne reste pas indifférent et c'est un vrai talent qui s'exprime , qui nous fait rire et pleurer mais j'aurais aimé trouver entre ces deux êtres des situations plus " conflictuelles " , au bon sens du terme bien sûr, des conflits entre père et fils ont toujours permis à tout un chacun de " grandir " dans la mesure où , bien entendu , le respect guide les échanges . Ce " fils obéissant " est pour moi un peu " lisse " puisqu'il lui faudra atteindre la cinquantaine pour se détacher , en tremblant , des décisions paternelles.

L'auteur est brillant mais je reste sur mon opinion première , il est bien difficile de laisser parler " ses tripes " sur de tels sujets .Ne dit - on pas que " les grandes douleurs sont muettes " ? Je préfère l'hommage rendu à travers un récit romancé qui offre à l'auteur une certaine distanciation donc , à mon avis , une plus grande objectivité.

Ce récit est superbe , mais , si j'en avais été l'auteur ( ce qui est une idée bien prétentieuse et...impossible ) , je n'aurais pas pu le livrer à la lecture d'étrangers , il est trop intime , très très beau mais....
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Les derniers jours de Stefan Zweig

Seksik raconte Zweig. Rien qu'avec leurs deux noms, 50 points mini au scrabble. Autant dire que c'est du lourd.

Mais loin d'une partie de jeu, Seksik se fait simplement le modeste messager des derniers jours de l'énormissime et talentueux Zweig.



Point d'emphase lyrique ou d'éloge débordant. Mais une écriture à l'image de l'homme : dans la retenue, jamais expansive, emplie autant de sensibilité que de compassion.

Et Zweig apparait dans toute sa détresse des derniers mois. Ou détresse d'une vie plutôt. Quelques flashbacks, et on (re)découvre un homme blessé, sensible, vulnérable. En perpétuelle fuite. Vienne, Londres, New-York, Petropolis. Exilé et libre nulle part. Epuisé, il aspire à une tranquillité dans la tourmente de ce XXème siècle qui le dépasse. Tourmenté de longue date, la traque du juif par les haineux aura raison de son éternelle désespérance.

Et pressé notamment par un Bernanos vif et enclin au combat par l'écriture, Zweig, l'ami de Rilke, Hesse ou encore Roth, étouffe sous son habit d'auteur internationalement reconnu, attendu pour porter la parole de la lutte anti-nazie.

Le doute toujours à l esprit : en refusant l'engagement politique, est-il faible? Ou pire, lâche?



Seksik ne juge pas l'homme mais rend un hommage vibrant et sobre à celui qui fut toute sa vie dévasté par ce monde de haine, d'intolérance. Pour finir emmuré dans un terrible abattement physique et moral. Lotte, sa seconde femme, à l'amour plus solide que sa fragile santé, ne pourra le sauver de l'inéluctable issue malgré un soutien indéfectible. Résignée, passionnée, le suivre dans son tombeau de désarroi sera son ultime geste d'amour.

 

Somptueux récit ou émane une discrète mais néanmoins fervente tendresse pour ce fabuleux apologiste du pacifisme, cet humaniste meurtri. Incontournable pour les amateurs du grand Zweig.
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Romain Gary s'en va-t-en guerre

Laurent Seskik s’attaque dans ce roman à l'écrivain culte qu’est Romain Gary. Sous des airs de biographie, il signe un roman à la recherche de la vérité. On connaît l’amour fusionnel qui lie Romain à sa mère, en revanche on manque d’information concernant son père.

Père déserteur, il quitte Nina, la mère de Romain pour les bras d’une autre femme. Le jeune Romain restera juste dans ses sentiments malgré les injonctions de la mère trompée et laissée. Romain se construira sans oublier son père et auprès d’une mère inconditionnellement amoureuse de la prunelle de ses yeux.

Je reconnais une écriture soignée, avec de beaux passages. Je regrette néanmoins le manque d’immersion dans la vie de Romain où multitudes de détails sont venus alourdir la compréhension de ma lecture.
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Les derniers jours de Stefan Zweig

Que dire si ce n'est que ce roman est magnifique, écrit par un auteur dont j'ai apprécié La légende des fils avec pour sujet Stefan Zweig dont j'ai aimé tout ce que j'ai lu.

Stefan Zweig a fui son Autriche natale ; avec Lotte, sa seconde épouse, après Londres, ils accostent à New York où Stefan Zweig assailli par les demandes de visas, d'argent, ... de juifs connaissant sa renommée, décide de mette le cap sur le Brésil, pays qu'il connaît bien pour y avoir déjà séjourné et écrit un livre le Brésil : Terre d'avenir. Il se souvient des propos que lui avait tenus Rolland dans sa dernière lettre : «Je ne vous vois pas installé au Brésil. Il est trop tard dans votre vie pour y prendre racines profondes. Et sans racines, on devient une ombre.», cela résume bien son état d'esprit. Six mois après son arrivée au Brésil, le dimanche 22 février 1942 après avoir congédié la gouvernante, donné congé au jardinier, écrit des lettres à ses amis, il se suicide avec Lotte éprise jusqu'au sacrifice ultime.

Laurent Seksik précise : Ce roman repose sur des faits réels et des événements historiques recoupés dans des archives de l'époque, témoignages et documents ; il cite la bibliographie sélective des documents concernés par l'écriture de cette fiction.

À lire !



Challenge Petits plaisirs 2017 – 112 pages
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Franz Kafka ne veut pas mourir

Franz Kafka ne veut pas mourir est un roman rempli d'humanité et l'on reconnaît la plume de Laurent Seksik empreinte de nostalgie, de fascination pour ces grands de la littérature ou du monde scientifique.

Après, son roman : Les derniers jours de Stefan Zweig, on continue à être séduit par le talent de conteur de L. Seksik qui retrace avec tant de brio, de pudeur la vie de ces hommes qu'il s'agisse de Zweig, de Romain Gary, d'Einstein et ici celle de Kafka.

J'ai eu la chance de le rencontrer pour la parution de son précédent roman, il y a deux ans, à la librairie le Divan à Paris. Quand il avait évoqué ce roman sur Kafka, ses yeux pétillants d'intelligence et de bienveillance m'avaient donné déjà l'envie de lire ce roman.

Et, je n'ai pas été déçue mais si à priori le monde de Kafka m'est plus lointain et obscur que l'univers de Romain Gary et Stefan Zweig.

Pour écrire son roman, Laurent Seksik a choisi de mettre en lumière Kafka par trois personnes très proches de l'entourage de celui-ci.

Sa petite soeur: Ottla, Dora Diamant avec qui il aura une liaison amoureuse de quelques mois à Berlin et un jeune étudiant en médecine : Robert Klopstock qui assistera les derniers jours et l'agonie de Kafka.

Ces trois voix s'alternent pour nous raconter leurs liens avec Kafka, de la rencontre avec ce dernier jusqu'à la mort de celui-ci.

Puis les années de la montée du nazisme jusqu'à la fin de la guerre et de l'après-guerre. Années très éprouvantes pour ces trois personnes puisque toutes trois juives.

Néanmoins, leur but est de faire connaître et apprécier Kafka aux yeux du monde entier.

Dora, sa "femme", communiste, est très touchante avec la brosse à cheveux de Kafka qu'elle conservera envers et contre tout.

Ottla, sa petite sœur qui comprenait si bien son frère et le mettait à l'abri des foudres du père de Kafka. A cette occasion, Laurent Seksik écrit de très belles pages sur l'amour filial entre un père et son fils, un thème qui lui est très cher.

Enfin, ce jeune étudiant en médecine : Robert pour qui la rencontre avec Kafka aura décidé d'une grande partie de sa vie.

Au final,Kafka ne veut pas mourir est un roman éblouissant qui nous mène de bout en bout.

Et, cela même si on n'est pas un lecteur kafkaïen averti.

Je vous le conseille.
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Les derniers jours de Stefan Zweig

Stefan Zweig est un de mes auteurs préférés. Je n'en finis pas de le découvrir, autant dans son oeuvre romanesque que dans ses biographies éclairées.

Bien sûr, Les derniers jours de Stefan Zweig, c'est elle aussi une biographie romancée, écrite du reste avec talent, érudition et sensibilité par Laurent Seksik, auteur que je découvre au passage. Une biographie romancée ne dit pas forcément toute la vérité, elle est par définition subjective, mais elle imagine tous les possibles qui viennent se glisser dans les interstices d'une existence, celle dont nous pensons connaître déjà dans les grands traits...

Ici tous les possibles sont dits dans le vertige des mots.

Que dire dans l'émotion encore palpable des dernières pages...?

Que dire sinon un chagrin immense qui m'a étreint au fil des pages de ce récit magnifique.

Stefan Zweig est déjà en exil, à Londres, lorsqu'il rencontre une certaine Lotte Altmann, qui a vingt-cinq de moins que lui. Elle est emplie d'admiration pour l'auteur. Mais celui-ci est marié. Lotte devient sa maîtresse. Et la fuite continue de se faire dans l'exil, New-York, puis le Brésil... Poser les valises dans la ville de Petrópolis à quelques encablures de Rio de Janeiro.

Nous sommes en 1942, l'exil fuyant la barbarie nazie dure déjà depuis neuf ans et Stefan Zweig s'est entre temps séparé de sa femme Frederike, restée à New-York, pour épouser la jeune et belle Lotte.

C'est Lotte maintenant qui dactylographie sur la vieille Remington chaque page rédigée de manière manuscrite par l'écrivain...

Le cadre est idyllique, la paix est ici présente, il suffirait d'attendre quelques mois encore pour espérer voir s'achever cette guerre devenue mondiale. La progression des Alliés semblent donner quelques notes d'espoir.

J'ai aimé une des premières scènes qui ouvre le livre. le nouveau couple découvre cette maison de Petrópolis qui les accueille provisoirement. C'est une scène banale qu'on a tous peut-être vécu après un déménagement, mais ici elle a une saveur toute particulière, une malle qu'on vide de ses livres, l'odeur des livres qui rappelle là-bas, sa demeure de Salzbourg, sorte de madeleine de Proust en exil et qui donne le vertige à l'auteur, comme une ivresse...

Et puis, il suffirait d'attendre que parvienne de Londres cette autre fameuse malle, qui contient une somme de documentations inédites qui lui permettra d'écrire enfin ce qui pourrait être son chef d'oeuvre, la biographie De Balzac ! Mais l'océan est aussi le théâtre de cette guerre... Et la malle n'est toujours pas parvenue à sa destination...

Avant cet exil, avant de fuir sa chère ville de Salzbourg, Stefan Zweig pensait que les livres allaient former comme un rempart contre la barbarie. Nous y pensons tous ici dans notre communauté de lecteurs. C'est parfois quelque chose qui nous anime avec ardeur.

Mais ses livres ont été brûlés là-bas, à Vienne ou Salzbourg.

Le chemin de l'exil emplit Stefan Zweig d'un terrible désespoir. Et la pauvre Lotte encore amoureuse, éprise de Stefan Zweig, se sent glisser, happée dans ce chemin désespérée, alors qu'elle voudrait exister par son amour, enflammer l'homme qu'elle aime, le retenir à la vie, lui redonner de l'espoir... Elle pense qu'il n'a pas le droit de se laisser abattre.

Dans cette errance, il se sent devenir comme une ombre sans racines.

Il se sent devenu comme un paria, un fuyard, un lâche, le dernier des hommes. Ses forces l'abandonnent. D'ailleurs, de grands écrivains comme Thomas Mann lui reprocheront son acte.

Il se sent devenu une sorte de vagabond hanté par l'absolu.

Sa rencontre avec Georges Bernanos lui aussi en exil est forte lorsque celui-ci lui dit " C'est dans cette clameur qu'il faut se faire entendre. Nous sommes des romanciers, nous avançons dans les ténèbres, guidés par notre seul instinct. C'est dans ces ténèbres qu'il faut éclairer les consciences. Aucun peuple ne peut se sauver lui-même. Cher ami, le monde a besoin d'entendre votre voix."

Mais ces mots ne suffiront pas...

Lors de ce fameux dimanche de 22 février 1942, sans doute plus rien ne les retient, lui et elle, au bord de l'abîme.

Ce que j'ai trouvé particulièrement émouvant, pathétique même, ce n'est pas le suicide de Stefan Zweig, qui relève d'un acte personnel, mais c'est le geste de Lotte, son sacrifice à ses côtés, qui souhaitera le rejoindre dans ce dernier voyage, sans doute afin de pouvoir exister à ses yeux, lui offrant ainsi un ultime geste d'amour, elle qui ne se sentait peut-être pas suffisamment regardé par l'homme qu'elle aimait durant cet exil partagé depuis tant d'années...

Ce livre est d'une inconsolable tristesse, écrit avec pudeur, émotion et justesse. Une clef supplémentaire pour continuer de cheminer dans l'oeuvre incontournable de ce très grand écrivain.

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Les derniers jours de Stefan Zweig

Mon troisième rendez-vous avec Laurent Seksik se passe encore une fois autour d'un grand homme qui a marqué son époque. Avec une sincérité impressionnante, des mots justes, et beaucoup de retenue l'auteur imagine les derniers jours de Stefan Zweig.



Cet archéologue de l'âme humaine, biographe des riches heures de l'humanité avait senti venir l'horreur et la barbarie et l'échec d'une civilisation. Il plaidait le pacifisme et l'unification, il a été poussé à l'exil et à la perte d'êtres chers.



Zweig, en fin de vie, engagé dans d'éprouvants face-à-face avec un monde qui a perdu la raison, se débat avec les fils noirs d'une sombre araignée existentielle. Le poids de la honte et de la culpabilité rongent son âme le plongeant dans une inconsolable tristesse et dans un grand effondrement mental.

Trop d'illusions perdues, trop de voix de malheur résonnent à ces oreilles malgré l'exil.



Il a choisi la dernière demeure, là où le rideau tombe. Il a choisi celle qui l'accompagnerait dans ce dernier voyage pour l'éternité. Il a choisi de laisser le vent imprévisible de l'Histoire souffler et rabattre ses cartes. Il a choisi une victoire dérisoire sur la barbarie.



Même si on connaît la fin de l'histoire, la gravité se fait sentir au détour des phrases. Laurent Seksik livre un roman d'où se dégagent une grande humilité et une humanité que j'ai rarement rencontré ailleurs. Un livre rare et précieux, qui nourrit l'esprit et touche droit au coeur.



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Le cas Eduard Einstein

Aucune gloire ou Nobel ne peut jamais guérir cette espèce de trou au coeur qu'auront à jamais Albert et Mileva. C'est d'une tristesse infinie ce récit. Trois voix, celle d'Albert, de sa première femme Mileva et bien sûr celle d'Eduard. À tour de rôle ils nous parleront de leur vie, de leurs perceptions, de leurs choix . Albert ne pourra jamais s'expliquer son fils Eduard, Mileva, la mère n'abandonnera jamais son fils et Eduard sera en marge de toute cette vie. Le cas Eduard Einstein est plus qu'une biographie romancée. C'est aussi une chronique historique sur la montée du nazisme, le sort des Juifs, des handicapés, des malades, la guerre, les États-Unis de la chasse aux sorcières, pays où l'accueil sera factice. C'est aussi le portrait d'une médecine psychiatrique à ses débuts, aux essais de cures, aux soins cliniques. C'est aussi un père, Albert Einstein, convaincu, militant et blessé. C'est une mère, Mileva, au bout du rouleau, accablée, dédiée, dévouée. C'est un fils malade...
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Chaplin, tome 1 : En Amérique

Octobre 1912. Sur le paquebot qui fait route vers l'Amérique, Charlie et Stanley discutent de Londres, de la Tamise, de Hetty Kelly à qui Charlie pense tout le temps... Et si la tournée n'est prévue que pour une durée de trois mois, le jeune homme, lui, compte bien rester aux États-Unis, certain qu'une vie bien meilleure les attend et qu'ils auront tous les deux leurs noms inscrits en gros sur la 5ième avenue. Tout ce que veut Charlie, c'est être célèbre et riche... Et si la pièce jouée ne rencontre pas le succès tant espéré, loin s'en faut, Charles Spencer Chaplin ne désespère pas...



Premier tome de ce triptyque sur Charlie Chaplin, cet album nous dépeint les premiers pas dans le monde du cinéma de celui qui sera sans nul doute l'un des plus grands acteurs de cinéma. De déconvenues en jalousies, de hasards en rencontres bienveillantes, l'homme, vif, malin, touche-à-tout, a dû persévérer et travailler pour arriver à ses fins. Si le propos s'avère tout à la fois intéressant et instructif, le dessin, quant à lui, est magnifique. Léger, aérien, gracieux, le trait de David François est élégant, les décors grandioses, la mise en page originale et l'ambiance surannée particulièrement réussie.

Un seul bémol tout de même, il est fort dommage que Stan Laurel et Charlie Chaplin se ressemblent tant.

Un premier volet prometteur...
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Un fils obéissant

Ecrit par un auteur dont j’ai particulièrement apprécié « Les derniers jours de Stefan Zweig » et « L’exercice de la médecine », ce livre m’a été offert par les Editions Flammarion et notre site préféré lors de la dernière Masse Critique Privilégiée au titre de la Rentrée Littéraire 2018. Je les en remercie vivement. A la demande de l’éditeur, j’ai attendu la date du 15 août pour publier ma chronique,



Ce roman n’a rien de commun avec ceux écrits, jusqu’ici, par Laurent Seksik mais il explique bien, en revanche, le choix des fictions écrites par ce dernier. C’est un livre particulièrement émouvant et qui touche à l’intime de l’auteur : la douleur du deuil. C’est à la fois un hommage à ses parents et une forme de thérapie pour l’aider sur le chemin du deuil paternel. Laurent Seksik se raconte et à le lire, j’ai bien ressenti son besoin de faire une pause, de remonter le fil du temps, d’immortaliser sur le papier des tranches de vie, un peu comme la reconstitution d’un puzzle, tout en prenant le temps d’expliquer à son lecteur l’histoire de ses choix, pourquoi médecin, pourquoi écrivain avec cette nécessité d’être compris.



Nous sommes un an après le décès de son papa, Lucien Seksik, dans la salle d’embarquement de l’aéroport Charles-de-Gaulle avec Laurent. La famille Seksik a fait son Alya et pendant le vol pour Tel Aviv, Laurent doit écrire un discours qu’il devra lire devant la sépulture de Lucien.



Dans l’avion, il se retrouve assis à côté d’une jeune femme avec laquelle, une discussion s’instaure et ce sont ces échanges, ces questionnements, qui servent de fil conducteur dans la construction de la narration de ce roman. J’avoue que les propos de la jeune femme m’ont surprise parfois par leur ignorance voire maladresse mais l’auteur les a voulus ainsi pour mieux étayer ses pensées.



L’écriture de Laurent Seksik est toujours très agréable, fluide. Avec délicatesse, il se penche sur le passé pour nous relater le souvenir de tous ces instants, toutes ces anecdotes qui ont fait de lui l’homme d’aujourd’hui. Nous sommes, avec l’auteur, dans le deuil d’un être profondément aimé mais ayant une personnalité écrasante. Lucien a eu un énorme impact sur l’existence de Laurent. Il lui doit sa vocation d’écrivain et à sa mère, celle de médecin. Quoi de plus naturel que de rendre hommage à Lucien en écrivant le récit de leurs échanges, de leur tendresse mutuelle, qui a fait de Laurent l’écrivain reconnu qu’il est aujourd’hui. Dans ces allers-retours entre présent et passé, nous assistons à des moments drôles, remplis de bienveillance dont il émane toujours une hyper réactivité émotionnelle.



Nous remontons le temps avec lui. Laurent Seksik entremêle à la fois sa propre histoire, celle de son père, celle de son grand-père et celle de son grand-oncle dont l’évocation se trouve à mi-chemin entre légende et histoire authentique.



C’est très intéressant d’analyser l’œuvre de Laurent Seksik. A elle seule, elle permet de nous éclairer sur l’impact qu’à eu Lucien sur la vie de Laurent. Nombre de ces livres tournent autour des relations père-fils. Dans « l’exercice de la médecine », j’ai aussi discerné la filiation, la transmission mais aussi la mélancolie, celle que l’on retrouve chez Zweig, cet auteur qui l’a tant fasciné et qui certainement entre en résonnance avec lui.



De ces injonctions parentales qui pèsent sur Laurent et des difficultés qui en découlent pour que ce dernier puisse véritablement devenir ce qu’il est, je suis arrivée au constat que ce deuil pouvait lui être d’une grande aide comme il pouvait lui être une prison par souci de fidélité à son père. Je ne peux m’empêcher d’y voir Guy Bedos et Marthe Villalonga dans «Un éléphant ça trompe énormément ».



J’ai éprouvé beaucoup d’émotions au fil de ces pages. Ce n’est pas un livre cynique, c’est tout en pudeur même si parfois Laurent Seksik se confie sans filtre. La tendresse y est présente de bout en bout que ce soit l’amour du fils pour son père ou l’amour du père pour son fils. J’ai éprouvé la beauté des gestes de Lucien à chaque fois que ce dernier bénissait son fils lors de leur séparation. Je me suis mise à la place de toutes ces personnes qui vivent loin de leurs parents. Je me suis imaginée laisser l’un de mes parents malades dans un pays lointain, j’ai éprouvé modestement le déchirement que cela doit leur procurer.



Fiction et réel s’entremêlent pour partager avec Laurent les derniers instants de Lucien. C’est poignant, beaucoup d’émotions au fil de ces pages, un peu comme un miroir qui nous est proposé lorsque les parents vieillissent. C’est beau. Un dernier Kaddish pour Lucien et le livre se referme.

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