Citations de Marcel Aymé (465)
Jambier, 45 rue Poliveau, articulait Grandgil. Maintenant c’est deux mille francs.
Je veux deux mille francs, nom de dieu ! Jamblier !
Jamblier ! Deux mille francs. Jamblier !
La liste
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Barbe 90, qui s’en allait pourtant sur ses quarante-quatre ans, avec une paire pour s’asseoir comme deux sacs de farine (et le feu au milieu, si vous voulez bien), était plus enragée que toutes ses cadettes, et le curé disait n’avoir jamais vu, dans toute son existence de curé, une aussi grande putain que cette satanée Barbe de la quarantaine ; même que, quand il la voyait venir à lui, la hanche bourriquante et le flottant de la gorge bien à l’avancée, il était tout heureux d’avoir l’empêche de sa soutane, et encore en plus, de se réciter deux ou trois prières en pensant à ce qu’il récitait. Ne nous laissez pas succomber. Et ce qui le mettait en colère bien plus que tout, c’était de voir que cette grande éhontée, par l’exemple funeste qu’elle leur donnait ainsi, entraînait dans le péché tout le restant des Tournebise, depuis Guillemette 91 jusqu’à Véronique 1917, qui se dévorait déjà de vouloirs à peine qu’elle avait ses seize ans. Aux veilles de fêtes, quand elles étaient toutes à faire la queue devant le confessionnal, il en avait la chair de poule et la suée dans son froc, à penser qu’il allait entendre les quatre cents coups de l’abomination sortir de toutes les bouches de ces garces de Tournebise.Mais plus que les autres ensemble, il redoutait Barbe dont les péchés faisaient tant de volume et de fracas que le confessionnal en était comme à l’envers, balloté, secoué et remué cul par-dessus tête.
- Mon père, vous pouvez compter que je me repens bien. Figure-vous que je venais d’ôter ma chemise pour me chercher une puce qui me courait là, dans l’entremi des deux tétons, mais voilà qu’elle se met à descendre…
- Passez, rageait le curé, allons, passez…
- Oui, mon père. Voilà donc le Noré Coutensot qui se penche et qui l’attrape, devinez où ?
L'argent ne se souvient de rien. Il faut le prendre quand on peut, et le jeter par les fenêtres. Ce qui est salissant c'est de le garder dans ses poches, il finit toujours par sentir mauvais.
Le Vaurien - Gallimard
À Claquebue, au contraire, il lui semblait que le livre des mystères fût ouvert à chacun, elle en entendait bruire les feuillets au vent de la plaine et se sentait à chaque instant sur le point de faire une découverte.
12 février. - [...] Naturellement, il n'est pas question de mettre à mort les inutiles. On rognera simplement sur leur temps de vie. Maleffroi m'a expliqué qu'ils auraient droit à tant de jours d'existence par mois, selon leur degré d'inutilité. Il paraît que les cartes de temps sont déjà imprimées. J'ai trouvé cette idée aussi heureuse que poétique. Je crois me souvenir d'avoir dit là-dessus des choses vraiment charmantes. [...]
13 février. - C'est une infamie ! un déni de justice ! un monstrueux assassinat ! Le décret vient de paraître dans les journaux et voilà-t-il pas que parmi "les consommateurs dont l'entretien n'est compensé par aucune contrepartie réelle", figurent les artistes et les écrivains ! À la rigueur, j'aurais compris que la mesure s'appliquât aux peintres, aux sculpteurs, aux musiciens. Mais aux écrivains ! Il y a là une inconséquence, une aberration, qui resteront la honte suprême de notre époque. Car, enfin, l'utilité des écrivains n'est pas à démontrer, surtout la mienne, je peux le dire en toute modestie. Or, je n'aurai droit qu'à quinze jours d'existence par mois. (p. 60)
Letort avait d'intolérables démangeaisons au menton. La jalousie exaspérait maintenant son désir de barbe, mais il se heurtait à l'intransigeance glacée de madame Letort. Vingt fois par jour, à son bureau, il formait le projet de casser les vitres, de signifier tranquillement à sa femme sa décision de porter la barbe et, en arrivant chez lui il avait la langue liée. Vingt-cinq ans de mariage le pliait malgré lui à l'ordre domestique. En présence de l'épouse, il avait l'impression que sa barbe ne lui appartenait pas, qu'elle était le bien de la communauté et qu'il ne pouvait en disposer seul (p. 112).
Avenue Junot
"au jour d'à présent, on n'a qu'à lâcher une fille le soir pendant un quart d'heure pour qu'elle vous rentre grosse."
Les femmes n’ont pas tant de plaisir dans l’existence, reprit Louise Johannieu d’une voix plus âpre. En attendant de se marier, elles vivent comme elles peuvent, en grattant juste de quoi ne pas crever de faim. Une fois qu’elles ont un homme, c’est les gosses, les engueulades, les maladies, la fatigue. Il faut aller faire des ménages, parce que l’homme qui vous a fait des enfants n’est pas seulement capable de les nourrir tout seul. Et ils croient avoir tout fait parce qu’ils ont passé une journée à l’usine.
On voit bien, dit-elle, que vous n'êtes pas au courant de ce qui se passe dans le pays. La vérité, c'est que rien n'a changé depuis le XV ème siècle. Moi qui vous parle, j'ai vu bien souvent des malheureuses poules enfermées dans des cages et c'est une habitude qui n'est pas près de finir.
"Je regrette à présent de n'avoir pas motivé mon refus et dénoncé publiquement, à grands cris de putois, l'inconséquence de ces très hauts personnages dont la main gauche ignore les coups portés par la main droite. Si c'était à refaire, je les mettrais en garde contre l'extrême légèreté avec laquelle ils se jettent à la tête d'un mauvais Français comme moi. Et pendant que j'y serais, pour n'avoir plus à y revenir, pour ne plus me trouver dans le cas d'avoir à refuser d'aussi adorables faveurs, ce qui me cause nécessairement une grande peine, je les prierais qu'ils voulussent bien, leur Légion d'honneur, se la carrer dans le train comme aussi leurs plaisirs élyséens."
Un mort qui ressuscite déçoit toujours un peu son monde.
Je m'appelle Martin. J'ai vingt-huit ans. Un jour que je rentrais chez moi sans être attendu, j'ai trouvé mon frère et ma fiancée couchés dans mon lit, endormis dans les bras l'un de l'autre.
Dans le moment, j'ai pu prendre sur moi et, sans éveiller personne, je suis sorti pour aller considérer la situation dans la rue. Ayant descendu un étage, je me suis trouvé, sur le palier du cinquième, nez à nez avec Chazard, un locataire irascible qui se plaignait quotidiennement qu'on fît trop de bruit au dessus de sa tête. Chazard m'a entrepris avec son habituelle véhémence et, me voyant qui filais sans vouloir l'entendre, il a tenté de me retenir par le flottant de mon veston.
Ç’a été le réveil de la bête...
(extrait du volume paru à la "Nrf" en 1960)
La jeunesse qui n’a rien à découvrir n’est pas la jeunesse.
Pourquoi diable, dans leurs assemblages invertébrés et insignifiants, croient-ils devoir supprimer les points et souvent jusqu'aux majuscules qui pourraient imposer à l'esprit du lecteur l'idée de pause, de respiration ? Ne savent-ils donc pas que la musique est d'abord ponctuation ?
Mais les riches sont souvent insatiables. Il ne leur suffit pas d'être installés dans leurs abus et d'en jouir avec lucidité. Il leur faut encore le frisson du pauvre. C'est un luxe qui finit par leur coûter cher et, en premier lieu, leur confort intellectuel.
La panthère grelottait, ses membres étaient déjà raides.
-J'ai bien froid dans mon poil souffla t elle en voyant arriver ses amis.
Le vieux cheval essaya de la réchauffer avec son haleine,mais il était déjà trop tard pour qu'on pût rien faire d'utile. Elle lêcha les mains des petites et fit entendre un miaulement plus doux que le miaulement d'un chat. Le canard l'entendit murmurer:
-Le cochon, le cochon..
Et la panthère ferma ses yeux d'or.
Les noctambules qui descendent la rue Norvins à l'heure où la rumeur de Paris s'est apaisée, entendent une voix assourdie qui semble venir d'outre-tombe et qu'ils prennent pour la plainte du vent sifflant aux carrefours de la Butte. C'est Garou-Garou Dutilleul qui lamente la fin de sa glorieuse carrière et le regret des amours trop brèves. Certaines nuits d'hiver, il arrive que le peintre Gen Paul, décrochant sa guitare, s'aventure dans la solitude sonore de la rue Norvins pour consoler d'une chanson le pauvre prisonnier, et les notes, envolées de ses doigts engourdis, pénètrent au cœur de la pierre comme des gouttes de clair de lune
Je pense que les hommes appelés à en juger d'autres devraient avoir fait un stage de deux ou trois mois en prison.
La forêt, c’est encore un peu du paradis perdu.
Pierre Lenoir, lui, était de plus en plus insignifiant. Employé de bureau, timoré et méticuleux, il semblait avoir perdu ce puéril, mais chaleureux enthousiasme de crétin sportif, qui pouvait à la rigueur passer pour une raison d'être.