Le livre s’ouvre fort joliment sur un vol d’étourneaux dans le ciel, formant un ballet qui change sans cesse, comme s’ils communiquaient entre eux, peut-être ma mémoire d’une précédente migration. Recherchent-ils la même chose que les hommes sur le chemin des migrations ?
Ce vol d’étourneaux, comme une phrase dans l’esprit, déclenche une réflexion à l’auteure sur ses lointains ancêtres : ses trisaïeuls et leur fils, coolies qui ont quitté leur Inde natale à la recherche d’une vie meilleure. Débarqués à Port-Louis, capitale de l’île Maurice, en 1872, ils sont aussitôt déshumanisés : on leur attribue un numéro 358444, 358445 et 358448 et leur nouvelle vie commence.
"La déshumanisation immédiate due provoque l’attribution d’un numéro à un être humain ne l’échappe pas. C’est un couperet qui marque l’avant et l’après ; c’est une marque au fer rouge qu’on applique, brûlante et grésillante".
On va suivre la famille sur plusieurs générations, au rythme des naissances, mariages, modification du statut, etc. Nathacha Appanah, est née elle-même sur l’île et y a vécu jusqu’à l’âge de six ans.
J’ai beaucoup aimé ce récit, qui nous raconte la dureté de l’exil, la langue que l’on perd en même que l’identité, le dur travail dans les champs de canne à sucre, la dureté des colons. Elle évoque aussi le silence, les anciens parlent peu du pays et de la culture qu’ils ont dû abandonner derrière eux. Peu à peu les souvenirs s’éloignent pour aboutir à ce que Nathacha Appanah appelle fort joliment « la mémoire délavée » et qu’elle tente de restaurer par l’écriture.
J’ai particulièrement aimé les grands-parents de l’auteure, leur opiniâtreté, leur volonté d’avancer, sans courber le dos, ce qui leur vaudra un exil dans un autre village, en particulier la grand-mère qui refuse de déclarer la poliomyélite de son fils, car cela entraînerait une stigmatisation, le soignant avec des plantes, selon sa médecine traditionnelle.
Nathacha Appanah a illustré son récit, avec des photographies, en noir et blanc, de Port-Louis, des bateaux, de la famille.
L’auteure nous raconte l’intime, avec pudeur et poésie, sans qu’on se sente voyeur, on partage son histoire, on imagine la terre de Maurice, les odeurs, et il est difficile, très difficile même de partager son ressenti, tant l’auteure nous donne l’impression que ces lignes sont une longue confidence entre elle et nous.
Je connais un peu l’histoire de l’île Maurice, grâce aux écrits d’un de mes auteurs préférés : J.M.G. Le Clézio, via l’irruption brutale des colons, d’extermination des dodos, mais je ne connaissais pas cet épisode de l’engagement au cours duquel, les coolies sont venus remplacer les esclaves noirs.
J’ai eu beaucoup de plaisir à retrouver la plume de l’auteure que j’ai découverte avec « Tropique de la violence » que j’ai beaucoup aimé.
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