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Critiques de Nathacha Appanah (1035)
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La mémoire délavée

Le temps délave la mémoire, et souvent même, il la réécrit, en un palimpseste infini. Alors, comme pour la préserver en la fixant, Natacha Appanah en entreprend la traversée, explorant avec pudeur et tendresse la vie de ses aïeux jusqu’à sa propre enfance et retraçant, en même temps que l’histoire intime de sa famille, celle collective des engagés indiens à l‘île Maurice.





« Tant qu’il y aura des mers, tant qu’il y aura la misère, tant qu’il y aura des dominants et des dominés, j’ai l’impression qu’il y aura toujours des bateaux pour transporter les hommes qui rêvent d’un horizon meilleur. » Comme la poétique ouverture de son récit interroge inlassablement les indéchiffrables et éphémères motifs tracés dans le ciel par les nuées d’étourneaux s’élançant chaque année dans leur long voyage migratoire, cela fait vingt ans, depuis qu’elle a commencé à prendre la plume, que l’auteur revient, encore et toujours, sur les traces de sa propre histoire de migration. Ses trisaïeux, réduits à l’état de matricules - 358444, 358445 et 358448 pour leur fils – ont débarqués à l’île Maurice en 1872. Ils avaient emprunté cette route qui, de 1834 à 1920, devait mener à Port-Louis des centaines de milliers d’engagés indiens, aussi appelés coolies, pour pallier au manque de main d’oeuvre consécutif à l’abolition de l’esclavage. « Volontaires » contraints à l’exil par la misère, ces hommes et ces femmes qui rêvaient d’une vie meilleure se sont en fait retrouvés dans un système de servage dont bien des aspects évoquent, selon les historiens, ni plus ni moins qu‘une « nouvelle forme d’esclavage ». Celle-ci est simplement passée au travers des mémoires européennes, comme le constate l’auteur chaque fois qu’en France, où elle vit depuis ses vingt ans, on l’interroge sur ses origines.





Mais ce délavage des réalités historiques n’est pas le seul fait d’une mémoire collective sélective. Lorsque, au-delà des archives et des documents officiels par lesquels elle a commencé ses investigations, elle entreprend de recueillir les souvenirs familiaux, c’est au filtre très émotionnel de la transmission intergénérationnelle qu’elle se heurte. De leur vécu dans les plantations de canne à sucre, ses grands-parents ont toujours pensé protéger leur descendance en gardant leurs mots et leurs sentiments au plus secret d’eux-mêmes. Pour écrire sur eux, pour eux, il lui faut remonter patiemment le fil des souvenirs, ceux de sa propre enfance et ceux égrenés par ses parents et ses grands-parents au gré de résurgences aléatoires et fragiles, qu’avec une infinie délicatesse, elle assemble dans le touchant souci de leur rester fidèle.





« Il y a ces minutes étranges, gris-bleu, glissantes, quand le soleil s’en va et quelque chose venu du fond des âges remonte et se rappelle à nous. » Cette chose, Nathacha Appanah nous la fait toucher du doigt au travers de ses reflets mouvants et délavés, accomplissant un essentiel devoir de mémoire et adressant à ses grands-parents un hommage magnifique de sincérité et de tendresse.


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Le ciel par-dessus le toit

Devenue marginale et hermétique à la tendresse à cause d’un traumatisme remontant à l’enfance, Phénix est incapable de se montrer maternelle. A l’adolescence, sa fille a préféré fuir la maison. Dix ans plus tard, au même âge, son fils Loup se retrouve dans le quartier pour mineurs d’une prison.





L’écriture est jolie, l’art du conte maîtrisé et l’on ne s’ennuie pas une seconde dans cette histoire en clair-obscur, esthétiquement composée. C’est pourtant cette même recherche formelle qui a fini par s’avérer contre-productive chez moi : à force d’intentions poétiques et d’effets de style, le récit m’a semblé verser dans l’artifice, au trop grand détriment de sa crédibilité.





J’ai eu ainsi beaucoup de mal à me faire aux personnages : entre une mère objet de tous les fantasmes dont on ne percera jamais la déroutante image pour en comprendre vraiment les failles, un fils tellement fragile qu’il en paraît presque demeuré et fait bien plus office d’agneau sacrifié que de loup enragé, un médecin au comportement improbable lors d’un accouchement fantasmagorique qui occupe une place inexplicable dans le récit, seule la fille, par son absence, acquiert paradoxalement quelque réalité.





C’est finalement le très beau travail sur sa forme qui fait l’originalité de cette histoire. Sorte de clair-obscur parfois presque fantastique où dansent les ombres de personnages plus esquissés que réellement incarnés, elle confirme, s’il le fallait, une bien jolie plume, mais s’avère pour moi une relative déception après mon précédent coup de coeur pour Tropique de la violence du même auteur.


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Tropique de la violence

"Il faut me croire. De là où je vous parle, les mensonges et les faux-semblants ne servent à rien." C'est la première phrase du livre et je la fais mienne pour vous dire d'abord que je suis honteuse de ne pas avoir connu la situation dramatique de Mayotte avant de lire ce magnifique livre, ensuite que ce livre est une véritable bombe. Il a l'air d'un simple livre comme ça, mais quand vous l'ouvrez c'est toute la violence de Kaweni/Gaza, le plus grand bidonville de France, et l'écriture fulgurante de Nathacha Appanah qui vous explosent à la figure.



Premier chapitre, ultra efficace, on parcourt la vie de Marie à la vitesse d'un train express, les années se succèdent et parcourent un sillon semble-t-il déjà tracé. Par un procédé que j'ai trouvé ultra original (mais je ne suis pas spécialiste es-style) Marie s'efface pour laisser place à son fils Moïse. Pour Moïse, c'est la même écriture qui fait mouche, qui nous projette dans le corps du narrateur et qui nous montre le monde par ses yeux avec une efficacité remarquable. Moïse nous parle un peu puis cède la parole à Bruce, puis à Olivier, puis à Stéphane.

Ces cinq personnages nous éclairent sur la situation de Mayotte. En 1974 Mayotte a choisi par référendum de rester française, mais sa situation actuelle est loin d'être comparable à celle de la métropole : grande pauvreté (selon des chiffres que j'ai trouvé sur internet, 84% des habitants vivent en-dessous du seuil de pauvreté et le taux de chômage atteint 27,1%), bidonvilles, forte migration clandestine, violence, insécurité, le cent-unième département français semble être complètement abandonnée à son sort avec une grande hypocrisie.

Sous la plume magique de l'auteure, Moïse, l'enfant arrivé en kwassa (embarcation de fortune) dans les bras de sa mère sur la plage de Bandrakouni, l'enfant atteint d'hétérochromie, l'enfant confié à Marie, symbolise à lui seul ce "Tropique de la violence". Il est le djinn qui porte malheur (un œil vert), le kwassa qui amène les clandestins depuis les autres îles des Comores ou Madagascar, le noir qui vit avec les Muzungus, le gamin perdu qui s'attache aux mauvaises personnes, il est le Mourengué et son absence de règles, il est la victime, il est le bourreau, il est la violence.



Comme j'aime être cueillie à ce point par un livre comme je l'ai d'abord cueilli au hasard des allées de la librairie, attirée sans doute par la photo de ce jeune homme à l'air si libre qui s'envole dans un ciel moucheté de nuages pour un plongeon vers... ? Lisez-le, vous plongerez aussi, mais gare à la réception, ce qui vous attend est puissant, bouleversant et il faudra remonter...



Glossaire disponible en fin de livre :

Mourengué : Combat ancestral à mains nues.

Muzungu : Étranger.
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La noce d'Anna

Il était une fois une lectrice en vacances. Et c'est au cours d'une balade que cette lectrice découvre une boîte à livres dans un petit village désert. Et dans cette boîte à livres, CE LIVRE : Les noces d'Anna de Nathacha Appanah. Pourquoi pas ? A l'occasion... Au pire, le livre retournera dans une autre boîte à livres...

Mon avis sur ce livre commencera exceptionnellement par la conclusion. Ce livre, je le garde. Je le prêterai, le conseillerai, le relirai certainement, mais surtout, je l'adopte !!



Un petit délice à lire, à découvrir, à déguster.

Il s'agit ici d'une rétrospection intérieure d'une femme. Le rapport d'une mère à sa fille, à son propre passé, à ses origines, un retour sur ces souvenirs. Une remise en cause, une image que l'on peut avoir de soi. Un évènement (ici le mariage de sa fille) qui au final positionne une femme à un tournant de sa vie. De maman, elle se redécouvre femme, même si elle n'a jamais vraiment quitté cet état, il est maintenant remis sur le devant de sa vie.

Une écriture magnifique. Je découvre Nathacha Appanah et je suis conquise par sa simplicité et son style.



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Le dernier frère

Ce roman est un concentré d'informations. A travers une histoire relativement simple, un vieux monsieur se souvient de son enfance ; et là, paf !, on se retrouve dans la peau d'un petit garçon, dans les années 40, dans la nature sauvage de l'Ile Maurice. Ici, ce n'est pas le paradis comme on peut l'imaginer à notre époque. C'est une île pauvre, une végétation dense et humide, des conditions de vie extrêmement dures. Le narrateur voit ses 2 frères mourir sous ses yeux, son père est violent, seul l'amour de sa mère le pousse vers l'avant. Une rencontre, et sa vie en sera chamboulée et restera à tout jamais dans son cœur et sa mémoire.

C'est une rencontre avec l'Histoire, mais à 10 ans, il n'en a pas conscience.

Ce roman, c'est la nature sauvage et cruelle de l'île, mais aussi celle des hommes.

Ce roman, c'est un condensé d'amour, de partage et de transmission.

Le dernier frère, c'est l'Histoire dans une histoire.

Merci pour ce partage Mme Nathacha Appanah.

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Tropique de la violence

Marie, en mal d’enfant, tu vis arriver sur la côte de Mayotte, un bébé que tu t’empressas d’adopter pour son bonheur… éphémère… Tu le baptisas Moïse … Sauvé des eaux… Peut-être…





Bruce, par suite de mauvais choix des adultes, tu endossas une carapace impénétrable, et tu imposas ta loi, celle du plus fort sans doute, sorte de Robin des bois de gaza, bidonville où se retrouvent les clandestins arrivés sur l’île pour y trouver une vie meilleure, chef incontesté de Gaza.





Moïse, petit être fragile, livré au bon vouloir du chef de Gaza dont on ne viole pas les lois impunément. Moïse aux yeux vairons, fils du djinn, rejeté par superstition.





Olivier, policier consciencieux, tu connais le fragile équilibre social de l’île, qui sait que la paix ne tient qu’à un fil.



Stéphane, parachuté là pour faire de l’humanitaire… il t’en faudra du courage et de la ténacité…



Tous ensemble vous cohabitiez sur une île qui aurait pu être paradisiaque, mais qui semble dominée par la violence, la corruption, une île ou semble régner l’insécurité.



Un roman captivant et dérangeant, dans lequel je me suis sentie habitée par une mauvaise conscience en pensant à tous ces lieux sur terre, ou les enfants ne reçoivent pas d’éducation, ou ils sont livrés à eux même, soumis au despotisme du plus fort, vivant dans le présent sans pouvoir envisager l’avenir.



Ce récit m’a fortement rappelé le film de Luis Buñuel, « Los olvidados » dont l’histoire est similaire dans ses grandes lignes.



Un roman marquant que l’on ne peut oublier.
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La noce d'Anna

Pardon d'être si longue, mais il y a des choses qu'on ne peut ni ne doit laisser passer.



Quand ça veut pas, ça veut pas. La mayo ne prend décidément pas entre cette auteure et moi. Si bien que je voudrais pouvoir dire que sa plume ne vaut rien, mais non, je serais de mauvaise foi, sa plume est magnifique.



Dans ce roman, "La noce d'Anna", Natacha Appanah brosse le portrait de deux femmes. Celui de la narratrice, quadragénaire, comme elle née à l'île Maurice, le cheveu noir et la peau foncée, et celui de sa fille Anna, jeune fille à la peau blanche et aux cheveux noirs qui furent blonds dans sa petite enfance. Anna convolera bientôt en justes noces, ce qui amènera sa mère à faire le bilan de sa vie, avec, forcément, les états d'âme qui viendront s'y greffer. Voilà donc pour le résumé.



J'ai à coeur que tous mes amis (es) et autres lecteurs qui ont bien noté ce livre, sachent que j'ai pour leur opinion le plus grand respect. Cependant, je crois, et je suis même certaine, d'avoir posé sur cet ouvrage un regard d'ultra-marine, et sans doute est-ce la raison pour laquelle je suis à contre-courant.



J'ai été profondément choquée par le choix de l'auteure, concernant la position qu'elle donne à cette mère par rapport à sa fille. Une fille qu'elle aime, mais d'un amour inquiet, empreint d'un respect équivoque, de peur, et d'une crainte obsessionnelle de lui déplaire.



Je cite : "J'ai toujours peur d'affronter ma fille, comme si je me sentais en état d'infériorité, incapable de soutenir ses arguments. Je n'arrivais jamais à en placer une, paralysée que j'étais par mon amour, et par ma crainte". Plutôt lamentable, vous en conviendrez. Je poursuis, et la suivante ne manque pas d'épices...



"Moi qui ai tant pesté contre les communautés la couleur de peau, les types de cheveux, voilà que moi-même, j'ai d'une façon simple et évidente, écarté ma fille de moi. Parce qu'elle est pâle, parce qu'elle aime les chiffres, parce qu'elle aime l'ordre et les agendas".



Nous y voilà ; "parce qu'elle est pâle"... Étant donné l'entrée en matière, je considère que ce fameux amour des chiffres, de l'ordre et des agendas n'est que fioriture. L'essentiel est dit. Mais je n'étais pas au bout de mes surprises, car, cerise sur le gâteau, Anna, qui tient à ce que le jour de ses noces ne soit entaché d'aucune fausse note, veillera, tenez vous bien... à ce que sa mère n'enfreigne surtout pas les règles de bienséance. Que s'est-il passé dans la tête de l'auteure, elle seule sait...



On peut certes me rétorquer que ce n'est qu'une fiction, mais un écrit en dit long sur celui qui en est l'auteur. La narratrice, qui a quitté son île natale, et qui, vous l'aurez compris, a eu cet enfant d'un homme de race blanche, parle de son lieu de naissance en ces termes :



"Ce pays magnifique et raciste, ce pays où le travail est une vertu et le mensonge un art de vivre". Si cette dernière a vent d'un pays où il n'existe ni racisme, ni mensonges, qu'elle me mette au parfum, et demain aux aurores je plie bagage et m'en vais sans même me retourner, m'établir au pays des bisou

nours !



Qu'elle ait pareille opinion de son pays, soit. Mais ce qui pourrait prêter à sourire si ce n'était si inconséquent, c'est qu'elle n'a pas sitôt gratifié son île de propos on ne peut plus assassins, que ni une ni deux, là voilà qui s'attaque au... racisme à Paris. Difficile de ne pas y voir une obsession !



Anna est encore une enfant lorsque, un jour au supermarché, elle lâche la main de sa mère et s'égare. Retentit alors une voix invitant la maman d'une petite fille blonde à la récupérer à l'entrée du magasin. Mais comme pour cette "femme des îles", décidément rien n'est simple, le méchant vigile ne consent à lui rendre sa... petite tête blonde, qu'après moult tergiversations et regards suspicieux.



"Et quand j'ai tenu ma fille dans mes bras, j'ai vu ce que ce vigile avait vu : Une blonde bouclée, à la peau fine, une petite Française, et une femme hystérique, les cheveux noirs, une étrangère". On ne pourrait voler plus bas...



"Traumatisée" par cet évènement, elle quitte Paris pour la ville de Lyon. Mais qui prend-elle pour des imbéciles ? S'il suffisait de parcourir quelques centaines de kilomètres pour vivre dans un monde meilleur, il me semble que ça se saurait, et que personne n'aurait attendu les élucubrations de Natacha Appanah !



"Six mois après notre arrivée, les cheveux de ma fille fonçaient". Voilà une auteure qui a le don de vouloir faire ingurgiter au lecteur des pilules indigestes. "Alors aujourd'hui, quand je la vois si pâle, si Française, si d'ici, j'ai peur qu'elle redevienne différente de moi, au point où les gens m'écarteront d'elle parce que je ne serai qu'une étrangère à la peau brune". Que de propos affligeants... Je ne peux qu'espérer que madame Appana s'est inspirée de sa propre personne pour créer un personnage aussi caricatural, dans lequel peu de femmes ultra-marines se reconnaitront. Je suis consternée...



J'ai lu 3 livres de cette auteure, et si la beauté de sa plume ne peut être contestée, je crois pouvoir dire qu'il est bien dommage qu'elle ne la mette pas au service d'ouvrages plus pertinents. Natacha Appanah tente de traiter certaines thématiques, mais elle n'en n'a pas l'envergure. L'esprit d'analyse lui fait cruellement défaut. Elle ne sait que survoler les sujets, et se contente de traiter ses personnages sans aucune nuance.

Il serait bon qu'elle s'assure du bien fondé de ses récits, ou qu'elle laisse à de plus fins observateurs ces sujets qu'elle traite avec beaucoup trop d'amateurisme. L'idée de la relation filiale ne manquait pourtant pas d'intérêt, celle du métissage non plus, puisqu'il en est très largement question, mais Natacha Appanah s'attaque à des thématiques qui requièrent un esprit critique et une finesse d'analyse, or, elle ne possède ni l'un, ni l'autre.



Chacun sait que cette auteure évoque des îles qui ont été le théatre d'une époque peu glorieuse de notre Histoire, à savoir, la colonisation, dont une grande partie de la population porte encore les stigmates. Entre descendants d'esclaves, descendants de colons, descendants d'Indiens et métis de toutes sortes, le "vivre ensemble" n'est pas toujours chose simple. Que cet asservissement ait pu impacter la construction ou l'estime de soi des générations qui ont suivi, et ce, quelle que soit la couleur de la peau, n'est pas chose impossible non plus.



Mais madame Appanah, ne vous attaquez pas à des sujets si complexes, si sensibles et épineux, car vous n'êtes pas à la hauteur de vos prétentions. Personne ne vous en tiendra rigueur, mais de grâce ! Épargnez nous ce genre d'ouvrages, car votre personnage n'est ni plus ni moins qu'une affligeante caricature de la femme ultra-marine, et je referme ce livre en n'ayant qu'un seul espoir, c'est que vous vous soyez inspirée uniquement de votre propre personne.







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Tropique de la violence

Natacha Appanah, l'auteure de "Tropique de la vio-

lence" dépeint la descente aux enfers de la jeunesse de Mayotte, département Français situé dans l'océan Indien, mais plus précisément celle de Moïse, né à Anjouan, arrivé clandestinement à Mayotte dans les bras de sa mère, et sitôt abandonné par cette dernière. Moïse étant né avec des yeux de couleurs différentes, l'un noir et l'autre vert, la jeune maman anjouanaise voit l'oeuvre du diable, là où sous d'autres latitudes, cette particularité, un peu fâcheuse j'en conviens, serait perçue comme un simple caprice de la nature. Ce garçonnet sera donc élevé par Marie, jeune européenne établie à Mayotte. Natacha Appanah fait le choix du roman choral, et cette histoire nous est donc contée par différents protagonistes dont certains ne sont plus de ce monde, ce qui ne manque pas d'originalité .

L'auteure met en exergue la délinquance qui gangrène la jeunesse, le flux de clandestins qui se déverse sur cette île, l'inefficacité, aussi, des ONG et de l'état, mais Je n'ai pu m'empêcher de m'arrêter sur cette question sensible qu'est l'adoption, question que l'auteure évoque également. L'adoption en soi, ne peut bien évidemment pas être remise en cause, et ne peut être perçue autrement que comme une très belle action, mais force est de constater que cette grande aventure porte, elle aussi, son lot de souffrances et de déconvenues. À vrai dire, je n'ai pas vraiment été séduite par ce roman. L'ai-je trouvé trop sombre même si je ne m'attendais pas à lire quelque chose de gai ? La fin est-elle un peu précipitée ? Quoiqu'il en soit, "Tropique de la violence " a le mérite d'exister, ne serait-ce que pour la qualité de l'écriture de l'auteure. Un livre qui peut plaire, mais qui à mon sens manque de profondeur, et témoigne d'une vision plus que restreinte de ce qu'est le département de Mayotte.
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Rien ne t'appartient

Depuis la mort de son mari, Tara n’est pas seulement envahie par le chagrin et la solitude. C’est tout le passé, qui, longtemps refoulé, s’invite au crépuscule de sa vie. Un passé dans un autre pays, où elle portait un autre nom, et au cours duquel, après avoir tout perdu, il lui a fallu trouver la force de survivre et de rebondir.





Quoi de plus bouleversant que d’entamer le récit d’une vie par son terme. Tara est une vieille femme dont le récent veuvage semble faire vaciller la raison. L’on ne tarde pas à réaliser qu’il ne fait que rompre les digues du passé. Avec son mari disparaît ce qui l’amarrait au présent et à son existence en France, nul n’ayant jamais su ce qu’elle avait vraiment vécu avant, tant elle s’est toujours instinctivement attachée à l’enfouir au plus secret d’elle-même. Longtemps contenus, les souvenirs n’en ressurgissent qu’avec plus de force, et la femme âgée s’efface peu à peu pour laisser revivre l’enfant et la jeune femme, intactes dans une mémoire où se mélangent désormais les époques.





En remontant le temps, la narration nous transporte quelque part en Asie, en Thaïlande peut-être, mais peu importe finalement. Elle raconte la violence et la dictature, l'humiliation et la privation de liberté, la condition des filles, qui plus est, des orphelines et des « filles gâchées », la lutte pour la survie dans un maelström de circonstances où les hasards et la chance comptent autant que la force de résilience. Tout en retenue et suggestivité, le récit laisse peu à peu crever la gangue de silence dont s’était entourée Tara, comme souvent les survivants de l’indicible. Et le lecteur découvre avec émotion la fragilité d’une reconstruction, permise par l’amour d’un homme qui n'en aura d’ailleurs jamais pleinement pris conscience, sans que jamais elle ne parvienne à cicatriser vraiment les blessures d’une jeunesse saccagée.





Ses personnages justes et attachants, sa narration sobre et sa tonalité douce-amère, entre ombre et lumière, confèrent émotion et profondeur à cette histoire irrémédiablement douloureuse, malgré la résilience. Jamais ne se comble l’abîme d’une enfance massacrée… Coup de coeur.


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Le ciel par-dessus le toit

Que dire d’un ciel immense qui s’échappe, une vie humble a autant besoin de ciel que les autres, de la lumière, un chemin pour savoir où on est et où aller. Le ciel par-dessus le toit est un magnifique roman écrit par Nathacha Appanah, il évoque par son titre ce très beau poème de Paul Verlaine ; j’ai appris que Verlaine l’avait écrit en prison, lorsqu’il tenta de tuer son amant Arthur Rimbaud.

« Le ciel est par-dessus le toit, si bleu si calme ! ».

C’est à quelque chose près le décor que nous découvrons de cette famille ordinaire, presque comme les autres.

Le roman, cependant, démarre dans la cellule d’une maison d’arrêt. Comment comprendre ce qui a amené celui qui est ici, Loup, un enfant presque encore.

« Un arbre par-dessus le toit berce sa palme ».

Nous découvrons ce fait divers presque anodin qui conduit Loup en prison, mais l’auteure nous amène à découvrir à travers ses propres mots ce qui l’a amené à cela, remonter le chemin dans l’autre sens.

Justement, revenons un peu en arrière, lorsque la mère de Loup était encore une enfant, une petite fille, elle s’appelait alors Éliette. Plus tard elle changera de nom, devenant Phénix, comme une être ressuscitée ou qui veut tout simplement rayer d'un trait l'autre pan de sa vie.

Plus tard elle aura deux enfants, Paloma et Loup.

« La cloche, dans le ciel qu’on voit

Doucement tinte.

Un oiseau sur l’arbre qu’on voit

Chante sa plainte ».

Il y a cette scène d’entrée, la petite fille idéale, qui chante très bien, qui joue à chaque fois son rôle de petite fille modèle, de poupée à la perfection, docile parmi les autres, elle chante admirablement bien, fait la fierté des siens des autres, et puis brusquement sur cette scène de repas de Noël, c'est le repas de Noël de l'entreprise où travaille son père, au lieu de chanter, c’est un cri qui sort d’elle, c’est même plus qu’un cri, c’est quelque chose de plus profond, de viscéral, de guttural, d’effroyable, quelque chose qui ressemble aux ténèbres, à la nuit, au vide. Quelque chose qui l’entraîne en hôpital psychiatrique. Un lieu carcéral. Déjà...

Le cœur de Loup s’emballe souvent. C’est un enfant dont le cœur est comme cela, un cœur qui s’emballe, il a sans doute de bonnes raisons. Parfois certains enfants ne savent pas distinguer le réel de l’imaginaire. Loup est de ces êtres totalement fragiles.

Loup n’a qu’une seule obsession, retrouver sa sœur Paloma, quitte à rouler à contre-sens sur cette entrée d'autoroute, ce qui lui vaudra de se retrouver devant un juge... Loup n'a peut-être jamais su trouver les bons chemins, prendre les bonnes directions...

Et cet oiseau qui chante sa plainte, qui est-il ? La mère ? Paloma, la sœur de Loup qui cherche à protéger celui-ci, à le retrouver ? ou bien Loup lui-même ?

« Mon Dieu ! Mon Dieu ! La vie est là,

Simple et tranquille.

Cette paisible rumeur-là

Vient de la ville ».

Il y a quelques temps, j’ai découvert que Paul Valéry avait une définition originale de l’inspiration et l’accordait non pas à l’auteur mais au lecteur. J’adore cette idée.

Rebondissant sur cette idée, je me suis pris d’empathie pour ce récit. J’ai aimé la poésie qui se dégage de cette très belle écriture, douloureuse forcément mais apportant une infinie douceur. C’est sans doute, je crois, la magie de ce texte...

Les personnages de ce roman semblent en retrait, silencieux, absents de ce qui les anime.

Phénix, reconvertie à la vie, ne veut surtout pas reproduire ce qu’elle a vécu lorsqu’elle était enfant. Ses enfants sont libres, elle les laisse libres, ainsi.

J’ai adoré ce livre, cette ambiance que je viens de décrire m’a totalement emporté, ému aussi.

Mais derrière la poésie de l'écriture viennent aussi des questions douloureuses, l'enfance meurtrie, maltraitée, les non-dits, l'indifférence, ce trop plein d'amour ou pas assez qui peut déjà tout décider de ce qu'adviendra la vie d'après.

" Qu’as-tu fait, ô toi que voilà

Pleurant sans cesse,

Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà

De ta jeunesse ? "

Peut-être que le ciel par-dessus les toits,

le ciel derrière les murs, les barreaux des prisons,

le ciel derrière nos peaux, nos coeurs,

nous éclairent et nous engloutit à la fois.

Parfois les liens du coeur peuvent transcender les blessures de l'enfance. Il suffit alors d'une écriture, celle d'un livre, d'une auteure, notre émotion qui vient à sa rencontre, pour rendre le ciel si bleu si calme.
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La noce d'Anna

Elle aime sa fille, mais Anna, la si raisonnable Anna, l'aime-t-elle ? Elles sont si différentes. Presque opposées. La légèreté et la rigueur. le chaud et le froid. Solidité et droiture contre évanescence et chemins de traverse. Souvent Anna dit : « maman tu es incorrigible ». Un jugement de valeur. Une sentence. Presqu'une défiance. Une distance sans aucun doute.



Anna va se marier avec un huissier, un choix de vie si différent du sien. Sonia ne comprend pas comment Anna abandonne sa liberté, sans le savoir. Quand sa fille lui fait sa leçon sur la vie, elle dit : « je la ferme et je souris ». Elle doit admettre qu'elles sont deux femmes, mère et fille, deux entités presque incompatibles, qui pourtant l'une sans l'autre n'existent pas.



Ce livre je l'ai aimé — merci à celles qui l'ont lu avant moi, elles m'en ont donné l'envie (rabane, latina, michfred, jeunejane, canel, pyrouette). J'aime bien cette idée d'être toujours du bon côté du lit, celui du rayon de soleil qui se fraye un passage. J'aime l'idée de « résister à remplir nos vies à jouer être Dieu, à faire les cons ». J'aime quand Sonia dit : « l'amour c'est apprendre à pardonner » parce que je sais qu'elle a raison.



Ce livre je l'ai aimé, pourtant éloigné de moi, il a mis en résonnante des choses que j'ai pensées, ressenties, vécues, ou pas. Il est le livre de toutes les mères qui regardent nostalgiques leurs grands enfants se détacher d'elles, le coeur un peu serré.

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La noce d'Anna

C'est difficile d'être une maman.

Difficile parce qu'on a tout le temps peur. Peur de mal faire, peur de ne pas assez aimer, peur d'étouffer. Peur aussi d'une toux persistante, peur d'une poussée de fièvre, peur de laisser son enfant prendre le vélo pour la première fois, peur qu'il tombe, qu'il se fasse mal, qu'on lui fasse mal, qu'il ne soit pas aimé, pas reconnu. Peur que son amoureux/se le laisse tomber. Peur qu'il ait peur.



Sonia sait tout ça. Sonia est mère célibataire, et aujourd'hui elle marie sa fille Anna.

Elle est mauricienne, a habité Londres quelques mois où elle a connu le jeune homme qui deviendra, sans le savoir, le père d'Anna. Un amour fou, tendre, vrai, mais libre. Et puis elle déménage à Paris avec sa petite fille où elle essayera tant bien que mal de l'éduquer le « mieux possible ».

Mais qu'est-ce qui est bien ? Qu'est-ce qu'une mère parfaite ? Est-ce que cela existe, les mères parfaites ? Jamais, par exemple, elle ne voudra entamer une relation suivie avec un homme de peur que sa fille ne se sente délaissée.

Et pourtant, en grandissant, Anna se montre beaucoup plus rigide, beaucoup plus carrée qu'elle. Ses « maman ! » désobligeants la clouent, souvent. C'est vrai que Sonia est romancière, son esprit s'échappe souvent, flirte souvent avec les nuages. Anna, elle, préfère les chiffres ...



Sonia marie aujourd'hui sa fille Anna.

D'heure en heure, son esprit s'échappe et revit le passé. Elle repense à l'enfance d'Anna, à sa propre enfance, à sa manière de voir la vie. Et elle a peur. De la solitude proche, inévitable. De n'avoir pas assez aimé sa fille. Et puis elle voudrait tant être aimée par elle, et plus jugée continuellement.



« Combien de temps passons-nous à compliquer notre vie ? Combien de temps gaspillons-nous à nous occuper du monde, de notre image, des semblants et des faux-semblants et oublier, ainsi, de regarder ceux qui nous sont chers ? »



Avec une immense tendresse, une immense douceur, une immense franchise, Natacha Appanah met en scène une maman pleine de désarroi, à un moment crucial de sa vie.

Ce petit roman sensible m'a ébranlée, m'a bousculée.

Parce que je suis une maman.



Merci à Canel et à Rabanne pour la proposition de lecture commune, une lecture qui restera ancrée en moi, une lecture qui puise dans les racines de la vie.

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Tropique de la violence

C’est le premier roman de Natacha Appanah que j’ouvre, grâce à Babelio que je remercie vivement ainsi que les éditions Gallimard et c’est un uppercut qui m’a envoyé au tapis. J’avoue que je ne connaissais rien de Mayotte, la vie des habitants, les gangs d’adolescents qui font la loi, avalant ou fumant tout ce qui leur passe entre les mains, les guerres de territoires, la violence omniprésente, les flics et les ONG dépassés. «Cette île, Bruce, nous a transformés en chiens ».



Il y a d’un côté les privilégiés et de l’autre une zone de non-droit, que les gens ont surnommée Gaza, c’est tout dire, où il est plus facile de trouver de la drogue ou de l’alcool ou de quoi manger, zone où règne en maître un chef autoproclamé, Bruce comme Bruce Wayne, l’homme chauve-souris, super-héros qui en fait ne sait que dominer les autres…



On sait très vite que Mo, comme l’appelle Bruce, a commis l’irréparable et que cela va avoir des conséquences mais, l’auteur entretient le mystère, décortique le pourquoi et le comment, et on a envie de savoir, de comprendre. Mo et le livre de Bosco qui le suit partout, qu’il connaît par cœur mais relit encore et encore car c’est un lien avec Marie et l’enfance.



J’ai lu très rapidement les quarante ou cinquante premières pages, sans lever le nez du livre, mais ensuite, j’ai lu à petites doses, jusqu’au bout car c’est probablement la vie quotidienne à Mayotte, cette violence mais j’ai failli ne pas survivre à la lecture d’un chapitre car on est arrivé au summum de l’horreur.



L’écriture est belle, Natacha Appanah sait trouver les mots qui percutent, qui fracassent, telle une mitraillette, le débit s’accélère et nous emporte. Pris par le récit, autant que par le débit, on s’enfonce dans ce paysage qui pue la mort et qui était probablement autrefois un paradis.



Un très bon livre, mais qui fait beaucoup de dégâts chez le lecteur en tout cas chez moi. J’ai eu du mal à m’en remettre. Je lisais d’autres livres en même temps pour ne pas me laisser envahir, ne pas vomir. Très bon livre, mais personnes sensibles s’abstenir.



Ce livre, le premier de la rentrée littéraire que je lis, est un coup de cœur et un coup de massue. Et encore merci à Babelio et Gallimard pour cette lecture choc.



Note : 9/10
Lien : http://eveyeshe.canalblog.co..
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Rien ne t'appartient

Une histoire tragique mais tellement belle par l'écriture poétique de Nathacha Appanah.

Je suis subjuguée par cette poésie que nous offre l'auteur.

Et pourtant rien n'est vraiment gai dans cette histoire. On y découvre une femme qui ne se relève pas de la mort de son mari, et apparait peu à peu sa vie passée, qu'on devine, qu'on découvre par petites touches. Rien n'est vraiment révélé, rien n'est posé cartes sur table, il s'agit de miettes déposées qui forment son histoire.

Nathacha Appanah a vraiment un talent rare, celui de nous emporter...
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Le dernier frère



Raj , vieil homme de soixante-dix ans habitant sur l'île Maurice, suite à un rêve qui le tourmente, se souvient...



Un épisode de sa vie, qu'il tenait le plus possible enfoui, rejaillit et il décide d'aller se recueillir sur la tombe de David, un jeune garçon mort à dix ans.



Ainsi débute cette confession émouvante, qui m'a serré le coeur tout au long de ma lecture, la nostalgie de cette évocation lancinante du passé transparaissant à chaque page. Raj vivait pauvrement dans la région Nord du pays, à Matou, un village. Mais un cyclone emporte la vie de ses deux frères, ses parents et lui fuient et s'installent à Beau-Bassin, où le père violent trouve une place de gardien à la prison. Derrière le grillage, Raj observe un enfant de son âge, David. Ils deviennent amis. Une amitie pure, entière, spontanée. Ils décident de fuguer ensemble. Et ce sera le drame....



Raj comprendra plus tard pourquoi un juif d'Europe de l'Est s'est retrouvé interné avec sa famille sur l'île Maurice, un épisode méconnu de la seconde guerre mondiale. La honte de n'avoir rien compris à l'époque, la culpabilité, le remords, sont au coeur du souvenir. L'écriture sobre et intense de l'auteur s'accorde à la pudeur et la sensibilité du personnage de Raj.



" Nous étions deux enfants du malheur accolés l'un à l'autre par miracle". Deux destins qui se sont croisés de manière improbable mais définitive.



Un livre fort et poignant, mon préféré de l'auteure jusqu'à présent. A lire!
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Le ciel par-dessus le toit

Il était une fois un conte sans princesse mais avec un Loup. Mais je te raconte l’histoire d’une colombe, Paloma, qui vola seule de ses propres ailes. Aussi, plus qu’un conte, c’est une légende, celle d’un Phénix qui renait des flammes de la tristesse et de la solitude.

Phénix, la mère, Paloma, la fille, Loup, le fils. Et pour commencer un poème de Verlaine :

Le ciel est, par-dessus le toit,

Si bleu, si calme !

Un arbre, par-dessus le toit,

Berce sa palme.



Mais oublions ce poème, pour l’instant, car le ciel ici vire plus au bleu noir qu’au bleu azur. Par-dessus le toit, Loup ne voit plus grand-chose, peut-être quelques étoiles, certainement pas le bleuté de la lune, à travers les barreaux de sa cellule. Oui, Loup vient d’être coffré, chemin direct vers la case prison, délinquant juvénile. Il voulait, il veut juste revoir sa sœur. Qu’est-ce qu’on ne fera pas pour revoir le sourire de Paloma... Et pas sa mère ! Qu’as-tu donc fait Phénix pour que tes enfants te fuient.



La cloche, dans le ciel qu'on voit,

Doucement tinte.

Un oiseau sur l'arbre qu'on voit

Chante sa plainte.



L’oiseau, cette palombe, se pose donc sur l’arbre que tu ne vois plus, tu ne vois que le ciel de là où tu es. Paloma qui culpabilise, peut-être, probablement, de t’avoir laissé seul avec cette mère. Si elle pouvait, elle serait restée à tes côtés, comme pour te protéger. De quoi ? de la tristesse de ce foyer, de cette famille décomposée. Oh Phénix… Oh Paloma pourquoi t’es-tu enfuie si rapidement de moi ?



Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là

Simple et tranquille.

Cette paisible rumeur-là

Vient de la ville.



Parce que là, sous ce toit, cette ville, cette vie, il n’y avait plus de vie. Phénix a brulé son passé, mais ses sentiments sont restés dans les cendres de sa jeunesse oubliée. Et si cette incarcération permettait au trio de renouer des liens et de rompre le silence de tant d’années de non-dits, de rêves oubliés et de peurs ancrées.



Qu'as-tu fait, ô toi que voilà

Pleurant sans cesse,

Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,

De ta jeunesse ?



De ta jeunesse, tu n’as donc gardé que les traumatismes du passé. Oh Phénix, du temps où tu t’appelais encore Eliette.

A mon tour, je regarde le ciel, par-dessus le toit. Si bleu si calme ! J’y vois la lune qui de sa lumière coule le spleen bleu de ma vie.
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Le ciel par-dessus le toit

" Le ciel est , par-dessus le toit,

Si bleu, si calme!

Un arbre, par-dessus le ciel,

Berce sa palme"



Ce poème de Verlaine, écrit en prison, sert de fil conducteur au dernier roman de l'auteur. J'avais eu un très gros coup de coeur pour " le dernier frère ". Celui-ci, même s'il m'a moins bouleversée, m'a beaucoup plu aussi.



Toujours cette magnifique écriture, sensuelle, poétique, qui nous prend en otage consenti... Toujours des personnages meurtris, si beaux dans leur isolement, leur singularité.



Ils sont trois: Phénix, la mère, Paloma, la fille, Loup , le fils. Liés et séparés à la fois. Les retours en arrière nous montrent ce qui a conduit Loup à être, comme Verlaine, emprisonné, à contempler le ciel, par-dessus le toit....



Phénix s'appelait alors Eliette. Poupée si belle qui dit oui, de la petite enfance à onze ans. Petite princesse maquillée que ses parents exhibent, qui sourit, chante sur scène . Se tait, et un jour crie son chagrin. Poupée qui dit non. Puis s'en va.



Errance...Puis deux enfants, qu'elle ne sait pas aimer. Paloma, fragile, presque effacée, qui décide de partir, adolescente. Laissant Loup seul, , étrange garçon qui n'arrive pas à contrôler ses émotions...



Un trio touchant, berçant sa nostalgie de ce qui n'a pas pu exister entre eux, espérant un rapprochement, peut-être. Des êtres malmenés par la vie, si émouvants... Un très beau roman.
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La mémoire délavée

Ce récit est un retour aux origines. A l'histoire familiale dans ce qu'elle a gardé grâce aux transmissions orales. Depuis l'arrivée des arrières grands-parents, père, mère et trois enfants, affublés d'un numéro d'identification et immédiatement affectés à une plantation pour un salaire de misère, permettant à peine de se nourrir. Et puis il y aura ce grand-père qui a osé la rébellion et a entrainé toute la famille dans la disgrâce.



De l'universel à l'intime, le récit célèbre la mémoire de ces ancêtres, mémoire en partie estompée par les non-dits et les erreurs volontaires ou non.



Hommage émouvant à ceux dont les vies ne comptaient guère pour ceux qui ne voyaient que le profit à tirer cette main d'oeuvre soumise.



160 pages Mercure de France 31 août 2023

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Tropique de la violence

C 'est pour la première fois que je découvre la romancière ,

Natacha Appanah ."Tropique de la violence", est un récit qui

a pour cadre Mayotte : une île française perdue dans l 'Océan Indien . Une très belle île : un cadre édénique .Les thèmes dominants sont la délinquance juvénile , la pauvreté et une jeunesse abandonnée à elle-même . La violence est

omniprésente .

Ce roman est un réquisitoire contre la misère , un appel au

secours pour cette île coincée entre pression migratoire et

montée infernale de la violence .

Une belle écriture , fluide et aérée .
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La mémoire délavée

Dans un magnifique premier chapitre plein d’incertitudes, de questions et de poésie, Natacha Appanah nous parle du mystère que constituent les murmurations d’étourneaux, ce qui lui permet de commencer à s’interroger sur ce qu’est la mémoire. La Mémoire délavée nous propose une réflexion sur la mémoire et son fonctionnement autant qu’un récit sur les origines familiales. Entre 1834 et 1920, après l’abolition de l’esclavage, les colons manquèrent brusquement de main d’œuvre et trouvèrent dans certains pays où la misère est endémique, l’Inde entre autres, une main d’œuvre bon marché (très bon marché). On transporta cette main d’œuvre en bateau, dans des conditions souvent épouvantables, là où le besoin se faisait sentir, dans les plantations de canne à sucre de l’île Maurice, par exemple. Les arrivants s’engageaient à servir pendant plusieurs années, d’où le nom de cette pratique, l’engagisme. Contrairement à ce qu’elle avait toujours cru (ou voulu croire, nous explique-t-elle), à savoir que c’étaient ses arrière-grands-parents qui étaient arrivés sur l’île Maurice au début du XXe siècle et qu’ils avaient rejoint une communauté déjà installée, elle découvre que ce n’est pas le cas. En 2022, elle entre en possession de trois fiches des archives qui lui prouvent que c’est le grand-père de son grand-père qui est arrivé le premier, dans les conditions que l’on connait, et non pas dans celles que sa mémoire lui renvoyait : « Mon esprit les a lavés, ces ancêtres, essuyé leurs visages, coiffé leurs cheveux, habillé de vêtements propres, éloigné des cales de bateaux et de la perspective du labeur quotidien des champs de canne. C’est une image presque proprette. C’est une mémoire délavée » (p. 30). Natacha Appanah possède bien peu de renseignements sur les deux générations qui ont précédé celle de ses grands-parents, mais elle s’attache ici à recueillir tout ce qu’elle peut. Elle retracera surtout la vie de ses grands-parents, toujours en s’interrogeant sur la mémoire et sur son étrange fonctionnement, avec ses détours, ses oublis, ses transformations, sa réécriture, en somme… Je reste sous le charme de l’écriture de l’autrice et de la forme qu’elle a donné à cet ouvrage. On y sent toutes ses interrogations, ses hésitations, ses doutes, son envie de transmettre des souvenirs « vrais » tout en étant consciente de la gageure. Elle s’interroge beaucoup sur la transmission volontaire des souvenirs et sur la mémoire transgénérationnelle, sans apporter de réponse, bien sûr, mais avec une sincérité et de fréquents retours sur soi qui m’ont infiniment touchée. Un très beau livre.



[Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices de Elle de 2024]

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