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Critiques de Nathacha Appanah (1035)
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Rien ne t'appartient

Délicate tâche que celle d’écrire un billet pour un roman qu’on a adoré. C’est même une mission impossible, car comment rendre honneur à une histoire et une écriture qui nous ont transportés, voire submergés d’émotion ? Par où commencer ? De quoi parler ? Quels mots utilisés pour ne pas dénaturer, pour ne pas affadir ?



Je choisis délibérément de ne pas parler de ce titre, qui me rappelle certains haïkus de Basho, ni d’évoquer cette danse traditionnelle indienne, la Baratha Natyam, la danse des dieux, et sa musique envoutante. Je ne dirai rien de l’Inde moderne intolérante qui veut imposer une langue, une religion et une culture à ce quasi-contient si culturellement et cultuellement multiple. Je ne parlerai pas de ces orphelinats et autres œuvres de bienfaisance qui dépossèdent ces misérables d’eux-mêmes pour mieux les modeler.



Non, je voudrais juste partager cette image qui me hante encore aujourd’hui, plusieurs semaines après avoir terminé ce roman, celle de ces « lianes [qui] ont recouvert le mur extérieur du fond et [qui] sont entrées dans l’enceinte du temple. D’où vient la force d’une si petite tige pour s’insérer dans le moindre interstice, pour s’attaquer au béton, à la pierre, au marbre ? »



Oui, que dire de plus quand un roman tombe pile au bon moment ? Quand vous avez l’impression de lire votre propre histoire à travers celle de la perte d’un ami danseur caressant, subjuguant, que vous aimez et qui vous aimait en silence ? Que dire de plus quand un livre sensoriel, sensuel, violent, magnifiquement écrit vous rappelle la beauté des images et la musique des mots et vous ramène à la vie et aux hommes ?

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Les rochers de Poudre d'Or

Rares sont les romans qui traitent de ce sujet : l'engagisme. Suite à l'abolition de l'esclavage, il fallait trouver une main d'oeuvre bon marché pour remplacer les esclaves dans les champs de canne. A Maurice comme à la Réunion ou d'autres colonies, les colonisateurs faisaient donc venir à moindre frais, des miséreux, de l'Inde, de Chine ou d'ailleurs en leur faisant miroiter une fortune qu'il pourraient amasser et revenir au pays. C'est cette histoire que l'auteure nous raconte ici. En suivant quelques personnages principaux qui comprendront très vite que c'est l'enfer qui les attend. La description du transport en bateau à fond de cale, de l'Inde à l'île Maurice, puis les conditions de vie de ces "engagés", est effroyable, à peine plus enviable que celle des esclaves. C'est très bien écrit, très descriptif. le pathos vient naturellement au fil du déroulement de l'intrigue. "La misère du monde n'est pas de dimension humaine", nous disait Coluche.
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Le ciel par-dessus le toit

La construction étonnante, la plume poétique (limpide, splendide) transcendent une histoire somme toute banale de relations familiales rompues entre une mère et ses enfants. Il y a beaucoup d’ellipses dans ce récit (tout comme il y a beaucoup d’incompréhension entre les différents personnages) mais cela ne nuit pas à l’histoire. C’est un texte d’une grande beauté.
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Le ciel par-dessus le toit



*** Chronique de la rentrée 2019 # 6 ***



Je me laisse toucher le coeur par les mots de Nathacha Appanah. Ma main caresse le livre fini comme une main frôle un plant de lavande, de menthe ou de thym, pour le simple bonheur de dégager des arômes et de s'en imprégner. Les mots de cette autrice concentrent toutes les saveurs de la vie : l'amertume et la douceur, les aigreurs et le sel de toutes ces microdécisions qui filent la vie, la tissent ou la déchirent, assurant la pérennité des liens familiaux ou les cassures revendiquant l'éloignement de ses composants à jamais.

C'est avec de mots simples que Nathacha Appanah reconstruit, pour le lecteur, la vie disloquée de Eliette devenue Phénix, de Paloma, sa fille qui s'enfuira sur fond d'une promesse de retour lancée à Loup, ce frère démuni des codes habituels de vie qui, sur un coup de tête, à moins que ce ne soit de coeur, prendra la voiture qu'il ne peut conduire et se trompera de sens à l'entrée de l'autoroute. Un enchaînement de circonstances qui juxtaposent les pièces d'un puzzle sans image dont personne ne pouvait ou voudrait rêver. Ce livre, au titre saluant Verlaine et la mélancolie qui règne sous le toit de toute prison, est le récit d'une vie cauchemardesque qui se reconstruira peu à peu sur la force même de liens capables de transcender les blessures et de recréer la plus grande valeur qui soit, le tissu familial qui berce chacun dans ses peines comme dans ses joies.

Le lecteur choisira son accroche : Phénix, Paloma ou Loup. Ce dernier, par son mal être, la pauvreté des mots dont il dispose, l'incompréhension un peu brutale des gendarmes venus l'interpeller et la décision du juge visant à l'écrouer m'a particulièrement touché. Mais mon coeur s'est aussi gonflé de nostalgie pour le temps de la fausse innocence des parents de Eliette, la rage de celle-ci à renaître Phénix sous le masque de tatouages occultant sa couleur d'enfance et son corps à jamais balafrés par un baiser forcé d'adulte.

J'écoute les mots, j'entends les combats. Je circonscris les maux qui déchirent, les claques qui ferment les portes, les dits ou non-dits qui larguent les amarres. Je distingue dans l'âpreté des combats la dignité et les forces d'attraction qui surpassent tout !

Et si, par-dessus tout cela, le ciel bleu et calme pouvait ne pas être qu'un mensonge… Si la persistance du bleu du ciel était la clé qui apaise les bleus du corps et re-suscite à la vie ?

Lire Nathacha Appanah, accompagner, ne fusse que 125 pages, Phénix, Paloma et Loup, c'est accomplir le chemin de croix de bien des vies et entendre l'invitation à chanter, malgré tout, l'amour et la solidité des liens familiaux pouvant se tresser, se re-tresser. Un hymne à la joie à venir, la joie à reconstruire, l'amour à réexpérimenter au-delà des échecs.

Voir ce ciel par-dessus le toit, croire en une invitation, une devise de vie à choisir et suivre, voilà le message laissé au creux des pages par Nathacha Appanah ! Un futur prix de la rentrée littéraire 2019 ? On peut le souhaiter !

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Tropique de la violence

Nathacha Appanah nous raconte l’adolescence de Moise, jeune mahorais arrivé sur l’île clandestinement quelques jours après sa naissance et adopté par une infirmière de l’hôpital.



Malgré le décor paradisiaque, la réalité à laquelle se confrontent Moise et les quatre autres narrateurs de ce récit, est tout autre.

Mayotte, une île française perdue entre l’immigration, le racisme, la pauvreté et Gaza, bidonville où règne le chaos. Dès le début, on sait qu’il y a eu un drame, le tout étant de comprendre comment cela a pu arriver.



L’écriture étant fluide et poétique la dureté décrite renvoie à une réalité d’une violence inconnue et brute.

L’auteure souligne les émotions de chaque personnage avec beaucoup de justesse, ils en deviennent attachants.

Aucun d’eux n’est que bourreau ou que victime et Nathacha Appanah crée une certaine forme de compréhension, le tout sans aucun jugement.

Ce roman et ce que vivent ces personnages donnent des frissons, un réalisme à couper le souffle sans pour autant être lourd ou moralisateur.



Je ne connaissais même pas le nom de l'auteur avant cette lecture, et maintenant je n'ai qu'une hâte, découvrir le reste de son oeuvre.
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Tropique de la violence

Premier coup de poing 2023.

Dans le ventre tout d'abord... Roman qui pourrait être récit, Tropique de la violence a fait resurgir en moi tout l'attachement et en même temps tout le rejet, tout le dégoût que j'ai expérimentés dans ce quartier des tanneurs de peaux de la ville de Bangalore en Inde quand j'avais vingt ans.

Non, pas le dégoût qui surgit au contact des pauvres, de la misère, des égouts à ciel ouvert, des poux ou de la gale qui traînent dans ce quartier d'intouchables. Mais bien celui qu'on ressent quand on est une femme blanche au milieu des indigènes, qu'on réalise que nos arrières sont bien assurés en cas de pépin, que malgré la fierté d'essayer de vivre "à l'indienne" au coeur d'un bidonville, on ne pourra jamais comprendre du fond de notre âme, ce que c'est de vivre la misère, d'être invisibles aux yeux des gens de pouvoir, de se sentir tant rejetés et d'avoir si peu de perspectives d'avenir.



Coup de poing dans le coeur ensuite... Comment rester insensible au terrifiant destin de Moïse ? Comment ne pas vouloir protéger ces gamins meurtris d'abandons, d'indifférence, de rejet, d'ignorance dans ce quartier surnommé Gaza (à défaut de Gotham City) ? Comment accepter que cette violence-là, que cette misère-là fait partie de notre humanité, qu'elle appartient à nos pays occidentaux ?

Comment dormir la conscience tranquille lorsqu'on réalise qu'on est les premiers, nous aussi, à détourner la tête pour éviter la contagion de culpabilité qui risquerait de nous faire quitter une partie de notre confort quotidien pour nous engager d'une manière ou d'une autre.



Coup de poing au fond de mon âme enfin...

Je referme ce livre sur un silence... Un silence qui devient prière... Peut-être qu'elle rejoindra le Djinn à l'oeil vert pour qu'il veille sur ces petits Français et Sans Papiers du bout du monde et qu'il insuffle en eux des raisons d'espérer.



"Dis l'oiseau, oh dis, emmène -moi. Retournons au pays d"autrefois, comme avant, dans mes rêves d'enfant, pour cueillir en tremblant des étoiles, des étoiles. Comme avant, dans mes rêves d'enfant, comme avant, sur un nuage blanc, comme avant, allumer le soleil, être faiseur de pluies et faire des merveilles".
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Le ciel par-dessus le toit

Le ciel par-dessus le toit de Natacha Appanah ou comment l'adulte que nous sommes devenus reste quelque part l'enfant que nous avons été.

L'histoire d'une femme qui a renié son nom pour mieux renier son passé. L'histoire d'une mère incapable de donner de l'amour à ses deux enfants, Paloma et Loup. L'histoire d'une gamine de onze ans, pauvre petite poupée triste, trop maquillée, trop apprêtée, blessée dans sa chair d'avoir été tant choyée et aimée mais pas comme il fallait.



L'écriture subtile et aérienne de Natacha Appanah est empreinte de sensibilité. C'est beau comme un poème, comme le poème de Paul Verlaine auquel fait tristement écho le titre puisque ce dernier en a écrit les vers durant son transfert à la prison de Mons en Belgique en juillet 1873 après avoir blessé par balles son compagnon Arthur Rimbaud.



Natacha Appanah joue avec les mots et les sonorités, c'est rythmé, ça claque. Son récit alterne les flashs-back et les figures elliptiques, on avance, on recule, on avance...Tout cela dans un savant désordre chronologique. Les souvenirs d'Éliette (aujourd'hui devenue Phénix) se juxtaposent au drame que vit à présent son fils Loup, adolescent anxieux et vulnérable qui est incarcéré pour avoir provoqué malgré lui un accident de la route.



Alors même si parfois j'ai eu du mal à m'approprier l'écriture si singulière de l'auteure et à ressentir de la promiscuité avec ses trois personnages et que j'aurais certainement apprécié que le récit relatif à l'incarcération de Loup soit plus étoffé et que l'auteure prenne la peine d'accentuer le mal-être de cet adolescent en dérive affective, l'important c'est ce qu'il me reste de cette lecture et l'émotion qu'elle m'a procurée. Aussi je ne peux que la dédier à ma mère qui m'a donné (me donne encore) tant d'amour et qui m'a permis d'être celle que je suis aujourd'hui.

Merci à toi maman.
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Rien ne t'appartient

Lorsque son mari Emmanuel disparaît brusquement, l’univers de Tara s’effondre et la digue de son esprit lâche et une vague l’entraîne vers la dépression aux portes de la folie, comme le tsunami qui l’avait emportée alors qu’elle s’appelait Vijaya.

Vijaya, une petite fille libre qui rêvait de voler qui s’éveillait à la beauté, à la sensualité, à la danse, à la connaissance et qui va devenir une fille gâchée à qui rien n’appartient.





Une narration simple, efficace, rythmée. Nathacha Appanah nous raconte avec tendresse l’histoire d’une jeune femme qui se réinvente une vie pour oublier son passé tragique marqué par la violence des hommes et éléments.

Une description très réaliste du tsunami, de la vague qui emporte tout laissant des gens complètement désemparés au milieu d’une nature défigurée. Un récit douloureux et émouvant porté par une plume délicate et sensible, un personnage inoubliable qui m’a profondément marqué. Un livre lumineux et envoûtant.



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Le ciel par-dessus le toit

Natacha Appanah continue à me plaire avec sa belle écriture au mot juste et élégant. Comment la justice peut vite détruire un jeune sans chercher à comprendre un acte de courage ? Des personnages émouvants sur des libertés d’enfants entravées. Court, intense, profond.
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Tropique de la violence

Je me demande si j’ai déjà lu un tel concentré de violence. J’ai refermé le livre en me disant que je ne lirai plus jamais un roman avec le mot violence dans le titre. J’étais sous le choc. Plus qu’un roman, Natacha Appanah nous livre un réel témoignage des conditions de vie à Mayotte, île française, dans l’océan indien.







Marie a quitté ses montagnes natales qu’elle ne supportait plus pour faire ses études d’infirmière dans une grande ville. Elle tombe amoureuse d’un collègue et le suit sur son île natale Mayotte. Elle aime cette île, y travaille mais il manque un enfant à son bonheur. Ce désir deviendra une phobie et son mari préfère la quitter.







Un jour, à l’hôpital, une poignée de clandestins et parmi eux, une très jeune femme qui ne veut pas garder son bébé car il a les yeux de couleur différente, ça porte malheur. Marie va se débrouiller pour l’adopter. Elle lui donne le nom de Moïse.







À l’adolescence Moïse réagit très mal à la révélation de sa naissance et se rebelle contre sa mère qu’il n’appellera plus Maman mais Marie. Celle-ci meurt subitement un matin et Moïse ne préviendra personne, il prend son chien et part avec ses mauvaises fréquentations dans un quartier mal famé appelé Gaza.







Chaque personne ayant connu Moïse va donner son point de vue, son témoignage.Bruce, le jeune caïd de Gaza, le policier, l’éducateur.







Il n’y a pas de sortie de secours dans ce roman. Les mots percutent, les phrases t’enfoncent dans la boue, les chapitres te noient. Un style étourdissant révélant la beauté d’une île et sa violence.







Rentrée littéraire Août 2016 - Remerciements aux Éditions Gallimard et à Babelio
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Le dernier frère

C'est le premier roman de Nathacha Appanah que je viens de découvrir. Je ne m'attendais pas à ce que "Le dernier frère" me bouleverse autant. C'est une belle histoire sur l'amitié d'enfance, courte mais intense, sur l'inconditionnel amour maternel qui aide à supporter la violence du père, l'histoire inspirée d'un fait réel sur la déportation des Juifs à l'Ile Maurice en 1940.



Une belle écriture dans un décor exotique. de la nostalgie et de la douceur à l'image de l'auteure que j'ai vue dans une émission télé et qui m'a donné envie de découvrir son oeuvre. Encore une fois, je ne me suis pas trompée.








Lien : http://edytalectures.blogspo..
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Tropique de la violence

Tropique de la violence, autant vous dire que j'ai été happé par cette histoire, sa violence, sa douleur, les blessures des personnages.

L'auteure, Nathacha Appahah, m'avait déjà séduit sur un précédent roman évoqué ici, Le ciel par dessus le toit...

C'est un chant choral, un récit polyphonique. Plusieurs personnages sont convoqués ici et deviennent chacun à leur tour narrateur de l'histoire. J'adore ce procédé !

Ma manière de prendre ce texte fut douloureuse. Mes deux enfants, un garçon et une fille aujourd'hui plus de vingt ans tous les deux, ont été adoptés, lors d'un premier mariage. Ils sont tous deux d'origine africaine, l'un mon garçon du Burkina Faso, et l'autre ma fille d'Ethiopie. Je me souviens de nos voyage là-bas, jubilatoires et douloureux...

Pourquoi je vous parle de cela ? Parce que la relation de Marie et de Moïse m'a touché ainsi...

J'ai sans doute lu ce texte avec ces lunettes-là. Parce qu'aussi là-bas, à Mayotte, cela n'a rien d'exotique... Et que parfois nous y venons avec nos perceptions, nos croyances, nos représentations...

Mayotte, île devenue française... Quel sens pour une population dont la plupart sont des laissés-pour-compte ?

Nous découvrons les voix de Marie, Moïse, Bruce, Olivier, Stéphane... Cinq destins qui se croisent. Certains meurent et parlent encore, c'est l'une des forces du récit, écrire leurs mots, les prolonger, bons ou méchants, qu'importe...

Justement, la force du récit, du moins ce que je retiens ici, il n'y a peut-être pas de bons ni de méchants, tout juste des personnes qui passent d'un bord à l'autre, dans cette frontière si poreuse qui permet de la franchir tel un passe-muraille...

Ce roman saisissant m'a agrippé avec la violence dictée déjà dans le titre comme une fatalité, comme un chemin tracé vers là-bas, la sauvagerie du paysage et les bidonvilles dont l'existence ici est insoutenable. Ici on n'est pas au bord de l'océan Indien, on est au bord du chaos.

Il n'y a pas que la sauvagerie du paysage, il y a aussi la sauvagerie de l'être humain lorsqu'il a faim...

Une fois refermé ce roman, qui d'ailleurs est impossible à refermer tant des mains, des cris, des larmes, l'empêchent, bref une fois refermé ce roman avec nos bras, nos mains, nos larmes, avec force, que reste-t-il de ce paysage violent, beau et chaotique à la fois, comme du soleil et des pierres que l'on aurait mélangé ensemble dans une drôle d'alchimie ?

Rien que nos larmes, nos bras, nos mains, nos gestes, peut-être nos coeurs aussi, pour aimer...

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Tropique de la violence

Ecrit en 2016, « Tropique de la violence » apparait à bien des égards comme un ouvrage visionnaire, même si, à cette époque déjà, la plupart des observateurs prédisaient le chaos que connaît actuellement « l’île aux parfums ». Il faut toujours se méfier des raccourcis et des explications simplistes mais la départementalisation, insuffisamment préparée, a accéléré la déstabilisation sociale et économique de ce territoire, que cet euphémisme me soit accordé. Natacha Appanah n’entre pas dans ce débat. Il n’est pas question ici de géopolitique, l’ONU n’est pas évoquée pas plus que la ZEE ou la présence militaire. Natacha Appanah s’intéresse aux hommes et femmes qui sont plongés dans la réalité de cette pétaudière. Les points de vue respectifs de Marie, Bruce, Moïse, Olivier et les autres permettent de dessiner un tableau triste mais qui, hélas, ressemble de plus en plus à une photo. L’écriture limpide de l’auteure renforce la puissance de ce témoignage. La dénonciation de ce drame humain, dont les conséquences se propagent jusqu’à la Réunion, est poignante. Elle rappelle que derrière les textes de lois, les effets de manche des uns et des autres (Gégé de Roubaix, pourquoi tu tousses ?), ils sont de plus en plus nombreux ceux qui pleurent, souffrent, tremblent, se révoltent, meurent… Désolé si j’ai obscurci votre dimanche mais il y a des jours comme ça où l’on a bien du mal à « ne pas voir de la merde même dans le bleu de la mer ».
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La mémoire délavée

« Je me demande combien il faut de générations pour qu'une peur disparaisse des mémoires ». P 51



Mais j'ajouterais volontiers : comment faire pour que justement ces mémoires ne s'effacent jamais, pour que nous n'oubliions pas la vie parcourue par nos ancêtres ?

Natacha Appanah a murement réfléchi la forme qu'elle choisirait pour coucher sur papier à la fois ses souvenirs d'enfance mais aussi tout ce qui touche à ses origines mauriciennes. Et c'est une réussite car son chemin parcouru pour remonter le fil du temps jusqu'à ses trisaïeux débarquants sur l'île Maurice en 1872 a été pour moi un féérique voyage à ses côtés.

La structure narrative fait qu'on ne s'ennuie jamais, qu'on la suit même lorsqu'elle saute d'une génération à l'autre, qu'elle revient en arrière ou qu'elle les mélange. Car tout est lié, imbriqué jusqu'à sa vie à elle. Elle est partie de l'île Maurice à l'âge de 6 ans, l'oublie parfois pendant des semaines, puis replonge dans des périodes de totale symbiose avec ses ancêtres.



Entre ses aïeuls de 1872 et sa mère les choses n'ont pas changé tant que cela. Cette dernière ne connaitra que tardivement son nom et son prénom, son identité même. Son grand-père était encore un « numéro » , identité donné pour les coolis travaillant dans les champs de canne dirigés par les blancs.

L'autrice essaie de retrouver ce qu'ils ont vécu autant que faire se peut car les souvenirs s'emmêlent, ne doivent pas toujours être dits, veulent être oubliés. L'histoire collective qu'elle imbrique dans le livre y trouve certes une bonne place, mais l'histoire même de sa famille restera bien plus ancrée dans ma mémoire. le vécu de cette famille me marquera bien plus que tous les livres d'histoire.



Que cette famille venue d'Inde en 1872, afin de remplacer les esclaves noirs, puisse avoir été autant exploitée, humainement diminuée et leur vie si discrètement traitée dans nos livres d'histoire-géo, ç'en est désolent, injuste, aussi méprisable que ce qui se passe actuellement encore dans plein de régions de notre planète.

Les journées de longs labeurs comme les moments de retrouvailles ont tous une profondeur palpable. Les transmissions volontaires et celles qu'on occulte consciemment, tout est retenu pour que Natacha Appanah, comme nous, ne les laissions pas mourrir de leur belle mort.



Dernier détail mais qui n'en est pas un, ce court mais hyper dense ouvrage est savamment parsemé d'illustrations anciennes qui le rendent plus perceptible, comme si l'autrice voulait tout nous donner, partager tout l'intime avec nous.



Citations :

« Tant qu'il y aura des mers, tant qu'il y aura la misère, tant qu'il y aura des dominants et des dominés, j'ai l'impression qu'il y aura toujours des bateaux pour transporter les hommes qui rêvent d'un horizon meilleur. »

« J'ai toujours été fascinée par la vie qui suit un sillon bien tracé et qui soudai, par la grâce d'un hasard, par le couperet d'un drame, devient extraordinaire. Mes grands-parents ont connu les deux - la grâce et le drame. »

« Quand elle ressentait des contractions, elle disait qu'elle se sentait fiévreuse et rentrait à la maison. Là elle accouchait toute seule, accroupie, sur une toile de jute. »

« Ce silence s'est aujourd'hui transformé en un bloc noir fait d'une matière indestructible, qui résistera au temps. Personne pour le briser avec des faits, personne pour l'éclairer de l'intérieur avec un témoignage, des sentiments. C'est une présence-absence. »
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La mémoire délavée

Une lecture un brin décevante, sans doute parce que j’en attendais trop. J’aime lire des récits de quête des origines et j’apprécie beaucoup la plume de Nathacha Appanah. Côté plume, aucune déception, à commencer par le titre avec cette jolie image de mémoire délavée pour illustrer que la mémoire familiale ne peut être que sélective et oublieuse. Autre superbe image, dans les premières pages : la comparaison des migrations humaines avec des vols d’étourneaux. Sans compter de très belles pages sur ses grands-parents. En fait elle ne peut qu’affiner quelques précisions sur ses ancêtres (elle descend de coolies indiens embauchés pour remplacer les esclaves sur l’île Maurice). J’aurais aimé en apprendre un peu plus, pas sur ses ancêtres, a priori elle n’a rien trouvé de plus sur le plan personnel, mais sur l’origine des coolies, sur leur histoire sur l’île Maurice, … Mais cela aurait été plus œuvre d’historien que d’écrivain ! Par contre il y a d’autres aspects, plus personnels, sur ce qui s’est transmis, ou pas : les langues indiennes, tardivement perdues, les croyances, les habitudes alimentaires, et surtout, la peur de l’eau. De belles pages encore, illustrées par des photos dont certaines m’ont semblé peu utiles. Ce n’est certainement pas le livre que je conseillerai pour découvrir l’auteur, mais cela reste une lecture agréable.
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Tropique de la violence

Mayotte, plus jeune département français. Mayotte, petit bout de France planté dans l'archipel des Comores baigné par l'océan Indien. Mayotte, surnommée l'île aux parfums. Mayotte, son lagon réputé le plus beau du monde...



Mais aussi:



Mayotte, avec Kaweni - dit Gaza - le plus grand bidonville de France. Mayotte, ses milliers de migrants comoriens ou malgaches qui abordent ses côtes. Mayotte, sa misère et sa délinquance.



C'est plutôt cet aspect qui paraît sous la plume aiguë de Natacha Appanah. Elle a opté pour un roman choral afin d'entrecroiser les points de vue même si tous convergent vers un désespoir et une violence qui semblent sans fin. Chaque personnage est attachant à sa façon. L'auteure apporte beaucoup de nuances et de profondeur à leur personnalité. Avec toujours en toile de fond la réalité de l'île où l'on ne voit les politiques qu'au moment des élections, sourires Colgate et des promesses en veux-tu en voilà, une migration et un nombre de clandestins croissants, le manque d'infrastructures, la misère et la mise sous tutelle de quartiers par des gangs -des gamins très souvent, etc.



Avec Tropique de la violence, on est loin de la carte postale idyllique : plage, cocotier et boissons colorés avec petite ombrelle en papier.

Plus qu'écrit, le récit semble gravé, marqué au fer rouge. le style, âpre et douloureux, épouse parfaitement son sujet. Je n'avais encore jamais lu de livres de Natacha Appanah et je ressors de celui-ci secouée par la violence inhérente à chaque page ou presque. On aimerais presque pouvoir se réconforter en arguant qu'elle exagère. Les mouvements de colère survenus dans l'île il y a peu et les nombreuses revendications de nos compatriotes de l'hémisphère sud montrent cependant bien que telle est la situation.



Je ne sais pas si tous ses autres ouvrages sont dans la même veine. Je compte bien le découvrir.
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Tropique de la violence

Ah Mayotte, ses lagons, ses plages à l'eau turquoise, l'île merveilleuse aux mille parfums dont celui de la mort, et ses enfants qui jouent dans les rues à se tuer. Brrr. le contraste est saisissant à la lecture de ce rapide roman polyphonique à l'écriture envoûtante et sensuelle, entre un univers îlien que l'inconscience a tendance à assimiler au paradis, et les faits, bien ancrés dans un enfer sur terre.

Moïse est fils du djinn, telle est la croyance en ses terres quand bébé est atteint d'hétérochromie (* on dit aussi les yeux vairons, un oeil vert un autre marron par exple). Et cela change beaucoup de chose dans le cours d'une vie, surtout quand bébé débarque en kwassas kwassas (* "embarcations de fortune dans lesquelles s'entassent des clandestins venus des autres îles des comorres") au bras d'une maman réfugiée. Abandon, adoption par Marie la bueni muzungu (* "femme étrangère" littéralement) au coeur meurtri, enfance heureuse bien que perturbée, avant que l'inéluctable violence n'emporte tout dans les ruelles de Gaza le bidonville bien-nommé, surpeuplé d'enfants des rues au service d'un ado tyrannique. La lecture est magnétique de bout en bout. le récit s'enlise peu à peu dans une atmosphère suffocante, les différents protagonistes distillant les éléments de l'intrigue avec habileté, sous une plume diablement efficace.



* : VF pour Junie :-)
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Le dernier frère

Un épisode de la seconde guerre mondiale peu connue, un texte moderne et sensible. L'auteur a su mettre en avant ce petit garçon si malheureux, qui porte tant de tristesse et de culpabilité en lui depuis 60 ans. De magnifiques descriptions de l'île Maurice de ces années la, bien loin des cartes postales que nous connaissons . Une très bonne découverte .
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Rien ne t'appartient

Une femme à la dérive après la mort de son compagnon. Son beau-fils s’en inquiète et veut l’hospitaliser. Retour arrière sur sa vie de souffrance : guerre, pensionnat inhumain, tsunami, etc.

Les choses sont dîtes à demi-mot, les lieux non définis, les sentiments en demi-teinte. Donc avis à moitié partagé aussi malgré quelques belles tournures de phrases. Trop sombre.
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En attendant demain

A l'origine je cherchai "Tropique de la violence" du même auteur. Il n'était pas disponible dans ma médiathèque. Ce fut donc "En attendant demain"...



L'aube se lève et révèle un à un des personnages comme figés dans l'instant depuis 4 ans 5 mois et 13 jours. Anita dans sa cuisine repense à avant, à leurs rêves oubliés, et à Adèle, qui n'est plus. Sa fille Laura dort encore. Dans ses rêves, elle oublie qu'elle est handicapée. Son mari Adam, de sa prison pense aussi à avant, aux promesses non tenues, et à Adèle. J'ai bien aimé cette entrée en matière à la manière d'un rideau de théâtre qui se lève. Dès l'ouverture, nous savons qu'un drame s'est produit 4 ans 5 mois et 13 jours plus tôt qui a conduit les personnages là où ils sont. Évidemment, nous ignorons à ce stade le pourquoi du comment...



L'auteure nous déroule l'histoire d'Anita et Adam. Quand ils se rencontrent, ils se sentent en décalage avec la société. ils sont jeunes, artistes dans l'âme, pleins de rêves et d'espoirs. Mais peu à peu, le quotidien et la routine du couple vont étouffer leurs passions et leurs espoirs. L'arrivée d'Adèle, Mauricienne d'origine, comme Anita, va bouleverser leur vie bien rangée et ranimer la flamme de l'inspiration.



Un livre sur le déracinement, le deuil, les désillusions, les renoncements du quotidien, et surtout un livre sur la somme des petits instants que composent une vie, tous ces petits éléments qui s'emboitent pour faire de ce qui aurait pu être une journée exceptionnelle, un cauchemar. En dépit de la fin que j'ai trouvée rocambolesque et mélodramatique, ce livre est très agréable à lire. Sa force s'articule à mon avis autour du réalisme de ses personnages. La belle écriture de l'auteur capture avec finesse les états d'âmes de la vie de tous les jours, la difficulté de rester fidèle à ses rêves, face à la réalité du quotidien, celle du couple, des enfants, et du conformisme d'une société. Je ne regrette absolument pas de ne pas avoir attendu demain :-)

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Paris : CANCAN

Pratiqué dans les guinguettes et les bastringues entre 1825 et 1830 comme une parenthèse de défoulement bruyante que s'accordait les hommes pendant l'exécution d'un quadrille, cette danse est à l'origine du cancan. Les femmes bravant les interdits décident de se l'approprier en lui apportant la touche endiablée qui lui manquait, on parle du : (😼 + 🐎)

Le tohu-bohu
Le charivari
Le chahut
Le barnum
Le boucan

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9 lecteurs ont répondu
Thèmes : moulin rouge , cabaret , danse , belle epoque , peinture , Music-hallsCréer un quiz sur cet auteur

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