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Critiques de Paolo Rumiz (156)
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Aux frontières de l'Europe

Voila un voyageur comme je les aime; de ceux qui entrent dans le paysage, presque sans bagage, qui prennent le risque de se retrouver perdus au milieu de la steppe pour aller rencontrer des inconnus et partager leur mode de vie.

Rumiz a souvent bourlingué, et il nous invite à le suivre dans cette partie de l'Europe qui est restée si longtemps coupée de l'Occident, cette Europe slave, balte, nordique, où les touristes sont aussi rares et incongrus qu'une baleine sous le pont de l'Alma.

Dans ces pages, il y a l'odeur des forêts de bouleaux, le goût du poisson fumé, l'infini des grands paysages désertiques près du Cercle Polaire, sous la lumière rasante du soleil de juin à minuit. Il y a l'étonnement des longues distances à parcourir, l'inconfort et la fatigue parfois, mais aussi la béatitude de se chauffer le corps et le coeur auprès des gens rencontrés en chemin, d'échanger avec eux de petits cadeaux et de longues conversations.

Loin des circuits qui drainent des millions de touristes vers Barcelone, Prague, Florence, nous voyageons en toute discrétion au coeur d'une Europe qui fait bien partie de nous, de notre Histoire et de notre Géographie.

Merci au voyageur qui a su rapporter sur ses petits carnets griffonnés entre deux cahots d'autocar toute la beauté et l'esprit des lieux, avec modestie et simplicité.
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Aux frontières de l'Europe

Le récit de voyage est un genre toujours florissant. Il suffit d’arpenter les bonnes librairies pour s’en convaincre : les livres de Nicolas Bouvier, d’Alexandra David-Néel ou d’Albert Londres y occupent autant sinon plus de place que les derniers opus de Henry Kissinger, de Thomas Friedman ou de Alexandre Adler. Les ressorts du succès de ces long-sellers ont changé : il y a un siècle, les lecteurs de Pierre Loti ou de T.E. Lawrence étaient initiés à des mondes inconnus et inaccessibles. Aujourd’hui, il n’existe plus de terra incognita. Les vols low cost d’abord, Google maps ensuite ont réduit les distances et tué le mystère qui entourait les contrées les plus reculées du globe.

Pour autant, nous continuons à lire des récits de voyage. Qu’y recherchons-nous ? A nous évader d’un monde occidental aseptisé et uniformisé ? A renouer des liens humains authentiques que la modernité déshumanisée n’autorise plus ? A communier avec une nature dont l’artifice de notre civilisation urbaine nous a éloigné ? Loin de la linéarité et de la trépidance de nos vies modernes, les récits de voyage prendraient le temps de l’errance, du vagabondage, de la lenteur. Ils seraient plein de rencontres inopinées, avec de « vraies gens » dont les témoignages sincères nous en diraient plus que de fastidieux exposés géopolitiques.



Le récit de voyage de Paolo Rumiz a cette prétention-là. Grand reporter à La Repubblica, ce sexagénaire Triestin qui est né et a grandi à quelques kilomètres du rideau de fer s’est senti orphelin de cette frontière lorsque la Slovénie est entrée dans Schengen le 21 décembre 2007. Il a décidé, l’été suivant, d’entreprendre un long périple de plus de 6.000 km, zigzaguant le long de la frontière orientale de l’Europe.

Cette longue descente de « l’Europe verticale », de Mourmansk à Odessa, plus longue que ne le serait la traversée d’Ouest en Est du continent européen, est l’occasion de traverser des régions poétiques : la Carélie et ses myriades de lacs, la Courlande des Chevaliers teutoniques, la Polésie qui marque la ligne de partage des eaux entre la Baltique et la mer Noire, la Podolie aux confins de la Slovaquie, de la Hongrie, de la Roumanie et de l’Ukraine.

Elle est surtout l’occasion d’une réflexion sur les frontières. Une frontière entre l’Est et l’Ouest qu’il n’est pas plus aisé de traverser après qu’avant la chute du Mur, mais qui est plus poreuse aux mafieux corrupteurs qu’aux migrants désargentés. Une frontière dont le tracé est moins linéaire qu’on ne le croit : Kaliningrad forme une enclave russe au milieu de l’Europe, la Biélorussie, « dernière dictature d’Europe », fait tampon entre la Pologne et la Russie, l’Ukraine est divisée en deux, voire en trois, entre la Galicie qui n’a jamais tourné la page de l’Empire austro-hongrois et le bassin houiller du Donbass irrésistiblement aimanté à la Russie (et bastion électoral du président pro-russe Ianoukovytch). Une frontière entre le Nord et le Sud qu’on néglige trop souvent : le livre de Paolo Rumiz souligne jusqu’à la caricature la différence entre l’Estonie taiseuse et la Lettonie plus expansive.

Mais la frontière la plus significative divise les hommes plus que les espaces. Elle sépare l’ancien et le neuf, les vieux et les jeunes, les nostalgiques d’un ordre révolu et les profiteurs d’un capitalisme débridé. Paolo Rumiz prend le parti des premiers contre les seconds. Il chante la beauté des paysages, exalte la générosité de ses habitants, met en garde contre les atteintes portées à l’environnement. Sont ainsi réunis les ingrédients qui font le succès habituel des récits de voyage. Pour autant, le genre a ses limites. A trop exalter l’authenticité des « petites gens » et la vérité de la terre qui, elle, ne ment pas, l’écrivain-voyageur – qui derrière une humilité feinte se donne volontiers le beau rôle – n’est-il pas en passe de devenir le héraut d’une idéologie rétrograde ?
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Le phare, voyage immobile

Ce petit livre est une bouffée d’air pur, c'est l’air du large qui ouvre votre porte. Paolo Rumiz, écrivain-voyageur, fait un séjour dans un phare méditerranéen, un voyage immobile de 3 semaines. C’est là que, coupé du monde, dans un coin du phare où il loge, il écrit ce récit.



Ce quotidien qui sort de ses habitudes le fait témoigner, et j'aime beaucoup ce qu'il nous dit sur le personnage du gardien de phare, dont nous savons peu de choses, tant il est discret, enfermé dans cette tour éloignée dans les flots.







Un phare est comme un bateau amarré au port.





« La nuit, cependant, reste étrange. On a l’impression que l’île navigue. »





Dans ces pages, le vent se déploye de plusieurs façons, charriant des images lyriques provenant d’autres lieux, que l’on regrette, que l’on invoque et dont on rêve. Des odeurs de bonne cuisine flattent nos narines. Les simples choses du quotidien sont évoquées, au travers d’un bout de jardin. L'épouse du gardien est également omniprésente. Il est agréable de s’imaginer en quoi peut consister la vie d’une famille cachée à l’intérieur de ce bâtiment, le phare.







C’est une lecture plaisante et poétique que je conseille vivement.
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L'ombre d'Hannibal

Beaucoup de choses à la fois...

Un beau livre de voyage qui est bien des choses en même temps..

Un récit de voyage au trajet un peu plus compliqué que la normale. Ici on ne va pas forcément d'un point A à un point B. Mais on est bien dans ce type de récit avec ce qu'il implique de descriptions, de couleur locale...

Un livre gentiment érudit. Par gentiment je veux dire que Paolo Rumiz part sur les traces d'Hannibal en ayant les auteurs antiques dans sa poche (Polybe..) et c'est en leur compagnie également que nous voyageons.

Une enquête policière sur les traces disparues d'Hannibal. C'est passionnant.

Un livre ouvert. Ouvert sur les autres comme toujours chez Rumiz dont j'avais déjà beaucoup apprécié son livre consacré aux frontières de l'Europe. Ici on rencontre des historiens, des archéologues..Et Rumiz ne leur fait pas la leçon, il les écoute patiemment.

Un livre non égotiste. Rumiz, je reviens sur ce point, ne s'intéresse pas à lui mais aux autres. Cette dernière option peut d'ailleurs donner de bons livres, Tesson en est la preuve. Il y a la une forme de modestie qui me rappelle un peu les livres de Kaufmann.

Un livre d'actualité, périmé certes, mais le livre publié en pleine guerre en Irak est en filigrane une réflexion sur la guerre. Celle du passé, et celle du présent d'alors, dont on a pu mesurer les répercussions jusque dans les villes européennes.
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Appia

Je reviens tout juste d’un périple à pied avec Paolo Rumiz et ses compagnons, sur les traces de la Via Appia, mère de toutes les routes, « posant un pas tous les 64 cm, la foulée même des légions ». De Rome à Brindisi, sur la côte Tyrrhénienne, le fil de la route se perd parfois, comme le pouls d’un moribond, et prend tout à la fois forme de « borne, ruine, champ de blé, route provinciale, fontaine, méthanoduc, sillon de charrette sur la pierre vive, tilleul solitaire, mur de pierre sèche, grève, sentier de montagne, arrêt d’autobus, passage à niveau, peau de serpent ». Plus qu’un guide de voyage, le récit emprunte à la grande Histoire, au présent aussi avec une critique sentie à l’égard du peuple italien et de ses pouvoirs publics qui laissent aller le patrimoine au profit d’un capitalisme anarchique sur lequel l’ombre de la Camorra plane inexorablement. Paolo Rumiz se désole donc de l’incurie régnant autour des recherches archéologiques et de leur mise en valeur, du manque total de perspective patrimoniale et de la désolation économique du Mezzogiorno. « Des terres où la Rome antique survit dans chaque jardin, chaque cave et chaque sous-sol, mais où quiconque étudie les pierres – comme l’État et les lois – est plus redouté que la peste, parce qu’il incarne une entrave au marché des adjudications. »

Un vrai beau récit de voyage, entre pèlerinage et randonnée pédestre, rempli de faits historiques et de rencontres étonnantes, serti dans un paysage d’une indescriptible beauté mais que des franges de laideur viennent parfois ternir. Une envolée virtuelle, soit, mais qui m’a comblée d’images fort dépaysantes en ces temps de confinement.

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Le phare, voyage immobile

De retour du Tibet, où j'ai cheminé au milieu du chaos sur les pas de Pierre Jourde, j'ai voulu prendre un peu de repos.

Passer une quinzaine de jours sur un îlot désert en plein milieu de l'immensité de la Méditerranée, voilà une parfaite destination pour se refaire une santé.



J'ai emporté de quoi occuper mes journées, cahiers, appareil photo, lectures, cartes marines et jumelles. Des vivres aussi, car l'île déserte n'offre guère de ravitaillement. Du poisson, encore du poisson, du homard les jours de fête, de belles coquilles saint-jacques, oui c'est un menu qui plait aux gourmets. Mais parlez moi d'un bon petit risotto aux champignons à ma façon, ça c'est de la vraie cuisine.



Et pour le reste, je m'abandonne aux éléments, aux reflets du soleil sur la mer infinie, à la plainte des vents qui tournent comme des diables autour du phare, à la violence des tempêtes qui cognent contre les murs, à la contemplation muette des heures qui passent, des ombres qui s'allongent, des nuages qui s'amassent à l'horizon.



Mes pensées vagabondent, des souvenirs et des songes m'apparaissent, le phare du Cyclope abrite une multitude de personnages qui ont hanté cette mer, navigateurs mythologiques, galères turques ou flotte chrétienne partant délivrer Jérusalem. Tous ont croisé sur ces eaux, pêcheurs et guerriers, marchands et pèlerins, pirates et conquérants. Combien de ces navires reposent encore au fond, devenus maison pour les poissons et les coquillages, gardant pour toujours leurs trésors et leur cargaison précieuse?



Ici, je me sens au coeur du monde, sous la protection du pinceau de lumière qui troue la nuit profonde. Tout y est propre, lavé par le soleil, le vent, la pluie. La laideur du continent n'y a pas de place, un dépouillement monastique est la règle, chaque objet est utile. Comme c'est reposant!

Mon seul luxe: un verre de malvoisie et un bouquet de fleurs sauvages sur ma table. Il est tard, ce soir les étoiles semblent encore plus nombreuses, un ferry passe au loin, le Cyclope lui fait un clin d'oeil.
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Appia

Paolo Rumiz, journaliste voyageur qui a chroniqué nombre de ses périples dans La Repubblica, décide à quasi 70 ans de suivre la via Appia, prestigieuse voie romaine de plus de 500 kilomètres qui reliait Rome aux Pouilles, plus particulièrement jusqu’à Brindisi. Cette via n’a quasi jamais été suivie par des voyageurs depuis qu’elle n’est plus utilisée, elle est donc un véritable défi pour ceux qui vont la parcourir, et c’est ce défi qui va être raconté de deux manières différentes dans Appia.



Tout d’abord, tel un classique récit de voyage, Paolo Rumiz nous décrit le cheminement effectué par ses acolytes et lui, de Rome à Brindisi, au plus proche de la via, ce qui n’est pas toujours simple car les vestiges de celle-ci sont parfois inexistants – c’est à grands renforts de recherches préalables que le cheminement pourra se faire sans grandes embûches -, sont recouverts par le bitume des nouvelles routes, font partie de propriétés désormais privées… En effet, l’Italie n’a pas été tendre avec cette voie, ne se préoccupant que bien peu de son intérêt archéologique au fil des siècles, ce qui n’est allé qu’en empirant ces cinquante dernières années selon le journaliste. Le cheminement devient alors enquête, autant historique que sociologique, non seulement sur la voie, et la difficulté de la conserver, mais aussi sur l’Italie des années 2000, sur la différence entre la vie romaine, dont viennent nos voyageurs, et la vie des Pouilles, sur l’évolution d’un pays en proie à des questionnements nombreux sur son identité première, celle de la Rome Antique. Cheminement raconté via une plume particulièrement travaillée et passionnante à lire, qui mélange parfaitement moments poétiques, pour raconter certains instants ou lieux du voyage qui le méritent, et moments plus factuels, pour décrire les rencontres au fil du voyage qui ont donné lieu à diverses conversations plus ou moins pertinentes pour Paolo Rumiz. J’avoue que j’aurais aimé connaître l’italien pour pouvoir lire ce récit de voyage sans filtre, même si je pense que la traduction est ici d’une très grande qualité. Cheminement qui s’accompagne également d’une introduction de présentation de la via, tout à fait bienvenue, ainsi que d’un hommage final rendu aux pieds du journaliste qui sont, en toute logique, sa première source d’inspiration, comme il l’indique à plusieurs reprises.



Même voyage, autre façon de le raconter : dans une deuxième partie, le journaliste ne décrit que le chemin suivi, tel un guide, à celui qui voudrait se lancer dans la poursuite de la via Appia. Pas de fioritures ici, de descriptions de lieux, de rencontres, de repas…, uniquement le trajet à prendre. Intéressant en somme pour un futur randonneur, mais finalement aussi intéressant pour le lecteur, qui peut ainsi se rendre compte à quel point un récit de voyage se construit personnellement, au fil du périple, et sera différent pour chacun, ce qui fait tout son sel et son sens.



Appia est donc un récit de voyage comme je les apprécie, qui devient vite plus qu’un simple récit de voyage, qui plus est remarquablement écrit, pour nous mener non seulement à la recherche de la Rome antique, mais aussi dans une Italie plus actuelle, partagée entre son désir de respecter son passé et son besoin de se réinventer, notamment parce que sclérosée au Sud par la mainmise de la Camorra, qui a étendu son activité au fil des années.
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Appia

Vitupération et chant d’amour . Hymne aux arts culinaires et oratoires. Exaltation de la marche et du pied comme instruments de la connaissance du monde . Tout cela est dans le récit de cette randonnée au long des 612 km de la Première des routes , L’Appia Antica , par un groupe de passionnés , archéologues , historiens et artistes , bien décidés à la faire revivre dans l’oublieuse mémoire des italiens . Rien là d’un repliement passéiste ,car cette route civilisatrice et coloniale à la fois est un révélateur des grandeurs et des misères de l’Italie d’aujourd’hui . Et le texte est porté par une poésie sensuelle , un humour qui viennent donner chair à l’érudition de l’auteur. A lire pour comprendre et aimer l’Italie passée et présente.
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La légende des montagnes qui naviguent

J'aime les livres d'écrivains voyageurs. le travail d'écriture est là, le voyage aussi. L'auteur nous emmène sur les petites routes, nous fait grimper les sentiers. Nous passons les cols, traversons les villages, enjambons les rivières, prêtons l'oreille au bruissement des arbres. Des Dolomites, aux Apennins en passant par les Alpes, de Trieste à Nice, de la Ligure à la Calabre, les noms de villages, les petites phrases poétiques et enchantées chantent et tintent joyeusement à l'oreille du lecteur : Castelpizzuto (Châteaupointu) Buenalbergo ( Bonneauberge ) Rupecanina ( Rochecanine), Alpe de la luna.

Les rencontres sont nombreuses et fascinantes. Ainsi ce violoncelliste célèbre retourne jouer de son instrument, vieux de quatre siècles dans la forêt même dont est issu l'arbre qui a servi à sa fabrication.

« La moitié de la forêt joue, répète ces vibrations comme si elle les savait par coeur. Elle reconnaît la voix de son ancêtre. »

Et encore parmi tant d'autres, Ginetto qui se construit une église tout seul en récupérant des pierres médiévales d'une ancienne construction.

Les choix économiques, barrages hydro-électriques, tunnels, autoroutes, voies ferrées ont entamé la montagne, l'ont fragilisée et dégradé un environnement longtemps préservé. Cela n'empêche pas les amoureux de nature et de solitude de s'établir pour quelques temps, quelques années dans des villages isolés, de retrouver les gestes simples et ancestraux. Ils font parler les pierres et les chemins et nous révèlent les mémoires de ceux qui nous ont précédés : L'Italie des villages est une véritable mine lorsque les histoires singulières croisent la grande Histoire.

A bord de Merina, la fantasque Topolino , Paolo Rumiz nous offre un hymne à la lenteur et au vagabondage.

Je remercie chaleureusement Babelio et les éditions Arthaud pour cette belle découverte.

« Bel paese che il Santerno bagna, che parla tosco in terra di Romagna. » (Le beau pays que baigne le Santerno, qui parle le toscan en terre de Romagne.)



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Pô, le roman d'un fleuve

Merci à Babelio et à l'opération Masse critique ainsi qu'aux éditions Hoëbeke qui m'ont permis de lire ce beau roman



Ouvrir le livre de Paolo Rumiz, c'est partir pour une lecture paresseuse et sinueuse, nonchalante et rêveuse au fil de la descente d'un fleuve si célèbre qu'il en est devenu invisible et méconnu, le Pô.



Le fameux écrivain voyageur italien, raconte comment il a entrepris de redécouvrir avec quelques amis, en le parcourant sur diverses embarcations, ce fleuve qui irrigue la partie septentrionale de l'Italie, la plus peuplée et industrielle, la plaine padane ou "pianura padana" où se concentrent les trois-quarts de l'activité économique de la péninsule. Quoi de mieux que de le parcourir de l'amont vers l'aval, d'abord en canoé, puis en barque, enfin sur un petit voilier, pour y recueillir la vérité du fleuve, sa voix, son atmosphère, ses paysages, sans compter les innombrables rencontres avec riverains et passionnés du cours d'eau.

Les découvertes sont surprenantes : le silence d'abord, malgré la proximité géographique des autoroutes, le chant des galets, les rives sauvages en amont de Turin, l'isolement de la rivière canalisée entre de hautes levées, l'ignorance du Pô chez la plupart des habitants de la plaine, et bien sûr les dégâts d'une industrialisation forcenée qui n'a pas épargné la nature : décharges, digues, barrages, mais aussi les mutations de la faune avec l'apparition de poissons géants exogènes, les silures, et aussi les trafics, l'absence totale de police ou de contrôles, un espace de liberté au sein même d'une région surpeuplée.



Toute cette exploration ne serait rien sans les multiples rencontres avec des amis du fleuve ou des riverains qui entretiennent une étrange histoire d'amour avec Pô, car peu à peu, Paolo Rumiz va personnifier et féminiser le flot qui le porte.

Une femme étrange et mystérieuse, une apparition récurrente, sert de fil conducteur au voyage qui conduira le narrateur jusqu'à l'île de Susak en Croatie, pour mener le périple à son terme



Il s'agit somme toute d'un journal de voyage, ponctué d'escales et de bombances, d'échanges pittoresques avec les amis embarqués dans l'aventure, agrémenté de notations littéraires, poétiques et profondes, mais d'où l'humour n'est jamais absent, qui suit son rythme indolent au fil de la descente du cours d'eau.

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Des cartes personnelles à l'auteur, aux toponymies subjectives, marquent les temps forts du parcours, et illustrent le récit. Un regret toutefois : un peu trop de noms propres, de lieux ou de personnes, que le lecteur a du mal à tous situer ou retenir.

Mais il ne s'agit là que d'une mince réserve, car la lecture, même si elle ne tient certes pas en haleine, reste un moment de plaisir et de rêverie, que l'on aime à retrouver dans la durée.

Pour ceux qui considèrent la lecture comme un voyage imaginaire, il n'est pas de meilleur roman, pour partir à la découverte de l'âme d'un fleuve et de celles des hommes qui l'aiment et le parcourent.

Excellente traduction de Béatrice Vierne.
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L'ombre d'Hannibal

Une incursion, loin dans le temps et sur des chemins escarpés, que je dois à une exposition au Musée Dauphinois à Grenoble.

Si je vous dis Guerre punique cela vous rappelle quelque chose ? Nous n’allons voyager ni en avion, ni en bateau, mais à pieds avec les 100 000 hommes et les 37 éléphants de l’armée d’Hannibal.

Le mythe est vieux de 2000 ans, Hannibal Barca a laissé son nom à des villages, des routes, des rues, des ponts, c’est un héros que François Ier ou Napoléon ont tenté d’imiter, que les peintres ont pris pour sujet de Claude Lorrain à J.M.W.Turner, en passant par Giambattista Tiepolo, le sujet valait bien un livre non?

Partir sur les traces d’un mythe n’est pas toujours chose aisée, il faut une documentation et des sources fiables. C’est précisément ce qui manque le plus pour Hannibal. Mais l’auteur a des ressources, tout d’abord ses lectures, Polybe et Tite-Live qui vont être du voyage et il a un peu partout des amis qui sont des chercheurs, des historiens, des archéologues, certains vont faire un bout de chemin avec lui.



C’est que le périple est considérable, après avoir quitté Carthage, Hannibal va traverser l’Espagne non sans livrer quelques batailles, perdant des hommes et en recrutant d’autres. D’un bond on franchit les Pyrénées et après un passage en Gaule nous voilà aux pieds des Alpes et là Paolo Rumiz va tenter d’imaginer, de rêver, de découvrir par quel col a bien pu passer Hannibal et son armée, sa cavalerie et ses éléphants. Le col Clapier ? un autre ? Les historiens s’en donne à coeur joie, chacun son scénario, chacun son col favori. Après le passage des Alpes c’est la descente par la plaine du Pô.



Les pages de Paolo Rumiz font doucement apparaître le portrait d’un chef tout à fait hors du commun, de l’enfant jurant à son père que toute sa vie il combattra Rome, au stratège qui fit trembler l’Empire romain sur ses bases.

Tite-Live est un peu porté sur la caricature, le peignant comme un barbare sanguinaire, sans foi ni loi. Mais Tite-Live est de parti pris n’oublions pas qu’il est romain.

Nous suivons cette armée qui bizarrement évite Rome, et livre une bataille gigantesque à Cannes, une bataille qui est un modèle de stratégie, d’habileté politique au point d’être aujourd’hui encore un sujet d’étude pour les militaires.

Hannibal est celui qui a osé s’opposer à la puissance Romaine et qui a bien failli réussir. Pendant plus de dix ans il va rester en Italie narguant les Romains et les faisant trembler.

On va terminer le voyage au Caucase, face au Mont Ararat, l’ultime exil d’Hannibal.

J’ai énormément aimé ce livre, qui marie l’histoire d’hier et des péripéties d’aujourd’hui. Ah la révolte des habitants de la Vallée de Suze contre le TGV /TAV !! je vous recommande cet épisode là car Paolo Rumiz en bon journaliste ne peut pas traverser une région sans avoir un oeil un peu inquisiteur.

Deux autres écrivains voyageurs apparaissent dans le livre, Ryszard Kapuściński, ami de Paolo Rumiz et Patrick Leigh Fermor que l’auteur admire. C’est un parrainage qui a lui seul peut vous donner envie d’ajouter ce livre à votre bibliothèque.


Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Le fil sans fin

Paul Rumiz, correspondant de guerre en Afghanistan et dans les Balkans pour la "Reppublica", puis grand voyageur à l'écoute de l'Europe, en particulier sur ses pourtours orientaux (en vélo, en bateau, en Topolino et surtout à pied) a fait entendre dans ses récits la voix du journaliste et celle du voyageur : instructives pour qui veut comprendre l'identité de notre bout de continent appelé "Union Européenne".

Après l'avoir découvert et apprécié pour son ouvrage "Appia", j'ai voulu lire son dernier ouvrage "Le fil sans fin" plus ambitieux et plus complexe aussi : au fil des chemins parcourus, une réflexion parfois mystique sur l'Europe et son devenir.

Le début de son périple à pied, dans les Abruzzes depuis les Monts Sybillins jusqu'à Norcia après le catastrophique tremblement de terre de 2016 : ses descriptions d'un pays, de ses paysages, de son histoire dans une langue belle et pure à l'image du pays. Pour le connaître, je dirais que c'est un lieu où l'esprit s'élève : on s'y sent plus près du ciel… ou des étoiles. L'arrivée dans le village dévasté de Norcia est saisissante , il se trouve face à une statue épargnée par le séisme « Ce fut alors que je vis la statue… qui levait son bras droit comme pour indiquer quelque chose à mi-chemin entre le Ciel et la Terre. Elle était intacte au milieu de la destruction et l'on pouvait y lire, Saint Benoît, saint patron de l'Europe» Et cette statue tournée vers l'Europe lui dit qu'il se trouvait peut être devant les ruines d'une grandiose idée politique gangrènée par le repli sur soi, le populisme et le consumérisme poussé à l'extrême. Deux guerres mondiales n'auront elles pas suffi, en faudrait il une troisième pour qu'elle retrouve ses idéaux?

C'est là que commence la deuxième partie du "fil sans fin", plus longue et moins consensuelle.

Partant de la règle bénédictine érigée par saint Benoît : modération, écoute, solidarité, hospitalité et même démocratie au sein de chaque communauté et, porté par un véritable élan mystique, Paul Rumiz part à travers l'Europe à la rencontre de ces hommes de bonne volonté qui, dans leurs abbayes, mettent en pratique les règles de leur ordre. Des rencontres souvent passionnantes et instructives et Paul Rumiz croit sincèrement en leur exemple qui a traversé les siècles pour aider au renouveau de notre communauté à la dérive.

J'ai alors eu bien du mal à suivre l'auteur dans ses conclusions: en pratique d'abord, son modèle basé sur la vie en petites communautés me semble inapplicable à un ensemble de 28 pays comptant plus de 400 millions d'habitants. Et surtout, tous les ordres religieux, bénédictins compris, sont restés au sein de "la Sainte Eglise Catholique et Apostolique", coupable au fil des siècles, de tant de méfaits que je ne pourrai jamais cautionner quelque projet que ce soit prétendant, même honnêtement, s'en inspirer.

Conclusion: ce récit mérite d'être lu pour suivre la quête de son auteur, il est instructif et porte à la réflexion même si l'on ne partage ses conclusions, l'écriture est belle, sans fioritures. Merci à Babélio et aux Edition Arthaud pour cet envoi.

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Aux frontières de l'Europe

Saviez-vous que l’Europe (celle de Schengen) est plus verticale qu’horizontale ? Regardez sur un atlas, ou mieux, sur un globe terrestre, et vous le constaterez. Paolo Rumiz nous emmène ici en voyage à l’Est de cette frontière. De Kirkenes en Norvège arctique à Istanbul, il se ballade en train, en bus, en taxi ou à pied sur la lame tranchante de cette ligne mouvante. Il y fait des rencontres humaines et émouvantes, traversant des pays orthodoxes, protestants ou catholiques, où survivent quelques communautés juives. Parcourant les cultures slaves, leur géographie, leurs saisons et leur Histoire, il constate les ravages du communisme puis ceux du libéralisme, mais aussi la survivance de cultures réfractaires à disparaître. Il voyage léger et curieux de tout, sa compagne Monika traduit. Tantôt à l’Ouest, tantôt à l’Est de la frontière, de la Finlande à la Russie, de la mer Blanche aux pays Baltes, de Varsovie à la Biélorussie, il traverse des fleuves, le Niémen et le Danube, la ligne de partage des eaux, puis les plaines d’Ukraine, et les Carpates, la Roumanie jusqu’à Odessa sur la mer Noire. J’ai pris le temps de lire ce récit dans le train ou dans des gares, pour me mettre en peu dans l’ambiance peut-être (?). Car il parait que nous sommes « nomades », des petites machines connectées dans nos poches nous le font croire, pourtant rien ne remplace les hasards d’une rencontre, la réalité kafkaïenne d’un douanier et surtout la vie quotidienne de notre humanité. Rumiz est un grand écrivain voyageur, de la trempe d’un Nicolas Bouvier ou d’un Ryszard Kapuscinski (un de ses amis auquel il rend hommage dans ce texte), car il sait nous montrer l’essentiel dans les détails, les petits riens d’une rencontre ou d’un paysage. Allez salut et bon voyage.
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La légende des montagnes qui naviguent

L'écrivain-voyageur Paolo Rumiz nous fait parcourir les montagnes italiennes : les Alpes, qui séparent l'Italie de l'Autriche, de la Suisse et de la France, puis les Apennins qui sont la colonne vertébrale du pays. Au total, slalomant de vallée en vallée, il va effectuer des milliers de kilomètres de Trieste et l'extrême pointe de la Calabre.

Mais c'est bien plus qu'une relation de voyage qu'il nous livre là : c'est un livre de rencontres et de réflexions sur son pays. Et des rencontres il en fera : des vétérans de 14-18, le leader autrichien Jörg Haider « croquemitaine du populisme alpin », des agriculteurs protégeant la nature et leu terroir, un luthier, l'alpiniste Walter Bonatti, le grand reporter Kapuscinski et tant d'autres, mais tous des hommes et des femmes libres défendant une culture et un art de vivre en danger. Et le regard sur l'Italie de l'homme en colère Paolo Rumiz n'est pas tendre.
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L'ombre d'Hannibal

Col du Clapier, entre Bramans (France) et Giaglione (Italie), un jour de l’année 2000. Paolo Rumiz lit l’épisode de la traversée des Alpes d’Hannibal, relaté par Polybe, à ses compagnons de randonnée et aux chasseurs italiens rencontrés sur place … Moment hors du temps, moment de grâce … Il décide alors de laisser le monde continuer sa course sans lui, et abandonne son boulot de journaliste pour retrouver les traces d’Hannibal, quelque deux mille deux cent ans après sa mort.



L’Italien se met en route et marche dans les pas d’Hannibal, refaisant le voyage du Phénicien de Carthage aux portes de Rome. Il sillonne les routes de l’Europe du Sud, du Nord de l’Afrique et de l’Asie, découvrant que partout le général africain a laissé des traces dans la toponymie, dans les patronymes, dans les légendes locales, … Ainsi, à Rocca di Papa, une prairie s’appelle le « champ d’Hannibal » ; à Tornimpart, tous les ans, une grande marche est organisée, appelée « la marche d’Hannibal » ; à Montepulciano d’Abruzzo, on produit un vin rouge baptisé Hannibal. Et encore : à Casteggio : fontaine d’Hannibal ; à Modigliana : puits d’Hannibal ; deux ponts d’Hannibal sur l’Arno et sur le Sieve. Un lieu-dit d’Hannibal dans le Mugello. Un Monte Annnibolina près des rivages de Rimini. A Carthage, en Tunisie, on parle encore de Sidi N’bal (Sidi qui veut dire Seigneur). Et j’en passe …



Ce n’est pas un essai historique (comme le livre de Brizzi, « Moi, Hannibal… »), non, mais un voyage romancé dans le temps et dans l’espace. Rumiz nous questionne sur l’héritage matériel et immatériel (au travers du mythe toujours vivant en Italie du Sud, encore toujours aussi hostile au pouvoir centralisé de Rome, du héros défiant la Cité Eternelle) de l’Antiquité, sur la mémoire des hommes, sur notre modernité, sur la finitude des hommes et des civilisations …



Et au terme de ce livre, Hannibal garde son halo mythique, sa part mystérieuse, puisque aucune des énigmes de sa vie ne sont résolues : qui est ce stratège génial, ce bâtisseur de ville, toujours solitaire ? pourquoi se lance-t-il dans une guerre contre Rome ? où a-t-il franchi le Rhône et les Alpes ? pourquoi, au terme de sa vie, ne parvient-il pas à fuir vers l’Orient et retourne-t-il à l’endroit où les Romains l’attendaient ? où sont ses cendres ?



Et c’est tant mieux …



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La légende des montagnes qui naviguent

Il a fallu une dizaine d'années pour que La légende des montagnes qui naviguent soit enfin traduite en français et éditée chez Arthaud. Voilà une formidable occasion de découvrir Paolo Rumiz, journaliste à La Reppublica, écrivain-voyageur qui a affronté les risques de la guerre dans l'ex-Yougoslavie, mais aussi relié Trieste, sa ville, à Vienne puis à Istanbul, chaque fois à vélo.

Ici, il se lance dans une immense aventure : explorer l'épine dorsale européenne constituée par les Alpes et les Apennins. « Parti pour m'échapper du monde, j'ai fini, au contraire, par en trouver un autre : à ma grande surprise, mon voyage s'est transformé en révélation d'un univers vivant et secret. Je l'ai décrit avec rage et émerveillement. Émerveillé par la beauté fabuleuse du paysage humain et naturel, mis en rage par le pouvoir qui n'en tient aucun compte. »

En effet, ce livre va beaucoup plus loin qu'une description des paysages. Bien sûr, ils sont détaillés avec talent et cela donne souvent envie d'aller découvrir aussi des lieux très isolés et ignorés par les touristes. Surtout, le voyage est émaillé de tellement de rencontres, de contacts avec les humains qui vivent ou tentent de faire vivre ces montagnes, que la lecture n'est pas fastidieuse. Il a fallu de temps à autre se référer à des cartes pour visualiser le parcours mais ce n'est pas toujours nécessaire tant l'aventure est riche et variée.

Le style de Paolo Rumiz est riche, enlevé, évocateur, précis et toutes les anecdotes, rappels historiques et réflexions qui émaillent son récit, m'ont beaucoup intéressé, m'apprenant énormément. Depuis la Croatie où il doit expliquer que c'est ici que les Alpes commencent, jusqu'à la pointe sud de la botte italienne, l'auteur se déplace la plupart du temps à pied, à vélo ou dans ce fameux Topolino, Fiat 500 de 1953, affectueusement appelée Nerina. « Sur le marché, c'est celle qui se rapproche le plus de la mule. » Dans la dernière partie, elle est un véritable personnage avec ses humeurs, ses qualités et ses faiblesses.

En Slovénie, les déplacements des ours sont à l'ordre du jour car les Slovènes sont fous des abeilles dont le miel intéresse beaucoup cet animal très répandu. À Ljubljana qu'il qualifie de Prague miniature, il constate la xénophobie, ce populisme centriste qui conduit à l'américanisation ou à l'hyper-traditionalisme.

S'il passe en Autriche, il revient en Italie pour évoquer la catastrophe du Vajont, ce barrage qui a cédé le 9 octobre 1963, emportant deux mille personnes, saccageant aussi le plus grand bassin de la Vénétie. Les Dolomites sont là et il les explore, revient en arrière, désorientant un peu le lecteur avant de franchir le col du Brenner.

Souvent, il compare ce qu'il voit en Autriche avec le laisser-aller italien, saluant ces services publics qui fonctionnent. Il rappelle l'histoire de l'homme des glaciers, Õtzi, découvert par Helmut Simon. Bolzano l'a réclamé et obtenu, évinçant Herr Simon qui sera enfin réhabilité.

C'est à vélo qu'il escalade le Stelvio pour écouter la montagne. Malgré ses 48 virages : « La beauté qui nous domine enlève bien deux pour cent à la pente, c'est un aimant qui nous tire vers le haut. » Hélas, le réchauffement climatique qu'il constate avec les glaciers disparus ou considérablement réduits, est alarmant : « La terre ravagée depuis des décennies ? Un désastre qui dure des décennies ne fait pas sensation. »

Bien sûr, il passe par la France et tire encore le signal d'alarme pour sauver nos vallées alpines du trafic routier qui reprend de plus belle. À Chamonix, son guide constate : « C'est la catastrophe. Trop d'eau, trop de dégel, trop de chaleur. » Puis il nous conduit du Grand Paradis jusqu'à Nice. Qualifiant le col de la Cayolle d' « ultime Roncevaux des cyclistes », il nous égratigne quand il voit un panneau annonçant Les Grandes Alpes : « On sait bien que les Français font toujours les choses en grand. »

Il n'oublie pas de parler des loups, de l'élevage, de la désertification, de la haine des étrangers dans certaines vallées, de l'indispensable présence de femmes venues de l'est pour soigner les personnes âgées. Toutes ces montagnes qu'il voit bouger au-dessus des nuages préservent une vie en train de disparaître. L'autoroute qu'il fuit comme la peste, vide des territoires entiers mais Paolo Rumiz donne vraiment envie de sauver ces paysages encore marqués par le passage d'Hannibal jusqu'à cette mer Ionienne surchauffée qui marque la fin du voyage.


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La légende des montagnes qui naviguent

Voilà un récit de voyage hors-norme, par sa longueur, son ambition, le nombre de pays et de cultures traversés : de la Croatie à l'Italie en passant par la Slovénie, l'Autriche, la Suisse, la France, Paolo Rumiz traverse les Alpes et surtout les Appenins, la colonne vertébrale de l'Italie, sa chaîne montagneuse de coeur.  En vélo, à pied, en moto (mythique) Topolino Fiat, il parcourt 8000 km et ne cesse d'écrire au cours de son périple. Il multiplie aussi les rencontres, des "anonymes" qui lui racontent la montagne et ses secrets, comme des plus connues, l'écrivain Mario Rigoni Stern, étonnamment vert malgré ses quatre-vingt printemps bien tassés ou, plus bizarre, l'ancien chef autrichien d'extrême-droite, Jorg Haider. Rumiz peut profiter de ces rencontres grâce à son statut de journaliste. En chemin,il raconte l'histoire, la grande Histoire liée aux Alpes et aux Appenins, la Grande Guerre qui piégea certaines populations entre Autriche et Italie, ou les résistants, les passeurs de la Deuxième Guerre mondiale, par exemple. Mais ce qui l'intéresse surtout, c'est l'environnement, l'écologie, il veut défendre ses montagnes comme symboles de vie ou de mort pour le monde entier : si la montagne se porte bien, les villes et les plaines iront bien aussi. Or les tunnels, la vitesse, la désertification, les inondations, les sécheresses, les désordres climatiques engagent un pronostic vital pour tous. Heureusement il existe des lieux de vie, de calme, de spiritualité qui peuvent encore sauver les choses et Rumiz se plaît à les évoquer ans les situer précisément, pour les épargner.



Ce livre est dense, bourré d'anecdotes, de personnages, de diversions. Habituée au style plus direct d'un Sylvain Tesson ou de Jean-Christophe Rufin, je me suis parfois ennuyée et, je l'avoue, j'ai lu plusieurs pages en diagonale. Cependant, je ne doute pas que de nombreux lecteurs amateurs du genre l'apprécieront.



Merci à Babelio et aux éditions Arthaud pour l'envoi de ce livre.
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Le phare, voyage immobile

Imaginez vous partir vivre le temps de quelques semaines sur un îlot Méditerranéen flanqué d'un phare d'une centaine de mètres de haut. Hormis les gardiens de cette tour éclairée, vous êtes seul.

Vous entrez, alors, dans une nouvelle dimension de vie. Vous êtes happé par dame Nature et ses soubresauts. Tous vos sens sont, plus que jamais en éveil. Les hommes sont si loin de vous, que ce que vous entendez, c'est peut-être le murmure de Dieux Grecs. "Poséidon agite la haute mer de sa louche et bombarde les rochers. Zeus, brandissant sa foudre, envoie une armée de nuages [...]. Éole qui ne dort jamais secoue le châssis et emplit la tour de lamentations".

Vous respirez un air venté qui vous irrite ou vous apaise. Vous êtes comme sur un bateau, sauf que là, c'est le ciel qui conduit votre vaisseau immobile.

Le monde des Hommes, des guerres, du web sont à des années lumières de vous. Cela vous rassure et vous effraie en même temps. Vous n'avez jamais autant ressenti que vous n'étiez qu'un microbe dans le cosmos.

Le phare, cette tour que Paolo Rumiz appelle le cyclope vous rendrait fou si vous y restiez une éternité. D'ailleurs, le gardien de phare est souvent considéré par les marins comme "un être spécial qui a franchi le seuil de l'indicible".

Voilà ici présenté en quelques phrases l'histoire de Paolo Rumiz parti trois semaines vivre dans un phare cerné par la Méditerranée.

Un beau livre tout en poésie.
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Le phare, voyage immobile

Il y a les livres que l'on choisit et ceux qui nous choisissent. Celui-ci fait partie de la deuxième catégorie. Alors que j'étais venu chercher un livre réservé lors de mon dernier passage à la médiathèque, un léger détour vers l'allée des « aventures et voyages » me fit arrêter devant un éclat jaune qui irradiait le centre de la tranche d'un livre. Comme une lumière fixe et intense qui m'appelait. En me penchant, je lus « Le phare, voyage » qu'entouraient dans le blanc les mots « Paolo Rumiz » et « immobile ». Les deux noms propres appelaient au voyage, le phare à l'immobilité. Quand j'eus tiré le livre pour l'avoir en main, le bleu ciel de la couverture m'apparut, limpide. Avec un petit phare perché sur un promontoire. Volume mince, lecture rapide, il ne m'en a pas fallu plus pour que je m'en empare.

Phare, le mot m'a ravivé des souvenirs. La montée de celui de Gatteville, dans le Cotentin, la corne envoutante de celui de Goury, invisible dans l'opacité de la brume, et ceux de mes lectures, le phare des Sanguinaires de Daudet et celui du bout du monde de Verne. Mais le plus émouvant, ce fut Armen, à l'extrémité de l'île de Sein, raconté dans le journal de bord de son gardien, Jean-Pierre Abraham.

Ici, nous ne sommes pas confrontés aux rudes vagues de l'océan. Celui choisi par Paolo Rumiz se trouve quelque part en Méditerranée, entre Italie et…, nous n'en saurons pas plus. L'auteur ne donne pas de détail sur sa situation géographique, au lecteur de trouver les quelques indices disséminés dans la narration. Un accès difficile pour le mouillage du bateau et pour le chemin escarpé qui permet d'atteindre le promontoire. Une petite île inhabitée, entre le ciel et l'eau. Un voyage immobile de trois semaines, coupé du monde extérieur, juste les deux gardiens comme témoins de son aventure intérieure.



Après ses nombreux périples aux quatre coins de l'Europe, l'écrivain voyageur nous relate les sensations multiples qu'il éprouve pendant cet ermitage printanier. Et en premier lieu, les sons. Le vent, les oiseaux marins, les craquements de la bâtisse, même sans orage ou tempête, l'animation sonore est constante. Ennui ? Non, pas un seul moment de calme, il y a toujours quelque chose à voir, écouter ou sentir. La nourriture aussi y a un autre goût, mélange d'algues et de sel en permanence. Et l'oeil du cyclope en haut de la tour, qui anime de son rayonnement circulaire les nuits obscures. Jusqu'à l'âne présent sur le domaine pour faire le pendant au phare, il est borgne !



Vingt-six courts chapitres pour nous emmener à chaque fois sur un thème particulier : la pêche, les repas, le sirocco, les étoiles, la poule solitaire, les goélands, les changements de gardiens, le jardin potager, les bateaux qui croisent au large, le secours à des marins de passage, les bruits non identifiés, et bien sûr les nombreuses digressions à la rencontre de ses voyages passés. Sans oublier le malvoisie, quel joli nom pour un cépage d'origine grecque, qui ravive les souvenirs et fait passer l'absence de bon voisin.

Ce confinement volontaire amène inévitablement à l'introspection et à l'observation minutieuse de cet environnement restreint. La précision des mots est chirurgicale, la prose est poétique, la navigation se fait sans GPS, la communication est intérieure, la connexion se fait avec les éléments, les réseaux sont zoziaux, le phare est projecteur de sentiments.

Pour conclure, ici l'intelligence n'est pas artificielle. Tant qu'il y aura des raconteurs de cette trempe, les algorithmes ne prendront pas le pouvoir des mots. La mémoire et les sensations sont humaines. Même si le voyage fut immobile, le témoignage est mobilisateur. A nous de faire perdurer les émotions.  
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La légende des montagnes qui naviguent

Paolo Rumiz s'intéresse dans ce voyage aux montagnes. Les Alpes tout d'abord, dont il cherche le début, quelque part en Croatie, mais personne ne semble savoir où ces fichues montagnes commencent. Il traverse ensuite plusieurs pays, avec le fil rouge de la chaîne montagneuse, des endroits secrets, le moins fréquentés possibles, qui ont gardé quelque chose d'une rudesse, d'un isolement d'origine, même si cela devient de plus en plus une gageure. L'Italie, la Suisse, un petit crochet par la France...le tout à une allure lente, pour avoir le temps de voir, de faire des rencontres.



Puis un deuxième périple, dans les Apennins, pour essayer de retrouver une Italie loin des circuits touristiques, dans un véhicule qui prenne le temps et qui éveille des souvenirs et de la sympathie, une voiture des années 50, une Topolino (sur les photos, cela ressemble un tout petit peu à une 2CV). Une voiture qui va forcément connaître quelques ennuis mécaniques, qui n'est pas étanche, ce qui oblige à des arrêts lorsqu'il pleut trop fort, qui bien sûr n'est pas climatisée. La conduire nécessite une dépense physique non négligeable. le voyage peut être une aventure de chaque instant.



Paolo Rumiz fait dans son voyage un inventaire de façons de vivre, de cultures en train de disparaître ou qui ont déjà disparues. de villages qui se vident, de régions qui se meurent. Une Italie qui cède de plus en plus aux sirènes de la mondialisation, en sacrifiant toutes les spécificités, toutes les habitudes séculaires, tout ce qui faisait son charme en somme. le récit de Paolo Rumiz est habité par la nostalgie de ce qui a été, ce qui s'est construit pendant des siècles, des lieux habités d'histoire et de souvenirs, qui disparaissent, s'effacent en quelques années. Un désir d'amnésie semble pousser désormais ses concitoyens dans une fuite en avant.



Un beau voyage, que le lecteur est heureux de pouvoir faire, avec pour guide un passionné, un connaisseur, qui nous montre des endroits dans lesquels on arriverait sans doute pas tout seul. Qui donne envie de partir sur les routes, en prenant son temps, sans trop de préparation, sans listes d'incontournables à voir à tout prix, sans appareil photo, pour rester disponible à ce qui arrive, pour pouvoir se consacrer à l'instant, sans vouloir à tout prix le planifier et le fixer autrement que par la souvenir.
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