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Critiques de Peter Handke (203)
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La courte lettre pour un long adieu

Un autrichien aux États Unis.....Un asocial arrogant au Pays des faux sociables,

" Et malgré mon désir d'être attentif et ouvert à ce qui m'entourait, j'évitais pourtant aussitôt quiconque venait à ma rencontre sur le trottoir, mécontent des autres visages, plein de mon vieux dégoût pour tout ce qui n'était pas moi-même."

Il a reçu une courte lettre de sa femme, qui a aussi débarqué aux E.U. et disparut, qui lui écrit simplement de ne pas la chercher. Lui écrivain, il y est en vagabond intello et cultivé, avec trois milles dollars en poche pour un voyage oisif......



Un road-movie en deux parties dont la forme est empruntée au septième art, et le fond s'appuie sur le western et le roman policier, le titre du récit faisant allusion à " The long good-bye" de Raymond Chandler. ( titre français " Sur un air de Navaja"),

Dans la première partie, "La courte Lettre", solitaire, introverti, l'angoisse existentielle du narrateur se déploie sur tout ce qu'il voit, regarde et observe.

Alors que dans la deuxième, "Un long adieu", il s'ouvre à autrui et aspire à changer d'identité.

Bref, énoncé comme cela, ça semble simple mais l'oeuvre de Handke est complexe, pas toujours facile à suivre dans ses réflexions. Il est souvent dans cet " AUTRE TEMPS", son espace à lui, où enfin débarrassé de sa nature toujours en proie à ses accès et à ses mesquineries, il voit plus clair, alors que nous lecteurs et lectrices beaucoup moins.



C'est un écrivain insolite, comme ses deux compatriotes Thomas Bernhard et Elfride Jelinek. Ce roman qu'il qualifie "d'un roman de formation trompe-l'oeil ", est en effet trop court et aucune moral ressort du parcours du narrateur, pour en être un vrai. Pourtant ce voyage en terre inconnu ( en fin de compte pas si inconnu que ça ) aux périples et secousses divers, sera bel et bien pour lui la voie d'une reconstruction de soi. Il atteindra une dépersonnalisation relative à laquelle il aspirait pour remettre les compteurs à zéro et quitter sa relation compliquée avec son Moi, " ce n'est pas de la compagnie que je désirais, c'était de ne plus me retrouver sur mon chemin". L'Amérique, où comme dit John Ford à leur rencontre, magnifique passage vers la fin du livre " Nous les américains, nous disons "nous".... Nous n'avons pas de relations aussi solennelles avec notre moi que vous", sera le catalyseur pour sa réconciliation avec ce Moi, son enfance et son mariage compliqués.



C'est un livre intéressant riche en références littéraires et cinématographiques, en rêves bizarres, en observations et réflexions intéressantes et même redoutables, qui bousculent notre zone de confort, comme celui du "couple d'amoureux", au début de la deuxième partie, "Un long adieu", où il nous relate superbement la complexité des relations humaines. Ce que nous béatifions ou voyons comme utopie souvent s'il s'avérait réel , peut se révéler malsain. Malheureusement le passage est trop long pour le mettre ici en citation.

Peter Handke n'est pas un auteur pour tous les goûts, mais si vous aimez les défis, êtes curieux ou curieuses, je vous le conseille.



Merci beaucoup Ambages, sans toi je ne l'aurais probablement pas lu, et ca aurait été trés dommage !



"Peut-être connaît-tu des gens...qui veulent toujours réduire tout ce qu'ils voient, même ce qu'il y a de plus étonnant, à un concept, qui veulent le dompter par une formulation et cessent ainsi de l'éprouver . Ils ont des mots pour tout."
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Le malheur indifférent

On en a jamais fini avec la mort d'un parent. Le deuil est un processus qui prend du temps et qui se réactive à intervalles réguliers. Je pensais pourtant en avoir fini avec mon déballage personnel sur Babelio de ce deuil qui a déjà colonisé deux de mes critiques. C'est sans compter les livres et leur propension à venir nous chercher sans que nous l'ayons voulu, à des moments étonnamment pertinents pourtant. Ce fut le cas de ce "malheur indifférent", récit du Nobel Handke écrit juste après le suicide de sa mère... et que je décide de commencer sans me rendre compte que je le fais le jour de l'anniversaire de ma mère, celui qu'elle ne pourra jamais fêter.



C'est assez fou de se rendre compte que cette lecture était programmée depuis le 16 septembre, puisque dans le cadre du challenge ABC du site, pour la lettre H. Je suis à peu près sûr de ne pas avoir particulièrement remarqué le sujet du livre, plutôt qu'il validait un Nobel et qu'il n'était pas trop long. Mais le battement d'ailes du papillon a amené cette lecture à la date du 25 Août, après la lecture du Paradis de Gurnah et sa lettre G.



Passons au livre lui-même maintenant. La démarche de l'auteur est touchante. Il vient d'acquérir la notoriété avec son "angoisse du gardien de but", adaptée l'année même au cinéma par Wim Wenders (excusez du peu...). Il se retrouve confronté à ce décès et ne voit qu'une façon d'y faire face, ce qu'il sait le mieux faire, écrire. S'agissant d'un suicide on se dit que le livre va être une recherche du pourquoi cette mort, mais au final il répond plutôt à celle du comment cette vie. Il est tiraillé tout au long du récit au risque de n'intéresser personne avec cette histoire si personnelle et également à l'écueil de tomber dans une description trop généraliste, d'en faire la vie de tout le monde. Tel un albatros baudelairien, il semble maladroit dans sa démarche, fragile et donc d'autant plus émouvant. Il rend un hommage au final très réussi à cette mère qu'on aura empêché de vivre son bonheur rêvé et idéalisé et qui n'aura donc pu que se contenter de ce malheur indifférent du titre.



Comme il fallait s'en douter, plusieurs moments m'ont tendu un miroir sensible, les regrets d'une vie qu'on aurait voulu pour elle plus aboutie, une personnalité qui se coule mal dans le moule que d'autres voudraient lui voir respecter, la maladie qui transforme les derniers instants et les derniers rapports... Heureusement, j'ai été aussi rassuré de ne pas la reconnaitre dans le malheur d'un mariage subi, content qu'elle ait pu ainsi goûter à un bonheur différent.



Je sais que l'auteur est diversement apprécié, notamment chez les Nobéliens que je fréquente. Cette première rencontre originale et fraternelle en fera forcément un auteur à qui je donnerais plus d'une chance de me séduire... surtout qu'il a déjà commencé à le faire !



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Outrage au public et autres pièces parlées

Pour écrire cet avis, une fois n’est pas coutume, je ne vais pas l’écrire, mais je vais honteusement plagier le texte d’une chanson de Vincent Delerm particulièrement en adéquation avec mon ressenti à la lecture d'Outrage Au Public :



« Niveau intensité quelque chose qui rappelle

Le programme d'EMT pour l'année de quatrième

Pourtant la mise en scène était pas mal trouvée

Pas de décor pas de costume c'était une putain d'idée

Aucune intonation et aucun déplacement

On s'est dit pourquoi pas aucun public finalement »



Bref, une très grosse déception (j'ai eu envie d'écrire " bouse intersidérale ", mais je me suis retenue au dernier moment) avec cette non-pièce de Peter Handke. Un non-intérêt très développé qui mérite donc franchement un non-public à moins d'être absolument fan des branlettes intellectuelles de bas aloi comme on en rencontre parfois dans les musées d'art moderne. Mais ce n’est là que mon non-avis, c’est-à-dire, non grand-chose.
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Essai sur la fatigue

En 1986, je suis partie en Allemagne pour plusieurs semaines de séjour linguistique. Après un lever aux aurores et je ne sais combien d'heures de voyage, je suis arrivée à destination vers minuit, dormant debout devant ma famille d'accueil, qui m'a gentiment parlé et posé des questions pendant le trajet jusqu'à la maison. Horreur : tout mon allemand s'était envolé, je n'étais plus capable de répondre que deux phrases : "Ich verstehe nicht. Ich bin müde."*Je devais être vaguement honteuse de ne pas pouvoir aligner plus de six mots, et en même temps tellement crevée que, de toute façon, un seule chose m'importait : dormir. Ce que j'ai fait jusqu'à très tard dans la matinée. Au bout de deux-trois jours, ma famille allemande s'est aperçu que j'étais une grosse bavarde et que la langue n'allait pas franchement être une barrière entre nous (ils ont dû être sacrément soulagés, ce qui fut hélas probablement compensé par mon manque patent de pratique sportive). Je suis revenue de mon séjour avec vachement plus de vocabulaire qu'à mon départ, vocabulaire que j'ai perdu à force de fainéantise au cours des trente-six années qui allaient suivre. En tout cas, je passais pour un génie des langues - au rabais, certes, et extrêmement paresseux, tout le monde s'accordait là-dessus - dans mon lycée. On passe un peu vite pour un génie, même au rabais, pour pas grand-chose, parfois (ça n'a d'ailleurs bizarrement pas duré). Und heute...**





Et aujourd'hui, en sus d'avoir oublié quasiment tout mon allemand, je me sens fatiguée, lasse, et atrocement stupide. Peut-être n'était-ce pas réellement une bonne idée de lire Essai sur la fatigue de Peter Handke alors que j'étais crevée. Mais après tout, j'étais bel et bien enchifrenée quand j'ai lu de la maladie de Virginia Woolf (bon, c'est vrai, j'ai triché : je suis enchifrenée toute l'année). Et puis c'était censé être court. Et puis j'ai pensé que ça valait la peine d'essayer, et que, comme la maladie, la fatigue était un sacré bon sujet. Or à cet instant précis, si je n'avais pas le titre de cet essai en tête, je ne suis même pas sûre que je me souviendrais de quoi il est question. D'ailleurs il ne s'agit pas de se souvenir. J'ai rien compris. Rien.





Alors oui, ça parle d'une fatigue d'enfance à l'église, et puis d'une fatigue d'étudiant, et de la fatigue de se retrouver ensemble, en couple (mais de quoi ça parlait exactement, cette fatigue d'être ensemble, en couple, je n'ai pas saisi, ça ne ressemblait pas du tout à ce que vos amis vous disent quand leur couple va mal, mais enfin pauvre idiote, est-ce que tu crois que Handke va parler de la fatigue du couple comme n'importe qui, évidemment que non, arrête de parler pour ne rien dire, surtout que visiblement tu n'as rien à dire du tout) et de moissonneuses-batteuses (je crois) et du peuple de la fatigue avec ses charpentiers, de la fatigue de faire des allers-retours avec des brouettes de ciment pour bâtir la nouvelle maison familiale, de la non-fatigue des bourgeois qui trouvent que la fatigue c'est pas classe, de la non-fatigue des employés administratifs, de la fatigue du travail de je ne sais plus quel métier du bâtiment (je crois), de la fatigue d'écrire, d'un lièvre qui se fait attraper et tuer par un chien, d'un serpent qui se fait massacrer à coups de cailloux par des enfants (l'auteur a expliqué pourquoi ces deux derniers passages atroces, seulement j'ai rien saisi, d'ailleurs "expliqué" n'est pas forcément le terme adéquat). J'ai oublié le reste.





C'est écrit sous forme de dialogue avec soi-même (je crois), avec de très longues phrases. Que j'aurais pu lire en allemand ou en n'importe quelle langue (en finnois, mettons, pourquoi le finnois me direz-vous, et pourquoi pas, hein ? Évidemment que ce n'est pas la langue de Peter Handke, mais est-ce bien important quand de toute façon on ne comprend pas ce qu'on lit ? Ah, vous faites moins les malins, là !)... Donc, j'aurais pu lire la traduction en finnois, vu ce que j'en ai retiré. J'aurais même pu apprendre quelques mots en finnois, tiens. Et je me serais sentie toute guillerette à l'idée d'en mettre plein la vue aux autres avec trois mots de finnois, au lieu de m'endormir au milieu du bouquin en me demandant "Comment peut-on ne pas comprendre un bouquin à ce point ?", de reprendre et de terminer la lecture le lendemain, tout en me demandant si lire Kant (en français, hein, parce que faut pas abuser non plus) était aussi pénible que dans mon souvenir (probablement que oui).





Qu'a voulu dire Peter Handke sur la fatigue ? Je n'en sais rien. J'ai tenu bon jusqu'au bout pour le découvrir, mais il semble que je n'aie pas le niveau. Et - est-ce l'effet de la fatigue que j'éprouvais déjà avant de lire cet Essai sur la fatigue et qui n'a fait que s'amplifier depuis ? -, je me refuse à penser que Handke a écrit ça juste pour faire le malin. Je suis persuadée qu'il avait un truc à dire. Et soit il fait mal passer ses messages, soit il est nécessaire de posséder certains prérequis pour saisir lesdits messages (il est évident qu'en cas de nécessité de prérequis, je suis hors-jeu). C'est pas grave. Ca faisait longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi idiote, mais ce ne sera pas la dernière, aussi un peu d'entraînement ne fait-il pas de mal de temps à autre.





Me 'zo skuizh...***

(Sur ce, je vais aller boire un bon coup de chouchen et me remettre au lit. En pleine journée. Oui. Danke**** Peter pour avoir fait de moi une alcoolique dépressive. Wunderbar !*****)







* Je ne comprends pas. Je suis fatiguée.

** Et aujourd'hui...

*** Je suis fatiguée... [en breton]

**** Merci

***** Vous avez tous vu Django Unchained de Tarantino (pas de "non" accepté), je n'ai donc pas besoin de traduire "wunderbar"
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La Nuit Morave

Je commence cette critique de La Nuit Morave en toute humilité, sans avoir la moindre idée de ce que j'en écrirai. J'en suis encore en train d'absorber, d'essayer d'en faire un sens. Mon impression est positive (très positive) mais je ne sais pas pourquoi ni comment. Dans tous les cas, c'est le genre de lecture qu ne laisse pas indifférent, dans un sens comme dans l'autre…



C'est un roman trop difficile à résumer. Je pourrais parler de cet ex-auteur qui vit sur une péniche sur le bord de la rivière Morave, qui se jette dans le Danube quelque part en Serbie, de son obsession du silence, de son colloque en Espagne, d'une femme dangereuse qu'il a rencontrée, etc. Même des grenouilles ! Ou bien de ces gens qu'il a invités et auxquels il tient à faire écouter son monologue. Mais cela ne ferait aucun sens. Et j'écris cela sans penser à mal. J'ai apprécié ce roman… je crois. Il est sans doute trop pour pouvoir en parler mais j'ai l'impression que ce sera tout aussi difficile dans une semaine ou dans un mois, voire encore pire.



L'essentiel du roman réside dans son style, celui de Peter Handke. Il y a ce mélange de voix, car parfois l'ex-auteur cède subtilement la narration à ses convives, oui. Mais surtout cet envoutant voyage imaginaire aux accents réalistes, parce que le «maitre» raconte son parcours à ses invités autant qu'il médite à voix haute. Il nous entraine dans ses souvenirs incertains, dans ses pérégrinations étrangement poétiques, oniriques qui mêlent le présent et le passé, le réel et le surréel, le soi-intérieur et la perception qu'on a du monde extérieur. Et puis il y a cette façon de décrire, de raconter, remplie de comparaisons et de métaphores, le tout dans un vocabulaire plus-que-précis. le plus singulier, c'est que chaque fois que je commençais à perdre le fil ou à trouver l'histoire trop complexe, l'écriture me semblait devenir plus accessible et simple. Comme par magie !



C'est un roman hors catégorie. le plus proche qui me vient en tête, et de loin ni sans vraiment lui ressembler, est l'oeuvre de Javier Marias mais même cette dernière contenait une trame narrative qu'on pouvait suivre avec une aise relative.



La nuit Morave, c'est le genre de bouquin qu'il faut absolument lire à tête reposée et tranquillement. Non, il ne faut vraiment pas se presser. Mais, paradoxalement, il ne faut pas en étaler la lecture non plus sinon, quand on essait de reprendre le fil, on est perdu dans cette histoire qui n'en est pas vraiment une, qui ne semble avoir ni début ni fin. Je sais, je sais, ce que j'écris n'a aucun sens. Mais c'est ainsi. Bonne chance.
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Souterrain-Blues

Je dois préciser qu'il est très rare que j'apprécie les pièces de théâtre contemporain en forme de monologue. Il y avait donc tout à parier que je n'aimerais pas Souterrain-Blues, mais comme je n'avais pas grand choix pour ce qui est du théâtre de Handke à la bibliothèque, j'ai tenté le coup quand même. Après tout, on peut toujours être agréablement surpris. C'est raté.





Un homme, dit "L'homme sauvage", monte dans une station de métro indéterminée, dans une ville indéterminée, et se met à invectiver les autres passagers pendant tout le trajet. Un trajet qui dure, qui dure, mais qui dure... Tout y passe, le maquillage de telle passagère, tel couple qui rentre chez lui, un homme qui va travailler, et ainsi de suite. Et tous les sujets, donc, y passent. Jusqu'à ce qu'une femme entre à la fin du trajet et renverse la situation, en adoptant la même attitude agressive que celle de l'homme sauvage.





Évidemment, on retrouve ces invectives que lancent d'individus en marge dans les rues de toutes les villes, qui sont forcément dérangeants au milieu d'individus dans la norme. Mais celui de Handke utilise un discours plus construit, qui semble dénoncer des tas de tares de la société. Un discours caricatural tellement il est appuyé et répété sous toutes ses formes à l'envi. D'où l'intervention de la femme à la fin du trajet. Et on retrouve tous les arguments qui nous servent à tous à pointer du doigt les problèmes sociétaux occidentaux. Seulement voilà, quel est le but de Handke ? Justement pointer ces problèmes de société ? Si c'est le cas, pourquoi faire un intervenir un second personnage qui démonte tout le discours de l'homme sauvage ? Est-ce qu'il s'agit de montrer au contraire à quel point on peut se montrer grotesque à pointer ces problèmes de société ? Je ne saurais trancher.





J'ai trouvé la pièce horriblement répétitive, franchement pas dérangeante (si là est bien le but de Handke ; je suis nettement plus dérangée par ses propos sur la guerre de Bosnie-Herzégovine), mais terriblement longue à cause de l'ennui que j'en ai éprouvé. Je n'ai trouvé aucun intérêt pour ce monologue qui se noie dans les clichés et qui ne me semble mener nulle part.

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La courte lettre pour un long adieu

« Une courte lettre... » de rupture de Madame



Un narrateur, européen, arrive aux États-Unis et apprend, par le petit mot de son épouse laissé à son intention lors de son arrivée à l’hôtel qu’elle ne veut plus le voir. Ce n’est pas qu’elle ne désire plus ; non, elle ne veut plus ! Au fil de la lecture on comprend que c’est allé très loin entre eux, jusqu’aux coups. Donc elle ne veut plus rien, sauf peut-être le tuer ?



J’avoue que je partais, en commençant ce roman, sur une idée préconçue (rupture, tristesse, désir, envie, souvenirs, regrets...) et qu’au fil des pages j’ai été très surprise car Peter Handke, en laissant parler cet homme va nous faire découvrir une partie de sa vie, comment il voit et ressent les choses depuis son enfance «  (…) je laissais en même temps monter le souvenir en moi. », mais également il évoque de nombreuses différences entre les sentiments des Européens et ceux des Américains, y compris vis-à-vis de leur pays.



C’est beaucoup plus que l’histoire d’une séparation d’un couple qui est presque passée au second plan, c’est surtout l’évolution du narrateur lui-même qui est évoquée au travers de son périple américain



« ...pour un long adieu » de Monsieur avec lui-même



« A Saint Louis, j'avais à ce point été déshabitué de moi-même que je ne savais que faire de moi. Seul avec moi, je me sentais de reste. » Il m’a semblé qu’il avait dit au revoir à ses souffrances enfantines, à sa manière d’être hors du reste des hommes, à son sentiment d’une existence sans prise avec le monde réel. « Est-il donc toujours nécessaire que je me mette en représentation pour qu’on remarque mon existence ? » C’était un homme en dehors de lui et ce voyage va lui faire prendre conscience de certaines choses, le faire changer.



J’ai eu du mal pendant les premières pages avec ce roman et puis la magie est passée et j’ai refermé le livre ravie de cette découverte très dense, prenante et qui interroge beaucoup sur nous-même finalement.
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La Femme gauchère

La femme gauchère est ma première incursion dans l’univers de Peter Handke. Je l’écris d’emblée, ce n’est rien qui m’a enthousiasmé. Heureusement que le roman est court, très court. Mais je ne me laisserai pas abattre si facilement, surtout que son auteur n’est l’homme que d’un seul roman.



Quand son mari revient d’un voyage d’affaires, Marianne lui annonce qu’elle le quitte. Un coup de tête ? Une crise existentielle ? Quoique, qand on est épouse et mère depuis trop longtemps, je peux comprendre. Ceci dit, elle recherche quoi au juste : le bonheur, la liberté ? Difficile à dire. La vie seule avec leur fils Stéphane ne l’effraie pas, elle reprend son métier de traductrice, elle rencontre des gens, etc. Mais ça ne semble mener nulle part parce que, à la fin, elle n’est pas plus avancée. Ça aura servi à quoi ?



Et le lecteur risque de se poser la même question. J’ai trouvé La femme gauchère plus que dépouillé, très aride. La façon de Handke de se référer à ses personnages à la troisième personne, par exemple «la femme» pour dire Marianne, je veux bien croire que c’était volontaire mais ça a créé une distance. J’ai trouvé très difficile de m’intéresser à elle, encore plus à m’y identifier. Pareillement pour les autres personnages. Du coup, leurs tourments intérieurs déjà peu explicités, je m’en balançais encore plus.



Si je n’ai pas accroché, ça n’enlève rien aux qualités du roman, que je peux entrevoir. Toutes les subtilités, l’analyse psychologique des personnages, même la référence tirée de Goethe à la fin, qui peut apporter un éclairage nouveau à cette histoire (je n’ose écrire intrigue). Pour moi, trop peu trop tard.
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La Femme gauchère

Un livre court et étrange.

L’ambiance y est particulière.

Lente, pesante et légère à la fois.

Une femme (ainsi nommée tout au long du roman)

Son mari Bruno

Un enfant (ainsi nommé aussi)

Un éditeur et son chauffeur

Une institutrice amie de la femme

Il ne se passe pas grand-chose.

La femme renvoie son mari.

Elle commence des traductions.

Non, vraiment, il ne se passe pas grand-chose.

Tout est dans cette ambiance, détachée, ralentie, ouatée.

J’ai pensé à l’ambiance et à la femme de « Moderato cantabile »

C’est tout à fait le genre de livre qu’on aime ou qu’on déteste.

Quant à moi, j’ai beaucoup aimé.

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L'angoisse du gardien de but au moment du p..

Dans le même registre, on tirera meilleur profit à lire Un homme qui dort de Georges Perec (ou toute la production de Jacques Sternberg, distillateur d'un absurde enchanteur).

L'un, pas le novateur de l'homme endormi, vous plongera dans une torpeur pélagique, l'autre éveillera en vous un enchantement insoupçonné.

A déconseiller enfin particulièrement aux amateurs de fouteballe (qui, de toute façon, lisent assez peu).
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Par une nuit obscure je sortis de ma maison..

Une belle plume, mais une lecture laborieuse d’un auteur nobélisé.



Premier contact avec l’Autrichien Handke qui a reçu le Nobel de littérature 2019. J’ai parfois été emportée par la qualité des descriptions, mais je ne me suis pas attachée à ce héros pharmacien qui parcourt la campagne. On ne sait trop quand il passe de la réalité à un univers onirique. Est-ce qu’il souffre toujours de l’ablation d’une tumeur au front ou bien des coups reçus par des inconnus ? À moins que ce ne soient ceux de celle qu’il appelle « la Victorieuse ?



Un roman énigmatique, peut-être pas le meilleur (ou le plus accessible) de l’auteur.

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La Femme gauchère

Comme toujours une très belle écriture et descriptions taillées au couteau, courtes, percutantes et justes.

Est ce que la liberté implique la solitude? Ne sommes nous pas tous assez seuls sans aller chercher plus d'isolement pour nous sentir "libres".

Qu'est ce que le bonheur? Certains disent le chercher mais sovons nous au moins ce qu'il représente.

Peter Handke ne pose pas de question il ne prononce même jamais le mot liberté dans ce court roman, mais c'est à nous lecteurs de nous poser les questions et aussi d'y trouver nos réponses parsque si vous attendez après Handke pour donner une réponse.... De toutes façons il n'a même pas posé de question, donc...

Plus je lis cet auteur et plus j'aime ses écrits et il m'en reste beaucoup encore à découvrir.
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Par une nuit obscure je sortis de ma maison..

Fils spirituel de Beckett et de Kafka, chez Peter Handke aussi le discours semble vouloir se départir des atours séducteurs du sens commun et se détourner des sentiers battus de la raison pratique.

Pouvoir le réduire à sa portion congrue, le dénoyauter afin de mieux en extraire la poésie métaphysique exilée au bord du trou sans nom qui l'avait engendré, et que ses tropes décoratifs s'échineraient à escamoter. Dépouillé ainsi de ses fonctions ornementales, constamment sur le point d'achopper ou de tourner en rond, ce dernier se voit dépossédé de son ascendant assertif et discriminatoire : le sens arbitraire que l'on accorde aux mots, les fausses évidences du langage comme vecteur de connaissance et de communication de nos pensées profondes et de nos vrais sentiments sont mis à nu.



Et pourtant, même si le lecteur peut se retrouver un peu désemparé face à quelque chose qui lui paraît d'emblée difficile à saisir, comme c'est le cas dans l'ouvrage en question, pour ce qui est des événements et des motivations en apparence très disparates conduisant aux agissemments de son personnage-narrateur au début du roman, le style direct sobrement descriptif de Handke, associé à une enchaînement de faits qui se développe de manière quasiment phénoménologique (les choses, un peu comme chez les deux pères spirituels du romancier, «arrivent», c'est tout! ) créent assez vite un contraste saisissant, et l'histoire s'accroche peu à peu, indépendamment de son sentiment qu'elle ne correspond à rien de communément admis (il s'agit en l'occurrence de celle d'un pharmacien qui quitte sans préméditation et sans aucune raison apparente sa maison, rencontre deux inconnus sur sa route et part sans destination précise en leur compagnie ) comme si, par un stratagème mystérieux le récit prenait corps en grande partie tout simplement du fait qu'il est en train de le lire..!



Le fait d'exister, ce qu'on appelle «réalité», ne serait-il au fond qu'une histoire lisible par quelqu'un d'extérieur, ensuite partagée, ou simplement murmurée à soi-même ?



«Du coup le conducteur eut l'impression que ce qu'il était en train de vivre là, et qui lui arrivait à lui et à eux depuis la veille, s'écrivait en même temps que cela se produisait, et qu'on pouvait le lire, mais ni dans un journal ni dans un livre. Cette impression-là ne lui était-elle pas déjà venue de temps à autre? Oui, à certaines heures de l'amour, du grand bonheur, comme du grand malheur (...)»



Alors que tout semble nous condamner irrémédiablement à une certaine forme d'impermanence, à l'évanescent et au provisoire, pouvoir se vivre en train de laisser une trace des histoires qu'on (se) raconte, ou d'être «lu et éprouvé» en dehors de soi-même, ou bien d'écrire en soi-même les histoires des autres avant qu'elles ne tombent dans l'oubli, n'est-ce pas là le défi qu'on se lancerait, auteurs confirmés ou simples anonymes, lorsqu'on cherche à donner un sens à nos existences éphémères?



Handke semble en tout cas porter à fleur de peau l'épouvante du délaissement moral et l'angoisse du silence aphasique, toujours menaçantes d'après lui, prêtes à surgir là où on ne les attend pas, quelquefois sourdement, d'autres violemment :



«Cesse de chercher ce qui est vivant, ici parmi les morts. Il te faut secouer ta mutité. Si tu ne parles pas tu en périras aujourd'hui même. Ton silence n'est pas du silence», s'entend dire le narrateur, après avoir quitté son univers confortablement morne, quoiqu'étriqué, «sorti de sa maison tranquille par une nuit obscure», parcouru des centaines de kilomètres en voiture, puis, à la fois angoissé et émerveillé par ce qu'il y découvrira, avoir traversé à pied, seul et privé de toute parole, une surprenante steppe en plein coeur de l'Europe.



La «steppe» chez Handke, en effet, bien que réelle et plus ou moins géo-localisable, ne se situe pas exactement là où l'on s'attendrait normalement à la retrouver, mais en l'occurrence entre Taxham, petite ville dortoir à proximité de Salzbourg d'où était parti notre pharmacien, et le sud de l'Espagne!! Cet étonnant paysage, situé à l'intersection et s'ouvrant de toute évidence sur un territoire interne, beaucoup plus immatériel et insaisissable, apparaît au narrateur comme une contrée «inépuisable», «angoissante», «parce que se refusant à toute image» : sa traversée ressemblera en tout cas davantage, comme il arrive souvent dans l'oeuvre de l'autrichien, à un voyage intérieur que proprement extérieur.



C'est probablement aussi pour ces raisons que le pharmacien de Taxham demande à celui qui doit écrire l'histoire de son parcours initiatoire jusqu'en Andalousie, malgré les réticences exprimées par le second, de bien vouloir garder le mot «steppe» tel quel : «Même ici à Taxham, explique-t-il, il y a la steppe ou comme on dit péjorativement un terrain «réduit à l'état de steppe», et pas seulement sur le remblai du chemin de fer et sur l'emplacement qui reste libre pour le cirque, qui de toute façon ne passe plus (...) C'était et c'est la steppe et cela doit s'appeler la «steppe». Et il faut que vous donniez l'envie de la steppe au lecteur de mon histoire et qu'elle fasse peur, avec mesure.»



Peter Handke est d'ailleurs lui-même bien placé pour savoir à quel point cela peut faire peur : né en 1942 en Carinthie (à l'instar de ses compatriotes Robert Musil, Thomas Bernhard ou Ingeborg Bachmann) province autrichienne ultraconservatrice située au carrefour de trois pays (Autriche, Italie et Slovénie), fils d'une mère issue de la minorité slovène et d'un soldat allemand - père qu'il ne connaîtra jamais -, l'on s'imagine facilement qu'il ait dû lui aussi, comme son narrateur pharmacien, avoir goûté «du champignon amer» pour survivre durant la traversée de sa «steppe».



Et cette lecture, serait-elle tout aussi éprouvante ? À certains moments oui, forcément! Toutefois, comme dira rétrospectivement le narrateur-pharmacien : «Là-bas dans la steppe, par moments, j'étais enthousiasmé par moi-même, étonnant pour un homme d'un certain âge et étonnant en particulier pour moi. Et croyez-moi ou regardez : on ne peut se fier à qui n'est pas au moins par moments enthousiasmé par lui-même.»



De retour chez lui, grand passionné de mycologie par ailleurs, le narrateur dit également avoir précieusement séché et conservé les champignons amers goûtés durant le voyage, tout en ayant extrait leur essence: très efficace, selon lui, contre «le sentiment d'irréalité et de folie, pour les beaux parleurs et les muets, et bon aussi contre la rance solitude»!



J'ai été pour ma part très sensible aux baumes mélancoliques et aux senteurs poétiques qui se dégagent de cette prose inventive.

D'une signature très singulière et personnelle, celle-ci, selon la formule magnifique trouvée par Georges-Arthur Goldschmidt, traducteur de la quasi-totalité de l'oeuvre de Peter Handke éditée en France-, «à force de concentration, parvient à ce point d'intimité où celui qui écrit bascule en celui qui le lit».



Une prose qui préfère aussi largement la suspension aux réponses toutes faites, les faux pas aux faux espoirs de rédemption, la liberté erratique de la steppe intérieure aux faux-décors sécurisants en carton-pâte, les faux mouvements (titre par ailleurs de l'une des nombreuses collaborations de Handke avec le cinéaste Wim Wenders) dus à des transports authentiques, aux faux-fuyants qui nous servent souvent de bouclier contre notre peur et contre notre désir de traverser les apparences.



"On se souvient généralement de la manière dont les rêves se terminent, mais presque jamais comment ils ont débuté. "





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La grande chute

J’admets d’emblée ne pas être un grand fan de l’œuvre de Peter Handke. J’ai lu six, sept de ses romans et, à une exception près, je me suis royalement ennuyé. Sa nomination au prix Nobel de littérature m’a poussé à me réessayer. Donc, je me suis lancé dans La grande chute, un de ses titres les plus récents. Eh bien, mon opinion n’a pas changé. Peu importe ce que l’Académie lui trouve, moi, je n’arrive pas à accrocher à ses romans. C’est trop flou, ça manque de consistance. C’est l’histoire de ce type, un comédien – un autre narrateur mystérieux parce qu’on n’en sait pas beaucoup sur ce personnage, même pas son nom – dont on suit les déambulations. Il traverse la ville, partagé entre ses observations et ses fantasmes. J’ai fait de gros efforts, au début, pour rester concentré sur ma lecture mais en vain. De temps en temps, j’émergeais de mon incompréhension pour me rendre compte que j’étais plus perdu que le comédien. À un moment, il était question de guerre et de Dieu et de je ne sais plus quoi. Comment est-il arrivé à de telles considérations? Je n’avais pas envie de revenir en arrière pour le découvrir. Pourtant, je suis curieux de nature face aux manifestations métaphysiques, à l’histoire et à la philosophie donc ce ne sont pas ces thèmes qui m’ont rebuté mais plutôt la manière dont ils ont été abordés. Je n’ai pas été sensible à la poésie ni à la beauté de la plume de Handke. Qualités que je ne nie pas, soit dit en passant. Seulement, il m’est extrêmement difficile de l’être quand je n’accroche pas à l’histoire. Bref, un autre rendez-vous manqué avec cet auteur encensé.
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La courte lettre pour un long adieu

C'est mon premier livre de Peter Handke, choisi par hasard sur les rayonnages de ma librairie préférée. J'ai été séduit par la 4e de couverture qui parlait d'une errance à travers les USA et d'une séparation amoureuse. Pour moi, le nom de Peter Handke est d'abord lié au cinéaste Wim Wenders, le cinéaste des "Ailes du désir" et de l'errance au moins jusqu'aux années 90. Le narrateur commence son récit à Providence, en Nouvelle-Angleterre. Ce sera le début d'un parcours qui l'emmènera jusqu'à la côte Pacifique. Au fil de ce road trip, l'ombre de son épouse, avec qui la rupture semble consommée, le suivra à chacune de ses étapes. Dans un premier temps il sera un fin observateur de ce qu'il voit, de ce qu'il traverse. Tout est potentiellement sujet d'observation, de description. Puis peu à peu, à partir de sa rencontre avec Claire, une femme qu'il a connu il y a quelques années, le récit va changer de registre et va se resserrer sur plusieurs références cinématographiques ou sur l'histoire de l'Amérique : Laureen Bacall, John Ford, Lincoln, les pionniers du chemin de fer... Et finalement la rencontre houleuse avec sa femme avec qui la séparation va pouvoir se réaliser. Il se dégage de ce livre une ambiance étrange. Bien souvent, je me suis demandé si j'étais dans le réel ou l'onirique. D'ailleurs le protagoniste nous fait souvent part du contenu de ses rêves. C'est un livre sur le questionnement sur soi, sur notre rapport à la vie, au monde, aux autres.

Même si le personnage est tout le temps en mouvement, sa manière d'être dans le monde qu'il traverse nous le fait paraître par instant, figé, rattrapé par les choses anodines dans la banalité du quotidien qu'il décrit. Est-ce que finalement, ce récit ne serait qu'un rêve ou un souvenir ? Dans un registre complètement différent, j'ai pensé pendant la lecture au "Nocturne indien" de Tabucchi. Une sorte d'errance à la recherche de notre propre existence. En extrapolant un peu (ou beaucoup), il y aurait presque quelque chose de l'ordre du mystique, comme une quête de soi, d'être en harmonie avec quelque chose qui nous dépasse. Peter Handke fut le scénariste des "Ailes du Désir". Cette histoire d'un ange qui décide de rester sur terre pour l'amour d'une femme. Dans ce livre, on peut peut-être s'interroger pour savoir où se situe le réel et le mystique/onirique. En tout cas, même si cette lecture peut ne pas convenir à tous/tes, j'en ressors un peu troublé.
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La Femme gauchère

Ce court récit incarne bien le style énigmatique de Peter Handke. Le comportement des personnages est étrange, leurs motivations obscures, même si elles se dévoilent quelque peu. Une certaine poésie se dégage pourtant de ce flou.

Pourtant le cadre n'est pas très enchanteur: un lotissement de banlieue dans les années 1970. La modernité technologique et commerciale a encore quelque chose de neuf et de rudimentaire: grands magasins, photomatons.

Au centre de la narration, la décision de la femme (Marianne) de demander à son compagnon de partir, une décision de vivre seule, qui suscite les réactions stéréotypées de son entourage, à l'exception du jeune fils, Stéphane.

C'est un texte sur la difficulté de vivre en conformité avec soi-même, d'affronter la solitude, peut-être sur l'impossibilité de vivre vraiment avec les autres. Ces autres ne sont pas souvent, ou pas du tout, appelés par leur nom, leur identité est surtout fonctionnelle.

On prend un certain plaisir à cette lecture, mais je n'ai pas retrouvé le charme de la Nuit morave. La saison hivernale et les années 70 y sont pour quelque chose sans doute.
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La Nuit Morave

Quel livre étrange et fascinant!

Ne soyez jamais sûrs de ce que je vais en dire: l'auteur s'emploie à brouiller les pistes et à nier ce qu'il a affirmé; on ne peut être assuré de rien.

Sur une berge de la Morava, rivière de Serbie affluent du Danube, est amarrée une péniche baptisée la Nuit Morave. Elle est aménagée en habitation et à la nuit tombée quelques personnes s'y rassemblent discrètement. Ils sont là pour entendre le récit d'un écrivain ayant cessé d'écrire il y a longtemps. L'ex-auteur raconte son errance dans différentes régions d'Europe, d'une île dalmate à l'Espagne, puis l'Autriche, pour revenir dans les Balkans. Mais les lieux ne sont pas clairement identifiables au premier abord. Ils se découvrent indirectement et progressivement.

Des épisodes sont marquants, comme ce pique-nique dans un cimetière dont il ne reste rien du fait de la guerre, ce congrès des malades du bruit, occasion d'une réflexion sur les sons de notre temps, la rencontre avec le premier amour sur l'île dalmate (bien du temps a passé!), le rassemblement des joueurs de guimbarde, la rencontre avec une femme (LA femme), entre terreur, attirance et évidence, et enfin le retour au pays. Quelques moments parmi bien d'autres.

Pourquoi l'écrivain a-t-il abandonné l'écriture? On croit comprendre qu'écrire l'empêchait de vivre, le coupait d'une vie "normale", d'activités partagées avec les autres humains, et surtout de l'amour. Mais rien n'est sûr.

La narration est assurée par un des assistants réunis sur la péniche. C'est donc le récit d'un récit. Avec la relative indétermination des lieux, cela donne au récit un caractère un peu abstrait, ou onirique, car la poésie en est rarement absente. En tout cas, l'errance se fait hors des sentiers battus, comme l'écriture de Peter Handke, qui nous emmène loin au-delà des évidences.
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La Nuit Morave

Des cailloux jetés contre les volets clos, une sonnerie brève de téléphone portable….voilà comment un énigmatique auteur invite ses amis pour un dîner sur la Nuit Morave, péniche sur laquelle il a trouvé refuge et qui est amarrée sur un affluent serbe du Danube, cachée par les forêts alluviales. Dans ces "Balkans aux mille frontières invisibles", "toutes mauvaises et profondément hostiles", cette péniche fait figure de havre de paix au milieu de la nuit sombre et inquiétante, bercée par les seuls croassements des grenouilles. Dans cette étrange atmosphère, celui qui a désormais abjuré l’écriture démêle avec l’aide de ses convives les fils d’un récit polyphonique qui retrace le périple de cet homme plein de tics et de manies à travers l’Europe de l’Ouest, entre errance poétique et horizons décisifs dans la découverte de soi.



C’est un récit étrange, puissant qui n’a rien de familier car à la voix des invités anonymes se mêle la voix profonde de l’ancien auteur révélant un regard singulier, onirique qui rayonne "d’une gravité recueillie". Il raconte durant cette longue nuit sombre, silencieuse et mystérieusement menaçante "son monde intérieur personnel comme le monde extérieur universel"… il raconte sa vie telle qu’il l’imagine entre impressions, questionnements et divagations au fur et à mesure de ses rencontres réelles ou imaginaires, de ses déplacements dans des lieux existants ou fictifs.

Si bien que parfois en tant que lecteur on a le sentiment d’être resté sur la berge alors que cet auteur solitaire et sans nom dérive au milieu de ses idées et de ses excentricités : c’est un récit éclaté explorant les possibilités humaines dans un style qui estompe les lois traditionnelles du temps et de l’espace du roman, il n’obéit à aucune trame linéaire, à l’image des pensées du conteur. Il y a par ailleurs chez l’ancien écrivain une obsession du mot juste, du "détail-étincelle", de la phrase lumineuse pour aboutir à une langue qui n’a rien de conventionnel.

Il décortique aussi bien les moments que les mots, il n’y a rien de purement instinctif.



Mais ce récit se révèle extraordinaire, envoûtant lorsqu’on marche dans les pas aériens de l’ancien auteur. Il appartient au lecteur d’accueillir la réalité de cet homme singulier, de se soustraire des frontières de la littérature pour percevoir quelque chose de l’ordre de la beauté rare.

On découvre alors un texte cohérent où les pensées et instantanés forment le portrait d’un homme désenchanté, nostalgique, en proie à un danger intérieur qui, à l’occasion de son voyage, se confronte à ce qu’il avait imaginé et qui s’était gravé en lui. Il y a réellement une trajectoire, un parcours structuré par la recherche d’un langage. Entre raccourcis et échappatoires imaginaires, il se confronte ainsi aux exigences de son histoire pour se débarrasser de convictions qui l’empêchaient jusque-là d’envisager une ouverture sur les temps à venir, du sentiment de culpabilité et de la solitude à laquelle il se croyait destiné.

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Histoire d'enfant

La lecture de Peter Handke est, a toujours été, des plus exigeantes. Comme lointaine de toute poésie en apparence, elle s'attache à décrire le quotidien, non pas de l'existence, mais son intellectualisation, son décorticage, sa compréhension. L'enfant est là, On ne l'entend ni s'exprimer, ni même courir sur le pavé. Est-on sûr seulement de son sexe ? Entre les lignes, j'ai pu deviner qu'il s'agissait d'une fille. Mais non ! Cet enfant n'a pas de sexe ! Il est l'enfant éternel que tout père tente de rencontrer. Et de cet enfant, on ne saura jamais rien qui ne soit réfléchi (comme dans un miroir pour reprendre l'image) dans les pensées de son père/narrateur.

Dire qu'il ne se passe rien dans ce roman est à la fois véridique et totalement hors de propos. Les rapports père - enfant sont ici continuelle découverte et tentative d'appropriation du vécu, sans aucune prétention ni sécheresse mais comme ce geste ultime qui consiste à vouloir à tout prix comprendre pour survivre, pour rester humain. D'un humanisme des plus pudiques donc qui cependant rejoint aussitôt l'universel.

Ce sont quelques phrases - souvent en fin de chapitre - qui atteignent, dirais-je, le sublime, c'est à dire, ce lieu où notre propre vécu et les mots que nous lisons forment une parfaite harmonie.





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Le recommencement

« Un jour, je me suis égaré – exprès, comme tant de fois, par curiosité, par désir de savoir – dans une steppe dépourvue de chemin, parcourue de taillis et d'arêtes de pierre. Je ne tardai pas à ne plus savoir où j'étais ; il n'existe de cette région, zone frontalière, d'autres cartes détaillées que des cartes militaires confidentielles. Des cent villages, comme c'est la règle lorsqu'on fait quelques pas à travers champs, le vent n'apportait plus aucun signe de vie, ni aboiements de chiens ni cris d'enfants (ceux qui portaient le plus). Je me battis pendant des heures, avec une ardeur désordonnée, faisant des zigzags entre les dolines en friche dont la terre rouge était parsemée de rochers blêmes et où jaillissaient çà et là les arbres de forêt vierge dont le sommet était au niveau des semelles du marcheur. Je pouvais maintenant parler de nature brute, j'éprouvais une bonne fois ce qu'était en effet, privé d'eau, ce territoire dans son ensemble : le désert à perte de vue, donnant simplement à croire par sa végétation qu'il était cultivable quand sans aucun doute, au souffle léger du vent, plus d'un familier des lieux y était mort de soif, avec peut-être dans l'oreille, jusqu'au dernier instant, le bruissement doux des frênes à manne dans lequel ruisselait à sa portée, comble de la dérision, un clair ruisseau de montagne. »



Filip Kobal, alors qu’il atteint ses quarante ans, se souvient de sa toute première errance en Slovénie au début des années 1960. A cette époque-là ce pays faisait partie de la république fédérative socialiste de Yougoslavie. Filip a la particularité de faire partie de la minorité slovène de Carinthie, tout au sud de l’Autriche. Issu d’une famille paysanne taiseuse et laborieuse, il souhaite s’en échapper et aspire à une vie plus aventureuse. Un recommencement, comme l’indique le titre.



Il part sur les traces de son frère aîné Gregor, mort pendant la guerre. Pour guide, il a emmené dans son sac marin un cahier de travail tenu par Gregor pendant ses études d’agriculture à Maribor, rédigé en slovène, langue que Filip ne maîtrise pas. L’autre livre de Gregor est un dictionnaire allemand-slovène.



Je retrouve le style exigeant de Peter Handke après une très longue interruption. Mon impression n’a pas beaucoup changé depuis ma lecture de « Le Chinois de la douleur » dans les années 1980. La narration de ce voyage dans des paysages tout à fait impressionnants, souvent déserts, montagneux puis karstiques, est d’abord intérieure. Filip trouve dans l’écriture à posteriori de ses impressions de jeunesse une sorte de justification.



L’écriture, les langues, les traductions sont au centre de ce roman aux forts accents autobiographiques. J’ai l’intention de poursuivre par les romans de jeunesse de cet auteur, parfois déconcertant mais qui possède réellement un ton unique.

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