Citations de Philippe Delerm (1401)
Acheter la couleur des jours, un nouveau pull d'automne.
Mais il y a des jours où l'on cueille le jour au moment flottant des possibles, au moment fragile d'une hésitation honnête, sans orienter à l'avance le fléau de la balance. Il y a des jours où l'on pourrait presque.
"Les mots qui vont au-delà de la mort ne sont plus du langage."
On aimerait garder le secret de l'or pur, et l'enfermer dans des formules.Mais devant sa petite table blanche éclaboussée de soleil,l'alchimiste déçu ne sauve que les apparences, et boit de plus en plus de bière avec de moins en moins de joie. C'est un bonheur amer:on boit pour oublier la première gorgée de bière.
Nous sommes tous en quête de lumière.Mais cette lumière passe sur les choses, les êtres que nous aimons. Ce que tu appelles un peu dédaigneusement le bonheur, c'est cette fragilité de la lumière qui s' arrête une seconde sur notre petit spectacle. Pour moi, la beauté du décor vient aussi du talent des personnages..
-Oui, reprit Soren en écho. La vie n'est pas si méprisable. On n'a encore rien trouvé de mieux!
Il neige au fond de soi, dans un hiver inaccessible où le léger l’emporte sur le lourd. La neige est douce au fond de l’eau.
Toile d'araignée
Une étoile d'araignée, c'est beaucoup plus qu'une étoile. D'ailleurs, cela n'en a pas la forme. Une structure inconnue, dont le mot étoile est le seul à pouvoir accrocher un peu la délicatesse lumineuse et dessinée. De la beauté pour faire surgir ces mots sur des lèvres d'enfant. Etoile. Araignée. Le pape est mort. Un nouveau pape est appelé à régner. Araignée, drôle de nom pour un pape. Mais quand les noms ne conviennent plus, ils se réinventent et souvent touchent précisément, en modifiant le monde : "Regarde, une étoile d'araignée !".
Dans sa tête, Mr. Mouse est au nord. Le climat très britannique de Brambly Town lui convient, avec ses pluies interminables qui donnent tout son sens au désordre parfumé du terrier du Chêne. Mais il rêve parfois de plus de nord encore, de plus de neige aux jours d'hiver, de printemps fulgurants basculant vers l'été en quelques jours, d'automnes plus poignants dont la splendeur ambrée précéderait six mois de solitude blanche.
- Il faudra quand même songer à changer ce fauteuil!
Mr. Mouse sait très bien pourquoi Mrs Mouse a dit cela. C'est à cause de ce geste. Il ne peut s'en empêcher. Chaque fois qu'il s'assoit dans le vieux fauteuil aux courbes moelleuses, Mr Mouse contemple d'abord les flammes de la cheminée dans une parfaite immobilité. Mais bientôt, négligemment, sa patte droite va chercher sur l'accoudoir cette déchirure du tissu rose et quelques brins de paille ébouriffés. Comment lutter contre cette insidieuse volupté?
On disait "Il a soixante-douze printemps. Elle a soixante-huit printemps". C'était gentiment ironique, cette façon de donner l'âge de quelqu'un. Sûrement parce que le printemps est la saison du renouveau, de la jeunesse des choses. Souligner que quelqu'un avait déjà traversé beaucoup de renouveaux, c'était à la fois mesurer l'ampleur de son passage sur terre et s'étonner d'une fraîcheur allègrement préservée, peut-être une façon de signifier aussi que sur lui, sur elle les saisons ne semblaient pas avoir de prise.
"Une feuille de Sacem peut se révéler plus délectable qu'un coulis de framboise. Une feuille de Sacem, c'est comme u pacte avec le diable"
(Ce soir je sors la poubelle)
Puis on ferme le sac d'un nœud bien sec.
Mais rien n'est mort.
Ils se reparleront ensemble, loin de nous, témoins à décharge.
La lecture n'est pas une écriture, mais une rencontre. Si nous vivions tous jusqu'à cent cinquante ans, qui sait si nos critères concernant la "qualité", le "littéraire", ne seraient pas profondément modifiés? J'ai toujours pensé que l'enfance était un absolu. Les premières lectures, comme les premières sensations, sont les plus fortes.
"Lire Proust est un concept. Pour ce
qui pratiquent cette activité, et en témoignent avec une espèce d'évidence gourmande, comme si son oeuvre était un autre chez soi où l'on aurait ses habitudes, une coquille protectrice...."
L'Oise. Un mot ailé,légèrement acide.Quand ils s'en vont jouer par là, c'est avec le sentiment vague d'être en faute. Une odeur un peu âcre annonce le plaisir de l'eau, lié à des barques vert sombre, à un café de plein air abandonné l'hiver.Une sourde émotion leur fait battre le coeur. Ils montent dans les barques enchaînées qui tanguent dans le délicieux vertige d'un jeu à peine défendu.
En redescendant vers Andlau, c'était presque incroyable de retrouver une brume aussi dense noyant le village. C'est bon, cette fumée de l'air dans la vallée du soir, cette écharpe de gris-douceur après le grand soleil de la montagne. Tout à l'heure, il y aura le bois chaud du caveau, le pinot noir dans un pichet de grès, peut-être une salade de gruyère et de cervelas,sans doute une tarte flambée, avec ce goût suret de la crème légère fondant autour des lardons frits. La vie est dure.
Ça me choque en tout cas de vivre dans une société où la mélancolie , la tristesse sont des fautes, qu'on avoue pas aux autres, et même pas à soi-même . Pour le reste... Je crois que je n'attends pas de la vie la même chose que toi. Je ne prétends pas être un sage capable d'arrêter le temps dans ce verre de vin traversé par un rayon de soleil, mais...
Des clients me demandaient tels souvenirs d'enfance - un de ces innombrables faux livres de mémoire où l'enfance est réduite à une collection d'anecdotes soigneusement enjolivées, où il suffit de tourner le robinet pour faire s'écouler une eau javelisée. Je me récriais, m'indignais. Et mes clients repartaient avec l'un des rares volumes qui en réchappaient : Du côté de chez Swann, bien sur , mais aussi Le Traité des saisons d'Hector Bianciotti, Mon enfance est à tout le monde de René-Guy Cadou, ou L'Enfance de Nathalie Sarraute.
On se surprend à marcher sur le bord du trottoir comme on faisait enfant, comme si c'était la marge qui comptait, le bord des choses. (p20)
En espadrilles, on est tout juste assez civilisé pour tutoyer le globe, sans l'appréhension rétive du pied nu méfiant, sans l'excessive assurance du pied trop bien chaussé.