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Critiques de Sándor Márai (470)
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Les braises

Trouvé par hasard à la célèbre Griffe noire, qui encensait cet auteur méconnu d'Europe de l'Est, interdit en Hongrie jusqu'en 1990, j'ai savouré ce petit bijou romanesque, qui par certains côtés m'a rappelé les courts romans de Stefan Zweig, que j'aime beaucoup.



L'intrigue est simple : seul dans son château, un général vieillit, attendant. "On se prépare parfois, la vie durant, à quelque chose. On commence par être blessé et on veut se venger. Puis on attend. Le général attendait depuis fort longtemps et ne savait même plus à quel moment l'offense et le désir de vengeance s'étaient transformés en attente."Or, un soir, on annonce le Capitaine, qui revient apparemment après 41 ans d'absence. 41 ans et 43 jours très précisément, compte le Général. Celui-ci se prépare à la visite de ce Conrad, dont on ne sait rien au départ; redonnant le luxe d'antan à son manoir, redisposant les choses telles qu'elles étaient il y a plus de 40 ans.



En attendant le dîner, le général se remémore le passé, et l'amitié très forte qui a uni deux garçons à l'Académie militaire, dès leurs dix ans. Il décrit une amitié très pure entre lui, fils d'un officier de la Garde, très riche; et Conrad, dont les parents ont donné tous ce qu'ils ont pu pour qu'il embrasse la voie militaire. Ils sont très différents, et pourtant : "Les deux enfants comprenaient qu'ils vivaient un moment privilégié, miraculeux de la vie".



Durant plus de 20 ans, ils se côtoient. Et puis advient la rupture. Et la fuite inexpliquée de Conrad dans de lointaines tropiques.



Une fois Conrad arrivé, le dîner commence mais se transforme rapidement en un monologue du général, qui déverse les pensées et l'amertume des 40 dernières années, passées seul depuis la mort de sa femme, à réfléchir à ce qui a pu se passer pour que leur amitié se perde. On se rend compte qu'il en est parfaitement conscient.



Mais cette histoire classique d'adultère est transformée par Sandor Marai en un véritable joyau de discours. Conrad est acculé par le général, ce dernier ne le laisse pas parler. Il avait simplement besoin de lui pour confirmer tous ses soupçons, qui s'avèrent vrais.



Au milieu de ce drame humain dont nous parvenons à la conclusion, le général montre également qu'il a beaucoup lu, beaucoup réfléchi sur la nature humaine. C'est grâce à ses lectures qu'il a pu comprendre les causes réelles de la fuite de Conrad. Conrad, si différent de lui, le parent pauvre, le musicien. A qui le général reproche d'avoir trahi alors que "l'amitié est le lien humain le plus noble."



Or l'habilité du récit est que l'on a en réalité deux narrations : la première, par le général, qui retrace l'amitié brillante entre les jeunes garçons. Et puis, au fil du discours, on découvre la véritable histoire, celle dont il n'a pas pris conscience au moment où elle se déroulait : que Conrad le haïssait pour sa richesse, sa réussite, alors que lui, artiste, n'a jamais aimé la vie militaire. Et lorsqu'une femme passe, Christine, c'est le général qu'elle épouse. A partir de là, aucune amitié n'est possible.



J'ai ressenti beaucoup de pitié pour ce vieux général qui se livre. On sent qu'il n'est pas très intelligent mais que ces longues soirées passées seules l'ont rendu sage. Il a conscience de la vanité de la vengeance qu'il veut exercer envers Conrad au cours de ce dîner, mais il veut aller jusqu'au bout, clore leur relation interrompue 40 ans plus tôt.



Dans un monde qui se disloque (après la Première guerre mondiale), les deux vieillards se haïssent avec lassitude, faisant le constat qu'ils sont toujours aussi différents. Cette différence se cristallise dans la musique, qu'adore Conrad, et que ne peux comprendre le vieux militaire : "J'abhorre ce langage secret dans lequel certaines personnes s'entretiennent, se communiquent des choses vagues, irrégulières, oui je pense souvent qu'il leur sert même à se dire des choses immorales."



Au final, vous l'aurez compris, c'est un roman très riche, qui m'a touchée et m'a fait réfléchir.



Un roman universel.



Un roman tranquille, sans violence. Un huis clos terrible pourtant. Un monologue de fin de vie. Une dernière parenthèse, et un soupir avant la fin.
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La Nuit du bûcher

Je n'aurais sans doute jamais chroniqué ce roman de Sandor Marai La nuit du bûcher si je n'avais pas lu l'excellente critique qu'en a fait Creisification sur Babelio. Talent méconnu de la littérature de la Mittleuropa, Sandor Marai mérite qu'on le lise à plus d'un égard. Il a eu en effet le triste privilège de connaître à travers l'histoire tourmentée de la Hongrie, les trois régimes totalitaires qui ont marqué le XXème siècle à savoir le fascisme italien le nazisme et le communisme. Deuxième raison pour lui rendre hommage, c'est une plume remarquable, incisive, subtile à tel point que j'ai relu en diagonale le roman pour mieux en apprécier les effets de style.

Ce roman contrairement à d'autres de ses écrits prend ses distances par rapport à L Histoire contemporaine car il nous transporte à Rome en 1598. L'Inquisition fait rage. On brûle allègrement les hérétiques. Et nous allons suivre les pérégrinations d'un jeune carme espagnol, mu par le désir de parfaire son expérience dans l'art de débusquer les hérétiques et leur faire subir le châtiment qui convient. L'un des moyens les plus "en vogue" en Italie est de faire "rôtir" les malheureux condamnés sur un bûcher sur la place de Campe de' Fiori, lors d'une "justizia", un vrai spectacle romain suivi avec ferveur aussi bien par les bourgeois que le petit peuple de Rome !

Cette peinture de la Rome inquisitoriale permet à l'auteur de rappeler les mécanismes à la base de tous les régimes totalitaires qu'ils soient d'origine religieuse ou politique :suspicion généralisée, pratique de la délation y compris au sein de la famille, condamnation de la littérature et de tout ce qui touche à la liberté de pensée et d'expression sans oublier bien sûr la pratique de la torture censée favoriser l'aveu d'une culpabilité qui ne fait aucun doute... pour les tortionnaires en tout cas.

J'ai vraiment apprécié la façon dont l'auteur nous fait entrer par glissements successifs dans la pensée des "gardiens de la Volonté Divine" - les hommes d'Eglise chargés de l'Inquisition - Il nous permet ainsi de suivre leurs grands discours où ils se coupent peu à peu de la réalité et s'enferment dans une logorrhée proche du délire. J'ai senti planer ainsi en arrière fond l'ombre de tous les "grands fous" de l'Histoire du XX ème et du XXI ème siècles.

Face à cette machine à broyer les corps et les esprits, un beau personnage de résistant : un prêtre apostat Leornardo qui va jusqu'au dernier moment refuser d'embrasser la Croix et offrir à ses bourreaux , son indifférence sans faille voire son mépris . L'acmé du roman sera pour moi cette magnifique scène d'une intensité poignante, où il renverra aux spectateurs l'image du Christ torturé sur la Croix. Temps suspendu, foule figée avant que ne s'abattent sur le supplicié les cris de haine... Derniers moments du supplicié qui ne regardera jamais vers le Ciel et restera seul dans sa solitude et son désespoir...

Dernier point sur lequel je voudrais insister c'est la lecture constamment décalée que l'on fait puisqu'à chaque instant le récit admiratif que le jeune carme nous offre est battu en brèche par la lecture critique que nous faisons de cette sombre période de notre Histoire européenne.

Cette contre-lecture est jouissive et c'est en partie pour cette raison que j'ai relu le roman en diagonale afin de mieux savourer tous les passages où à coup d'humour noir et au second degré l'auteur s'en donne à coeur joie !
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Les braises

Quatre étoiles parce que c'est un très beau livre, très bien écrit. Mais un avertissement pour monsieur Marai : quelques remarques stupidement sexistes émaillent son livre, et lui font perdre de son éclat. C'est une histoire d'amitié ; d'après M. Marai, les femmes sont incapables d'éprouver ce sentiment : je l'invite à lire d'outre tombe L'Amie prodigieuse, ou tout simplement à observer plus attentivement le monde. Il remarque de plus que très rares sont les femmes capables de dignité : alors là, c'est formidable. je ne vois pas d'où l'on peut sortir une telle idée ...Bref : deux avertissements pour M. Marai, qui ne sort pas non plus des cavernes puisqu'il a vécu dans la dignité jusqu'en ...1989. Mais comme je suis moi -même digne, je vais arrêter de critiquer papy pour ses errances d'un autre siècle (le siècle dernier...)

Donc, c'est une histoire d'amitié virile et digne entre deux aristocrates hongrois qui se rencontrent à l'école militaire. Enfin, digne...Quand le récit commence, les deux amis ne se sont pas vu depuis quarante et un ans. Visiblement, il y a eu une brouille violente, dont les braises, si longtemps après, couvent encore. On comprend très vite, si on a eu une expérience de la vraie amitié (donc si on est un homme...Donc je dois être un homme, moi...Il faut que j'en parle au docteur pour envisager des traitements hormonaux et une opération...)(Excuse-moi, papi, je me moque indignement) que sous la loyauté virile a aussi brûlé la possessivité, la rivalité, l'envie...Et que dans cette histoire d'hommes une femme a mis son nez indigne. Ou plutôt que les deux hommes ont fait entrer une femme dans leur couple amical, histoire de pimenter leur relation...Enfin bon, tout cela est très classique, mais rondement mené.

J'ai surtout aimé l'écriture de Marai, qui dépeint magnifiquement la Hongrie, physiquement et moralement. C'est aussi l'histoire d'un monde disparu et d'une loyauté disparue entre des hommes et un empire, un empereur. La nostalgie prend à la gorge. Les deux vieillards qui se retrouvent pour se perdre à nouveau n'ont plus rien depuis quarante ans : ni famille, ni ami, ni amante, ni empire, et pour l'un, ni maison, ni terre. Tout se mêle, histoire et Histoire, et une fois de plus le XXème siècle a tout dévoré.

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Les braises

En cherchant à offrir un roman  d'écrivain hongrois, je me suis rendue compte que je n'en avais en fait jamais lu ... Voilà chose faite avec Sandor Marai , écrivain du début du vingtième siècle !



Un vieux général, Henri , en son château dans la campagne hongroise, se prépare à recevoir à diner , Conrad, son ami de jeunesse ,  camarade de promotion de l'école militaire , qu'il n'a pas vu depuis 41 ans et 43 jours .



Deux vieux messieurs , face à leur passé, et pour Henri, enfin l'occasion tant attendue de connaitre la vérité , sa seule motivation pour repousser la mort .



Conrad a t'il vraiment eu l'intention de le tuer avant de baisser son arme et de fuir pour réapparaître après tant d'années et Christine, la femme d'Henry a t'elle été un simple témoin ?



Une histoire d'amitié, de passion et de trahison dans un long monologue, car seul s'exprime Henri, et le lecteur assiste comme Conrad à l'évocation du passé, et également au fur et à mesure des pages à l'évolution de l'état d'esprit du vieux général .



Plus alambiqué et moins flamboyant que Stefan Zweig auquel Sandor Marai est comparé , j'ai trouvé l'abord sans doute  plus complexe , mais je vais continuer l'exploration des oeuvres de cet excellent écrivain .
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L'Héritage d'Esther

C'est l'histoire d'une rencontre qui n'a pas eu lieu, d'une passion qui n'a pas éclos, entre deux êtres que tout séparait, deux existences ratées, l'une dans l'attente et la frugalité, l'autre dans le mensonge et l'excès. Mais qui peut affirmer que si Lajos, l'aventurier, l'homme sans morale, le comédien, et Esther, femme raisonnable, peu sûre d'elle, résignée devant l'adversité, s'étaient unis, leurs vies auraient été meilleures ?



La tragédie en effet est inscrite au cœur des êtres ; nous comprenons vite qu'il n'y avait pas d'issue. Que les vingt ans de fade tranquillité qu'Esther a dérobé à son destin n'étaient qu'une parenthèse. Que quoi qu'il arrive Lajos aurait été séducteur, menteur et voleur, incapable d'offrir le bonheur à une femme pas plus qu'un avenir à ses enfants. Un être fait de rêves et d'intentions mais incapable d'affronter la réalité. Et les conséquences de ses actes.



Ainsi, vingt ans auparavant, après avoir séduit Esther, il avait épousé sa sœur Vilma. Peur des responsabilités ? Fuite devant une relation qui l'engageait ? Puis il avait éprouvé des regrets, la sensation de se fourvoyer, le désir de retourner vers celle qu'il croyait aimer. Mais trop tard, sans compter sur la malédiction de la jalousie...la haine qu'il avait installée entre les sœurs. Après la mort de Vilma dont il a eu deux enfants, s'en est suivi une vie de bohème et d'arnaques. Jusqu'au jour où il revient pour s'emparer du dernier bien d'Esther.



Ce passionnant roman de Sándor Márai est une puissante étude de l'âme humaine qui nous tient en haleine jusqu'à la dernière page, une confrontation entre deux personnages qui garderont leur part de mystère, une réflexion sur ces êtres qui viennent perturber l'ordre établi en le menaçant de destruction mais sans rien proposer en retour. Lajos est une incarnation du nihilisme, symbole d'un monde qui tombe dans le chao. C'est le deuxième ouvrage que je lis de cet auteur et j'attaque le troisième sans tarder. Une magnifique découverte !

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La Nuit du bûcher

Fin du 16ème siècle en pleine Inquisition, un jeune carme espagnol quitte sa ville Avila avec d’autres pèlerins pour rejoindre Rome. Il a pour but de parfaire ses connaissances en matière de lutte contre les hérétiques auprès des Italiens. Il est reçu par le consulteur Robert Bellarmin qui accepte qu’il soit initié aux pratiques des hérétiques pour mieux les reconnaître et les punir, c'est-à-dire majoritairement les envoyer au bûcher…La force et l’intérêt de son récit c’est de décrire de l’intérieur l’état d’esprit de ces hommes, aveuglés par la foi, persuadés d’agir pour le bien de ceux qu’ils qualifient d’hérétiques, décrivant en toute bonne foi les tortures infligées pour les faire avouer, les procès expéditifs puis l’exécution en place publique. Aucune haine ne les anime, simplement une conviction d’agir pour sauver le monde et les hommes d’un fléau. Et pour cela tous les moyens sont bons : dénonciations, trahisons, enfants incités à dénoncer leurs parents, les voisins, les familles, tous doivent signaler le moindre faux pas, la moindre phrase suspecte…Un climat que l’on peut retrouver dans toute dictature basée sur la parole unique et la terreur. C’est là que l’histoire de Sándor Márai qui a connu le nazisme et le communisme rejoint celle de L’Inquisition car les mêmes mécanismes sont en œuvre.



Mais à la fin de son séjour notre carme va suivre la dernière nuit d’un condamné resté célèbre dans l’Histoire, Giordano Bruno. Et là, face à cet homme libre, que huit années de procès n’ont pas fait renoncer à ses convictions, il va être saisi du sentiment de l’inutilité et peut-être de la monstruosité de sa tâche…renforcée par une dernière conversation avec Robert Bellarmin et la lecture du « Manuel de l’Inquisiteur » de Nicolau Eymerich. Jetant le livre à l’eau, il choisit l’exil.



Livre puissant qui souligne l’extrême cruauté des hommes envers leurs semblables particulièrement lorsqu’elle sert une cause divine ou politique, en fait un pouvoir absolu qui s’arroge un droit de vie ou de mort sur tout individu, utilise la censure car les livres sont plus dangereux que les armes et la croyance beaucoup plus utile que la connaissance, et règne par la division. Et malheureusement toujours terriblement d’actualité.

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Dernier jour à Budapest

Daté de 1940, le roman a été rédigé dans une époque troublée, celle de la seconde guerre mondiale, pendant laquelle la Hongrie s’est trouvée dans le camp fasciste, dirigée depuis les années vingt par Horthy, qui a instauré un pouvoir autoritaire et conservateur. Márai, qui a commencé à publier très jeune, avec un grand succès, a adopté pendant cette période, la posture de l’exil intérieur.



Dernier jour à Budapest prend toute sa signification dans ce contexte : dédié à un grand écrivain hongrois de la génération précédente, Gyula Krúdy mort en 1933, qui a connu la Hongrie d’avant l’époque terrible dont date le livre, le roman est autant un hommage à Krúdy, que le rappel nostalgique, mi-remémoré, mi-rêvé d’un monde qui n’existe plus et qui se pare des couleurs chatoyantes d’un passé mythique et idéal. Le titre du livre résume très bien cette double thématique : le dernier jour de la vie de Krúdy, mais aussi le dernier jour d’une culture, d’art de vivre propre à Budapest, à la Hongrie.



Il s’agit donc de conter, ou plutôt d’inventer, le dernier jour de la vie de Krúdy. Un jour pendant lequel il va déambuler dans la ville, en parcourant les lieux qui lui sont chers, et en évoquant les souvenirs. Un lâche prétexte : Krúdy, en mal d’argent, comme il l’a toujours été, doit trouver une somme importante pour acheter une robe pour sa fille. Mais on ne se refait pas : il ne peut s’empêcher de festoyer, passer du temps avec ses amis, de jeter la somme péniblement gagnée par ses écrits par les fenêtres, de faire le grand seigneur. Dans ses déambulations, la ville de Budapest revit à l’époque de sa splendeur, les lieux, les gens de lettres et les habitudes littéraires passent, en vrai ou en souvenirs de Krúdy. Une façon de faire ses adieux, un manière de bilan aussi sans doute.



Mais au-delà, c’est aussi une sorte d’adieu fait par Márai à sa ville, à son pays. Parce qu’il ne trouve plus ce monde qu’il aimait dans la nouvelle réalité hongroise, et aussi, même s’il ne le sait pas encore, qu’il sera moins de dix ans après obligé de quitter physiquement cette ville et ce pays. L’exil intérieur sera suivi d’un exil réel et irrévocable. Cela donne un côté poignant à ce livre.



Je me suis lancée dans cette lecture parce que j’aime beaucoup les livres de Gyula Krúdy et que j’étais curieuse de voir ce que Márai pourrait faire de cette figure. Je trouve qu’il a parfaitement reconstruit l’ambiance des romans de Krúdy, son style, les errances de ses personnages, la nostalgie d’un monde en train de finir, le doux-amer des souvenirs plus réel que la réalité en train de se faire, le rôle central des mythes. C’est peut être un peu plus amer, et un peu moins lâche que la trame des romans de Krúdy, dont les fins sont souvent comme délavées, dissoutes.



Je ne sais pas comment ce livre peut être ressenti par des lecteurs qui ne connaîtraient pas du tout Krúdy et la littérature hongrois e, car il y a beaucoup de références aux auteurs et aux livres, mais pour ma part j’ai apprécié cette déambulation rêveuse et triste dans un monde en train de finir.
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Les braises

Merci aux Babélionautes et notamment aux participants au challenge 20ème siècle que j'anime d'avoir fait à multiples reprises passer le nom de cet auteur sous mes yeux au point d'attiser ma curiosité : il est absolument certain que je reviendrai me frotter à son oeuvre, après cette première découverte.

Beaucoup ont fait le parallèle avec le sublime Stefan Zweig; pour ma part, c'est aussi Joseph Roth que la tonalité et le contexte de 'Les braises' m'a évoqué, avec l'atmosphère fin d'empire de 'La marche de Radetzky', mais aussi 'Les Buddenbrook' de Thomas Mann, récit de la chute inexorable d'un ordre ancien vu à hauteur d'hommes. Ou encore sur le même thème 'Les Thibault' de Martin du Gard... bon, j'arrête avec les comparaisons, mais il est vrai que j'affectionne particulièrement ces grands romans marquant les tournants sociologiques du 20ème siècle.



Dans 'Les braises', ce contexte en toile de fond imprime une marque profonde sur l'intrigue au premier plan : un face à face, théâtral dans la mise en scène, de deux hommes vieillissants que tout oppose socialement, qui furent les meilleurs amis du monde dans leur jeunesse avant de se séparer pendant plus de quarante ans pour finir, au seuil de la mort, par lever le voile sur toutes les faussetés de leur relation.



Sur la forme, on assiste essentiellement au long monologue du meilleur né des deux, pur produit de l'aristocratie d'empire dont la première guerre mondiale a réduit la position et les certitudes en poussière, un homme abimé mais lucide qui a fini par comprendre que son monde a disparu et ne cherche plus que la vérité ultime liée à ses passions.

Même si j'ai été assez frustrée de ne pas assez entendre la voix et le regard contradictoire sur le monde de son interlocuteur, cet "échange unilatéral" d'une profondeur crépusculaire m'a subjuguée, et donné envie d'explorer en Sandor Marai un conteur de son temps.
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Les braises

Un livre très théâtral, Les braises..., même si j'avais du mal à voir Claude Rich dans le rôle du général, Claude Rich a une étincelle d'enfance dans le regard que je n'imagine pas du tout dans celui de cet Henri, fils d'un officier hongrois de la Garde impériale et d'une aristocrate française, qui depuis 41 ans attend cloitré dans son château familial le retour de l'homme, Conrad, qu'il avait désigné comme son "ami" . Et qui est parti sans rien dire le lendemain d'une journée de chasse, dont les évènements vont nous être dévoilés au fur et à mesure du roman. Il attend de savoir si ce qu'il rumine depuis 41 ans est vrai.

Voulais-tu m'assassiner, étais-tu l'amant de ma femme, savait-elle ce que tu voulais faire, et, surtout, m'as-tu toujours haï?



La force du récit tient finalement à l'absence de preuves et de réponses aux accusations. Nul besoin. C'est l'affrontement , après tant de temps, qui est important, que toujours l'un parle et l'autre se taise, l'un soit resté et l'autre ait fui.Conformes à ce qu'ils étaient enfants. Le dominant et le dominé. Le riche et le pauvre. Le soldat et l'artiste. Tout, sauf des amis, et à cela, Henri, coincé dans des valeurs bien rigides, n'avait pas pensé. Mais liés à jamais par tellement de non-dits.La complexité des relations humaines.



C'est remarquablement bien écrit ( et bien traduit), le récit est mené de main de maître , une chasse juste pour le plaisir après plus de 40 ans de gâchis.



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Les étrangers



Sandor Marai nous offre avec Les étrangers un de ces plus beaux textes.

C'est le récit à la troisième personne d'un jeune hongrois docteur en philosophie qui arrive à Paris à la fin des années 20, après avoir passé une année à Berlin où il n'a pas fait grand chose.

Le livre est composé de deux parties, la première étant consacrée à sa vie dans le Paris des années folles où il croisera de nombreux artistes, étrangers pour la plupart d'entre eux. Notre personnage, dont nous ne connaîtrons ni le nom, ni le prénom, a rêvé de cette ville sans trop savoir ce qu'il était venu y chercher. Il vit au jour le jour dans des hôtels miteux, sans aucun projet, ni recherche d'activités. Il ne semble pas avoir prise sur les évènements et les rencontres. Il ne sait pas ce qu'il fait là mais il sait qu'il ne veut pas retourner en Hongrie, ni donner de nouvelles à sa famille.

Il est entre parenthèses, préoccupé essentiellement par la gestion de son maigre pécule dont il ne reste rien à la fin de la première partie.

Il se fait quelques vagues relations avec lesquelles il arpente les rues et les cafés de la capitale et rencontre une jeune femme, Eva, dont les mains, qu'il a l'impression de reconnaître, l'attirent, comme les siennes, il l'apprendra plus tard, ont attiré Eva.

Ce sont ces mains d'ailleurs qui, dans la deuxième partie, l'agrippent pour le faire monter dans un train en direction de la Bretagne.

Changement de décor : nous sommes dans le Finistère, en bord de mer, et le couple nouvellement formé vit une étrange liaison. Les corps se parlent dans des décors incandescents mais les mots sont absents.

Cet épisode fait l'objet des plus belles pages du livre : description de la maison des pêcheurs où ils vivent, fêtes champêtres, feu de forêt, journées sur le bateau de pêche ou baignades dans l'océan. Nous ressentons le ravissement de Marai découvrant cette nouvelle contrée.

Etranger à lui-même, aux autres, à sa maîtresse, au pays, le jeune hongrois comprendra qu'il est temps de retourner chez lui.

Magnifique roman d'apprentissage où le cheminement du personnage passe par l'inaction, le déphasage, l'absence à soi et aux autres.

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L'Héritage d'Esther

Que regarde cette femme, debout devant la fenêtre ? me suis-je demandé en choisisssant ce livre présent depuis bien longtemps dans ma bibliothèque.



Et me voilà plongée dans un roman superbe et passionnant où Sandor Màrai réunit deux anciens amants, Esther, jeune fille amoureuse et abandonnée par Lajos séducteur rusé et insaisissable.

Elle l’a aimé passionnément et n’a rien oublié du charme de la rencontre avec cet homme beau parleur, séducteur et escroc. Un homme qui l’a trompée et volée. Et pourtant elle est décidée à l’accueillir comme il se doit et à accepter le sort qui l’attend.



Toute la force de ce roman réside à mon sens dans la narration et la mise en scène. L’auteur instille dans cet huis-clos, une impression d’étouffement et de soumission, comme si Esther savait qu’elle allait succomber aux volontés de Lajos.



Sandor Màrai est un peintre de l’âme humaine et n’a pas son pareil pour démonter les rouages psychologiques de drames intimes dans l’univers calfeutré de la bourgeoisie.

Magnifique lecture.



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Le miracle de San Gennaro

Conduire est un plaisir. Pas tant pour l’exercice en lui même, mais parce que cet acte suppose de partir dans une autre direction, une évasion. Surtout, depuis que je ne me déplace plus pour de stricts motifs professionnels, conduire est un plaisir…

Lire est un plaisir. Partir, découvrir, s’évader… Surtout lorsque la lecture ne vise pas une utilité matérielle…

Lire c’est souvent conduire une belle voiture de sport, une de celle que l’on ne possèdera jamais parce que la métaphore s’arrête au feu rouge des contingences financières et, surtout au panneau stop des représentations bien ancrées. Celle, par exemple, qui m’intime l’ordre de considérer les automobiles comme des substituts phalliques, et donc, par conséquent, de les refuser en tant que symboles de machisme. Ferrari rime avec a priori…

Pourtant, j’aime conduire… DS, 2CV, trafic aménagé et pourquoi pas Dacia et même Trabant.

Le miracle de San Gennaro, c’est un Truck massif, une de ces bestiasses que l’on croise sur les highways américaines avec en bande-son l’improbable rencontre d’ACDC et de Sibelius… Très fier de l’avoir dompté… Mais que ce fut difficile, j’ai fait craquer la boîte de vitesse, la carlingue a toussoté, le monstre de métal m’a subjugué… Un moteur d’une puissance inouïe, une force inhabituelle, des pistons par centaines, des durites à foison, l’admiration pour cette mécanique dont je me contentais d’admirer les effets faute d’en comprendre le fonctionnement, la diabolique articulation… L’impossibilité d’aller vite malgré les formidables potentialités du moulin… Dès le départ, cette centaine de pages, chronique d’un quartier napolitain, j’avais le sentiment de me trouver face à un tableau de bord splendide mais dont j’ignorais les fonctionnalités. J’appuyais sur des boutons, des manettes, soulagé de constater que je continuais de me déplacer.

Puis, j’ai pris un rythme de croisière avec des paysages un peu plus familiers, des réflexions sur le totalitarisme, sur le destin tragique de cette Mitteleuropa qui bascula du nazisme vers le stalinisme, sur ces individus ballotés par l’histoire qui choisirent ou subirent l’exil. Sur le GPS s’affichaient des itinéraires contemporains, échos tragiques d’autres drames… Pas la peine de m’étendre, vous devez posséder les mêmes cartes… Le trajet se déroula avec des haltes incontournables dès lors que l’on chemine en humanisme. La religion dressait ses tours et j’actionnais les essuie-glace pour discerner au mieux les enjeux de cet horizon. Les miracles, l’extase mystique peuvent égarer et commettre les pires forfaits. Mais, l’absence de sacré, le matérialisme exacerbé, à quoi mènent-t-ils ? Aux dictatures ? Au suicide ? Dans le siège de mon terrible engin, je regrettais d’avoir séché les cours de mécanique philosophique parce que le Miracle de San Gennaro vous entraîne sur des routes ou plutôt des pistes dignes de la Selva, traversant des jungles de références inconnues ou inhabituelles pour le cancre que je reste. Conducteur du dimanche, quoi !

Oui, mais un piètre pilote, gonflé de l’orgueil de revenir d’un voyage qui commence par cette phrase « Les personnages de ce roman, purement imaginaires, n’ont rien à voir avec des personnages réels ». Bien sûr, l’injonction est contradictoire : la lecture de la biographie de Màrai permet de mesurer que c’est bien son histoire qu’il nous raconte… Eprouvant et magnifique voyage… Heureux d’être descendu de cette vertigineuse cabine où j’ai transpiré autant que frissonné du plaisir de cette découverte. Mais comme disait l’autre « Et c'est tant mieux parce que je f'rai pas ça tous les jours… »

Alors, ça vous dit un trip en truck ?

Une suggestion, découvrez quelques citations sur Babelio, lisez le dernier chapitre (partie IV, chapitre 17) parce que ça ne « spoilera » rien du tout mais par contre c’est tellement limpide, ça vibre comme un V12, la promesse d’un ailleurs …

Si votre curiosité est titillée, attachez vos ceintures, bon courage et belle route…

Pour ma part, je vais me changer les idées au volant d’une petite berline, j’ai quelques courbatures. Mais, p… que c’est bon de sentir craquer ses articulations rouillées ! Ça veut dire que l’on vit encore…
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La Nuit du bûcher

Sándor Márai est sans aucun doute, avec Stefan Zweig, Joseph Roth et Arthur Schnitzler, un des plus grands écrivains issus de cette effervescence culturelle et artistique qui aura traversé la Mitteleuropa au début du XXe siècle. Témoin direct comme eux de la disparition de l'Empire austro-hongrois et, plus particulièrement comme Zweig et Roth, de la montée des totalitarismes, après avoir connu le succès et la reconnaissance de ses compatriotes, Sándor Márai sera lui-aussi contraint à l'exil, son oeuvre condamnée à un long oubli, avant d'être enfin réhabilitée (à titre posthume), reconnue et intégrée au patrimoine littéraire de son pays d'origine, la Hongrie.

Bénéficiant au départ, comme Zweig, d'une éducation bourgeoise (et aristocratique de surcroît, pour ce qui concerne Márai), à la fois cosmopolite, libérale et éclairée, il défendra longtemps un idéalisme dont les référentiels moraux et éthiques sont en train de se désagréger rapidement en Europe («Tant qu'on me laissera écrire, je montrerai qu'il fut une époque où l'on croyait en la victoire de la morale sur les instincts, en la force de l'esprit et en sa capacité de maîtriser les pulsions meurtrières de la horde», écrit-il, par exemple, en 1935).



Avec l'ascension progressive et spectaculaire des régimes fascistes et totalitaires sur une grande partie du continent européen, au fil des évènements dramatiques d'un siècle tourmenté et affichant le même âge que lui (Sándor Márai est né en 1900), son idéalisme, ancré dans de solides valeurs morales et dans la force de l'esprit humain, se verra peu à peu teinter d'un certain pessimisme et scepticisme quant aux capacités de l'homme à maîtriser ses pulsions de destruction.



LA NUIT DU BÛCHER (1974), n'est pas, malgré les apparences, une oeuvre dont les arcanes semblent totalement commodes à pénétrer, y compris par un lecteur avisé, habitué et amateur du genre. Présenté comme un roman historique autour de l'Inquisition à Rome à la toute fin du seizième siècle, rédigé sous la forme d'une longue missive adressée par un jeune carme, inquisiteur espagnol à ses frères condisciples de l'ordre crée depuis peu par St Jean de la Croix et qu'il avait laissés à Avila, d'où il était parti pour un long pèlerinage à Rome afin de venir s'instruire auprès de «l'Office suprême de l'Inquisition », haut-lieu «où on en savait davantage que partout ailleurs », ce récit pourtant tout à fait clair, classique, structuré, à la fois érudit et élégant (saluons au passage la belle traduction de Catherine Fay) risque néanmoins, une fois sa lecture entamée , de susciter très rapidement un vague sentiment de perplexité, voire de frustration chez le lecteur qui s'attendrait à un peu d'action, ou à des vrais récits de procès diligentés par le Saint Office, ou bien à des reconstitutions détaillées d'interrogatoires sous torture, voire pourquoi pas, à quelques dialogues chargés de sous-entendus entre inquisiteurs et hérétiques tout aussi emblématiques que celui pressenti par l'intervention ici de l'hérétique des hérétiques, Giordano Bruno , dont pourtant notre lecteur ayant déjà parcouru plus de deux tiers du volume, et probablement beaucoup moins vaillant qu'au départ, n'entendra en fin de compte le moindre son de voix !

C'est une lecture, de mon point de vue, qu'il ne faut pas balayer trop vite, à ne pas consommer trop «verte», au risque de paraître alors, non pas indigeste, mais tout de même quelque peu insipide...Certes, nous apprenons beaucoup de choses sur le protocole strict régissant la préparation des "giustizie" ("justices", nom donné aux exécutions publiques à Rome) et sur la confrérie chargée de leur encadrement. Néanmoins, il n'y pas d'intrigue à proprement parler, pas de grandes révélations ni de rebondissements spectaculaires, pas de héros clairement identifiables, pas la moindre trace de défiance envers la voix du maître, aucun acte ourdi dans l'ombre, aucun jugement silencieux susceptible de désavouer l'autorité suprême ou la doctrine du Saint-Office !



Sándor Márai, en fin observateur de l'âme et de la psychologie humaine, préfère attaquer le problème du mal par l'angle de la subjectivité de l'inquisiteur. Son approche se fait par le point de vue de l'homme qui a une croyance totale et absolue dans les valeurs qu'il prône et à qui «tout ce que le Saint-Office proclame et accomplit semblait naturel et juste, à l'instar d'un être raisonnable et sain d'esprit qui ne doute pas de la réalité de la nature, de la lumière du soleil ou de l'air».



Arrivé à Rome, notre jeune inquisiteur espagnol sera accueilli chaleureusement au sein de la charitable et sympathique Confraternita di San Giovanni Decollato. "Au couvent de Saint Jean-Décollé, ils attendaient minuit, le moment où arrivait l'émissaire avec la nouvelle qu'à l'aube il y aurait une giustizia sur quelque place publique à Rome et qu'on aurait besoin du travail des confortateurs cette nuit-là. Chacun de ces hommes était un croyant choisi pour sa dévotion. Aucun salaire n'étant attribué à cette besogne de la nuit, c'est gratuitement, avec générosité, qu'ils acceptaient d'accomplir, jusqu'à minuit et plus tard si nécessaire, le grand devoir qui consistait à fortifier l'âme de ceux qui partaient à la mort".

Le jeune carme espagnol (nous ne connaîtrons ni son nom, ni son âge exact) découvrira ainsi, peu à peu, lors d'un séjour fort agréable et instructif le fonctionnement de cette «confrérie charitable aux nobles intentions»!!



LA NUIT DU BÛCHER est généralement considéré comme un réquisitoire d'une grande subtilité contre toutes les formes de totalitarismes et contre l'emprise que ceux-ci sont susceptibles d'exercer sur la capacité de discernement des hommes. Fruit de l'expérience de vie de l'auteur, marqué profondément par la guerre, les régimes totalitaires, l'exil, la pertinence de cette analyse n'est absolument pas à être questionnée.

Il n'est pas nécessaire, semble-t-il, de rappeler qu'au cours de l'histoire de l'humanité aucun système de croyances institutionnalisé n'aura exterminé autant d'êtres humains que l'Eglise catholique. Les parallélismes idéologiques avec les systèmes totalitaires y sont nombreux : la déshumanisation de l'hérétique systématiquement recherchée, ce jusqu'au pied du bûcher, l'annihilation de toute volonté de résistance, les purges à grande échelle, la promotion de la délation, la condamnation de tout esprit critique et de toute diffusion d'un savoir s'opposant à la pensée unique... Sándor Márai nous rappelle d'ailleurs à propos de ce dernier point, en note de bas de page, le célèbre mot prononcé par Le Cardinal de Retz : «Les hommes ne croient rien tant que ce qu'ils ne comprennent pas». le message est clair : Circulez ! Il n'y a rien à comprendre, il suffit d'y croire !



Notre carme espagnol annonce d'entrée de jeu qu'il écrit sa lettre depuis Genève, en Helvétie. Pourquoi à la fin de son séjour romain, a-t-il décidé de ne plus rentrer en Espagne ? Serait-on en mesure d'espérer qu'un réveil de conscience sonne enfin pour notre "héros" inquisiteur ? A partir de quel moment le germe d'une dissidence peut s'instiller dans un esprit en état de «croyance absolue» ? Cesserait-on vraiment par ailleurs, d'une fois pour toutes, de croire en quelque chose d'absolu ? Quand l'homme cessera enfin de croire au mythe d'un «Seul Berger et un Seul Troupeau» ?

Et cessera-t-il un jour de vouloir créer, puis chasser l'hérétique ? Notre élève espagnol n'entendra-t-il au siège romain de l'Inquisition de la part de Son Excellence même, le Cardinal Bellarmino, que «bien que certains d'eux soient réduits en cendres, leur procès n'a pas de fin (...) il se peut que l'inquisiteur ait besoin de l'hérétique» ?



Au moment de sa condamnation, au bout de sept longues années de procès, Giordano Bruno n'intentera plus aucun recours, ne prononcera plus aucune parole. Tout au long de sa dernière nuit avant la giustizia, indifférent aux requêtes des confortateurs, il ne manifestera aucun repentir à l'approche du terrible supplice du bûcher, refusant d'embrasser le crucifix et de regarder ses bourreaux.



Sommes-nous irrémédiablement condamnés à la dialectique du maître et de l'esclave ? L'exil, qu'il soit extérieur ou intérieur, serait-il le seul moyen d'échapper à ce que Hegel avait appelé «la lutte à mort pour la reconnaissance» propre à la condition humaine?



«Chi' e vuol aper convien che prima mora» («Il y a une clarté que l'homme ne peut percevoir qu'au seuil de la mort») Michel-Ange.



LA NUIT DU BÛCHER est peut-être avant tout un roman de la maturité, de la lucidité et du désenchantement.





...

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Les braises

Si vous aimez la littérature, si vous n'avez pas lu Sandor Marai, lisez Les Braises

Nous sommes parmi les plus grands écrivains de tous les temps

L' histoire paraît simple. C' est la fin de l'empire austro- hongrois

Un très très vieux général attend la visite d'un ami très cher

Il y'a 41 ans qu'il attend cette visite qu'il sait inéluctable

Alors le général raconte avec beaucoup de tendresse et de finesse la belle amitié enfantine puis adolescente.Le texte est magnifique Dans ce contexte historique, la fin d'une époque impériale, les deux amis vont nouer une relation fusionnelle malgré la différence de statut social

J' ai rarement lu un texte aussi beau sur l'amitié

Un jour, le général voit son ami disparaître brutalement , sans explication

Plus de quarante ans après, il se retrouvent dans le château du Général

Commence alors un dialogue feutré pour expliquer cette séparation

Une histoire de femme aimée et maintenant disparue

Banal, direz-vous.

Pas du tout car le dialogue entre les deux hommes est d'une richesse infinie , quasi métaphysique

On y parle de l' amitié bien sur mais aussi de l' amour , de la loyauté, de la culpabilité, de la vengeance et du pardon sans oublier de l' importance des classes sociales dans cet empire finissant

Il leur faudra aller jusqu'au bout de la vérité

Après, la boucle sera bouclée.

Sandor Marai a longtemps été interdit puis oublié

Il est grand temps de le remettre à sa juste place parmi les plus grands

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Les braises



Dans un château un vieux général attend son ami qu’il n’a pas vus depuis 41 ans et 43 jours. Il se remémore leur relation.

Dans les dernières années de l’Empire Austro-Hongrois, ils se sont liés d’une amitié indéfectible dans l’établissement militaire où ils ont suivi leur formation. Pourtant beaucoup de choses les séparaient. Il appartient à une famille riche, tandis que les parents de Conrad ont fait de grands sacrifices pour leur fils. Ce dernier aimait la musique et les livres quand lui était mondain. Lorsque lui Henri s’est marié, leur amitié a perduré. Pourtant le lendemain d’une chasse où un événement inattendu a eu lieu, Conrad a quitté l’Angleterre.

Lors du repas et de la soirée partagés, le vieux général exprime ses réflexions à son ami Conrad qui essentiellement l’écoute et intervient peu. Pourquoi se sont-ils séparés ?

Un livre qui interroge l’amitié.





Je suis heureuse d’avoir enfin lu un livre de cet auteur auquel je pensais depuis un moment. Ce ne sera pas le seul.

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Les braises

Dans son château hongrois, Henri : Général retraité de l'Armée Impériale attend son ami de jeunesse, son condisciple de l'école militaire de Vienne !

Il demande à sa vieille nourrice de préparer à cet effet un souper dans la tradition de ceux qu'il prenait 41 ans auparavant.

Il se souvient de leur amitié indicible, des jours heureux passés à Vienne ou dans le château quand ils étaient jeunes, puis le trio qu'ils formaient avec Christine, son épouse !

Une 1° de couverture avec une belle aristocrate et, l'on devine pourquoi Conrad a voulu le tuer et ensuite pourquoi il s'est enfui, a démissionné de l'armée !

Henri était un riche comte , fortuné, brillant qui fréquentait l'Empereur, aimait la chasse et pratiquait l'équitation mais Conrad était modeste et surtout désargenté, il aimait la musique comme la mère d'Henri, comme Christine : des êtres" différents " ! Au contraire Henri , comme son père représentait les valeurs de l'ancien monde fait d'honneur, de courage et de vérité.

Un huis clos, un face à face va s'installer entre les 2 vieillards à la lueur des "chandelles qui brûlent "( titre exact du roman ), et Henri va harceler de questions son ami, le pousser à dire une vérité qu'il soupçonne depuis longtemps, le Général mènera l'interrogatoire avec un Conrad qui ne dit quasiment rien..

En effet, Conrad a fui lâchement en Malaisie et lui, a fui dans son pavillon de chasse laissant son épouse , seule au château sans se soucier d'elle jusqu'à sa mort 8 ans plus tard !

Un roman dans un style élégant, fluide , raffiné qui nous fait vivre ce " duel" oratoire, avec une analyse poussée de la psychologie des 2 hommes, de la valeur de l'amitié et finalement, l'obsession de ce Général qui réalise peu à peu qu'il a ruminé pendant 41 ans pour une victoire dérisoire et sans lendemain ! C'est Sandor Marai ( qui comme Stefan Zweig ) et tous les auteurs de son époque analyse avec justesse et lucidité l'écroulement de l'Empire Austro-Hongrois , les dernières décennies du XIX siècle, la guerre et l'annonce du grand chaos qui va faire chavirer l'Europe.







L.C thématique de Mai : littérature étrangère

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Libération

J’ai été agréablement surpris par ce roman, Libération. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, en fait je n’avais pas vraiment d’attente. Ce n’était qu’un énième livre de Sandor Marai, un auteur que j’affectionne particulièrement. Avec un titre pareil, je me doutais qu’il s’agissait de la libération de la capitale hongroise. C’est tout. Eh bien, au lieu de suivre des péripéties guerrières, on s’attarde sur le point de vue des civils. Le roman s’ouvre sur Elisabeth Sos, une infirmière dans un Budapest encore occupé par les Allemands. Il y a des rafles, les Juifs se cachent, et tous ceux qui se montrent ouverts à leur endroit – ou bien des libres penseurs – sont en danger. C’est le cas du père d’Elisabeth. Après s’être réfugié quelques mois à la campagne, il s’est risqué en ville et elle doit lui trouver un abri sécuritaire. Puis les Russes arrivent, ils bombardent Budapest mais les Allemands sont décidés à protéger chaque mètre carré de la capitale. Avec les bombardements, les immeubles qui s’écroulent, les habitants cherchent refuges dans les sous-sols. Ça devient un mode de vie, enfermée avec des étrangers, comme des notables, le charbonnier, etc. S’ensuit les suppositions sur l’ « après ». Les Russes seront-ils pires que les Allemands? Imposeront-ils un régime communiste? Le notable et le charbonnier s’entendront-ils toujours demain, ou le deuxième supplantera et spoliera le premier? La méfiance s’installe, les passions se déchainent. Puis les Russes arrivent et l’intrigue fonce vers son dénouement à la vitesse grand V. Le roman se lit très bien, je l’ai achevé en trois jours. Il est à la portée de tous, je crois. Aussi, malgré l’atmosphère oppressante dans laquelle les personnages vivaient, Libération ne m’a pas paru excessivement sombre ni lourd. C’est un tour de force de Marai, bien que ce roman ne soit pas un de ses meilleurs, selon moi. Dans tous les cas, il constitue une lecture qui plaira à ceux que cette époque de l’histoire intéresse.
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La Nuit du bûcher

En 1598, un jeune moine castillan, originaire d'Avila, séjourne à Rome pour quelques mois chez ceux qui sont devenus maitres dans l'art de l'inquisition, il est là pour observer leur méthodes et les transmettre à ces frères en Espagne , nous appellerions cela "stage de perfectionnement" à notre époque . C'est un élève appliqué qui commence par apprendre l'italien puis assiste aux  veilles des "confortateurs", des hommes , certains laïcs, qui se réunissent pour inciter au repentir les hérétiques et vérifier  la sincérité des conversions .



L'inquisition, dans ce roman n'est en fait qu'un prétexte, un exemple historique du totalitarisme dans toutes ces formes, là, en l'occurrence la religion catholique pour un écrivain qui a fui sa Hongrie natale devenue communiste après avoir été nationaliste et proche du troisième Reich .



On ne peut s'empêcher de penser également à l'Holocauste lorsque le Padre Alessandro explique au jeune moine que les sentences individuelles ne suffiront pas ...

L'arrivée de l'imprimerie est perçue elle aussi comme dangereuse car échappant au contrôle de l'église et par la diffusion plus facile des oeuvres considérées comme hérétiques ou païennes  , on est pas loin des bûchers de livres .



On sait d'emblée que le moine ne retournera pas à Avila, qu'il choisit l'exil à Genève ; les raisons de son revirement ne sont pas uniquement dues , comme le résumé de l'ouvrage le laisse supposer ou la traduction du titre, à la dernière nuit avant son exécution de Giordani Bruno , un religieux qui ne renie rien et ne se laisse pas fléchir par les propos des confortateurs , ce qui ébranle fortement le jeune castillan , c'est un processus beaucoup plus complexe , lent et insidieux qui, à mon avis, vient aussi de sa dernière conversation avec le cardinal Bellarmin, celui qui l'avait accueilli lors de son arrivée et dont les paroles avant son retour en Espagne ouvrent une brèche dans la certitude du jeune homme , cela rejoint les convictions de l'écrivain lorsqu'il a lui même choisi l'exil comme le moine dont il nous conte l'histoire : la liberté de penser que l'on ne peut ôter à l'homme même en l'incarcérant, en muselant sa parole ou en le condamnant au feu du bucher !



Une écriture remarquable et un sujet de réflexion qui est toujours , malheureusement d'actualité .



Je vous encourage à lire ce texte parfois un peu ardu mais si marquant .
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L'Héritage d'Esther

"Après 20 ans d'absence, Lajos revenait chez lui....il devait quelque chose à tout le monde-argent, promesses, serments!"

Esther, la narratrice, trois ans après l'ultime escroquerie de l'homme qu'elle a jadis aimé, qui s'est marié à sa soeur dont il est veuf au présent, raconte comment il l'a "dépouillée de tous ses biens" lors de leurs retrouvailles après une longue séparation.

Sandor Marai, écrivain hongrois du XX° siècle,à l'écriture flamboyante,sait faire monter crescendo la tension dramatique car la violence couve sous les cendres du passé de ce premier amour ravageur sur fond de rivalité (on pense à son roman: Le premier amour). Il se base (comme pour Braises) sur la confrontation de deux êtres qui se sont perdus de vue et utilise (comme dans La Conversation de Balzano) le personnage d'un séducteur sans scrupules.Voilà un beau portrait de fourbe "dépourvu du sens des réalités", "dépensant sans compter", conscient de sa supériorité, désinvolte,fanfaron,farfelu,menteur...un vrai danger surtout pour une vieille fille esseulée et toujours amoureuse!

Quel talent pour analyser la relation complexe qui unit deux êtres! Un talent qui évoque celui de Stefan Zweig dans Le voyage dans le passé.

"Le monde est un théâtre" disait Shakespeare et ce Lajos là est un sacré comédien, un manipulateur sûr de son pouvoir qui sait trouver la faille de l'autre pour l'assujettir.

Comment une femme saine d'esprit, peut-elle se laisser à nouveau bafouer ?

Il suffit de lire L'héritage d'Esther pour comprendre que l'amour est parfois un sortilège envoutant. Est-ce ainsi que les gourous soumettent leurs disciples?

C'est triste et nostalgique car l'amour est échec et désillusion mais c'est beau car Esther, sans écouter sa raison donnera tout jusqu'à son héritage!
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Les mouettes

J’ai pris un grand plaisir à la lecture de ce livre légèrement mystérieux qui ne se dévoile pas totalement et c’est justement ce que j’aime.

Nous assistons à la rencontre d’un haut fonctionnaire et d’une jeune femme, réfugiée finlandaise soucieuse d’obtenir un visa.

Il est subjugué par cette apparition, persuadé qu’il s’agit de celle qu’il a follement aimé et qui s’est donné la mort.

Pour tenter de comprendre, il prolonge cette rencontre en l’invitant à l’opéra, avant de l’emmener chez lui.

Ce livre est lent, il ne se passe pas grand-chose et c’est ce qui fait son charme. Pour les deux personnages, le temps s’arrête durant quelques heures, les mots se font rares laissant la place au mystère et au non-dit.

Sandor Marai m’envoute livre après livre.

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