AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Sándor Márai (470)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Le Premier Amour

Après avoir découvert Sándor Márai avec le court roman L'héritage d'Esther il y a quelques mois, que j'avais plutôt aimé, j'ai décidé de poursuivre ma découverte et de m'orienter vers une oeuvre un peu plus longue. J'ai choisi le premier amour car le résumé m'avait beaucoup plu et surtout il montrait que le livre ne tournait pas seulement autour d'une histoire d'amour, contrairement à ce que le titre laissait penser, mais d'abord autour de la solitude d'un homme. (Ceci dit l'histoire d'amour est tout de même mentionnée)



C'est donc l'histoire d'un homme de 54 ans, professeur de latin au lycée dans une petite ville d'Hongrie. Un homme fort solitaire, peu sociable et replié sur lui-même, qui décide un jour de commencer une sorte de journal intime qu'il appelle cahier.

Voilà grosso-modo la trame de l'histoire, car il n'y a littéralement rien d'autre, pas d'action ni de rebondissements ou d'événements marquants. Seulement un homme seul qui se parle à lui même jour après jour. C'est lent. Et c'est là je trouve toute la force de ce roman et également la raison pour laquelle il m'a tant plu. C'est beau la lenteur.

J'ai eu peine à croire de Sándor Márai ait écrit ce roman à 28 ans... une telle capacité de dissection des émotions humaines est absolument remarquable, mais surtout comment peut-on à 28 ans se glisser aussi bien dans l'esprit d'un homme seul de 54 ans ? Prodigieux.



Ce roman m'a plu et ému à bien des égards, mais tout d'abord je me suis attaché au professeur. Cet homme à la vie bien rangée, bien calculée et pourtant si vide au sens on la société l'entend ; ni famille, ni amis, ni amours, et pourtant il semble à l'aise dans ce mode de vie choisie, rythmé seulement par ses cours au lycée, ses visites au "Cercle" (sorte de club), et ses promenades quotidiennes solitaires. Cependant avant la rentrée scolaire il est parti quelques jours en "vacances" (la première fois depuis 30 ans) dans une station balnéaire, là bas il a fait la rencontre d'un homme singulier, Timar, qui va malgré lui, énormément le marquer et l'émouvoir. Et c'est à la suite de cette rencontre et à son retour chez lui que va commencer une sorte de chamboulement intérieur qui le poussera à continuer à écrire dans son cahier.

On va donc lire tout au long de l'année ses tribulations, ses remises en questions, ses doutes et ses peurs. Mais aussi ses réflexions sur la vie, sur la vieillesse ou sur la mort. Sans oublier ses tracas quotidiens avec ses élèves et ses collègues. On va découvrir un homme extrêmement touchant, plein de tolérance et de bonté, malgré quelques "rudesses" due à son asocialité.

Un homme qui essaie de se comprendre lui même et de mettre des mots sur ses maux.

Puis c'est à plus de deux tiers du roman que l'histoire d'amour commence à se profiler à l'horizon, aussi foudroyante qu'inattendue sur fond de rivalité écolière, elle va finir de chambouler ce cher professeur. Même si le roman aurait pu tout aussi bien se terminer sans histoire d'amour qu'il m'aurait toujours autant plu, je dois avouer que ce léger "rebondissement" m'a plutôt scotchée.

La toute fin du roman m'a laissé un peu perplexe je dois dire... j'ai eu l'impression que certaines choses n'avaient pas été éclaircies (ou est-ce moi qui n'ai pas compris ?).



Bref, un roman beau, profond et d'une psychologie rare. Un coup de coeur.

J'avais eu l'occasion d'entre-apercevoir le talent de Márai dans L'héritage d'Esther mais là, c'était vraiment autre chose. J'ai plus que hâte de me ruer sur ses autres oeuvres !
Commenter  J’apprécie          185
Les mouettes

Un homme d'environ 45 ans est à son bureau. Il paraît calme, il s'interroge sur le mal que peuvent faire les hommes sur d'autres hommes. Nous sommes à Budapest à la veille de la seconde guerre mondiale.

Pendant ce temps, une femme gravit les escaliers, son pas est léger comme celui d'un oiseau. Elle attend derrière la porte qu'il la reçoive. L'homme ouvre la porte, il est pâle puis tout à coup il reçoit une joie foudroyante en la voyant. Une curiosité infinie s'empare de lui. Il se demande pourquoi ce double de l'être aimé, morte il y a 5 ans, réapparaît. Ce n'est pas sans raison qu'elle se tient là, devant moi pense-t-il ?

Aino Laine, la jeune femme qui se tient devant lui a environ 22 ans, elle est venue le voir pour qu'il l'aide à avoir un visa ainsi qu'un permis de séjour, car fuyant la Finlande elle veut travailler en tant que prof de français et d'anglais en Hongrie.

Elle vient de loin, les mouettes viennent aussi de loin, l'homme trouve que son regard est indifférent et cruel comme les yeux des mouettes. Aino a quitté son pays à cause de la guerre. J'ai bien ressenti cette grande souffrance à travers ces belles lignes, lorsqu'elle raconte comment une bombe a détruit sa maison en emmenant tous ses souvenirs d'enfance.

Ils se donnent RV à l'opéra.

L'homme déambule dans les rues puis s'arrête dans un café. Il se souvient de l'être aimé, Ili, elle lui avait demandé s'il voulait mourir avec elle sur le ton de la conversation, il s'interroge sur cette question diabolique. Pourquoi s'est-elle suicidée, était-elle possédée par cet homme (qu'elle aimait), chimiste, l'aurait--il manipulée, déstabilisée jusqu'à perdre ses repères, l'aurait-il amenée insidieusement à un comportement suicidaire ?

Leurs échanges se poursuivirent après leur soirée à l'opéra. Il voudrait que Laino se souvienne, mais elle ne comprend pas.

Pour l'homme rien n'est fait au hasard, qui t'a envoyé, Aino Laine ? Dieu ?

Je me suis retrouvée dans le royaume des contes avec ce livre. Un conte où règnent le merveilleux, le réel enveloppé d'irréel avec un zeste de spirituel !! Il y a une magie dans ce roman où les éléments célestes et quotidiens se mêlent. Le mystère est omniprésent, c'est un voyage au pays des âmes car Sandor Maraï s'interroge sur le sens de la vie, l'envol de la jeunesse, sur Dieu, sur l'Amour et sur la Mort.

Sandor Maraï met en scène 2 personnages qui parlent de leur vie, de leurs sentiments, il y a un forte introspection dans l'humain et aussi un jeu avec le divin !! Très bonne lecture que j'ai beaucoup appréciée.
Commenter  J’apprécie          180
Les Confessions d'un bourgeois

Né en 1900, Marài est issu de la bourgeoisie hongroise, sous une forme romanesque, se confesse d’une certaine manière. Il nous relève ses failles, ses aveux, ses émotions…..



Livre en deux parties :

-1ère partie il relate l’histoire de sa famille,

-2ème partie sa jeunesse, son éducation bourgeoise,



Il nous faire revivre, nous prend pour confesseur, pour recueillir avec une précision stoïque le souvenir de ses ancêtres, riches artisans d'origine saxonne ou morave, il nous fait revivre des portraits de sa famille, dont il a épousé leurs idéaux, sans nostalgie, mais conscient d'une trace ineffaçable sur tout son être :("Si quelques-uns de ces défunts ont cessé d'exister pour moi, d'autres survivent encore dans mes gestes, dans la configuration de mon crâne, dans une façon de fumer et de faire l'amour" ) dit-il.



Journaliste au Frankfurter Zeitung, c’est un homme épris de liberté, il voyagera beaucoup, (Berlin, Paris, Rome, Londres, Damas). Ses voyages lui serviront à préparer son métier d’écrivain dont dit-il (« le but est d'atteindre ces galeries souterraines où le guettent tous les dangers : éboulements, cataractes, coups de grisou.")



Avec son Lola, son épouse, il s’installera dans des conditions oisives et souvent précaires, entre les deux guerres.



C’est le journal de sa vie, le bilan de sa vie sur un mode à la fois ironique, nostalgique, sous le signe de la mélancolie.



Un grand classique.



Commenter  J’apprécie          180
Les mouettes

Une jeune réfugiée finlandaise vient se présenter à un haut fonctionnaire hongrois, la veille de la seconde guerre mondiale. Celui-ci la voyant devant lui est troublé. Cette femme ressemble étrangement à la femme qu'il a aimé et qui s'est suicidée, il y a quelques années. Il l'invite à l'opéra.

Cette coïncidence l'interroge.

Marai retranscrit bien l'atmosphère d'avant la guerre.



J'ai beaucoup aimé Les Braises, mais les Mouettes et toutes les questions posées ont fini par me lasser.

Commenter  J’apprécie          180
Les braises

Sandor Marai écrit « Les braises » en 1942 à Budapest, l'Europe est alors écrasée par la guerre et l'occupation allemande, le régime autoritaire de Horthy étouffe la Hongrie. Il transporte son récit loin de ces tempêtes, dans un empire austro-hongrois dont les tensions nationalistes conduiront à la guerre mondiale en 1914. Il choisit d'évoquer avec nostalgie cet empire défunt, mosaïque de peuples, qu'il veut rassemblés autour de Vienne, capitale brillante, vibrante des valses de Johann Strauss. La diversité de l'empire est toutefois présente, à travers Conrad, l'ami, venu de Galicie, aux confins de la Pologne :

« Les habitants de la ville, des Ukrainiens, des Allemands, des Juifs et des Russes-vivaient dans une excitation perpétuelle et bruyante que les autorités s'employaient à modérer et à contenir »

Conrad, si peu militaire, si profondément artiste, musicien apparenté à Chopin, si différent d'Henri, que l'auteur nous présente au début du récit, en vieux général au terme de sa vie après une carrière militaire, solitaire et sans surprise. C'est bien de cette différence que traite Sandor Marai dans son récit. Il le construit sur une rencontre de quelques heures après quarante et une années de silence, une rencontre toute entière articulée autour d'un quasi monologue, celui du vieux général, qui regarde sa vie, dans un travelling arrière, sublime de ralenti, face à Conrad revenu du bout du monde après toutes ces années. Il y sera question d'une obsession, celle qui aura hanté ses jours pendant toutes ces années, et dont l'ami pourra peut-être le délivrer. Elle occupe tout le récit comme elle a rempli sa vie, le vieil homme va donc la distiller avec autant de précision que de subtilité et l'écriture de Marai est ici virtuose. La force du livre tient à cette écriture du détail de l'âme dans cette quête du sens de la vie, il s'en dégage une morale profonde, qui justifie les passions humaines quel qu'en soit le prix. Merci aux lecteurs de Babelio qui ont su me mettre sur la piste de ce chef d'oeuvre.

Commenter  J’apprécie          173
Ce que j'ai voulu taire

Comment vous expliquer que plus je découvre cet auteur et plus je tombe sous le charme de sa plume. L’intelligence qui ressort de ce texte m’emporte, me parle et m’apprend énormément. Une énorme découverte que ce témoignage. Un texte que je recommande vivement à tous les passionnés d’histoire qui souhaiteraient lire un écrit d’un point de vue différent sur la bien triste période de la seconde Guerre Mondiale.



Ici c’est un constat que l’auteur nous livre. Entre 1938 et 1948, il prend le temps de nous raconter son point de vue, en tant que hongrois appartenant à la bourgeoisie, face à l’arrivée de Hitler à Vienne. Ce texte est très prenant car il nous livre un témoignage vu de l’intérieur. On entre directement dans l’intimité de l’auteur et narrateur de ce texte, en nous projetant dans cette période bien trop difficile à imaginer. Sandor Marai est un remarquable écrivain certes, mais il est également un homme brillant et engagé qui dénonce une société qu’il ne comprend plus.



De son point de vue de bourgeois, il traite du sujet avec beaucoup de recul et de profondeur. On est complètement submergé par l’intelligence qu’il use face à la montée du nazisme. De part son rang, il aurait pu comme beaucoup se ranger du côté de Hitler et vivre cette guerre d’une manière complètement différente. La Hongrie a connu bien des invasions avant même l’arrivée de Hitler, mais cette guerre marqua un tournant dans l’avenir du pays. Indexé, forcé à changer de nom, on en apprend énormément sur le pays, la période et toute la société qui a suivit aveuglément ou consentement cet homme bien trop dangereux.



La montée de l’Allemagne nazi est un sujet prédominant dans notre histoire et dans les textes, mais peu de livre nous présente ce point de vue. La haine des juifs et de ce qu’ils représentaient, comme la haine des bourgeois nous est expliquée, avec beaucoup de justesse. Ce texte très bien écrit se lit tout seul malgré l’intensité du sujet. On parcourt cette vie et on est impressionné par cette détermination et ce savoir. Sandor Marai m’éblouit de plus en plus. Autant par cette vive intelligence que par le recul qu’il use dans ses réflexions. Il nous donne sa vision des causes de l’extension du nazisme en Europe. Avec l’avantage de pouvoir nous dresser un portrait complet du côté des allemands, des hongrois ou bien encore des Russes. Ce texte est donc un précieux témoignage qu’il serait important de diffuser pour faire comprendre que l’histoire n’est qu’un éternel recommencement.
Lien : https://charlitdeslivres.wor..
Commenter  J’apprécie          173
L'Héritage d'Esther

Quelle plaisir, quelle découverte ! Sandor Marai que je viens de découvrir fera sans aucun doute parti des auteurs qui auront changés ma vie de lectrice. Et comme bonne lectrice, curieuse et excessive que je suis, je vais m’empresser de tous les lires tant j’en suis tombée amoureuse.



Je suis depuis bien longtemps déjà une grande admiratrice de Stefan Zweig et de son travail. Avec Sandor Marai je découvre avec plaisir beaucoup de similitudes. J’apprécie son écriture impeccable qui aborde les sujets de manière si intense. Avec une forte dominante sur la guerre, on ressent à travers ses textes les ravages que la seconde guerre a pu faire. Ainsi que son besoin de parler pour comprendre, analyser et faire révéler sa vérité sur cette période terrible. Des textes réfléchis et intimes nos sont donc dévoilés.



Dans ce roman on va suivre Esther une femme abandonnée. Une femme qui vient de recevoir des nouvelles de l’amour de sa vie, disparu depuis plus de 20 ans. A travers ce texte c’est la confrontation entre la belle et douce Esther et le manipulateur Lajos. Mais tout va être découvert et c’est sans artifice que la vérité éclate. Le passé revient comme un boomerang afin de lever un voile sur bien des personnages et des situations.



Il est rare que je découvre des auteurs dont la puissance et la passion m’envahissent à tel point qu’il me faut tout parcourir. Comment vous expliquer la justesse de ce texte. L’intense besoin qu’il continue, ou de retrouver cette écriture dans un autre récit. Une autre histoire qui sera apaiser ma soif. Dans ce texte on retrouve une puissante psychologie qui est travaillée et nous maintient en haleine. Car on se projette dans le passé, on découvre avec Esther les méandres de sa vie. Tout ne fut que mensonges ou le mensonge était calculé ? Un texte qui soulève le rapport à l’amour, à l’argent, aux besoins d’indépendance également. Mais c’est surtout un hommage à cet amour plus fort que tout, qui peut attendre des années, mais qui au final n’attend qu’une chose : être partagé !



Ce texte d’une justesse intense parvient à faire vibrer de nombreuses cordes sensibles. La beauté de cet amour retrouvé nous touche et parvient à faire son bout de chemin dans notre cœur. Pourtant Lajos ment. Alors où est la frontière ? Où est la limite aux mensonges ? Et si cette limite n’était pas l’amour lui-même. Seule la lecture du roman pourra y répondre.
Lien : https://charlitdeslivres.wor..
Commenter  J’apprécie          170
Les mouettes

Budapest -Hiver 40 ?- Un bureau dans un ministère_ un homme y est assis- sa mission :rédiger des dépêches et celle qu'il vient d'écrire va sans aucun doute changer la face du monde pour les hongrois .

Une femme demande à être reçue - elle entre -lui se fige- assiste t 'il à la réapparition de Ili la jeune femme qu'il a aimé profondément cinq ans plus tôt et qui s'est suicidée? La Femme se nomme Aino Lainé, Unique vague, elle est finlandaise, enseignante et vient le voir pour obtenir de l'aide; pour rester en Finlande il lui faut un visa peut il l'aider ?

L'homme , nous ne connaîtrons pas son nom, l'observe , l'étudie et mu par l'envie de mieux percer le mystère l'invite à l'accompagner à l'Opéra.

Suivent alors monologue intérieur de l'Homme, monologue à "deux voix" de la Femme et de l'Homme, le tout dans le respect des règles du théâtre classique, unité de lieu-Budapest- de temps -24 h- de fait -l'apparition d'Aino véritable double d' Ili .

Roman très exigeant c'est le moins que je puisse dire. Sandor Marai l'un des plus grands écrivains hongrois y aborde les thèmes qui lui sont chers, Dieu , la place et le rôle de l'Homme, l'Amour, le Couple, la Mort et la guerre . Ecrit et publié en 1943 par un homme anti-fasciste qui se verra contraint à l'exil aux U.S.A. lors de la prise de contrôle après-guerre de la Hongrie par les russes, ce roman nous offre de magnifiques pages qui parfois ne se laissent pas facilement apprivoiser mais au lecteur de "vaincre" ....

Commenter  J’apprécie          170
Les braises

Ce livre est l'un de mes coups de coeur, j'ai pris plaisir à la découvrir, bien qu'il soit petit, il nous en dit beaucoup.

Dans un premier temps, après ma lecture, je me suis rendu compte que je n'ai pas compris l'essence même du livre, car, je n'ai que 20 ans, or, je pense qu'il faut avoir l'expérience de la vie pour le comprendre, car Sandor Marais nous raconte l'histoire d'une haine, ou plutôt d'un amour... Les deux en fait... Ce roman, c'est l'histoire de 40 ans d'attente, 40 années qui vont se jouer lors d'une soirée entre deux hommes. Je n'en dis pas plus, c'est un moment magique, à la fois par l'écriture et par la philosophie que l'on y découvre. Le seul souci, comme dit plus haut, c'est que je ne peux pas me permettre de dire "j'ai saisi l'essence des Braises".
Commenter  J’apprécie          170
Les braises

Ce qui m’a tout de suite plu dans ce roman est précisément cette construction et le mystère qui petit à petit explique la séparation des deux amis. Même si très vite nous devinons l’origine du conflit, le roman est construit de telle façon que le suspens demeure. L’intérêt second réside bien sûr dans ce long échange entre les deux hommes, dans une analyse psychologique, dans un démantèlement des évènements passés qui font que j’ai été totalement passionnée par ce livre. Tout repose sur une perception erronée du Général et sur un évènement clef qui va lui permettre de reconsidérer toute sa vie avant sa rupture avec Conrad.
Lien : http://leslivresdegeorgesand..
Commenter  J’apprécie          170
Échec et mat ou le Gambit hongrois

Dans la famille Karinthy, je demande le père, Frigyes. Gagné - il a écrit la nouvelle "César et Abou Kaïr". Dans la famille Karinthy, je demande le fils, Ferenc. Perdu - aucune nouvelle de Ferenc Karinthy dans le recueil de nouvelles Échec et mat ou le Gambit hongrois. Et pas davantage de jeu des 7 familles ici mais, évidemment comme le titre peu original le laisse deviner, le jeu d'échecs.



Au programme, une douzaine de nouvelles dans lesquelles le jeu d'échecs joue un rôle important, dans lesquelles la folie n'est jamais très loin et écrites par des auteurs hongrois - d'où le sous-titre de le Gambit hongrois ; sauf erreur, il n'existe pas un tel gambit mais en revanche la défense hongroise, certes rare, existe et il aurait été plus opportun de l'utiliser dans un ouvrage autour du jeu d'échecs - sur une période de près d'un siècle et demi - la plus récente des nouvelles date de 1989, la plus ancienne de 1855.



La lecture de ces nouvelles est plutôt divertissante - certaines se soldent par un échec et mat, d'autres par des situations pires que celle de l'échec et mat - et permettra de lire des auteurs hongrois peu connus désormais (une courte présentation des auteurs aurait été la bienvenue).



Pour ceux qui ne lisent pas en silence, le tout peut-être lu en écoutant au choix :



- "e2-e4" de Manuel Göttsching

- "A Rook House for Bobby" de I Like Trains sur la folie de Bobby Fischer
Commenter  J’apprécie          161
Ce que j'ai voulu taire

Ce livre n'est pas un roman. Il est un témoignage, un récit, un vécu de la part d'un intellectuel, un écrivain, Sandor Marai, hongrois, et qui livre son ressenti mais aussi son analyse politique, sociale, de ce qu'a été la Hongrie dans la première moitié du XXème siècle.

Ce qu'il appelle la Hongrie de Trianon. Référence au traité du Trianon de 1920 qui enlève à la Hongrie (royaume) une quantité incroyable de territoires et donc de populations.

Marai a cette vision étonnante et humaine de ne jamais disjoncter les territoires des peuples qui les habitent et qui les cultivent. Ce que diplomates et politiques ont eu souvent tendance à faire.

Sandor Marai explore ainsi ce que l'on nommera le nationalisme hongrois. Il explique aussi l'origine de cette Hongrie entièrement liée au peuplement Magyar et à cette langue exceptionnelle en Europe. Et j'ai alors mieux compris les souffrances d'écrivains privés de leur langue car contraints à un exil et à l'oubli de leur langue donc de leur terre, ainsi Agota Kristof.

Il livre une réflexion politique sur les abandons, les lâchetés, les reconquêtes, les soumissions, les marchandages qui ont fait l'histoire de son pays qu'il aime, on le comprend, passionnément.

Lire ce récit aujourd'hui est très particulier, car il amène forcément des liens avec les choix actuels de la Hongrie (actuels, je veux dire depuis les années 1990 et sa libération du soviétisme). Il éclaire sur la particularité hongroise, magyare, qu'en Europe on oublie, facilement.

Il rappelle justement que l'Europe centrale et orientale a été et est encore une mosaïque de peuples, de langues, de cultures, de traditions, et que sans respecter toutes ces spécificités, on aboutit soit à une agressivité expansive soit à un repli, et dans les deux cas, à une explosion destructrice.

Un livre très intelligent (je ne peux pas en aborder tous les aspects), qui écrit il y a largement plus d'un demi-siècle, apporte toujours de la lumière sur ce qu'est l'Europe aujourd'hui.



On en apprend un peu plus sur la vie de Sandor Marai, quelques pages sont totalement autobiographiques (sa manière d'écrire, la mort de son enfant...)

Et en plus, bien sûr, il écrit magistralement.

Une lecture passionnante et enrichissante.









Commenter  J’apprécie          160
Les braises

Dans ce deuxième texte c’est avec une boule au ventre que je referme ma lecture. C’est une claque qui vient de me parvenir. Il ne peut en être autrement, car je suis subjuguée par cet auteur. En lecture comme en relecture, cet auteur me touche toujours autant. Il fait partie de mes auteurs préférés et je vous invite à le découvrir. Si vous aimez la littérature d’Europe de l’Est, type Stefan Zweig ou Robert Musil, venez vous serez comblé !



Avec « les braises » l’auteur nous replonge dans les sujets qui lui sont chers. C’est à travers un dialogue entre deux vieillards que va se peindre notre sujet. Ces deux hommes, anciens amis, rivaux, puis éloignés l’un de l’autre pendant quarante et un ans. Petit à petit on découvre un passé inquiétant, des souvenirs difficiles qui refont surfaces. Sandor Marai nous parle de la guerre et de la part de responsabilité de tous par rapport à celle-ci. Puis on va aborder l’amitié perdue, retrouvée, détruite, l’amitié infaillible et celle qui s’est effondré.



Dans ce texte on appréciera la monté en puissance de cette conversation. Car nos deux vieillards, anciens amis, vont se remémorer les causes de leur distance et dans un dialogue intense on parcourt ce retour dans le passé. On va mieux appréhender leur relation aux fils des pages. Cet auteur a ce don pour faire monter en puissance son sujet, afin d’amener à une fin explosive mais tout en retenu. Avec un talent remarquable il nous dresse le portrait très dur de la bourgeoisie hongroise. Ces responsabilités en société, son importance pour leur pays et toutes les contraintes que cela impose. Face à lui se dresse aussi le portrait d’une pauvreté plus présente. On découvre un gouffre entre ces deux personnalités, un abysse que l’on ne parvient pas à oublier pour simplement profiter de l’autre.



Sandor Marai possède cette écriture fluide et intense qui nous perd dans ces réflexions. On parcourt les pages, on est attristé, perdu et rempli de colère. On ressent tant de sentiments différents comme si la tragédie qui prenait place sous nos yeux nous touchait directement.



C’est avec talent que l’on découvre ces vies, ces hommes. On est bouleversé par cette tragédie, on a peur de découvrir jusqu’où cela va aller. Où va se lever le mensonge, que va révéler la vérité ? Un soulagement, une libération ou la fin de tout. On ne peut l’anticiper, car chaque page nous présente une nouveauté, un nouvel élément qui sera peut être destructeur ou enfin libérateur.
Lien : https://charlitdeslivres.wor..
Commenter  J’apprécie          160
Les braises

C’est le second roman que je découvre de cet auteur, et c’est aussi un second coup de cœur.

Ce récit est celle d’une rencontre entre deux amis d’enfance qui ne se sont pas vus depuis plusieurs années. Que s’est-il passé pour que leur amitié cesse brusquement ?

Cette confrontation, ce long monologue dévoile peu à peu les secrets, les non-dits et le passé qui les poursuit tous les deux. Conrad joue un peu le rôle de catalyseur : il parle peu et écoute les tourments qui ont rongé son ami Henri depuis quarante ans.

L’auteur a une plume envoûtante, riche, à la fois douce et incisive. Il sait manier les mots, décrire les angoisses et la solitude, partager les sentiments des personnages. C’est beau ! Cette histoire laisse un arrière-goût amer, une impression de gâchis. On en ressort avec une certaine mélancolie.

Pour conclure, il est temps de vivre, de pardonner, d’abandonner les rancœurs pour ne pas devenir comme ces deux vieillards décrépits hantés par leurs fantômes !
Lien : https://leslecturesdehanta.c..
Commenter  J’apprécie          152
Les braises

« Les chandelles se consument jusqu’au bout » telle est la traduction littérale du titre original. La lente et inexorable combustion suggérée par le titre original hongrois s’oppose aux braises françaises.

Les chandelles c’est la vie d’Henri, fortuné et brillant général hongrois, désormais reclus et celle de Conrad, son modeste ami polonais, rencontré à l’Académie militaire dans la Vienne impériale de la fin du siècle précédent.

En 1940, après 41 ans d’absence Conrad rend enfin visite à son ancien ami dans son château endormi au cœur d’une forêt hongroise.

La soudaineté de la rupture entre les 2 amis et l’absence de mots d’explication entre eux deux, auront marqué un point de non-retour dans cette amitié.

Les retrouvailles tant espérées transforment le face à face en un monologue, fruit du questionnement du général. Les vagues réponses de Conrad apportent peu d’éléments, juste une pondération des affirmations brusques du général et le sentiment que rien n’a été simple pour lui non plus.

Les raisons de la rupture sont délicatement et successivement dévoilées et pour la première fois évoquées par Henri faisant face au mutisme de Conrad.

Après la rupture, le monde d’Henri bascule. Il va accomplir le chemin seul, retiré du monde se retirant prématurément de la vie militaire.

Henri est le représentant des valeurs de l’ancienne monarchie impériale où l’honneur, le courage, la vérité, l’estime de soi étaient érigés en vertus fondamentales. On pense au préfet Von Trotta, lui aussi solitaire et enfermé dans son statut. La comparaison ne s’arrête pas là, amusant de noter là aussi la rencontre enivrante dans les deux romans avec le dernier des Habsbourg.

Que reste-t-il de la longue réflexion du général? Des braises incandescentes qu’il a remué mais qu’il est devenu inutile de raviver.

On retient le parcours de brillants jeunes gens pendant la belle période de la monarchie, tous les deux différents mais vaincus par l’impossibilité de parler de ce qui fait souffrir.

Un roman nostalgique d’un grand charme. À lire sans hésitation.



Commenter  J’apprécie          150
Journal, tome 1 : Les années hongroises 1943-..

Andras Kanyadi et Catherine Fay sont les auteurs de cette édition de morceaux choisis du Journal de Sandor Marai, pour les années 1943 à 1948. Ces années correspondent, pour l'écrivain hongrois, au gouvernement des Croix Fléchées, à l'occupation allemande, puis à la conquête russe et à l'instauration d'une dictature communiste. A la fin de 1948, l'auteur et sa famille ont émigré en Italie. La richesse de l'arrière-plan historique a peut-être inspiré à un malheureux, sur Babelio, l'étiquette "collaboration", ce qui est aussi étonnant que faux.



On sera tenté de lire ce Journal à cause des années tragiques qu'il couvre, et c'est intéressant de voir comment un individu cultivé traverse une guerre et trois dictatures. Dans le Journal, par nature, la vie et la littérature se croisent et s'empoignent. A hauteur d'homme, ce livre offre une expérience intéressante.



Cet homme est un intellectuel de gauche. Pas de la tribu servile qui naît en Occident à pareille époque avec Aragon et Sartre, mais plutôt un individu héritier de la tradition humaniste européenne : générosité, idées larges, lucidité épisodique (au contact direct des Utopies meurtrières, loin de St Germain des Prés), indignations morales. Le modèle de tous ces gens, qui acceptent l'étiquette marxiste "humanistes bourgeois" est Thomas Mann. On ne s'attendra donc pas à trouver des pensées bien profondes, mais de grandes idées molles, très appréciées aujourd'hui. Une gauche de confort, dans l'esprit des Prix Nobel de littérature.



Enfin, l'auteur est un artiste et un grand lecteur. J'ignore tout du hongrois et je suis incapable d'imaginer à quoi ressemble son style, mais ses notes de lecture et ses jugements critiques sont toujours pleins d'intérêt et de verve. Marai, auteur hongrois, communie intensément avec son peuple et avec sa langue : quitter l'un et l'autre, c'est quitter le milieu vital de son esprit. C'est sans doute le plus grand intérêt, et l'aspect le plus tragique, de ce journal d'écrivain ; poser la question du créateur et de sa nation, du créateur et de sa langue.



Cependant un certain ennui distingué (à la Goethe) se dégage du livre, malgré de très intéressants passages et des pages magnifiques. L'auteur a réfléchi à la forme et on a quand même l'impression de lire une oeuvre littéraire, non un reportage pris sur le vif. Je ne regrette pas mes efforts, mais je n'ai guère envie de regarder les romans de l'auteur après avoir visité son atelier.



Commenter  J’apprécie          156
Un chien de caractère

C'est Noël, il neige, nous sommes en Hongrie à la fin des années 20. Les temps sont durs mais il faut sacrifier aux traditions la morosité ambiante et la maigreur des économies. Monsieur, écrivain, doit trouver un cadeau pour Madame, un présent qui ne la déçoive pas mais il n'a pas d'argent. Son choix se porte sur un chiot de deux mois qu'il achète en hâte au chenil du zoo. Or à la place du chien puli escompté, charmant chien hongrois au poil très abondant, il se retrouve avec un bâtard indomptable et méchant...Tchoutora.



Les relations entre le maître et le chien, puisque c'est finalement lui que le chien adopte, ne se passent pas trop mal au début malgré tous les aléas dus à la présence de ce jeune animal - il fait ses besoins sur le tapis, ronge pantoufles, robes de chambres et livres anglais, aboie parfois pendant des heures. De quoi vous dégoûter à jamais de la race canine...



Mais à un moment tout dérape, le chien grandit, devient incontrôlable. Un sauvage indompté au cœur d'une vie bourgeoise, qui va bientôt devenir indésirable, inadapté à la vie dite civilisée...Un caractère trop fort mais qui pourtant laissera des regrets.



Finalement l'écrivain aurait peut-être du se contenter d'un chat ...animal beaucoup mieux adapté au besoin d'un homme de lettre. Bien que certains matous puissent également avoir des caractères bien trempés...Mais au delà du choix d'un animal, c'est la société hongroise dont Sandor Marai se moque gentiment. Avec parfois quelques longueurs, un certain humour et une interrogation : qui est finalement le plus sauvage des deux ?
Commenter  J’apprécie          152
Les braises

Sándor Márai né en 1900 à Kassa qui fait alors partie du Royaume de Hongrie dans l'Empire austro-hongrois (aujourd'hui en Slovaquie) et mort en 1989 à San Diego aux États-Unis, est un écrivain et journaliste hongrois. La vie de l’écrivain fut itinérante, européenne et quasi-vagabonde dans sa jeunesse pour fuir la Terreur Blanche de 1919, hongroise pendant vingt ans, américaine et italienne après le passage de la Hongrie dans la sphère soviétique et le choix par Márai de l’exil. Au-delà des circonstances politiques, le voyage est un mode d’être pour Sándor Márai. De plus en plus solitaire et difficile matériellement, mais fertile sur le plan littéraire, l’exil mènera Márai de New York à Salerne, en Italie, puis en Californie où il se donnera la mort à 89 ans, quelques mois avant la chute du mur de Berlin. Les Braises, qui date de 1942, a été traduit chez nous en 1995.

Après quarante et un ans de séparation, deux hommes devenus des vieillards se retrouvent. Ils sont amis d’enfance - depuis leur rencontre à l’Académie militaire quand ils avaient dix ans - malgré leur différence d’origine sociale. Henry, aujourd’hui Général, originaire d'une famille aristocratique et fortunée tient ses principes moraux de son père militaire lui aussi ; Conrad, de famille plus modeste, a un caractère plus artiste, la musique est sa grande passion. Le Général a été marié à Christine, décédée depuis de nombreuses années, une amie commune. Conrad lui, s’est expatrié en Malaisie, parti sur un coup de tête, sans explication aucune et sans jamais donner de ses nouvelles. Revenu temporairement au pays, il a répondu favorablement à l’invitation du Général le conviant à venir dîner dans son château à la campagne.

Le roman va s’étaler le temps d’une nuit où les deux hommes vont s’affronter à fleuret moucheté, en un huis-clos sous la directive du Général qui veut enfin faire la lumière sur ce qui s’est passé à l’époque du départ de Conrad. Superbe roman, qui allie le mystère, le lecteur comprend tout de suite qu’il s’est passé un évènement très important il y a plus de quarante ans mais quoi ? l’enquête policière, le Général se livre à un interrogatoire de Conrad en délivrant des indices et des preuves non vérifiables afin de lui faire avouer quelque chose. La discussion – nous sommes entre gens de bonne compagnie – s’avère une dissection méticuleuse du sentiment d’amitié avec ce qu’il implique de points positifs et négatifs. Petit à petit, la proclamée amitié entre les deux hommes va laisser place à des révélations tues jusqu’à ce jour, mettant en évidence que ce qui a maintenu en vie le Général c’est la vengeance.

Remarquable roman psychologique, Sándor Márai explore les tréfonds de l’âme humaine et les ressorts de nos actions et sentiments avec une profondeur et une justesse renversante. Il est question ici, de mémoire et de souvenirs, d’amitié (« un dérivé de l’amour (…) le lien humain le plus noble ») et d’honneur, de vieillesse et de solitude (« le pire, c’est de refouler les passions que la solitude a accumulées en nous »). Un roman qui entre en écho avec l’œuvre de Stefan Zweig, la même époque et une certaine nostalgie à la vue de cette vieille Europe qui change de siècle.

Si certains vins se boivent après plusieurs années de cave, il est des livres – comme celui-ci - qu’on doit lire quand on a atteint un certain âge, pour en apprécier au mieux la subtile puissance et le poids du sens caché derrière les mots. Un bouquin incontournable, à lire absolument.

Commenter  J’apprécie          150
Ce que j'ai voulu taire

Ce livre est le troisième volet de l'autobiographie de l'auteur. Ce volume-ci a été retrouvé de manière posthume alors qu'on le croyait perdu. Je n'ai pas lu les deux premiers tomes, mais cela n'a en rien handicapé ma lecture.



L'auteur, qui vit à Budapest, retrace ses sentiments durant les dix ans qui ont suivi l'Anchluss. Il décrit la passivité d'une certaine intelligentsia hongroise, dont il fait partie comme écrivain reconnu, et l'anéantissement de la classe bourgesoise déjà sous le nazisme puis sous l'empire soviétique. Il fuira d'ailleurs son pays en 1949 pour rejoindre les Etats-Unis où il se suicidera en 1989.



C'est un intéressant pan de l'histoire, que je croyais connaître, mais vu d'un tout autre bout de la lorgnette et je me suis rendue compte comme je connaissais mal finalement l'histoire de ces pays dits de l'est, pourtant si proches.
Commenter  J’apprécie          153
Les étrangers

Etranger quelque part, étranger à soi-même, étranger l'un à l'autre... trois variations aux échos infinis sur l'identité illustrées par la quête personnelle d'un jeune hongrois venu s'installer à Paris en 1926. Il a 28 ans et on ignore son nom ; docteur en philosophie il arrive à Paris sans but déterminé, après un an passé à Berlin, et découvre la capitale française qui lui est parfaitement inconnue. Il y rencontre d'autres étrangers, comme lui, ou des compatriotes, connaissant des situations peu ou prou similaires à la sienne : Borsi, un sculpteur Hongrois, Vassilieff, un Russe originaire de Kazan. Ce sont eux, au début, qu'on identifie comme les étrangers. L'art, l'exil, le statut de l'étranger, l'identité, l'Europe, sont au coeur de leurs réflexions. Ces thèmes sont traités sans pathos, avec ironie, désinvolture presque. Tout au long de cette première partie, le jeune homme s'interroge sur la forme que pourrait ou devrait prendre son avenir, ici, ailleurs, ou "là-bas chez lui". Formule qu'il ressasse à l'envi quand il se sent exclus ou renvoyé à ses origines, reprise de la bouche même de l'un des rares Français, Emile, qu'il côtoie. "Là-bas chez eux" a expliqué un jour Emile en parlant de lui à Eva sa compagne, par opposition à "ici chez nous" bien évidemment. Les bouffées de xénophobie de la même Eva n'empêcheront d'ailleurs pas le jeune hongrois de la suivre plus tard en Bretagne. Des deux côtés : rejet et attirance.



On comprend bien vite que ce jeune homme, aussi fier que cérébral, se cherche lui-même dans la grande ville étrangère, décor de sensations et d'impressions nouvelles (la fête du 14 juillet, les rencontres inopinées), ville dépouillée de tout attribut touristique (ce pourrait être Vienne, Londres...) et lieu d'une introspection identitaire qui le rend également un peu étranger à lui-même : ses racines lui paraissent soudain incertaines et bien floues (on le prend même pour un Turc). D'où vient-il ? Où doit-il construire sa vie : à Gyarmat, à Budapest, ici ? Une lettre jamais envoyée à sa famille symbolise cet état de "stand-by". L'écriture est élégante et soignée et le récit a des accents fortement autobiographiques, très construit, trop peut-être, dans un style qui mêle l'ironie à la mélancolie et à la gravité. On retrouve l'ambiance cosmopolite du Paris de l'Entre-deux-guerres dans le quartier des artistes de Montparnasse au Dôme en particulier qu'il se plait à fréquenter le ramenant peut-être lui le Hongrois, pétri de culture allemande, au meilleur de cet esprit mitteleuropa que le traité de Versailles vient de bel et bien enterrer. Et seul finalement son passeport de citoyen du "Dôme" lui paraît acceptable. Quatre mois s'écoulent ainsi.



La deuxième partie est composée de trois chapitres dont le premier compte à lui seul deux cents pages plus personnelles sous forme de souvenirs : de retour à Paris, le jeune homme écrit et raconte un séjour de deux mois en Bretagne où il a suivi Eva qui a laissé tomber Emile. Mais l'histoire avec Eva a brusquement tourné court car celle-ci l'a quitté à son tour. Cette partie consacre en l'amplifiant, par la mise en abyme du récit retrospectif introduit dans le roman, la thématique identitaire première soulevée lors de son arrivée à Paris. Etranger il l'a été encore en Bretagne : un peu moins peut-être mais d'une autre manière qu'à Paris. Et il note avec toujours autant de distance et d'ironie que les étrangers, Anglais pour la plupart, en Bretagne, étaient des boucs-émissaires comme d'autres l'étaient à Paris (quand la forêt a brûlé on l'a expliqué par le fait d'avoir retrouvé des mégots anglais !). Mais ce qui frappe surtout dans son aventure hasardeuse avec Eva relatée rétrospectivement c'est l'incapacité grandissante de ces deux êtres à se trouver, chacun creusant un peu plus le fossé qui les rend doublement et définitivement étrangers l'un à l'autre. Ce déplacement du thème idenditaire sur le terrain de l'intimité amoureuse loin d'apporter une tonalité plus légère au roman en assombrit l'issue, toute relation semblant en définitive vouée à l'échec ou à l'étiolement chez ce jeune homme en transit que l'appel du "Dôme" rattrape à la fin dans une conclusion rapide et somme toute attendue.



Une lecture troublante que j'ai beaucoup aimée pour ce rapport à "l'étranger" triplement décliné et finement décrypté. Il est toujours salutaire de se voir dans le regard d'un autre même si le portrait du français dressé ici véhicule des clichés de buveur d'apéritifs variés et d'incorrigible mangeur d'ail dans lesquels on n'est pas obligé de se reconnaître.
Commenter  J’apprécie          150




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Sándor Márai Voir plus

Quiz Voir plus

TOMEK TOME 1

Comment le capitaine du bateau de Vaillante s'appelle-t-il ?

Bastibaligom
Eztergom
Bastibalagom
Pépigom

7 questions
20 lecteurs ont répondu
Thème : La Rivière à l'envers, tome 1 : Tomek de Jean-Claude MourlevatCréer un quiz sur cet auteur

{* *}