J'ai pris chaque haïku comme un cadeau.
N'est-ce pas le but de ce petit poème de dix-sept pieds ?
En cueillir selon sa couleur, selon sa propre humeur.
Dix-sept pieds pour partir en bord de mer, au pied du croissant de lune, ou sur la douce surface d'un coeur amoureux.
Daniel Blanchard m'a fait voyager dans les mots, et dans ce qu'ils peuvent représenter de plus beau. Un décor, une balade, une lumière, une odeur, une couleur, une passion.
Cette édition de Bruire (oh quel titre ravageur pour des élans poétiques !) est soignée, éclairée, épurée. Avec de belles illustrations de Farhad Ostovani.
Je m'en irai repiocher à l'envi, quelques haïkus, de ci de là.
Merci Babelio pour le Masse Critique.
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approche de l’arbre
Tout au long, j’ai marché d’un pas de rivière
dans le courant, j’ai marché au fil de l’air, au fil des mots, sur le souffle
marché jusqu’ici, sur mon erre, jusqu’à maintenant
« demain », « ailleurs »… c’était une pensée d’hier
« maintenant », « ici », a pris sur moi, c’est une pensée d’arbre
dans l’ébranlement de l’arrêt, arbre me voici
tout au long, peut-être, ai-je porté en moi cet arbre
tacite, en attente
tout au bout de l’égarement, comme je touche l’arbre, je me reconnais
à bout de course, à bout de souffle, je reprends pied, je reprends terre
la terre prend sur moi, les ténèbres de la terre, son étreinte insatiable
à mesure que baisse en moi le jour, l’arbre en moi s’éveille
et dans mon corps s’éploie, comme un sommeil, l’immensité interne
de l’arbre
tout au long, jusqu’à finir, l’arbre soutient ma patience
tout au long, de sa lenteur subtile
à présent, à cette lenteur, je me reconnais: c’est de ce pas que je
parcours de bout en bout l’instant
comme jadis, dans l’ombre pâle des mélèzes, mon haleine suspendue
comme, du fond de mes entrailles, j’entrais dans la danse du grand
chêne échevelé, tournoyant au fil des siècles
jusqu’à me dissiper dans son ralentir vertigineux
comme, aussi, se jouait le bonheur de l’instant dans le rayon de soleil
tressautant comme dé sur la paume frémissante de l’érable
alors, tout à coup, s’éclairait ton visage dans mon regard
puiser au fond de soi un geste comme pensée, comme sève, pour le porter
à travers l’air, le soutenir tout au long des temps sur son élan, sa sincérité
dire ainsi ce que je sais
cette immobilité qui me gagne, me gorge des eaux du sol profond, cette
félicité comme de larmes
à l’aveugle, je suce la mémoire de l’humus, la sève de mes mots
et si je dis « à présent », n’est-ce pas l’arbre en moi qui parle ?
qui donne une gorge, une voix à l’air fugitif ?
sur les lèvres, tout un bourgeonnement, tout un feuillage de mots tus
l’arbre en moi, c’est l’oubli, les mots de l’oubli, ce bruissement de brise
dans la ramure
« ici », « à présent », léger dans la conversation des arbres
j’étreins devant moi mon absence comme de branches la nuit.
miroitements
À la rivière, bienvenue
un acquiescement dans le silence, l’abîme du corps
bienvenue à ce regard vide de l’instant jaillissant
à longues heures, à longs jours, à longueur de vie, à mesure, bienvenue
et à corps perdu, soutenir ce regard qui interroge, cette clarté qui
élucide: un désir intarissable de naissance.
Au secret de la montagne, j’ai bu lèvre à lèvre l’eau nue sur la dalle
scintillante
cet éclat, ce ruissellement de jour, en moi jusqu’au dernier instant
une source, du fond du cœur, une pensée limpide, qui court en moi,
sans moi – le flot qui me laissera sur le bord
musique profonde, la cadence de l’instant dans la chair, cette note qui
éclot et se fane
bredouillis d’incessante naissance, d’adieu
toujours ce songe d’ici, ce regret d’ici, du fond du corps un
raidissement d’arbre – basse branche que le courant déporte et
toujours ici ramenée
mémoire amont de la source, ou hantise de l’absence aux confins de
mon corps ?
À la rivière enfant, bienvenue – à ce babil qui dit tout de moi. Du fond
du cœur, l’ébriété de l’instant jaillissant
une peau frémissante, une risée vient à moi – ce sourire de
reconnaissance
au profond de mes yeux, ce regard blanc, béant, et ce remous de gouffre
en moi, l’eau bue lèvre à lèvre, les yeux dans les yeux… Corps à corps,
la caresse mortelle de l’instant.
Miroitements, ici et là, une pensée, entre l’ombre et le reflet, hier et
demain, une pensée cherche ses mots.
Il neige sur la ville –
du fond de l'enfance, la montagne
me soulève la poitrine.
p.13
D'un coup d'aile
l'oiseau trace le paraphe de ma vie
sur l'eau si lente.
Ma parole s'enroule
autour d'une pensée, puis tombe,
Écorce de bouleau.
Le Cercle Littéraire de la BNF
Marie-Hélène Lafon, Daniel Blanchard, Stéphane Velut
Présenté par Laure Adler et Bruno Racine
Entretien du 26 octobre 2009 (60 min)