«
Dans les eaux troubles » est un roman troublant, comme une lente progression dans l'antre cérébrale de Jonathan et celle de cette ville dont on ne connaît ni le pays, ni la véritable identité.
Dès les premières pages, j'ai été happée par l'écriture de l'auteur, ces descriptions du fleuve aux eaux sombres, la chaleur poisseuse, les personnages entourant Jonathan, et Jonathan lui-même, qui se débat entre ses pulsions de jalousie remontant à l'enfance, sa vision du métier, et de l'enfermement dans une ville qui ne lui sied pas, ou plus.
On croise alors, entre autres, sa femme, archéologue qui s'inquiète pour leur fille et ses amies imaginaires, et aussi pour son mariage, un psy « viennois » qui conseille le couple à la dérive, une voyante qui navigue entre le monde réel et l'irréel, une jeune violoncelliste étrange et l'absente, Petra, cette petite fille disparue une décade plus tôt.
J'ai senti dès le début de ma lecture une progressive montée, lancinante, vers une ambiance irréelle, un peu hors du temps, qui n'est pas maîtrisée. J'ai pensé que le côté fantastique aperçu chez la voyante, Gertrude, allait s'approfondir jusqu'à gober Jonathan, et le lecteur tous entiers !
Au fil des pages, on entre dans l'histoire, même intimes, des personnes qui gravitent autour du détective privé, et on s'attache à eux, malgré tout. On aperçoit, entrevoit la jalousie de Jonathan se révéler partout, pour tout et tous (y compris pour un homme aimé par une autre, étrangère de surcroît).
C'est, je pense, dû grandement à l'écriture de
Neil Jordan qui maintient toujours l'attention du lecteur, même si, parfois, il le ménage avec bienveillance. Car, oui, le roman n'est pas à proprement parler palpitant dans l'action.
Je l'ai déjà évoqué, c'est un tempo lent… intime, fantastique, profond, mais terriblement humain. C'est un roman mélancolique aussi avec ce clair-obscur qui semble être la clé de voûte de cette ville grise.
J'ai beaucoup aimé les descriptions de la ville, du fleuve, des gens, ce côté fantastique et fantasque, soudain quand un trésor d'archéologie vient semer la folie dans la ville, la musicalité (et Bach) qui surgit çà et là, entre passé et présent, et, également, l'ombre qui se profile doucement comme une filature bien menée.
En définitive, j'ai aimé me plonger dans l'univers de
Neil Jordan, de cet anti-héros qu'est Jonathan, dans les méandres de ses états d'âme, dans les histoires de chacun, dans ce trouble permanent qui émane de certaines scènes.
On comprend alors que le murmure des morts, quels qu'ils soient, s'arrange pour coller aux vivants afin qu'ils soient guidés vers une autre rive (ou a-t-on tout inventé ?).
Il est à souligner que le titre anglais (The Drowned Detective) indique clairement le cheminement du détective.
Merci donc à
Joëlle LOSFELD pour ce SP et pour toutes les autres parutions à venir de cette maison dont j'aime toujours la ligne directrice !
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