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EAN : 9782381400365
320 pages
Viviane Hamy (23/08/2023)
4.14/5   79 notes
Résumé :
Mariée et mère de trois enfants, Lucie a tout pour être heureuse. Alors qu’elle vient d’emménager et a pris soin de ne pas communiquer sa nouvelle adresse, les fantômes du passé frappent à sa porte.
Victime d’humiliations et de violences infligées par ceux qui devaient la protéger durant son enfance, Lucie a dû se battre pour exister. Convoquée chez un huissier, elle apprend que ses parents réclament le droit de voir ses enfants. Afin de mettre ces derniers ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (46) Voir plus Ajouter une critique
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sur 79 notes
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Lorsqu'on fait la connaissance de Lucie, elle vient de recevoir une assignation au tribunal. Ses parents veulent obtenir un droit de visite des petits-enfants qu'ils n'ont jamais rencontrés. On ne sait rien de son passé traumatique, mais en quelques mots, on devine qu'elle a vécu un calvaire. Cette sonnette qui fait sursauter, le choc de savoir qu'elle a été retrouvée alors qu'elle voulait que son adresse reste secrète, ce « manteau noir, ce lourd et grand manteau noir de mon enfance ... ça recommence ».

La première partie, qui débute par un terrible « Je me revois à six ans et j'ai peur », est une plongée dans le passé de Lucie, dans le terrible huis clos familial de l'enfance. Chaque attestation, que certains membres de sa famille ou des amis lui envoient pour préparer le procès, font remonter des souvenirs, dévoilant un pan de l'horreur qu'elle a vécue à cause de ses parents.

Comme toujours avec des récit dont le matériau source est autobiographique ( l'autrice ne s'en cache pas en interview ), la question qui s'impose est le pourquoi du choix romanesque plutôt que du récit témoignage. Et c'est toujours très difficile de critiquer de tel texte raconté du point de vue de la victime de bourreaux familiaux. Il faut donc se concentrer sur la forme plutôt que le fond, maitrisée ou pas pour accompagner et porter le fond.

Dans ce premier roman, on sent la colère de l'autrice sourdre entre les pages, on sent l'urgence à dire avec l'énergie qui l'accompagne, on sent toute sa sincérité à parler de la maltraitance faite aux enfants. Pourtant je n'ai pas trouvé la plus-value romanesque que j'attendais. L'écriture est juste mais assez plate, même si elle gagne en consistance à mesure que la lecture avance. Je me suis sentie sidérée par la violence subie, psychologique et physique, et admirative de la force de Lucie à chercher à sortir de la fange. Comment un enfant peut-il vivre sans l'amour de ses parents ? Comment peut-il accepter la haine que lui voue sa mère ?

Cependant, bizarrement, contrairement aux nombreux lecteurs qui ont très bien noté ce roman, je n'ai pas été profondément touchée par Lucie, car je n'ai pas eu la sensation d'avoir accès à ses paysages intérieurs. Quand un roman décrit des événements aussi irréfutablement affreux, on culpabilise toujours lorsque ne s'y connecte pas avec l'empathie attendue. J'ai culpabilisé donc et ce n'était pas confortable.

Sans doute m'a-t-il manqué un contrepoint au récit de Lucie. Je n'ai pas vraiment compris l'origine de la haine de la mère ( même s'il y a quelques pièces du puzzle ) et j'aurais aimé avoir plus accès à ce personnage forcément complexe. de plus, le procédé « réception d'une attestation = flasback » m'a semblé trop systématique, redondant et m'a lassée, alors qu'il était là pour susciter compréhension et émotion. Peut-être qu'un récit plus resserré, moins répétitif, m'aurait plus convaincue car les trois parties ( enfance – sortie du huis clos familial – procès ) sont judicieusement agencées.

Malgré ces réserves, j'ai eu envie de finir le roman car il n'a rien de racoleur comme le sujet pourrait le faire craindre. Je voulais connaître l'issue du procès et suivre le fil rouge annoncé en titre, pour découvrir comment Lucie avait vécu avec ce grand manteau noir de l'enfance saccagée. le déchirer, le faire tomber à ses pieds grâce à de lumineuses rencontres. le voir revenir pour l'enserrer et l'ensevelir. Avec cette métaphore très bien trouvée, Aline Caudet raconte parfaitement le parcours d'une vie et de l'enfant qui attend réparation dans le corps de l'adulte qu'il est devenu. le témoignage est fort

Lu dans le cadre de la sélection des 68 Premières fois 2024 #5
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Lorsque Lucie reçoit la visite impromptue d'un huissier, c'est toute son enfance qui lui revient brutalement, toute une période dont elle s'était sortie presque par miracle. Ses parents font valoir leur droit par voie de justice afin de voir leurs petits enfants. S'engage une procédure longue et pénible dont les étapes alternent avec l'évocation de cette jeunesse sacrifiée, de la haine que lui vouait sa mère, de la lâcheté et de l'irresponsabilité de son père et de ses frères et soeurs pris au piège d'un chantage affectif odieux. le chemin est long pour s'opposer à la demande des grands parents, car la maltraitance dont il est question est de celles qui ne laissent pas de traces physiques. Il faut donc que Lucie obtienne des témoignages de proches pour prouver ses dires.

On lit avec effroi le calvaire de Lucie, la folie des cette mère indigne, dont on comprendra plus ou moins l'attitude avec les révélations qui ne manquent pas de surgir avec les attestations obtenues.

Ce roman glaçant se dévore comme un thriller tant on s'angoisse de connaître le dénouement du procès, dont l'issue n'est pas gagnée d'avance .

C'est éprouvant, poignant mais nécessaire.

320 pages Viviane Hamy 23 août 2023

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Parce qu'il rêve de terre, de champs, de labeur et de travailler avec ses mains, un père de famille décide de partir habiter à la campagne. L'emménagement à la Trigaudelle se fait très vite, sur sa décision. Il n'a consulté aucun des membres de la famille, pas même sa femme dont le scepticisme est à l'opposé de l'enthousiasme de cet homme bafoué. Lucie va vivre dans cet enfer, humiliée, cloîtrée, rejetée. Sa mère lui voue une haine sans borne, sans aucun soutien, dans le silence de la violence. Lucie va trouver le courage de se battre, de ne pas plier, de puiser en elle l'espoir d'une vie meilleure… Mais a quel prix ?

Déchirer le grand manteau noir de Aline Caudet est un premier roman d'une grande intensité. L'auteur manie les mots, les époques, les émotions avec habileté et nous entraîne dans l'enfer d'une maltraitance sournoise et inavouable.

Quand on rencontre Lucie, elle est mariée et mère de 3 enfants. Elle nous dévoile rapidement ce qu'elle a enduré tout au long de son enfance, de son adolescence, jusqu'à ce qu'elle puisse s'assumer financièrement. Elle évoque les cris de sa mère, sa haine, son mépris. Ce père qui ne l'a protège pas, donnant raison à son épouse hystérique. Sa soeur, qui cherche à prendre sa défense, craignant elle aussi la colère de sa mère.

Tous ces souvenirs remontent à la surface, la nausée au bord des lèvres, parce que ses parents lui attentent un procès pour qu'ils puissent voir leurs petits-enfants. Lucie est alors obligée de dire, de raconter, d'avouer. Elle doit mettre des mots sur des silences, des mensonges, des non-dits. Elle doit combler les vides, les blancs, les effacements.

Mais elle n'est plus seule… Son combat n'en est pas moins difficile, mais plus supportable. Ce corps qu'on lui a volé, cette confiance qu'elle n'a jamais pu donner, cette estime de soi qui s'est effacée, sont des blessures qui jamais ne guériront. Mais la vérité, éclatante, irréversible, pourra peut-être les soulager.

Dans la famille de Lucie, la violence règne, pas celle qui se voit et laisse des traces, celle qui est invisible et broie à l'intérieur. Son histoire fait mal, elle arrache les larmes et les cris. Mais c'est aussi la voix qui chuchote dans la nuit, et qui en un souffle balaie la lâcheté de ce monde…
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Une mère de famille reçoit un jour
une assignation du tribunal.
Ses parents réclament un droit de visite
et d'hébergement de leurs petits enfants.
Une longue aventure judiciaire va alors l'opposer
aux bourreaux qui ont saccagé son enfance
Qu'est ce qui fait que la maltraitance
soit ciblée sur un seul enfant dans une fratrie ?
Qu'est ce qui tient et retient l'enfant victime ?
Comment survit-il, vit-il au jour le jour?
Comment arrêter d'attendre
l'amour de ses bourreaux ?
Ce livre est bouleversant.
Il raconte par le menu le calvaire
d'une gamine exclue arbitrairement
de la vie familiale à partir de ses 6 ans.
Plus de repas avec elle,
plus de dépenses pour elle,
Plus d'égards ni d'attentions
ses frères et soeurs sont mis en demeure
de ne pas avoir de relation avec elle.
L'horreur des dimanches chez bon-papa
l'aristo dans son château ...
La résilience de cette jeune femme
est ourlée de souffrances et de cauchemars .
Le récit est simple, éfficace, le style va avec
C'est percutant mais pas choquant
ce n'est écrit que pour dire
ce qui est le plus souvent indicible


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La mal-aimée

Dans ce bouleversant premier roman, Aline Caudet raconte le calvaire que subit Lucie au quotidien au sein d'une famille qui la rejette. Violence, privation et viols dont elle aura beaucoup de peine à s'extirper. Un récit d'autant plus glaçant qu'il s'inspire du vécu de l'autrice.

Lucie a construit un bonheur simple, entouré de son mari Arnaud et de ses trois enfants, Anna, Théo et Amandine. Une vie paisible soudain bousculée par une assignation en justice. Ses parents réclament le droit de voir leurs petits-enfants. Un choc d'autant plus fort qu'il ravive un passé douloureux.
Un passé auquel Lucie va à nouveau devoir se confronter pour se défendre, pour empêcher cette ignominie. Car ses parents l'ont fait souffrir durant tout le temps où elle a vécu avec eux.
D'abord ignorée par sa mère, elle va devenir au fil des jours le paria de la famille, celle qui est systématiquement rejetée et se verra interdite de partager la table familiale. "Je dois rester à part, seule dans ma chambre. Ma soeur vient me chercher quand il n'y a plus personne dans la cuisine, là je suis autorisée à descendre." Elle peut alors manger les restes si sa mère ne la chasse pas avant.
Une situation que son père constate et accepte, préférant détourner le regard que d'affronter cette furie hystérique. La fratrie, quant à elle, va adopter une position neutre, voire hostile. Sauf sa soeur Estelle, qui va payer très cher ses tentatives de révolte face aux traitements inhumains infligés à sa soeur. Et qui vont perdurer au fil du temps, car personne ne vient rendre visite dans leur maison délabrée et isolée dans la campagne des alentours de Clermont-Ferrand.
Et toute tentative d'appeler au secours est bien trop risquée. "Si j'explique comment je suis traitée à la maison, mes parents, furieux, se retourneront contre moi. J'imagine bien la dame des services sociaux venir avec sa mallette remplie de dossiers, sortir une feuille, un stylo, et poser des questions à mes parents. (...) Elle repartirait, me laissant seule avec mes parents fous furieux. On n'enlève pas comme ça un enfant à sa famille. Je ne sais pas jusqu'où peuvent aller les représailles si je brave cet interdit: rien de ce qui se passe à la maison ne doit sortir du strict cadre familial. Ma mère n'a pas besoin de le formuler, nous le savons."
À l'extérieur, on donne l'image d'une famille unie, on accepte les invitations, notamment chez les grands-parents. La grand-mère attentionnée qui redonne du courage à sa petite-fille en lui donnant l'affection qui lui manque tant. Mais aussi la grand-mère qui s'interdit de demander ce qui se passe dans le bureau du grand-père quand, après le repas le patriarche s'isole avec l'une de ses petites filles. Lucie, Estelle et Madeleine sont violées. Comme le confessera plus tard Madeleine, la décision est alors prise de cesser ces visites dominicales. «Les parents n'ont pas cherché à savoir dans quel état moral nous nous trouvions ni à nous apporter un quelconque soutien psychologique. Ils n'ont pas voulu porter plainte contre le grand-père incestueux. Ils se sont justifiés en disant vouloir préserver la réputation de la famille alors qu'un procès contre le grand-père aurait aidé leurs filles à comprendre la gravité des actes dont elles avaient été victimes, et à se reconstruire. En revanche, ils font à présent un procès à leur propre fille sans se soucier qu'il contribue par là-même à nous détruire.»
Aline Caudet, qui écrit sous pseudonyme, a scindé son roman en trois parties dans lesquelles elle retrace la vie de Lucie jusqu'à son départ du domicile, ses premiers pas de femme à la recherche d'un équilibre avec le lourd lest de son traumatisme et les moyens très limités dont elle dispose et enfin le déroulé de cette action en justice qui va prendre des années jusqu'au jugement.
Si on est forcément sidéré par ce drame, saisi d'effroi par des scènes dramatiques, on ne peut à l'inverse qu'être admiratif de la manière dont, petit à petit, la fillette, l'adolescente et la jeune femme vont parvenir à se défaire de ce carcan, de ce grand manteau noir qui l'empêche de se mouvoir. La force de ce roman tient sans doute dans cette énergie, cette volonté de plus en plus farouche de s'en sortir. Un peu comme dans l'enragé de Sorj Chalandon où un garçon s'évade du bagne où il est retenu et va chercher à se reconstruire. Entre horreurs et résilience, la voix reste étroite et parsemée d'embûches, mais elle existe. La plume d'Aline Caudet est là pour nous le rappeler.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024».Enfin, en vous y abonnant, vous serez par ailleurs informé de la parution de toutes mes chroniques.



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critiques presse (1)
LeMonde
06 octobre 2023
Dans ce roman à forte teneur autobiographique, Aline Caudet (un pseudonyme) détaille le parcours chaotique d’une victime qui surmonte les violences une à une pour reprendre le contrôle de sa vie.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
PREMIÈRE PARTIE
RATTRAPÉE PAR LE PASSÉ
Coup de tonnerre
La sonnette retentit. Je sursaute, mon bébé dans les bras. Je ne comprends pas, j’ai pris soin de ne pas donner ma nouvelle adresse. Seuls quelques amis sont au courant. À chaque visite impromptue, j’ai beau me raisonner, une profonde angoisse m’étreint. Pourtant, ce mercredi matin, avec mes trois enfants, la journée a débuté sereinement. La sonnerie se fait à nouveau entendre, insistante. Je pose ma fille dans son lit, elle pleure aussitôt. Je traverse la chambre de mon fils et regarde par la fenêtre. Je les vois immédiatement. Je reconnais leur uniforme bleu marine. Mes jambes flageolent.
— Qu’est-ce qui se passe, maman ? Qui sonne ? interroge ma fille aînée.
C’est la police. J’ai une boule dans la gorge. J’essaie de me rassurer : mes enfants sont auprès de moi. Mon mari ? Nous nous sommes parlé au téléphone tout à l’heure. Alors, tout va bien. Je sais que je n’ai rien fait de mal. Et pourtant, je tremble, mon cœur s’emballe. Ils sont toujours là. Nouvelle injonction. J’ouvre.
Les policiers m’apprennent qu’un huissier cherche à me joindre.
— Vous n’êtes pas dans l’annuaire et, à votre ancienne adresse, le propriétaire n’a pas voulu lui donner vos coordonnées.
— Oui, nous avons fait cette recommandation en insistant sur son importance.
— Alors l’huissier nous a contactés et votre ancien propriétaire nous a finalement indiqué votre adresse.
— Mais nous n’avons pas de problème d’argent, pourquoi un huissier ? Je ne comprends pas.
Ma voix tremble.
Les policiers m’expliquent que les huissiers ne s’occupent pas uniquement de saisir des biens, ils ont de nombreuses autres fonctions, et celui-ci doit me remettre en main propre un document à son étude.
Je dois m’asseoir. Les deux hommes font preuve d’une extrême gentillesse et veillent à ne pas trop me brusquer. Mais je n’arrive pas à me relever. Ils s’approchent des enfants, leur sourient, puis reviennent vers moi.
— Ça va aller, madame ?
J’observe mon fils, ma fille, et vois leurs yeux effrayés, la force me revient. Je me lève.
— Oui, merci.
— Si on peut faire quoi que ce soit pour vous, n’hésitez pas à nous appeler, on viendra.
— Merci, merci beaucoup.
La porte à peine refermée, je téléphone à mon mari Arnaud qui note les coordonnées de l’huissier, puis me rappelle vingt minutes plus tard. Je l’écoute sans dire un mot et raccroche, anéantie. Le manteau noir, ce lourd et grand manteau noir de mon enfance… Ça recommence.

Garfeuil
Je me revois à six ans et j’ai peur. J’ai peur de croiser mon frère dans l’escalier, peur de ses paroles blessantes, peur de mon père qui en rentrant demandera : « Qu’est-ce qu’elle a encore fait ? » Mais j’ai surtout peur de ma mère, de son regard chargé de haine, de colère et de beaucoup d’autres choses qui font que je me sens si sale, si mal, que je voudrais ne plus exister du tout…
Tout a commencé quand nous avons emménagé dans cette maison à la campagne, quelques mois plus tôt. Nous avons quitté Clermont-Ferrand pour le hameau de Garfeuil. Mon père n’a pas toujours travaillé la terre, il a d’abord exercé plusieurs petits boulots en ville. Il a été employé dans une usine de biscuits – il nous en rapportait parfois. Il a aussi travaillé dans un magasin d’électroménager dont il nous parlait souvent. Je vois encore son air radieux quand il nous donnait des autocollants. Mais ce qu’il voulait avant tout, c’était cultiver la terre.
*
Je me souviens de ce jour où mon père nous a dit :
— On quitte la ville et on s’installe à la campagne, j’ai acheté des vergers !
Il affiche un sourire jusqu’aux oreilles, celui des grands jours, des grandes joies. Ma mère ne prononce pas un mot. Partage-t elle l’enthousiasme de son mari ? Je ne sais pas, mon regard reste fixé sur mon père. Son bonheur irradie. Nous, les enfants, sommes un peu perplexes : partir à la campagne, quitter les copains et notre vie, l’idée ne nous fait pas sauter de joie.
Quelques semaines plus tard, nous partons découvrir notre future maison et ses environs. Après une bonne heure de trajet, nous quittons la nationale pour nous engager sur une toute petite route qui enjambe une rivière aux berges ombragées, je m’émerveille. J’ai l’impression que nous sommes partis à l’autre bout du monde. Tout semble si calme, si paisible. Nous laissons sur notre gauche un château où, plus tard, nous ferons du baby-sitting, ma sœur et moi, puis nous tournons à droite. Trois cents mètres plus loin, un panneau indique : « Métairie la Trigaudelle ».
— Voilà, c’est chez nous ! annonce mon père avec fierté.
La voiture se gare devant une vieille bâtisse. Je vois du gris, beaucoup trop, tout est terne, triste. Pas de volets, pas une fleur, aucune couleur. Je ne détache pas mes yeux de la façade du bâtiment : c’est un long et gros bloc rectangulaire décrépit. Je n’imagine pas que l’on puisse vivre là. Mon frère et ma sœur partagent mon inquiétude.
— C’est vraiment là qu’on va habiter ? interroge Sylvain.
— Oui, répond mon père, enthousiaste. Je vais vous montrer l’intérieur, vous verrez, ça va vous plaire !
Il n’y a pas de porte d’entrée, nous devons pénétrer dans le bâtiment par une cloison coulissante déglinguée. La vision qui s’offre à nous dépasse tout ce qu’on aurait pu concevoir. Nous restons sans voix devant tant de délabrement.
— C’est le garage, dit mon père.
Ça ne ressemble pas plus à un garage qu’à une grange ou à une cave. Par endroits on ne voit plus le sol, jonché de débris de toutes sortes : plâtre d’un côté, vieilles planches de l’autre, morceaux de fils de fer… Tout est recouvert d’une épaisse couche de poussière, si bien que l’on ne distingue plus la nature des objets abandonnés. Mon frère, ma sœur et moi sommes abasourdis. Mon père, lui, ne s’est pas départi de sa bonne humeur.
— Allez, venez, je vais vous montrer la cuisine !
Nous pénétrons dans une pièce qui ne s’apparente à rien de descriptible.
— Avant, c’était une porcherie ! dit-il en riant.
Tout est vieux, crasseux. Nous poursuivons la visite, ma gorge se serre. Nous tombons sur un escalier sortant de nulle part. C’est là que sera installée la porte d’entrée.
— Et maintenant, les chambres !
Le cœur lourd, je monte les marches avec toute la famille. Sur la gauche, une pièce gigantesque s’offre à nous, sinistre et froide. Je préfère ne pas savoir s’il y avait des lapins ou des poules… Au fond, la lumière filtre par la fenêtre, je m’approche.
— Oui, c’est le sud ici, c’est lumineux, précise mon père. Nous allons couper la pièce en deux, d’un côté ce sera la chambre des filles et de l’autre celle de Sylvain. Je vous laisse choisir.
— Sylvain, tu devrais prendre celle au sud, tu seras mieux ! conseille vivement ma mère.
— D’accord, répond mon frère.
Je regarde le sol parsemé de taches lumineuses qui contrastent avec le noir de ma future chambre, à l’opposé, au nord. Je n’arrive plus à déglutir. Estelle, quatre ans, ne dit rien. Est-ce qu’elle s’en moque ?
— Allez ! On descend et on va pique-niquer dans le garage !
Une bise glaciale s’engouffre par deux grands trous dans le mur. Quelques minutes plus tard, nous nous levons après avoir rapidement avalé notre sandwich. Un cri strident retentit. C’est ma mère. Elle montre son pied : elle a marché sur une planche cloutée et s’est blessée. Mon père l’aide à monter dans la voiture pour l’emmener chez un médecin.
Les voilà partis. Nous restons là tous les trois, seuls, au milieu des vieux débris avec la campagne, immense, autour de nous.

L’huissier
Au téléphone, l’huissier a informé Arnaud que mes parents nous attaquent en justice. Cela fait quelques années que j’ai réussi à couper les ponts avec eux, que j’essaie de vivre et d’oublier l’horreur. Ça recommence.
Après avoir déposé les aînés à l’école et la plus jeune à la crèche et avant d’aller chez l’huissier, je pars à Valence où j’ai rendez-vous avec mon kiné.
— Comment ça va, Lucie ? me demande-t il.
Je lui raconte la visite des policiers. La séance terminée, le kiné me conseille de prendre le bus. Je préfère marcher. J’avance d’un bon pas et j’essaie de ne pas penser. Au bout d’un long moment, je n’ai toujours pas trouvé la rue que je cherche. Je fais demi-tour et, soudain, une vague de panique m’envahit. Je ne sais plus où aller ni que faire, alors je marche. Bouger mes bras et mes jambes, sentir mes pieds sur le sol, ne jamais m’arrêter pour ne pas flancher. Avec le désespoir comme moteur, je cours presque. Personne ne me traque, mais mon cœur s’emballe. Enfin, je trouve la rue de l’huissier. Nous y voilà. Je regarde la grande porte vitrée donnant accès au hall d’entrée. J’observe encore la façade de l’immeuble puis je commence à faire les cent pas, l’angoisse est à son comble. Faire demi-tour, renoncer, ne plus respirer les miasmes du passé. Ce sont mes parents qui me conduisent ici ce matin, il est question de mes enfants. Alors, la peur au ventre, je sonne et je saisis à pleines mains les poignées dorées. Un clerc me reçoit et me remet une assignation au tribunal.
— Au tribunal ? dis-je avec stupeur, les yeux écarquillés.
— Mais oui, au tribunal !
Je sens presque pointer de la jubilation dans sa voix.
Il sort une liasse de plusieurs feuillets.
Je ne comprends toujours pas ce qui se passe.
— Les grands-parents ont le droit de voir leurs petits-enfants, lâche le clerc d’un air arrogant. J’ai eu votre père deux heures au téléphone, il m’a tout expliqué. Vous ne pouvez pas l’empêcher de voir ses petits-enfants. Vraiment, le faire souffrir comme ça !
Son ton accusateur me révolte. La colère me submerge et j’ai envie de hurler sur cet imbécile. Qu’est-ce qu’il connaît de ma vie, lui, planqué derrière son bureau ? Qui est-il pour me juger ? Je fais de gros efforts pour rester calme, je ne veux pas m’attirer d’autres ennuis. Avec ce qui se profile,
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Le comportement odieux de mes parents a atteint son paroxysme lorsque les actes du grand-père incestueux ont été révélés. Quand ils ont su que Lucie, Estelle et moi avions été victimes de notre grand-père maternel, ils n'ont rien fait. Certes, nous ne sommes plus allés chez lui, mais jamais ils ne nous ont parlé, à nous, de ce que nous avions subi. Ils n'ont pas cherché à savoir dans quel état moral nous nous trouvions ni à nous apporter un quelconque soutien psychologique. Ils n'ont pas voulu porter plainte contre le grand-père incestueux. Ils se sont justifiés en disant vouloir préserver la réputation de la famille alors qu'un procès contre le grand-père aurait aidé leurs filles à comprendre la gravité des actes dont elles avaient été victimes, et à se reconstruire. En revanche, ils font à présent un procès à leur propre fille sans se soucier qu'il contribue par là-même à nous détruire. p. 151
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[ messe du dimanche ]
Tous ces gens très âgés autour de nous accentuent mon sentiment de malaise. Ils affichent une attitude mi-prostrée, mi-soumise, courbant le dos et pliant les genoux. Cette posture, jamais je ne l'adopterai. Tous ces cous tendus vers l'homme en blanc là-bas, qui tantôt proclame, tantôt assène ou culpabilise, je ne m'y ferai jamais. (...) J'étais là pour ingurgiter la "parole de Dieu" et la réciter quand on me le demandait.
(p. 68)
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En attendant, tous les vendredis nous allons à la médiathèque avec les enfants. Au milieu des livres, j’ai l’impression que le mal n’a pas sa place. Il reste à la porte. Rien de mauvais ne peut arriver ici. Enfant, j’ai passé beaucoup de temps à la bibliothèque municipale. Plusieurs heures d’affilée parfois. Estelle et moi faisions de la clarinette et du solfège à des horaires différents. Il nous fallait attendre, car ma mère ne voulait pas multiplier les trajets. La bibliothèque est restée un refuge pour moi. J’aimais le plancher d’époque qui craquait doucement à chaque pas. J’appréciais le calme, le silence qui n’évoquait pas l’isolement. Il n’y avait pas d’angoisse, mais une douce quiétude. Chacun vaquait à ses occupations, soit de lecture, soit d’écriture. C’était un lieu où je me ressourçais entre deux tempêtes.
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Mais un enfant ne peut pas grandir sans l’amour d’un adulte qui lui fait comprendre qu’il est important pour lui, qu’il existe, qu’il a le droit de vivre de respirer de manger .
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Vidéo de Aline Caudet
VLEEL 278 Rencontre littéraire Aline Caudet, Déchirer le grand manteau noir, Éditions Viviane Hamy
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