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EAN : 9782072880117
240 pages
Joëlle Losfeld (03/01/2020)
3.82/5   173 notes
Résumé :
John Smythe, ancien homme de main et boxeur clandestin, emménage avec ses enfants Cathy et Daniel dans le Yorkshire, la région d'origine de leur mère. Vivant en marge des lois et chassant pour se nourrir, ils sont bientôt menacés d'expulsion par M. Price, un gros propriétaire terrien. John décide alors de provoquer l'insurrection populaire. Premier roman.
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Critiques, Analyses et Avis (74) Voir plus Ajouter une critique
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John Smythe, ancien homme de main et boxeur clandestin, vient de s'installer illégalement dans le Yorkshire, sur le terrain qui appartenait autrefois à son épouse disparue. Avec ses deux enfants Cathy et Daniel, il y mène une existence marginale et retirée, vivant principalement de la chasse. Mais le propriétaire, Mr Price, potentat local redouté aux pratiques peu orthodoxes, s'est mis en tête de l'expulser.


Faisant référence à un ancien royaume celtique qui, du Ve au VIIe siècles, couvrit une partie du Yorkshire, mais se déroulant dans ce que l'on devine être notre époque, Elmet met en scène une sorte de Robin des Bois moderne, hors-la-loi au grand coeur, braconnier proche des pauvres et des opprimés, en l'occurrence des victimes du vil Mr Price, homme terrifiant et sans vergogne. A travers les puissantes personnalités de John et de Price s'affrontent deux univers opposés : l'un fruste mais humaniste, fondé sur la liberté et la proximité avec la nature, l'autre construit sur la possession, le pouvoir et la domination à n'importe quel prix.


La fable va s'avérer extrêmement cruelle, les débuts plutôt paisibles et bucoliques, imprégnés de la tendresse taiseuse d'une famille hors normes, basculant rapidement dans un cauchemar violent et sanglant, où John et ses enfants se retrouvent confrontés à l'injustice, à la tyrannie et à la brutalité aveugle. Autour d'eux, la majorité des témoins se pressent comme des moutons, prompts à basculer d'un camp à l'autre pour toujours se trouver du côté du plus fort.


J'ai été littéralement emportée par cette histoire où l'auteur réalise l'exploit de rendre parfaitement réaliste un conte remarquable d'imagination. de son écriture fluide et agréable qui transporte littéralement le lecteur auprès de personnages crédibles et touchants, Fiona Mozley met en place une spirale tragique où la tension dramatique portée à son paroxysme débouche sur un sentiment de révolte face à l'injustice.


Curieux mélange d'ingénuité et de cruauté où le bucolisme léger se transforme sans prévenir en explosion sanglante, cet étonnant roman à la lecture addictive nous confronte à une situation contemporaine d'assujettissement social aux échos étrangement féodaux. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Elmet, le joyau celte brille encore sur la cime des arbres et dans les cours d'eau de ta forêt. Il s'échappe, murmure et grandit dans le coeur des nouveaux héritiers de ton royaume perdu.
C'est un bout de terre et une cabane, non loin d'une voie de chemin de fer qui relie Londres à Edimbourg.
L'ultime refuge d'un père, John Smythe, et de ses deux enfants adolescents Daniel et Cathy.
Ce sont les nouveaux Robinson de ta terre bénie et accueillante s'il n'y rodait pas un ogre assoiffé de sang et de pouvoir, le propriétaire terrien M. Price flanqué d'une poignée d'hommes armés qui font la loi.

Comme j'ai aimé lire le bouleversant roman de Fiona Mozley à la fois poétiquement attachant et terriblement violent. C'est un conte gothique comme je les adore où la forêt de sapins remplace la lande du Yorkshire chère à mon coeur !

J'ai adoré l'univers poétique et l'écriture charnelle de l'autrice dans le sens où la nature prend lentement possession des corps, le chemin naturel de l'altérité. Dans le regard de Daniel qui est le narrateur, la peau devient lumière, les yeux ont la couleur du ciel, la terre se confond avec sa soeur. Les corps des adolescents grandissent dans ce nouvel éden et celui du père vieillit au rythme naturel des saisons.

Non, le danger ne vient pas de ta forêt, Elmet mais d'un homme veul et sanguinaire, la personnification d'un autodafé de notre civilisation. le temps a recouvert les cimes et le feu ta lumière.
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Dans la région du Yorkshire où la nature est aussi splendide que peu hostile, deux enfants, Danny et Cathy vivent au milieu de la forêt, avec John, leur père, un homme , très grand, taciturne et manuel- il a construit de ses propres mains la maison dans lequel les trois vivent- qui autrefois servi d'homme de main à Mr Price., riche propriétaire terrien, particulièrement cupide et odieux. L'harmonie( relative) du début va vite donner lieu à une tragédie inéluctable.

Elmet, le premier roman de la jeune Fiona Mozley a été couronnée de nombreux Prix en Grande-Bretagne, et a notamment figurait en finale de la liste du Man Booker Price, ce qui est très rare pour un primo romancier.

Elmet est un roman à part, entre le conte gothique proche du fantasy, dans lequel la nature a toute sa place et le drame social à la Ken Loach qui voit les riches patrons dominer outragement les plus modestes sans le moindre scurpules, au dépit de toute humanité.

Un drame assez intemporel, pour accentuer le coté conte du film même si la critique de l'ultra libéralisme et certaines références aux geurres d'aujourd'hui ( Irak) pour le faire situer à la fin du 20e siècle

On pense au niveau de l'ambiance à des films anglais comme le Géant Egoiste de Clio Bernard ou alors pour l'histoire d'un père qui fait mener une vie dascète à sa progéniture au papa de Captain Fantastic en plus âpre

Un Yorkshire méconnu et mystérieux qui sert de décor à cette fabe romanesque et terrifiante ou la violence est prégnante, radicale et où l' injustice et la révolte sous jacente prend des accents shakespariens .

Une très des belles découvertes littéraires de ce début d'année, et même si la période n'est pas forcément la plus propice à ce genre de lecture sombre et assez anxiogène, la magnifique prose de sa romancière mérite largement d'être mise en avant !
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Cathy et Daniel, la fuite désespérée

Couronnée de nombreux Prix en Grande-Bretagne, Fiona Mozley est l'une des révélations de cette rentrée dont Joëlle Losfeld nous assure – à juste titre – qu'elle nous invite à une «fête de la lecture».

Cathy et Daniel vivent avec leur père John Smythe dans le Yorkshire. Ils se sont établis là, dans la région natale de leur mère, après avoir quitté la maison sur la côte à la suite du décès de leur grand-mère. «On était arrivés peu de temps avant mon quatorzième anniversaire. Cathy venait juste d'avoir quinze ans. C'était le début de l'été, ce qui laissait à papa tout le temps nécessaire pour construire la maison. Il savait qu'elle serait terminée bien avant l'hiver. Dès la mi-septembre, on put l'occuper.»
John, qui a une stature imposante, gagne sa vie en participant à des combats rémunérés ou bien vend sa force de travail, passe des heures dans les bois à chasser et à abattre du bois, mais ne s'épanche guère sur ses activités devant sa progéniture. Un jour pourtant, il raconte à Cathy et Daniel qu'il est allé récupérer une somme d'argent qu'un ami, victime d'un accident, n'était plus à même de réclamer par lui-même. Il a ainsi pu réparer une injustice. Valeur cardinale à ses yeux.
«À l'époque, il ne cherchait qu'une chose: nous endurcir contre l'inconnu. Contre les choses sombres du monde. Car plus on en savait, plus on serait armés. Et pourtant, le monde était totalement absent de nos vies…» 
Quand Cathy est importunée par les jeunes collégiens, s'il se range derrière sa fille qui a choisi de ne pas se laisser faire et de défendre son petit frère, il ne proteste toutefois pas quand la directrice de l'établissement la réprimande pour avoir fait subir de mauvais traitements aux garçons. Il décide simplement de confier à Vivien, une amie, le rôle de préceptrice plutôt que de continuer à envoyer ses enfants à l'école.
La confiance qu'il accorde à ses enfants le pousse à croire aussi Cathy lorsqu'elle raconte qu'elle a vu un homme près d'une jeune fille retrouvée morte, alors que la police avait conclu à un suicide. Une thèse qui ne sera du reste pas remise en cause avec la découverte d'un second cadavre. John prend alors l'initiative d'effectuer des rondes, mais sans résultat. S'il ne va pas voir la police, c'est qu'il est réticent à l'autorité. Et aux institutions de manière plus générale.
Il n'aspire qu'à la paix, en quasi autarcie.
Mais, par la confession du narrateur, le lecteur sait d'emblée que l'histoire a mal fini. Daniel se retrouve seul, sans argent, erre à la recherche de sa soeur. Que s'est-il passé? On ne le découvrira qu'à la fin du livre.
En revanche, on apprend assez vite qu'un certain Price, qui possède quasiment toutes les terres du Comté, entend faire valoir ses droits de propriété sur le lopin où John a construit sa maison. Et que John organise la riposte, chargeant Daniel et Cathy d'en savoir plus sur la façon dont Price mène ses affaires et comment avec Coxswain, son homme de main, il exploite les familles.
Le conte prend alors des allures de lutte des classes avec «un combat illégal pour régler légalement un différend.» Comme Joëlle Losfeld, on pense aux Raisins de la colère et à une tragédie contemporaine sur «l'enfance, la révolte, l'injustice, la tyrannie, la violence faite aux femmes, ais aussi le courage qu'il faut pour être libre et l'amour.»
Le tour de force de Fiona Mozley étant de nous livrer le tout presque sous forme poétique, avec un style léger qui va soudain basculer dans l'horreur, donnant plus de force encore au choc final. C'est superbe !


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Elmet est un roman pénétrant et dérangeant. Dès la première page on sait que le narrateur fuit une scène traumatique et qu'il est à la recherche de sa soeur. On sait également que cet instant est l'aboutissement du récit qui va suivre. Daniel va raconter son histoire avec sa soeur et son père, le lecteur ne peut se bercer d'illusion elle sera sombre. Leur père, après le départ de la mère, qui reste mystérieux, a choisi de construire une maison dans un bois et d'y vivre en autarcie avec ses enfants afin de les "...endurcir contre l'inconnu. Contre les choses sombres du monde". Bien que plusieurs faits marquent clairement que l'histoire se déroule à notre époque, j'ai souvent eu l'impression d'être au moyen âge. Mr Price,le propriétaire terrien du coin a, en effet un pouvoir sur ses locataires et ses ouvriers qui ressemble totalement au Seigneur et ses serfs. Son pouvoir plane comme un aigle menaçant sur la famille. On sent que le drame va surgir mais quand ? et pourquoi? L'admiration et l'attachement sans faille des deux enfants pour leur père est touchante. de fait cet homme paraît invincible,un peu taiseux ,son amour pour ses enfants est son seul guide. Il se dégage de ce trio beaucoup d'émotion. J'ai " tendu le dos" pour eux à tout moment. Cathy est une jeune fille très attachante par sa force de caractère et sa sensibilité. Daniel est très touchant car il semble subir les évènements et lutte entre volonté d'être à la hauteur et les reste d'innocence de l'enfance. Son regard inquiet et interrogateur sur ce qu'il vit et les non dits de son histoire m'a donné envie de le protéger,l'autoriser à être encore un petit garçon ! Fiona Mozley a une très belle écriture qui m'a semblée difficile d'accès dans un premier temps puis envoûtante. Elle décrit la nature telle une botaniste mais avec ,en plus la capacité de se servir de chaque détail naturel comme d'un révélateur des ressentis du narrateur. Quel talent! Je suis très heureuse de cette découverte et j'espère que ce premier roman ouvrira l'espace de beaucoup d'autres aussi originaux.
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critiques presse (2)
LeFigaro
06 février 2020
Elmet de Fiona Mozley est un conte gothique naïf, poétique et sanglant sur un propriétaire terrien terrifiant.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LeMonde
24 janvier 2020
Avec une sensibilité étayée par le soin qu’elle accorde aux détails, la romancière transcrit une routine frugale, la tendresse silencieuse qui unit cette famille, en marge de la société comme de la modernité [...] Le genre exige du style, de sorte à conférer à la faune et la flore un statut de personnages. Fiona Mozley y parvient sans peine.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (29) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
Je ne projette pas d’ombre. La fumée dans mon dos étouffe la lumière du jour. Je compte les traverses, et les chiffres défilent. Je compte les rivets et les boulons. Je marche vers le nord. Mes deux premiers pas sont lents et traînants. Je ne suis pas sûr d’avoir pris la bonne direction, mais je dois m’en tenir à mon choix : j’ai franchi le tourniquet, et la barrière s’est refermée.
Je sens encore l’odeur des braises. Contour charbonneux d’une épave qui ondule. J’entends à nouveau les voix de ces hommes et de la fille. La rage. La peur. La détermination. Puis ces vibrations destructrices dans les bois. La langue des flammes. Leurs crachats secs et brûlants. Ma sœur à la peau maculée de sang, et cette terre vouée à la destruction.
Je longe la voie ferrée. Quand j’entends une locomotive au loin, je me jette derrière les aubépines. Pas de trains de passagers, juste de marchandises. Des wagons en acier maculés d’emblèmes inattendus : l’héraldique d’une jeunesse qui a bien vieilli. De la rouille, des gravillons, des décennies de brouillard sale.
La pluie tombe puis s’arrête. Les herbes folles sont trempées. La semelle de mes chaussures crisse dessus. Si mes muscles me font mal, je les ignore. Je cours. Je marche. Je reprends ma course. Je traîne des pieds. Je me repose un peu. Je bois dans des trous remplis d’eau de pluie. Je me redresse. Je repars.
Je doute sans cesse. Si elle est partie vers le sud en atteignant la voie ferrée, c’est fichu, je ne la retrouverai jamais. J’aurai beau marcher, trotter, courir, m’allonger au milieu des voies pour me faire couper en deux par un train, ça ne changera rien. Si elle est partie vers le sud, je l’ai perdue.
J’ai choisi le nord, alors je continuerai par là.
Je brise tous les liens. Je progresse en bordure des champs. J’escalade des barbelés, des barrières. Je franchis des zones industrielles et des jardins privés. Je ne m’occupe pas des limites des comtés, des quartiers, des paroisses. Je traverse des prés, des pâturages et des parcs.
Les rails m’aiguillent au milieu des collines. Les trains glissent dans les vallons assombris par les sommets. Je passe une nuit étendu dans la lande à observer le vent, les corbeaux, les véhicules au loin ; absorbé par les souvenirs de cette même terre, plus au sud ; avant, bien avant ; puis par les souvenirs d’une maison, d’une famille, de ses hauts et ses bas, des revers de fortune, des commencements et des fins, des causes et des conséquences.
Le lendemain matin, je reprends ma route. Les vestiges d’Elmet gisent à mes pieds.

On arriva en été, quand le paysage était en fleurs, les journées longues et chaudes, la lumière douce. Je me promenais torse nu, et ma sueur était propre. J’aimais l’étreinte de cet air épais. Pendant ces mois-là, des taches de rousseur apparurent sur mes épaules osseuses. Le soleil était long à se coucher, les soirées tournaient à l’étain avant de noircir, puis un nouveau matin s’immisçait. Les lapins gambadaient dans les champs et, avec un peu de chance, lorsqu’il n’y avait pas de vent et que la brume s’accrochait aux collines, on apercevait un lièvre.
Les fermiers abattaient les nuisibles, et nous, on piégeait des lapins pour les manger. Mais pas le lièvre. Pas mon lièvre. C’était une femelle qui veillait sur sa portée dans un terrier à l’ombre du chemin de fer. Elle était habituée au passage des trains et quand je la voyais, elle était toujours seule, comme si elle avait réussi à s’échapper de son terrier. C’est rare qu’une créature de son espèce abandonne sa progéniture en plein été pour courir les champs, pourtant cette hase était en quête. De nourriture ou de compagnie. En quête comme un animal qui chasse, à croire qu’elle avait décidé de ne pas rester proie, mais au contraire de courir et de chasser. Comme si un jour, alors qu’elle était poursuivie par un renard, elle avait fait volte-face pour se lancer aux trousses de son poursuivant.
Quelle qu’en soit la raison, cette hase n’était pas comme les autres. Lorsqu’elle filait, je la distinguais à peine, mais quand elle faisait halte, elle se transformait en la chose la plus immobile à des kilomètres à la ronde. Plus immobile que les chênes et les pins. Encore plus immobile que les rochers et les pylônes. Plus immobile que la voie ferrée. À croire qu’elle dominait la terre, qu’elle avait réussi à la bloquer en se plaçant au centre, que même les jalons les plus fixes tournoyaient follement autour d’elle, et que tout le reste, tout le paysage, était aspiré par son œil disproportionné, globuleux, de la couleur de la braise.
Si la hase faisait figure de mythe, cette terre qu’elle griffait l’était tout autant. Ce paysage qui n’avait été qu’une immense forêt était à présent parsemé de pustules en forme de bosquets. Les fantômes de l’ancienne forêt se manifestaient encore lorsque le vent soufflait. Le sol regorgeait d’histoires brisées qui tombaient en cascade, pourrissaient puis se reformaient dans les sous-bois de façon à mieux ressurgir dans nos vies. On racontait que des hommes verts avec des visages en feuille d’arbre et des membres en bois noueux scrutaient depuis les fourrés. Les cris de meutes à moitié mortes de faim qui couraient, haletantes, pour attraper du gibier en train de les charger. Robin des Bois et sa troupe de vagabonds faméliques qui sifflotaient, se battaient et festoyaient avec la même liberté que les oiseaux à qui ils volaient leurs plumes. La forêt s’étirait sur une large bande entre le nord et le sud. Sangliers, ours et loups. Biches, cerfs, daims. Kilomètres de champignons souterrains. Perce-neige, campanules, primevères. Les arbres avaient depuis longtemps cédé le terrain à des champs, des pâturages, des routes, des maisons et des voies ferrées, il ne restait plus que quelques bois comme le nôtre.
Papa, Cathy et moi, on occupait une petite maison qu’il avait construite de ses mains avec des matériaux provenant des environs. Il avait choisi pour nous ce petit bois de frênes séparé de la principale ligne de chemin de fer de l’est par deux champs, suffisamment loin pour ne pas être vus, suffisamment près pour bien connaître les trains. Ils passaient assez souvent, si bien qu’on savait différencier le vrombissement et le sifflet des trains de voyageurs des sons étouffés et étranglés que produisaient les trains de marchandises avec leur cargaison dans des conteneurs en métal peint. Ils avaient des horaires et des intervalles bien à eux, et leur son se propageait comme les cernes des arbres autour de notre maison, tintant à la manière des carillons tibétains. Les longs Andelante et Pendolino indigo qui reliaient Londres à Édimbourg ; les convois plus petits et plus vieux, avec de la rouille sur leurs pantographes crissants. Les vieux trains à bestiaux qui faisaient teuf-teuf en direction de l’abattoir, trop lents pour les rails modernes, aussi mal à l’aise sur l’acier laminé à chaud que des vieillards sur de la glace.
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Parfois, on avait l’impression que nos questions embarrassaient papa. Il cherchait à être ouvert, à partager son savoir avec ses enfants, à leur donner des détails sur sa vie avant leur existence, et sa vie actuelle, mais on savait que si des détails étaient trop délicats, il les gardait pour lui. À l’époque, il ne cherchait qu’une chose: nous endurcir contre l’inconnu. Contre les choses sombres du monde. Car plus on en savait, plus on serait armés. Et pourtant, le monde était totalement absent de nos vies p. 69
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Les fantômes de l'ancienne forêt se manifestaient encore lorsque le vent soufflait. Le sol regorgeait d'histoires brisées qui tombaient en cascade, pourrissaient puis se reformaient dans les sous-bois de façon à mieux resurgir dans nos vies.
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Je ne projette pas d’ombre. La fumée dans mon dos étouffe la lumière du jour. Je compte les traverses, et les chiffres défilent. Je compte les rivets et les boulons. Je marche vers le nord. Mes deux premiers pas sont lents et traînants. Je ne suis pas sûr d’avoir pris la bonne direction, mais je dois m’en tenir à mon choix : j’ai franchi le tourniquet, et la barrière s’est refermée.
Je sens encore l’odeur des braises. Contour charbonneux d’une épave qui ondule. J’entends à nouveau les voix de ces hommes et de la fille. La rage. La peur. La détermination. Puis ces vibrations destructrices dans les bois. La langue des flammes. Leurs crachats secs et brûlants. Ma sœur à la peau maculée de sang, et cette terre vouée
à la destruction.
Je longe la voie ferrée. Quand j’entends une locomotive au loin, je me jette derrière les aubépines. Pas de trains de passagers, juste de marchandises. Des wagons en acier maculés d’emblèmes inattendus : l’héraldique d’une jeunesse qui a bien vieilli. De la rouille, des gravillons, des décennies de brouillard sale.
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Papa nous avait dit que quand on se retrouvait face à quelqu'un, voilà ce qu'on ne devait jamais oublier : on ne peut regarder qu'une seule personne à la fois dans les yeux.
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Vidéo de Fiona Mozley
Entretien avec Fiona Mozley à l'occasion de la parution de “Elmet” chez Joëlle Losfeld. Découvrez les 5 mots choisis par l'autrice pour évoquer ce livre.
Découvrez le livre : http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Joelle-Losfeld/Litterature-etrangere-Joelle-Losfeld/Elmet Feuilletez les premières pages : https://bit.ly/3iBYd3i Retrouvez toutes les critiques de “Elmet” sur Babelio.fr : https://www.babelio.com/livres/Mozley-Elmet/1188335
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