Hanami Sonata est un recueil qui contient deux novellas : le maître de Kodo et La maîtresse d'Echos.
Dans le maître de Kodo, nous suivons Hatsuyuki Izôkage, qui fait venir une délégation de 5 fays américains pour sauver sa soeur Fuyue, piégée dans le Grid pour retrouver son âme soeur. le Grid, c'est la Matrice de Neuromancien et de Matrix. Cependant, sa modélisation diffère un peu, et d'ailleurs elle est décrite dans ces pages. Je vous laisserai découvrir cela. Parmi la délégation Fay on retrouve des personnages croisés dans le dit de Frontier : Priest, Jay, Margret/Crescent, et on aperçoit aussi indirectement Shade, qui mène la révolte et la mise en sécurité des Fays aux USA, vers Frontier.
On est donc, au début du recueil, dans un univers bien cyberpunk. Un monde contemporain, résolument urbain; une technologie dangereuse, mal maîtrisée, terrain de jeu favori des pirates du Darknet; un réseau de Fays et de changelings, dont le sort aux USA et au Japon est sujet de tensions. C'est d'ailleurs tout l'enjeu de la Maîtresse d'Echos, où les deux personnages principaux endosser des rôles politiques et diplomatiques dans ce grand échiquier.
Il y a plusieurs rythmes dans ce roman. Tout ce qui est lié au Grid (son explication, sa modélisation, les différentes tentatives d'y pénétrer pour retrouver Fuyue) est traité de manière très directe. Factuelle, sans digressions. Droit au but. Et entre ces différentes scènes, coupées souvent d'ellipses, l'autrice insère des scènes de dialogues assez longs. Comme si elle zoomait et appuyait sur le bouton pause en même temps. Ces échanges sont beaucoup plus poétiques, et surtout tragiques, au sens théâtral du terme. J'en parlerai plus bas.
Recueil cyberpunk, et pourtant, donc, assez contemplatif. Les deux novellas se lisent comme une pièce musicale en deux mouvements, soulignés par le passage du temps.
Léa Silhol nous offre des pages de toute beauté, assorties de photographies (magnifiques, avec des macros impeccables) de son jardin japonais, pour souligner la fugacité du temps.
Le Maître de Kodo est comme une poussée de sève; les personnages sont vifs mais ploient sous un destin lourd, implacable. Puis La maîtresse d'échos apporte la renaissance. La floraison réapparait.
Léa Silhol nous invite à apprécier le Hanami, cette coutume japonaise qui consiste à apprécier la beauté des fleurs de sakura, particulièrement au printemps lorsqu'elles sont en pleine floraison. Toute l'histoire d'Hatsuyuki et de Crescent est illustrée par ces saisons qui passent, ce renouvellement perpétuel, et la fugacité de la beauté, soulignant les rares moments de grâce qu'ils partagent.
Et au-delà du Hanami, l'autrice nous offre un regard sur la culture, l'intimité et l'esprit japonais. Il n'est pas seulement question d'apprécier les beautés d'une Nature environnante. Il y a dans
Hanami Sonata une ode à la vie japonaise. Ce qui définit les individus, leur état d'esprit, leur philosophie, leur regard sur le monde. Il y a quelque chose de très intime dans ces pages, à travers à la fois les dialogues mais aussi les silences reposants dans le jardin d'Hatsuyuki. J'ai particulièrement aimé le contraste entre les manières d'être très discrètes, empruntées, et la fougue des personnages, résolus, entiers, droits et presque sauvages, sous leur réserve première.
Le mariage cyberpunk et sakuras donne déjà quelque chose d'assez singulier. Mais il faut rajouter à cela d'autres éléments qui donnent au recueil une coloration plus complexe, kaléidoscopique. D'abord, les clins d'oeil permanents à la quête de Seuil et à ces temps anciens/alternatifs. La fantasy celtique et mythique n'est jamais loin, et est même inextricablement liée à ces temps modernes.
Et puis magie, avec l'Eysh et l'art du tatouage. Cela donne au roman une dimension supplémentaire, et complètement reliée au Grid puisque cette magie est incontournable pour aller délivrer Fuyue. C'est aussi elle qui parvient à recréer les ponts entre les époques et à générer la renaissance de Margret. On est dans quelque chose de presque alchimique, ésotérique. J'ai énormément aimé cet aspect-là, en plus de sa beauté visuelle. En bref,
Léa Silhol mélange dans
Hanami Sonata plusieurs genres et sous-genres et crée là une association réussie.
Hanami Sonata, je l'ai dit plus haut, c'est le récit d'une métamorphose. Celui de Margret, qui renoue avec ses origines. le fil rouge de ce roman, c'est elle. Venue des Etats-Unis au Japon, ce pays qu'elle ne connait pas, c'est là qu'elle va (re)trouver du sens. Sa moitié, sa patrie, sa Terre. Alors le chemin n'est pas linéaire, loin de là, et le roman s'étire sur une durée assez longue.
Une quête, donc, de soi. de son identité, de ce qui est au fond de nous. Crescent n'est pas une jeune femme, c'est une femme de pouvoir qui a traversé les époques. Intéressant de la voir de nouveau renaître ici sous une autre forme, comme un phénix. Et intéressant aussi de voir comment elle finit par balayer ce qui l'a tant de fois contrainte. Une sorte de maturité qui permet au personnage de clamer, enfin, qui elle est et surtout ce qu'elle veut. J'ai beaucoup aimé cette métamorphose, qui se fait à travers un cheminement difficile, fait de séparations, de douleurs tant physiques que psychologiques… Il y a des scènes d'une très grande intensité et d'une beauté pure, dans ce roman; je pense notamment à la révélation que reçoit Crescent lors de son marquage, à certains dialogues et surtout à beaucoup de silences et de non-dits, comme pour éviter de mettre des mots sur la douleur. Parfois, le silence a une force bien plus redoutable que tous les mots.
La relation entre Crescent et Hatsuyuki m'a un peu fait penser à la chanson de
Jeanne Moreau dans Jules et Jim : « On s'est trouvés, on s'est retrouvés, on s'est perdus d'vue, on s'est r'perdus d'vue… »
Une petite ritournelle qui a accompagné ma lecture pendant ce pas de deux entre Margret/Crescent et Hatsuyuki. Un pas de deux subtilement souligné par la division en deux parties du roman : le Maître de Kodo//La maîtresse d'Echos. La chute, avant la renaissance.
Une tragédie en deux actes : voilà ce qu'est
Hanami Sonata. Une histoire d'amour poignante, faite d'impossibilité, contrainte par le Destin, les menaces extérieures et le sens des responsabilités et du devoir de chacun. C'est beau, c'est vibrant, et c'est puissant, aussi. Moi qui clame sans arrêt que je n'aime pas les romances, hé bien j'ai adoré la relation entre Crescent et Hatsu. Il est vrai que leur histoire personnelle est magnifique, mais j'ai aussi aimé parce que les deux personnages font un pont entre les espaces (Etats-Unis, Japon), les cultures et le temps. le lien, c'est eux. Et ils ouvrent des perspectives fort intéressantes pour la suite. Il va donc sans dire que je vais me plonger dans les autres chants du cycle très rapidement…
La chronique complète figure sur le blog avec un peu plus de points de repère qui replacent le recueil dans la Trame.