C'est un fait, je suis jamais contente. C'est un fait, je deviens de moins en moins patiente en BD comme en littérature. Là, si je ne m'intéressais pas à
Edgar Poe à cause d'un vague projet, je ne crois pas que j'aurais emprunté cet album, dont la couverture me paraît vachement agressive pour les yeux et ne me fait pas franchement penser à
Poe. En plus, j'aime pas particulièrement le travail de
Jean-Louis Thouard (j'ai vu deux expos de lui, et je l'ai suivi un temps sur Facebook). Et encore en plus, j'aime pas trop lire des adaptations de la littérature en BD depuis que j'ai été traumatisée par celle des Hauts de Hurlevent. J'ai tenté le coup quand même, au cas où. Je comprendrai si vous me trouvez masochiste.
Première chose à savoir, c'est qu'il ne reste absolument rien du Masque de la mort rouge d'
Edgar Poe dans cette BD, hormis l'invention d'un quartier de Baltimore anciennement décimé par une épidémie de variole et renommé La mort rouge, où se trouve une espèce de mafieux en léthargie appelé Prospero ; ne cherchez pas plus loin de rapport avec le conte horrifique original, il n'y en a pas. Il s'agit davantage d'une adaptation du Chat noir, avec un zeste du Cas de M. Valdemar. Pourquoi avoir intitulé l'album La Mort rouge, dans ce cas ? Peut-être parce que Seiter et
Thouard (ou des gens de Casterman) se sont dit que les lecteurs potentiels n'auraient pas forcément envie de voir en images l'histoire du Chat noir, avec maltraitance domestique, énucléation, pendaison et meurtre à la hache à la clef (c'est classé comme conte sadique dans l'intégrale de Gallmeister, et ça reflète assez bien la chose). Certains des personnages sont tirés de la littérature ou de la vie de
Poe, comme
William Wilson, Prospero que j'ai déjà mentionné, ou encore un bateau appelé le Virginia (prénom de la femme d'
Edgar Poe). C'est pas ça qui fait un bon scénario à la
Edgar Poe.
Vous l'aurez donc compris, lorsque je parle d'adaptation, c'est à prendre avec des pincettes. Si des éléments strictement narratifs des deux contes que j'ai cités sont présents, l'essence n'y est pas du tout. À commencer par l'ammbiance. Et si on lit
Poe, c'est beaucoup pour ses atmosphères morbides, sombres, glauques, poétiques, oniriques, et tout ce qu'on voudra. Si on va chercher une adaptation, c'est un peu pour les mêmes raisons. Ici, on oublie : l'ambiance, c'est pas trop ça, même si
Jean-Louis Thouard fait des efforts. La faute d'abord à un scénario creux, pas fouillé, auxquels il faut ajouter des dialogues qui manquent cruellement de naturel et rendent le rythme... En fait, oubliez également le rythme, y'en a pas.
Ce qui n'a sans doute pas arrangé les choses, c'est que cet album s'inscrit dans une série de trois tomes, et devinez quoi ? C'est le troisième tome. Sauf que rien ne l'indique. Il y a bien un titre générique, "
Histoires extraordinaires d'
Edgar Poe" (un jour, il faudra quand même qu'on se débarrasse de ce titre qu'on nous sort à toutes les sauces et qui est une pure invention de
Baudelaire ; évidemment, d'un point de vue éditorial, c'est vendeur). Mais rien qui dise que l'histoire de l'album La Mort rouge s'inscrit dans une histoire plus générale, avec des personnages récurrents. C'est pas très grave, ça n'entrave pas réellement la lecture, mais ça m'a privé de quelques détails. Dont finalement je me fous un peu, à dire vrai.
Qu'est-ce qui nous reste sur les bras ? Une vague histoire de drame domestique (celle tirée du Chat noir) qui n'a pas du tout la portée du conte de
Poe, associée à une vague histoire de sciences occultes (celle tirée du Cas de M. Valdemar). Aucune ne va nulle part, puisqu'aucune n'est véritablement exploitée. le tout assorti d'un découpage et d'une mise en page chaotiques, à la colorisation tout aussi chaotique. On sent que
Thouard a voulu utiliser le plus possible le champ/contre-champ, les changements de plans, etc. : on passe d'un plan large, à un plan plus rapproché, puis à un gros plan, pour revenir à un plan rapproché, puis passer à un plan large, etc., etc., tout ça assorti de champs et contre-champs, et tout ça sur une seule page. Et encore, c'est sans compter les planches où tout ça s'ajoute à des alternances heurtées de la colorisation. Hop, trois cases dans les tons gris, et hops, quatre cases dans les tons rouges, et hop, deux cases dans les tons verts, et hop, trois cases dans les tons bleus, et ainsi de suite. Pour résumer, ça fait mal à la tête et avec un peu de bonne volonté, vous aurez carrément la nausée ; peut-être même courrez-vous aux toilettes pour vomir (si vous avez le temps d'arriver aux toilettes). J'ai envie de dire que c'est un bon exemple de ce qu'il ne faut pas faire en matière de découpage, de mise en page et de colorisation en bande dessinée. C'est agressif, le trait de
Jean-Louis Thouard l'étant déjà pas mal. Et il y aurait à redire sur la technique d'encrage (en plus, oui).
Conclusion : scénario plutôt insipide, mauvais dialogues, travail graphique criard et mal maîtrisé, et pas d'inspiration poesque en vue. Passons.