Car je crois que rien, ni les triomphes, ni le midi dans toute sa hauteur, ni l'oeuvre achevée, ni les plaisirs, ni les jardins, ni les corps souples, ne vaut ces premiers mouvements, signes de vie, ce commencement dans le ventre maternel. L'inconnu à tous et de lui-même se démène. Une volonté préexiste, quelqu'un sera. Embryon pour l'instant, qui gratte si doucement aux portes, croit encore que ce voile de chair et de sang cache quelque chose de suprêmement désirable, illusion organisée, et qui palpe, touche déjà, rêve, le réel. Ce léger mouvement est plus terrible pour le futur père que la trompette d'un jugement dernier. Il divise l'un. Je connus cette angoisse très particulière, unique sans doute parce que joie intense et mort possible se mêlent, du père lorsqu'il attend une venue au monde. Trois fois, elle me fut donnée.
Par jeu, j'avais composé mon épitaphe :" Ci-gît un moi, tué par les autres." J'aime à me dire que je suis emporté par une crise aiguë de tendresse tardive.
Mais les angoisses et les peurs revenaient s'emparer de moi. Telle est ma détestable nature. Les moindres maladies de mes enfants provoquaient chez moi étourdissements, estomac en révolte, fièvres subites. Leurs premiers retards à regagner la maison, lorsqu'ils se mirent à grandir, tout me fut occasion d'inquiétude. Je passais parfois des heures à les guetter à la fenêtre. L'expérience renouvelée me montra que l'esprit, contre cela, ne peut rien. Il doit vivre sa défaite.
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On joua finalement mon Faust à la comédie française. Je ne tenais plus en place et ne supportais plus les félicitations embaumantes. Je voulais fumer, parler, fuir. Ma petite fille disait doucement affolée : sois sage grand père, écoute !
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L'époque se mit à faire de l'originale sans origine, en même temps qu'elle inventait le café sans caféine.
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