Ce tome est le premier d'une série indépendante de tout autre. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2017, écrits par
Garth Ennis, dessinés et encrés par
Russ Braun, avec une mise en couleurs réalisée par
John Kalisz, aidé par
Guy Major pour l'épisode 5. Les couvertures ont été réalisées par Dave Jonson (épisodes 1 à 4) et
Andy Clarke (épisode 5). Ce tome comprend également les couvertures alternatives réalisées par
Russ Braun,
Dans un dirigeable de type zeppelin au-dessus de Londres, un groupe de terroristes islamistes a pris les passagers en otage et ils s'apprêtent à actionner leur ceinture d'explosifs. L'un après l'autre, ils sont abattus par Jimmy Regent, agent spécial du MI6 qui raille leurs slogans en faisant remarquer qu'ils sont factices. D'une autre pièce du dirigeable, vient une voix monocorde qui débite des insanités toutes politiquement incorrectes, comme autant d'expressions toutes faites. Regent découvre la présence d'un de ses ennemis récurrents Theophlius Trigger qu'il neutralise, puis d'un autre Bobo le clown chimpanzé à qui il loge une balle dans la cloche crânienne en verre abritant son cerveau. Les passagers encore vivants ont tous sauté parachute, et Regent en fait de même. Il se raccroche à l'hélicoptère piloté par Olga, sa partenaire, pendant que le dirigeable en flamme plonge vers la Tamise. Olga et lui terminent la nuit ensemble dans des étreintes passionnées. le lendemain, Jimmy Regent se rend au quartier général pour que Mister Thumb lui présente ses dernières inventions, ainsi que Nancy McEwan sa nouvelle coéquipière.
Jimmy Regent invite Nancy McEwan à rendre un verre dans un bar. Il consomme du champagne, et elle ne prend rien. Il lui pose quelques questions tournant autour de sa confiance en elle, de la manière dont elle a peut-être dû compenser son statut de femme pour faire ses preuves dans le monde masculin des espions. Elle lui fait bien comprendre qu'elle ne se comportera pas comme Olga, ou ses précédentes coéquipières. Il passe la nuit avec la serveuse du bar et une autre jeune femme. Dans un autre endroit de Londres, un large groupe d'individus portant des robes rouges à capuches s'est rassemblé. Ses membres sont harangués par un individu ressemblant à Jimmy Regent en plus jeune, leur indiquant que l'heure de la vengeance a bientôt sonné et qu'elle va s'exercer contre leur père : Jimmy Regent.
C'est toujours avec gourmandise que le lecteur découvre un nouveau comics écrit par
Garth Ennis. Il est pratiquement assuré d'y trouver de l'hyper violence, un humour parfois trash, et une vision du monde personnelle plus humaniste qu'il pourrait s'y attendre. La couverture sarcastique de
Dave Johnson indique d'entrée de jeu qu'il s'agit d'une parodie d'agent secret, et plus particulièrement de James Bond. Effectivement, le lecteur découvre un homme au service secret de sa majesté, disposant du permis de tuer. Après l'intervention musclée à bord du dirigeable, Jimmy Regent se rend auprès d'un individu en blouse blanche qui lui soumet de nouveaux gadgets mortels, tel Q pour James Bond. Il est toujours vêtu d'un complet veston impeccable, et dispose d'une coiffure qui pourrait faire envie à
Roger Moore. C'est un tombeur de ces dames, et il se rafraîchit en buvant du champagne chaque fois qu'il le peut. D'une certaine manière, c'est l'incarnation d'une époque révolue, d'un ordre établi vieux jeu et patriarcal.
Garth Ennis raconte une histoire au premier degré. Jimmy Regent se retrouve d'abord confronté à 2 gugusses à la limite du supercriminel ringard, puis à un ennemi utilisant des individus pilotant des hélicoptères siglés donc facilement reconnaissable, et enfin à des tueurs plus banals.
Russ Braun a régulièrement collaboré avec ce scénariste, d'abord sur la série The Boys palliant l'indisponibilité de
Darick Robertson, puis sur des histoires de guerre dans la série Battlfield. Ensuite il a collaboré avec lui sur des miniséries comme Where Monsters dwell: The Phantom Eagle flies the savage skies pour Marvel, ou Sixpack & Dogwelder pour DC. S'il a suivi sa carrière, le lecteur a pu le voir progresser de projet en projet. Cet artiste dessine avec une approche réaliste, et avec un bon niveau descriptif. C'est encore le cas pour cette histoire. Cette approche permet d'ancrer ces aventures dans une réalité proche de celle du lecteur.
Russ Braun représente donc des personnages avec des morphologies normales, portant des tenues vestimentaires plausibles et adaptées aux circonstances. L'artiste se montre aussi pertinent dans ses plans de prise de vue de scènes d'action que de scènes de dialogue, proposant des visuels qui apportent des informations supplémentaires, que ce soit sur les mouvements ou sur l'environnement dans lequel les personnages évoluent.
Dans la première page,
Russ Braun représente le dirigeable vu de l'extérieur avec un degré significatif de simplification, et une photographie aérienne de Londres (retouchée) comme arrière-plan. le lecteur peut ainsi observer que l'artiste gère la densité d'informations visuelles pour conserver une bonne lisibilité à ses cases, tout en s'assurant qu'il puisse s'y immerger. Il utilise à nouveau des photographies pour la cathédrale Saint Paul, avec le même souci du bon dosage. Au fil des différentes séquences, le lecteur peut ainsi se projeter le grand salon luxueux de Jimmy Regent, sur un parcours de golf, dans un Club cossu réservé aux gentlemen, dans la soute d'un navire de fret, ou encore dans la nef de la cathédrale Saint Paul. En phase avec l'histoire, Braun dépeint Jimmy Regent comme un individu grand athlétique, sûr de lui, avec une grâce réelle dans ses gestes, y compris lors des scènes d'action, par exemple un très beau saut avec appui par-dessus le bastingage du navire. Jimmy Regent est un bel homme très séduisant.
Tout autant en phase avec le récit,
Russ Braun accentue les expressions des visages quand le besoin s'en fait sentir, généralement pour un effet comique. le lecteur peut s'amuser à lire la ferveur sur le visage des rejetons non reconnus de Jimmy Regent quand Junior les harangue, les regards de mépris de Nancy McEwan en réponse aux remarques empreintes de condescendance ou de suffisance de Jimmy, la tête de l'indicateur Idi quand il découvre qu'il partage la soute avec des musulmans en phase de radicalisation, ou encore les regards égrillards des individus découvrant qu'ils ont changé de sexe. Bien sûr, le visage de Jimmy Regent est tout aussi expressif avec une forme de contentement de soi qui fait naître une envie irrépressible de le gifler. Il arbore presque continuellement un petit sourire semblant signifier qu'il regarde les autres avec condescendance, mais en fait au fur et à mesure il apparaît que ce sourire correspond plus à sa capacité d'anticipation de ce qui va arriver et qu'il sourit à l'idée d'avoir deviné avec justesse. le langage corporel et le visage de Jimmy Regent dresse le portrait d'un individu sûr de lui, efficace, élégant et gracieux, à qui l'expérience confère une forme supériorité qu'il accepte avec élégance, mais qu'il ne sait pas cacher.
L'intrigue suit son cours vers la confrontation inéluctable entre Jimmy Regent et ses rejetons illégitimes, avec son quota d'action et de moments Ennis. Effectivement Regent est un tombeur de ses dames et apprécie de jouir de la vie, mais les auteurs ne représentent pas la nudité frontale, contournant l'écueil de transformer les femmes en objet. Il y a des affrontements à l'arme à feu, et Regent comme McEwan n'hésitent pas à tirer à bout portant dans la tête de leurs assaillants. C'est brutal et graphique, tout autant que définitif et efficace. Ennis a intégré quelques moments énormes dont il a le secret comme l'attaque d'un parcours de golf par des hélicoptères armés de lance-roquettes, ou un individu émasculé qui se voit présenter ses testicules dans un bocal. C'est un humour noir et provocateur, mais totalement intégré et partie prenante de l'intrigue. Effectivement, Jimmy Regent incarne les valeurs d'une Angleterre du siècle précédent, avec une forme de virilité conquérante, un agent qui au service de sa Majesté, ou plutôt au service du gouvernement en place sans état d'âme. Bien sûr, comme Nancy McEwan, le lecteur peut s'offusquer du comportement de cet homme à femmes (qui avoue lui-même que ses conquêtes n'étaient pas toutes futées) si sûr de lui, de son absence d'égard pour la vie de ses ennemis. Dans le même temps, il n'est pas infaillible et il s'adapte au fait que Nancy McEwan, elle, est futée. Ennis montre d'ailleurs qu'elle est tout à fait l'égal de son coéquipier, abattant avec quasiment la même froideur ses ennemis d'une balle dans la tête à bout portant, et utilisant même le lance-flammes quand l'occasion s'en présente, son visage montrant une détermination sans faille. En outre, elle se montre plus intelligente que lui en prenant le temps d'étudier les cadavres dans le détail, ce qui lui ne fait pas.
Garth Ennis met en scène un individu copie conforme de James Bond version
Roger Moore ou Sean Connery, en mettant en scène ses comportements de domination masculine au premier degré, jusqu'à la consommation d'alcool, mais plus raisonnée parce qu'à base de champagne et pas d'alcool fort. Malgré tout, quand Regent invite McEwan à prendre un verre pour la première fois, il fait preuve d'une sensibilité pénétrante, en lui demandant si sa progression professionnelle a été plus dure du fait d'être une femme, sans condescendance. Par la suite, c'est qui lui impose sa présence dans le club masculin à l'ancienne, lui reconnaissant le statut de collègue à part entière. Finalement, Jimmy Regent incarne les valeurs du passé, mais sans pouvoir être qualifié de relique. Il est effectivement compétant, efficace comme l'exige son métier, face à des individus prêts à exécuter froidement des civils sans arrière-pensée. Au fil des échanges entre lui et Nancy McEwan, il est amené à donner son avis sur le gouvernement, sur la formule toute fait qui veut qu'en Angleterre la démocratie s'exprime au travers des décisions du Parlement qui oeuvre au progrès social. Alors qu'il pourrait s'agir d'une déclaration cynique et toute faite, l'échange prend une autre tournure. McEwan exprime sa crainte que la démocratie repose sur une couche de glace de plus en plus fine prête à craquer. Regent cite
Winston Churchill : la démocratie est la pire forme de gouvernement, à l'exception de toutes les autres formes qui ont été expérimentées de temps en temps. le lecteur comprend que Jimmy Regent a réfléchi aux conséquences de ses actes, et aussi à l'alternative de ne pas défendre cette démocratie, y compris par des moyens létaux.
Jimmy Regent est en fait un pragmatique, convaincu qu'il participe à défendre la liberté assurée par la démocratie, confiant en lui-même grâce à des années d'expérience. le lecteur peut rapprocher ce point de vue de celui de Regent sur le politiquement correct. À une remarque de McEwan ayant utilisé cette expression, il rétorque qu'il l'abhorre parce que ce n'est pas en ne parlant pas d'une chose (y compris en termes clairs) qu'elle cesse d'exister. le lecteur a l'impression d'entendre
Garth Ennis lui-même s'exprimer ainsi, exposer la nécessité d'individus défendant la démocratie contre des ennemis armés bien réels, refusant également un mode d'expression qui peut dégénérer en niant la réalité.
En découvrant ce projet de
Garth Ennis, le lecteur vient pour une pochade parodique, et il est servi. le scénariste s'amuse avec cette variation de James Bond. le dessinateur
Russ Braun réalise des planches réalistes et descriptives sans être encombrées, avec un art de la moue parlante, parfaitement en phase avec le récit. Sous la caricature légère, le lecteur découvre un regard adulte sur la compétence née de l'expérience, et sur le thème du gouvernement comme outil de démocratie.