Du lundi au vendredi dans "Culture Médias", Lisa-Marie Marques fait le portrait de l'invité avant qu'il ne soit connu. Aujourd'hui Sophie Fontanel, auteure et journaliste.

A la radio, un médecin soulignait que plus un individu fait l'amour, meilleur il devient dans tous les domaines. Et moi j'éclatai de rire. Mon air railleur n'empêchait nullement cet homme de persévérer dans son catéchisme. Il rappelait que le corps humain est une mécanique, et la comparait, cette machine, au métro de Taipei, à Taiwan. Il y a des années de ça, un vice de fabrication avait concerné le béton des piliers soutenant ce métro aérien, fraîchement construit. Eh bien, sans passagers, ce métro avait fonctionné, jour et nuit, sans quoi il aurait rouillé. Selon ce médecin, une prophétie similaire planait sur le corps sexuel. Si on n'en faisait pas usage, il se dégradait.
On pouvait téléphoner à l'émission pour apporter un témoignage. J'avais composé le numéro. Plus rapidement que prévu, j'étais tombée sur un standardiste qui demandait ce que le sujet du jour m'inspirait. J'avais dit que j'étais révoltée... J'avais dit que les redoutables et ultramodernes conventions de notre époque étaient partout mais que, naïve, je m'étonnais de les trouver ici, dans une bonne émission de radio. J'avais démontré que ce n'était pas vrai, cette histoire que plus on fait l'amour, meilleur on devient. Par exemple, St François d'Assise, mère Téresa, le dalaÏ-lama, Bouddha ? Et que penser du compagnon qui fut des heures exaspérant et hostile, il a négligé votre dévouement, il vous a humiliée devant les autres, il a maudit votre souffle et il entend la nuit se réconcilier à bon compte ? On se rapproche de lui par la force des choses, en le haïssant. Est-ce bon pour la santé, ça ? J'avait dit : "Pourquoi donner à la vie sexuelle une valeur en tant que telle ? Il y a une multitude de dispositions intérieures, de circonstances extérieures. Ce qui rendrait meilleur, ce serait de ne rien croire aux propos canoniques de ce médecin." J'avais proposé : "Laissez aux gens le trésor qu'ils possèdent. Leur équilibre indéfinissable." Indéfinissable, j'avais appuyé.
(...) Aux antipodes des drames que chacun traverse
Dont on va vite un peu partout
A raconter qu'ils nous constituent
Une immense douceur attend en nous
(...)
le moment d'épancher sa grandeur
(...)
L'arbre que tu plantes dans ton jardin. Pour toi ce ne va être qu'une galère de tuteurs. Mais un jour, pour d'autres, l'acacia s'élèvera dans le ciel, où tu seras déjà, et il fera de l'ombre à ceux de ton sang, et toi tu n'en feras plus à personne. Tu ne seras que lumière pour ceux qui se souviennent. Une soirée d'été, quelqu'un de ta descendance sera là sous cet arbre, à humer la douceur. Ce petit-fils, cet arrière-petit-cousin, cette arrière-arrière-petite-nièce, qui que ce soit, il ne pensera plus à ses déceptions. Au contraire, il se sentira accueilli dans une plénitude, sous l'arbre muet la nuit. Alors il se dira: "D'où vient tout cet amour?" (page 145)
Je découvrais que les hommes ont peu de personnes à qui ouvrir leur cœur. Qu’ils sont plus pauvres que nous. Leurs états d’âme, lorsqu’ils se les bouffent, leur font un bâillon.
Je ne sais pas si l'amour rend aveugle mais j'ai pu croire que la solitude rend clairvoyant.
Hélas, on ne peut s'ensorcer sans s'isoler. UNe femme ne le peut pas. D'ailleurs, un homme ne le peut davantage.C'est simplement qu'il s'en rend moins compte.
C'est alors que, d'une voix où ne pointait aucune ironie, aucun dédain,aucun ascendant, aucune cruauté, elle me fit cette remarque : " je te demanderais de te jeter par la fenêtre, tu le ferais." On sait comment ça se passe, parfois on a l'instinct de tout prendre mal, c'est dans l'enfant en nous. Je ne sais pas pourquoi, j'ai eu la force d'entendre qu'elle ne voulait pas m'agresser, qu'elle essayait de me dire autre chose, de constructif, quelque chose que je n'avais jamais voulu accueillir en moi. Et moi : " bien sûr que je le ferais, si tu me le demandais, ça voudrait dire qu'on serait au rez-de-chaussée...." J'eus son sourire céleste en hommage à ma maturité. Et je vis - je le jure- la paix tomber sur moi, la première main chaude de mon existence. La guerre que j'avais faite aux autres était terminée.
Non. Ce n'est pas pareil. L'enfant, vois-tu, ton projet c'est de le sortir de la dépendance. C'est plus qu'un projet, c'est une mission. Et attends, c'est plus qu'une mission, c'est l'avenir. Un enfant, c'est quelqu'un qu'on rend indépendant. Il te quittera, pour vivre. Il a des chances de vivre, même s'il est malade, même s'il s'en sort mal. Tu peux y croire. Jusqu'au bout, tu peux penser que s'il guérit, il est sauvé, que s'il a son bac, il est sauvé, que s'il sait se lier, il est sauvé. Alors que ta maman, où tu l'emmènes ? L'indépendance à venir, ce sera la tienne. Jusqu'au bout c'est toi l'enfant que ta mère autonomise. C'est elle, la mère. Laisse-toi chambouler, parce que, mon amie, ce qu'elle est en train de parfaire, c'est ton éducation.
Je ne sais pas si l'amour rend aveugle, mais j'ai pu croire que la solitude rendait clairvoyant.
Je venais d’apprendre qu’une grande solitude sait toujours parler à une autre.