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EAN : 9791092364620
118 pages
Le Ver a Soie (24/04/2023)
4.75/5   2 notes
Résumé :
Sous l'égide d'Archimède de Syracuse qui traverse l'espace-temps pour évoquer ses découvertes scientifiques aquatiques, le roman de Veronika Boutinova narre l'histoire de la jeune Magda qui entend - par le biais de sa chevelure immense flottant dans la Manche -, les voix des migrateurs noyés dans les mers européennes. Une voix est cependant prépondérante sur les autres, réclame la jeune milivole calaisienne : celle d'un homme qui flotte en Méditerranée et qu'elle dé... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Onirique, magistral, un chant tragique magnifiquement déplié.
Le macrocosme de notre humanité tremblante de pluie.
Les migrations, noria d'oiseaux noirs en plein vol dans la tourmente. Ici, elles sont au fronton des douleurs. L'exil à l'instar de l'horizon en front de mer. Une muraille gorgée d'eau cerclée de détresse. L'abandon ultime. L'échappée de soi-même, la plénitude n'est pas. Trop de courant et d'indifférence pour un lendemain où l'Homme deviendra universel.
Ce livre est un cri du coeur. Un éclat de lumière qui perce les pages sombres et intestines.
La magnanimité des bienfaiteurs qui encensent la trame et redonnent de l'espoir. La force du vent qui contre les contraires. On écoute Veronika Boutinova.
Ce texte des itinérances, des croisées est doté de plusieurs lectures, plusieurs fragments. Chacun des morceaux d'architectures est un écho en nos poitrines. Voix des migrants, voiles blancs et larmes salées. La corne de brume qui éclate en sanglot. L'électrochoc bénéfique, la parole est donnée. Ce récit est un levier qui interpelle nos consciences. Une litanie qui exauces l'honneur des migrations. Un parchemin qui pointe du doigt là où ça fait mal. Subrepticement, il démonte des diktats un à un et souffle de l'air froid sur nos arrogances et nos faillites.
Veronika Boutinova prend place.
« Un roman mausolée », un livre-somme, la vérité terriblement humaine et sinistre. Des hommes, femmes et enfants, nos frères et soeurs en humanité, qui font de leurs périples de survivance le gain des rapaces et des passeurs. Corps jetés en pleine mer puisque l'être de chair et de sang n'est plus.
Voix qui s'élèvent, ressacs et tempêtes. L'enfant qui pleure et dérange, arraché du ventre d'une mère et tel un fardeau, lancé en pleine mer. Une contrainte de moins pour le passeur criminel. Prouver toute sa barbarie jusqu'au paroxysme de l'horreur.
Les voix sont des échos. Calais perd ses couleurs. Les résistances comme des étoiles dans les yeux. Magda est ici. Elle, qui entend la voix des disparus en mer, radeau de Géricault. La Méditerranée est un cercueil qui dérive et s'enfonce sous l'intolérable. Les corps noyés, tels des oubliés de notre planète-terre.
Symbolique, puissant, viscéral et empreint d'une souffrance vive et insistante, la voix qui murmure son éloge funèbre dans la chevelure de Magda est celle du cri des fonds marins. Tous ensemble, la concorde des finitudes, ils disent leurs histoires de vie, les batailles pour survivre. Eux, devenus l'anonyme, le néant. Magda cherche l'homme qui flotte dans sa tête. Elle si fragile et pourtant endurante. « Entre ses heures de fac, Magda parfois bénévole, distribue de la nourriture, des sourires timides, des vêtements chauds, des chaussures, des tentes, prodigue des soins ou des conseils administratifs aux exilés. Nazali, lui, dépérit, hébergé dans le garage de la maisonnée de Blériot-Plage ».
Baptiste, son frère, collecte les faits, retient les dates des drames, archiviste mémoriel. « Des mots pour susciter la connaissance, observer, ausculter, disséquer, nommer, raconter, dénoncer, témoigner, sensibiliser, engranger la mémoire des faits, analyser. Je suis l'archiviste du flot migratoire, j'ancre ici tous les écrits rédigés sur les exilés de Calais et du monde entier. Je garde la trace historique ! Tu savais que c'est en 1988 à Cadix qu'on découvrait le corps du premier migrant mort noyé ? ».
« Archimède de Syracuse, le scientifique, vers 210 avant Jésus-Christ, marche et réfléchit, réfléchit et marche, traçant des lignes sur le sol de Sicile de son long bâton noueux ».
Il est la vérité, la raison, l'implacable et conte les cartographies des noyés, ce qu'il reste d'un corps jeté en pâture aux vagues et poissons. L'eau qui défigure un visage. Les ravages comme un mausolée scientifique. Les faits qui charrient les poésies, algues gluantes. Lèvres pâles et fermées, les corps devenus un fait, juste un fait, une preuve scientifique sans état d'âme.
Blériot-Plage, fourmilière où gravite l'aide humanitaire, les cachettes et les secours. Les traquenards des vils. C'est ici que Magda puise sa voix en devenir de lumière. « La confidente des noyés » Magda prononce la Babel anéantie. Épuisée par les voix dévorantes, le génocide maritime, elle cherche l'homme emblématique, celui qui parle au nom des siens. Elle voudrait pour lui, un linceul blanc, une mer sans frontières. Un cercueil où la rédemption serait alors le triomphe. Magda l'amoureuse de Nazaré qui veut rejoindre l'Angleterre et qui serre son secret contre lui. Lui, qui vit dans le garage familial. L'abri Alcazar, la grotte glacée où Nazalé trace sur les murs sa route pour demain, peut-être, pas encore, pas maintenant. Un autre jour. Ne rien dire au frère et à la soeur, fuir en silence, redevenir anonyme. Exilé pour toujours, l'amour pour Magda sera sa couverture de survie, peut-être, si tout se passe bien.
Ce texte est un phare dont le halo se fixe sur les vérités. Sur les exilés, les bénévoles, les périples de mort. Les dérives et les radeaux percés. « C'est ça le plus dur gamin. Et quand tu vois la tête d'un enfant, tu te sens submergé d'une haine pure pour le genre humain ».
L'éloge existentiel, « une langue orientalo-arabo-africo-européenne, nouvelle et inventive, enchanteresse, mélodieuse et magique, une langue métèque formidable cousue de pashto, d'ourdou, de dari, d'arabe, de tigrinya, de persan, de bengali, d'anglais, d'allemand, d'italien, d'espagnol, de français aussi un peu, d'une pincée de grec ou de turc ».
La plus belle phrase du livre : « Le migrateur est un traducteur ».
Comme le dit Archimède de Syracuse et Veronika Boutinova dans ce livre poignant : « Donnez-moi un point d'appui et je soulèverai le monde ».
Crucial, engagé, pétri d'humanité, d'exaltante fraternité, ce livre est une polyphonie bouleversante. Une urgence de lecture. Un livre spéculatif, « L'homme qui flotte dans ma tête », est le fronton d'amour universel. le mausolée, un chant ténébreux et essentiel, déchirant et fondamental. Un livre dont les ombres sont nos tourments pour toujours. Publié par les majeures et estimables Éditions le Ver à soie.
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Pour son nouveau livre, Veronika BOUTINOVA nous entraîne dans la tête de migrants dans un remarquable travail d'investigation et de mémoire. Ce roman/récit est une suite d'instantanés de parcours migratoires en des portraits déchirants. L'autrice suit certes des migrants, mais aussi des bénévoles dédiés à une tâche ardue : celle d'aider des exilés, des réfugiés.

Bateaux de fortune sur lesquels les places se paient au prix fort à des passeurs pas toujours bien scrupuleux sur la sécurité ni sur le fond de la tragédie, plutôt pressés de faire grossir le tiroir-caisse. Dans un texte entre récits de vies, poésie, fiction, faits divers et anecdotes, jamais Veronika BOUTINOVA ne perd le cap, se permet même de brefs chapitres en italique où des migrants, épuisés, désenchantés, sentent venir la mort, qui les cueille comme ça, au milieu de la mer par exemple, sans sursis.

D'autres chapitres sont consacrés à la figure d'Archimède, modernisé pour les besoins de la cause, avec détails scientifiques sur les effets de la noyade entre autres. Ce livre est aussi dense que bref, des voix s'entrechoquent, des échos surgissent, dans une polyphonie déconcertante. Car les mots, cruciaux, claquent comme un coup de fouet : « Des mots pour susciter la connaissance, observer, ausculter, disséquer, nommer, raconter, dénoncer, témoigner, sensibiliser, engranger la mémoire des faits. Je suis l'archiviste du flot migratoire, j'encre ici tous les écrits rédigés sur les exilés de Calais et du monde entier ».

Car le parcours du combattant pour un exilé commence dans ce roman par Calais et les obstacles administratifs, matériels, humains, pour rejoindre l'Angleterre. Il se poursuit du côté de la mer Égée, la Grèce, les îles Lesbos, partout ces mêmes difficultés, ces drames. Car « L'homme qui flotte dans ma tête » est une sorte de tragédie grecque contemporaine, elle emprunte à la littérature du grec ancien, elle est une poésie homérique et dévastatrice.

Quelques anecdotes cruelles, inhumaines, comme ces passeurs jetant à la mer de jeunes enfants jugés trop bruyants. Ceci n'est pas une fiction. Sans compter les destinées universitaires contrariées : des étudiants forcés d'interrompre leurs études pour s'enfuir de leur pays, sans rien, sans liens, juste ces personnes aidantes, dévouées, entièrement dédiées à une cause humaniste. Et ces morts, partout, tout le temps. Les plus chanceux auront leur corps retrouvé, enterré dans un champ, comme un charnier des temps modernes. Les autres, portés disparus, dont les familles ne pourront pas faire le deuil.

« La dérive peut durer plusieurs jours, sans boire ni manger, à se chier dessus, à pisser, à vomir, à piétiner les excréments et les corps, et dessous dans les cales, on retrouve des victimes mortes d'étouffement, d'épuisement, asphyxiées par les gaz du moteur ». Dire l'indicible, récit dur, mais un partage d'émotion, de militantisme où chaque humain compte. le parcours des migrants est ici scrupuleusement détaillé avec pudeur mais rage.

N'oublions pas ces moments de grâce, où certains réfugiés arrivés à bon port sont pressés d'apprendre la langue du pays où ils se trouvent, désirent s'intégrer par-dessus tout, malgré les séquelles, malgré l'abandon d'une vie, laissée là-bas, loin. Veronika BOUTINOVA nous force avec maestria à nous placer dans la tête des migrants, ne traduisant pas certaines phrases qu'elle écrit en anglais et en italien par exemple, nous faisant prendre conscience que nous nous trouvons, nous lecteurs, devant les mêmes difficultés linguistiques que les réfugiés.

Le travail de Veronika Boutinova n'est pas sans rappeler celui de Marie COSNAY, deux militantes exigeantes autant sur le terrain que par le style littéraire, toutes deux avec la volonté de faire sauter les verroux, d'anéantir l'omerta sur un sujet brûlant, toutes deux aidées par leur poésie gracieuse et offensive. Veronika BOUTINOVA nous avait déjà livrés chez le Ver à Soie le bouleversant « Sursum corda » (chroniqué ici en son temps), elle a commis d'autres textes, dont du théâtre, je pense ici à « N.I.M.B.Y. et Dialogues avec un calendrier bulgare » chez L'espace d'un instant, pièces dont je dois absolument vous parler un jour. Avec « L'homme qui trotte dans ma tête », elle poursuit son oeuvre cohérente, faite de combat par la littérature. Ce livre est sous-titré « Roman mausolée », on ne saurait mieux dire. Il vient de paraître chez le Ver à Soie, aller explorer le catalogue, il est plein de surprises.

« Donne-moi un point d'appui et je soulèverai le monde ! ».

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