Je trouve qu'il y a beaucoup de points communs entre Lynch et Hitchcock. Même puritanisme d'obsédé égrillard, pris entre la phobie de l'organique et l'excès de glacis "chic". Même logique sèche des déductions sur un fond d'irrationnel destiné à demeurer tel. Même goût pour la petite ville de province américaine où seul le pire arrive sûrement. Même respect pour le public là où il est et là où il en est, c'est-à-dire en face de son téléviseur. Même talent de plasticien, généreux en rien sauf, justement, en "idées plastiques", gaiement formelles et au bord du potache. Même exhibitionnisme discret de l'"auteur" au milieu de ses personnages. Même goût pour les acteurs figés et pour les mannequins gominés. Le héros de la série, le magnifique Cooper, a quelque chose de Cary Grant jeune ou de l'intense Dana Andrews, réincarné avec le sens de l'humour en plus.
Les bons films, de nos jours, viennent souvent d'une capacité de solitude, plus ou moins bien subie et assumée. Cela leur confère une tonalité propre, une rage sourde ou une musique désolée, comme une obligation de "faire avec" le peu qui leur est laissé. Car il pèse désormais une menace sur le contrat minimum qui veut qu'un film soit, malgré tout, tourné vers le dehors. Un dehors qui soit le lieu de l'autre, altérité dont le "public" n'est que la forme la plus traditionnellement désirable. Autrement dit : le principe de non-suffisance reste au cœur du cinéma, même à l'époque où les auteurs se drapent trop facilement dans l'autonomie du "Ça me suffit". Justement, ça ne suffit jamais.
(p.113)
[...] Je me souviens aussi, cette fois à Hong-Kong, de ma seule rencontre avec l'inrencontrable Chris Marker. C'était un jour de canicule et nous avons envisagé (un peu trop crânement, quand j'y pense), la disparition pure et simple du cinéma, sa dilution heureuse, sa perte frivole, comme s'il se fût agi du rêve du seul XXe siècle et qu'il ne survivrait pas à notre réveil désenchanté, au seuil du XXIe. Nous y voilà.
Au jour le jour, je prends des notes et je note mes prises. Mais c'est désormais du Cinéma en général que je parle et me parle, jusqu'au dégoût d'avoir trop parlé. "Avons-nous rêvé ?" pourrait être mon leitmotiv (...).
Retour sur l'entretien du 4 novembre 2004 à Radio-France : https://youtu.be/TDzTUYNWhFM
1. Rumeurs journalistiques
2. Attente
3. Première caméra vidéo de Godard
4. Nomenclatures
5. Réaction de Godard aux invectives
6. Principes nietzschéens de la polémique
7. Neutralité et confusion
8. Renoncements du cinéma
9. Amis et ennemis
10. Répondre toujours
11. Conseil à de jeunes cinéastes
12. le nom "Américains"
13. Parler des films
14. Puzzles
15. Bible, Talmud et Mallarmé
16. Platon socratisé, Kafka et Max Brod
17. Adapter ou pas
18. Cinéphiles, imbéciles
19. Argent du cinéma, gratuité de la Bible
20. Cinéma et Domination
21. Écriture du mouvement
22. Trinités
23. Images des Palestiniens
24. Production, distribution, exploitation
25. Image et son
26. Habiter son nom
27. Dire, montrer, critiquer la critique
28. Camp de la Mort
29. le montage n'existe pas
30. Domination du "Je sais" et mensonge total
31. Dire et faire
32. Faussetés
33. Juifs exterminés, suicidaires palestiniens
34. L'auteur
35. Contrechamp et directives
36. Métaphore et idée
37. Autour de Serge Daney
38. Méchanceté?
39. Calculs de la Technique
40. Timbres de voix et histoire nationale
41. Malédiction de la vidéo et de Marguerite Duras
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