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Dimitri Sesemann (Traducteur)Jean Cathala (Traducteur)
EAN : 9782253032977
Le Livre de Poche (30/11/1993)
3.96/5   23 notes
Résumé :
Dombrovski a vécu presque la moitié de son existence dans les prisons et les bagnes staliniens quand il s’attelle à « La faculté de l’Inutile ». Un roman insolite et profond, « Le conservateur des antiquités », venait de le rendre célèbre. Il se retire du monde pour écrire ce livre où il veut communiquer l’expérience et les réflexions de toute une vie. Il va y consacrer plus de dix ans.
Le manuscrit achevé attend dans des planques sûres : un jour peut-être, l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
L'impression profonde et bouleversante qui émane de ce magnifique récit — largement autobiographique — dépend surtout, semble-t-il, du ton.

Dombrovski a été précipité dans cet épouvantable enfer, il y a vécu ; mais il faudrait dire avec plus de justesse qu'il y est descendu en compagnie de son créateur, « descendu aux enfers » et venu non pas pour juger ou condamner mais pour sauver. Il sait que, ici-bas, nous n'avons pas à trier le bond et le mauvais, d'autant plus que l'un et l'autre se partagent le coeur de chacun de nous. Tout grandit simultanément, mais seule compte une charité forte et authentique qui discerne et laisse à chacun sa chance infinie.(pg 175)

Dans cet univers où pardonner serait dangereux, où l'on ne relâche que le coupable (pg106, 161) : c'est à l'innocent, dans son dénuement, d'être le relais de la splendeur toujours présente mais cachée de l'univers. Pour chacun, l'essentiel est de consentir au repentir, comme le bon larron, car c'est ainsi qu'il sera rétabli dans sa dignité fondamentale, et qu'il pourra recouvrer l'exercice sa faculté de l'inutile, dans tous les domaines de l'existence humaine.

Un soir, Zybine et Paulina ont fait une difficile excursion qui les conduit dans un cimetière où ils rencontrent un vieillard. « Etrange bonhomme ! Que des visiteurs aient failli se rompre les os, qu'on lui vole ses barrières, qu'un imbécile ait eu dessein d'anéantir un monument funéraire, il en parlait du même ton léger, doucement railleur, en très vieil homme qui a pris ses distances. » (140).
Voilà, je crois, le mot clef. Dombrovski, aussi bien dans sa manière de passer environ vingt-cinq ans dans les prisons que dans sa façon d'en parler, a su prendre ses distances. D'où cette discrète, diffuse et convaincante atmosphère de tendresse humaine, si parente de celle d'un autre grand humaniste C.Péguy.

C'est cette distance qui lui permet de lire le regard de celui qui l'interroge : « Neumann (l'un des procureurs) s'appuya au dossier du fauteuil et darda un regard qui se voulait ironique. Mais il y avait dans ses yeux une angoisse que Zybine devinait perpétuelle. » (92, cf. 94)
Trés belle évocation du bon larron (409-416). Neumann y semble imperméable : « ... il n'y avait rien en lui qui pût s'ouvrir à la lumière » (409) ; même la bonté simple de son amie Marietta semble inefficace. Néanmoins, « Zybine y retrouve la même expression de peur cachée c'étaient surtout les yeux de Neumann qui le stupéfiaient, ce regard de simple tristesse humaine » (426).

Distance qui s'exprime également par l'humour et la faculté constante de rêver. Mais n'allons pas nous imaginer qu'elle cache un quelconque mépris ou un méprisable sentiment de supériorité : bien au contraire. Elle est ce qui permet une solidarité infinie, fraternelle.

Libéré — par hasard — de la prison, Zybine rencontre Neumann qui vient d'être rayé des cadres : comme deux vieux camarades, ils vont boire ensemble ! ( cela doit nous rappeler la fin de l'Aveu de L&A London ou le bourreau devenu coupable boit une verre avec celui qu'il à torturé qq temps auparavant)

Le roman s'achève dans le parc de la ville où un peintre « génial » (à la manière d'un Salvador Dali, cf. 41 ss.) est en train de peindre : l'image de cette trinité : un commandant de la sûreté rayé des cadres ; un indicateur ivre, baptisé le Taon par ses employeurs ; et celui sans qui les deux autres n'auraient pas existé. » (428
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Il y avait une bonne raison finalement à ne pas relire deux fois un même livre… Je ne comprends pas un tel écart entre deux lectures. Ce livre que j'ai placé sur un piédestal pendant toutes ces années, m'est finalement tombé des mains. Sans doute ne l'ai-je pas lu au bon moment. Je l'ai entamé à la fin de mes vacances estivales… et l'ai terminé 4 semaines après, à coup de 4-5 pages à chaque pause lecture. Ce texte d'une très grande richesse nécessite qu'on l'aborde l'esprit disponible.

Au cours de ces 575 pages, nous découvrons les méandres du pouvoir répressif soviétique en vigueur en 1937. Nous y découvrons les absurdités et la violence du régime communiste en Union Soviétique, le pouvoir qui contrôle d'une main de fer ses citoyens par des interrogatoires interminables, la prison ou le goulag, sans que les accusés ne sachent jamais réellement ce qui leur est reproché. La faculté de l'inutile, c'est l'université de droit, matière effectivement inutile en Union Soviétique à cette période (notamment ?). Avec Zybine, archéologue, nous assistons à des procédures kafkaïennes, des interrogatoires hallucinants où l'institution cherche à faire avouer des accusés qui ne savent pas pourquoi ils sont là.
[…]
Il s'agit là d'un récit très touffu, balayant ce qui fait la dictature stalinienne, dans toute son absurdité et sa terreur : la présence d'indicateurs, la délation par vocation ou par peur, les mouchards, moutons, les instructeurs, les juges, gardiens de prison et de camp, bourreaux et tortionnaires… la palette est infinie. Et au coeur du système, le citoyen lambda qui se sait pas ce qui lui est reproché et ne comprend pas plus pourquoi il est libéré. En grande partie autobiographique, ce récit est le témoignage d'une terreur d'Etat intemporelle. Un beau récit sûrement, mais que je n'ai pas su apprécier cette fois-ci. Et je le regrette d'autant plus que son souvenir me suit depuis si longtemps. Voilà une expérience qui ne me donnera pas l' envie de relire un livre à l'avenir.

Lien : https://itzamna-librairie.bl..
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Roman remarquable sur l'univers concentrationnaire soviétique sur les victimes et sur les bourreaux mais aussi sur l'immense foule des obscurs : indicateurs, délateurs, mouchards, moutons, instructeurs, juges, gardiens de prison et de camp, bourreaux et tortionnaires...
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Au Marché Vert (d’Alma-Ata), la cohue n’est qu’apparence recouvrant une harmonie préétablie. Tout s’y trouve à sa place. Les marchands de pastèques et de melons occupent toujours le même côté, celui où sont massés les chevaux, les chameaux, les ânes, les charrettes et les camions.(…) p36
A la stridence des voix enfantines répond un majestueux distique :
« Mes melons parfumés, succulents et sucrés,
Je les donne pour rien, à qui sait les aimer… »
Les melons s’alignent sur les nattes de paille. Il y en a de ronds, aux formes nettes, aux côtes élégantes ; ils ressemblent à des abats — rognons ou coeurs — de monstres ; leur chair est jaune orangé, ou vert chartreuse. Il y en a d’ovoïdes, tels des mines sous-marines ou des engins interplanétaires comme on les représentait jadis. Il y en a de dorés comme l’automne, comme la chute des feuilles, comme un coucher de soleil dans les eaux calmes d’un étang. D’autres évoquent les têtes d’énormes reptiles tropicaux tachetés, striés, irisés, ornés d’inquiétantes arabesques. Tous exhalent un parfum discret dont se repaît le badaud. Les vendeurs sont gens âgés et dignes, Ouzbeks ou Kazakhs, à barbes de sages, aux traits hiératiques sous les calottes brodées. Eux ne s’agitent ni ne crient : ils chantent. Goûter un melon n’est pas offert au tout-venant. C’est une liturgie. on coupe le melon en deux, puis on détache une tranche ténue, diaphane que l’on tend au client, à la pointe d’un long couteau, effilé comme un dard, et il ne reste plus qu’à prendre dans sa bouche, sucer et apprécier ce pétale rose. Car, ici, l’acheteur est un ami. p 37-38 (édition Albin Michel 1979)
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— Ici, je vous prie, fit courtoisement le procureur en indiquant un guéridon devant la fenêtre.
Zybine s’assit et étouffa un cri. La fenêtre inondée de soleil, donnait sur la cour de la prison et l’allée de peupliers. On les avait plantés lors de la fondation de la ville, quand il n’y avait pas encore de prison, sur la route qui montait vers la montagne. Et Zybine se sentait désemparé devant cette richesse de verdure. Tout cela bruissait, ondoyait, vivait de toutes ses feuilles, de chaque pousse, de la moindre veinule. Ces arbres étaient gais, libres, vivants. A lui qui depuis tant de jours ne voyait que le ciment gris du plancher, l’ampoule grise dans sa cage noire et un mur lisse couleur de vase, où l’oeil ne trouve rien à quoi s’accrocher, cette richesse fabuleuse semblait un miracle. Il avait oublié que cela pût exister, alors que c’est l’essentiel. p 266
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"Relégation sans articulations de griefs." Que voilà une formule juridique bien de chez nous ! On ne vous parle pas, on ne vous demande rien, on ne vous explique rien, parce qu'il n'y a rien à expliquer. Tout simplement quelqu'un qui ne vous a jamais vu et ne vous connaît ni d'Eve ni d'Adam a décidé, pour des raisons connues de lui seul, que vous êtes un personnage dangereux.
(...) Mais surtout et par-dessus tout, Dieu vous garde d'insinuer que vous ignorez pourquoi on vous a fourré dans ce trou. Vous devez savoir. Vous y êtes tenu, obligé. Et, aussi, de vous sentir coupable ! De vous repentir ! De gémir à fendre l'âme. Sinon, vous êtes un criminel endurci qui n'a pas pris conscience de sa faute. p 194
(édition Albin Michel 1979)
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Ce fonctionnaire (le chef des services opérationnels) adorait les projections privées. Elles avaient lieu dans les locaux mêmes du Commissariat à l’Intérieur, après le travail, quelquefois de nuit. Tout le monde se retrouvait là, depuis le commissaire du peuple jusqu’aux dactylos et aux gardiens de prison.
(…)
Dans le civil, les petits chefs adjoints, suppléants et employés dégringolaient comme des quilles, bruyamment, couraient se plaindre, réclamaient, plaidaient, colportaient des ragots pour se venger. Ici, on disparaissait, et personne ne se souvenait de vous. Il y avait là quelque chose de mystérieux, d’inaccessible à la raison, mais inéluctable comme le Destin. L’être humain s’effaçait instantanément des mémoires, et en faire mention, même allusivement, était signe de mauvais goût, de manque de tact. Ce mutisme solidaire existait partout, mais il était d’une autre nature, conscient de soi, libre en somme, puisqu’un classique du marxisme a défini la liberté comme intellection de la nécessité.
Une fois seulement, Gouliaev — un vrai grand de ce monde-là — avait transgressé la loi. Alors qu’ils étaient voisins pendant une séance de cinéma, Gouliaev lui avait demandé, avant que les lumières ne s’éteignent :
— Vous ne le connaissiez pas du tout, avant, votre nouveau directeur ?
Le précédent, convoqué à Moscou pour une conférence, avait depuis lors, disparu. Il n’en restait qu’un télégramme : « Bien arrivé bons baisers. »
p 263-264
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Or les plus beaux dessins de Kalmykov datent de cette période. Les femmes y ressemblent à des palmiers ou à des fruits du Sud. Elles ont les mains fines, les yeux en amande. De haute taille, debout ou couchées, elles emplissent toute la surface de la feuille. Quelques-unes ont des ailes, telles des fées. D'autres sont simplement des femmes. Sur des dessins publiés, le long et lourd vêtement d'intérieur n'est que jeté sur les épaules. Il laisse voir la jambe, la poitrine, le torse. La femme porte un vase de style oriental comme on en fait dans les montagnes. Sur une petite table, un candélabre allumé (on dirait un rameau avec trois fleurs écloses) et un livre ouvert avec un signet. Dans le silence de la nuit, où va donc cette belle solitaire, que suit – chien ou chat ?– une créature étrange.
Un autre dessin est intitulé Jazz lunaire. Une blonde élancée, douce et froide (il est à présumer que Kalmykov n'admettait qu'un seul type de beauté féminine), avec des ailes de papillon, porte sur un plateau une bouteille à col fin et un vase d'où jaillit une branche. Ici encore, les vêtements laissent voir le corps. (Plus exactement, tout le corps est une ligne ondoyante enfermée dans l'ovale des vêtements.) Et, ici, encore, il fait nuit. Au fond, un serviteur, en coiffure et cape baroques, descend les marches d'une estrade.
Kalmykov a laissé deux ou trois cents de ces dessins dont la vertu d'envoûtement est indicible. Les techniques employées sont diverses : le pointillé et la ligne continue des contours vides ou habités de couleur, le crayon aussi bien que l'aquarelle. Dans Le Chevalier Motte, le personnage n'est pas sans ressembler à Kalmykov : même cape tumultueuse, même béret, même capuchon de couleur démente, et les décorations de tous les pays existants ou non ! L'homme va, il rit, il vous regarde. En public, Kalmykov n'a jamais ri. Jamais il n'a laissé entrer personne dans cet univers de jazz lunaire, de belles allées qui prennent leur vol et de cavaliers superbes. Dans cet univers-là, il a toujours été seul.
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