Écrire à 84 ans son premier roman. Un roman vrai. le roman de sa propre vie. C'est la prouesse incroyable que
Lélia Dimitriu vient de réaliser avec succès !
Le déclic d'une telle entreprise laborieuse à cet âge vénérable : l'indignation et la colère à la suite de l'invasion militaire russe en Ukraine en février 2022, un événement qui lui a rappelé une autre invasion russe, celle de son pays natal, la Roumanie, le 4 avril 1944, lorsqu'elle avait tout juste 5 ans, et la fuite précipitée de sa famille de Bucarest à Vrăneşti, en l'actuelle Moldavie.
Avec une candeur remarquable, l'auteure nous raconte son enfance, adolescence et jeunesse dans le paradis communiste que la Roumanie est devenue après les accords de Yalta de février 1945, sous la botte de Moscou et la gestion peu éclairée d'une Ana Pauker, d'un Gheorghe Gheorghiu-Dej et finalement d'un Nicolae Ceauşescu, jusqu'à son départ en 1967 pour la ville dont elle avait toujours rêvé, Paris.
Le titre de l'ouvrage s'explique par la personnalité de son père bien-aimé, qui gérait sa propre usine de meubles d'art employant 80 personnes et qui disposait d'une belle petite fortune. En plus, papa Costa Cristu était d'origine macédonienne et né en Albanie. Bref, des qualités qui lui ont fait tout perdre en 1945 et qui lui ont valu, par ailleurs, en 1951, une année d'emprisonnement.
La façon d'évoquer les conditions déplorables de vie en République populaire de Roumanie, l'omniprésence menaçante de la police politique, la fameuse Securitate, l'émergence d'une nomenclature de favorisés et la délation généralisée, nous montre un témoin particulièrement lucide et honnête.
Dans son autobiographie,
Lélia Dimitriu nous raconte également sa grande et dramatique histoire d'amour avec son écrivain préféré, Milo Dragu, un poète juif qui s'appelait en fait Camil Singler (1927-2005).
Je vous laisse découvrir cette "love story" un peu à part et comment cette jeune femme de 28 ans s'est débrouillée pour sortir de son bagne et commencer une nouvelle existence dans la capitale française.
À Paris, elle a obtenu un DEA et a travaillé à l'Institut national de recherche pédagogique (INRP) comme chercheuse. Elle y a aussi rencontré l'acteur de théâtre et de cinéma Jean Lescot (1938-2015) avec qui elle s'est mariée et de qui elle a eu 2 fils, le metteur en scène
David Lescot et le comédien Micha Lescot. Elle s'y est aussi liée d'amitié avec
Denise Baumann, l'auteure de "
Une famille comme les autres" de 1985.
Personnellement, je dois dire que cette autobiographie, qui s'arrête en 1967 au Bourget, m'a beaucoup plu. Outre son récit qui m'a fasciné, j'ai fort apprécié son style qui est à la fois spécial et charmant, comme en peuvent témoigner les 3 citations que j'ai pu envoyer hier et avant-hier à notre site de lecteurs.
Rassurez-vous des phrases à citer il en reste plein, comme par exemple celle-ci à la page 395 : "L'ambiance qui régnait à Bucarest, après vingt ans de dictature du prolétariat, c'était l'absurdité mordant la queue de l'inefficacité."