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EAN : 9782864329138
136 pages
Verdier (12/01/2017)
4.18/5   14 notes
Résumé :
La Voix écrite retrace un cheminement entre médecine et écriture, accompagné par l’amitié d’un vieil homme.
Une cartographie intime qui n’est pas sans rappeler les récits autobiographiques des auteurs spirituels.
Interrogeant le rôle possible de la littérature dans les temps incertains, ce récit sonde ce qui y résiste et nous soutient, et suit les tâtonnements de cette subjectivité mouvante, sans frontière, que les mots savent si bien façonner et érode... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Après de longues hésitations, après avoir laissé les amis choisir en premier, j'ai succombé aux tentations des opérations masse critique. J'ai beaucoup de chance avec ce livre dont je ne connaissais pas l'auteur mais dont l'éditeur m'inspire une certaine admiration, notamment pour cet aspect que j'ai déjà évoqué, la sobriété des couvertures. Le titre aussi me semblait prometteur. Cela m'évoquait spontanément les notices pharmaceutiques et leur indication standardisée « administration par voie orale », la proximité si polyvalente avec voie, comme dans cheminement hiérarchique, et surtout une nécessaire forme de mysticisme.
J'ai eu raison, puisque d'élévation spirituelle et d'une certaine forme de mysticisme il est bien question.
Je trouve qu'il est important d'insister sur l'absence de précision, adossée au titre. S'agit-il d'un roman, d'un récit, d'un essai ? Ce sera d'ailleurs un des enjeux puisque, dans la recherche de la forme d'écriture éminemment thérapeutique, qui se veut « remède esthétique contre l'effilochement », « radeau », apte à combattre « le(s) bestiole(s) des profondeurs », de guerroyer « intérieurement contre ce morcellement qui menace de partout », le roman est d'emblée écarté (cf. mes citations).
Le texte sera donc introspectif, voire contemplatif, mais attention la force de la littérature est avant tout fictionnelle, et, bien qu'écrit à la première personne, bien qu'instillant des éléments clairement autobiographiques tels que la publication en 2008 du livre « Thérèse de Lisieux. La confiance et l'abandon », ou bien la profession d'urgentiste psychiatrique (« Mon métier m'avait convaincu que toute manifestation psychique devait être entendue, écoutée. »), l'épreuve de l'annonce de la maladie et l'appréhension de la mort, constitue un texte érigé au rang de preuve de la confiance que nous devons octroyer à l'oeuvre littéraire.
Pour faire court, je pourrais dire que c'est ici une histoire de grâce comme le dit l'auteur lui-même « pour employer ce mot désuet et ambigu ». Mais je pense qu'il convient d'écouter cet appel qui est par un subtil effet de mise en abyme à la fois celui de Jésus qui s'adresse au jeune homme riche en lui disant : vends tout ce que tu as, distribue-le aux pauvres et viens, suis-moi, mais aussi celui du narrateur en passe de devenir écrivain, et dont le sentiment de l'urgence face au cancer incurable deviendra vocation littéraire.
Le texte est d'abord la rencontre du son de la voix d'un éditeur, Max, lui-même auteur « d'essais de psychanalyse qui avaient fait date », personnage à part entière dont je ne dirai pas plus par crainte de trop dévoiler.
Un style qui sert humblement, mais avec grande élégance et avec la pudeur du frugal en matérialité, mais gourmand en esthétique. Des références motivées avec justesse, telle que celle à Annie Ernaux qui « me semblait réduire la complexité de la genèse d'un individu, écartant les voies vagabondes dans le chemin intime, et, paradoxalement, borner la lucidité à laquelle elle aspirait », à Hölderlin qui s'interroge avec clairvoyance « à qui bon des poètes dans les temps de détresse ? » ou à Yeats avec son expression de la « longue préparation ».
J'espère que je vous ai suffisamment préparés au bleu de ce texte qui sera votre radeau, « quand les livres films gravures peintures » des autres (liste généreuse aux pages 126-127) ne suffiront plus à sublimer le silence. Quelle belle réussite dans son « exigence de vérité » !
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Livre choisi dans une de mes cavernes d'Alibaba préférées : la Librairie Tschann
( BD du Montparnasse-Paris)- 2 Février 2017- Enfin achevé et relu en août 2022


Une lecture qu'on ne peut oublier !...

Un texte interpellant, douloureux, allant dans les profondeurs de la nécessité d'Écrire , retraçant le parcours unique d'un jeune médecin- urgentiste en
" psychiatrie", se retrouvant à l'Aube de ses 35 ans, de l'autre côté de la barrière., en tant que malade atteint d'un grave cancer...

Patrick Autréaux raconte, détaille son " parcours du combattant" contre la maladie, contre certains soignants , contre la peur , contre la souffrance,..., son besoin vital de l'Écriture ( désir personnel préexistant de longue date) pour "se soigner" autrement, et surtout pour "Survivre"..!

L'extrait suivant que j'ai choisi ,exprime au plus près la démarche du narrateur-auteur :

"Qui sait vraiment rester seul avec un incurable, avec un mourant ? Qui sait ne sait rien faire à côté d'un désespéré, d'un endeuillé ? Qui sait soigner jusqu'en cette réclusion- là ?
La personne qui parle est très bruyante : le livre est la possibilité de parler en étant silencieux.C'est en tout cas ce type de livres que j'avais compris pouvoir, devoir écrire. Et en ce sens, cela avait été une découverte : c'était la compréhension de ma route singulière, qui ne reniait ni le soin ni la littérature, qui les unissait, qui m'unifiait en eux et faisait tendre la main aux autres, à tous ceux qui voulaient bien la saisir.
Écrire, mais écrire pour les temps de malheur. "

L'écrivain nous fait partager ses abondants et douloureux questionnements, quelque part universels, comme La Vie, la Mort, la Maladie, son éthique et sa pratique de Médecin, la nécessité de " thérapies " parallèles comme l'Écriture, La Littérature, la Lecture....

Le "récitant" nommé ceux qui l'ont aidé par leurs écrits, comme Primo Levi, Kertész, Chalamov...Des survivants , en somme, comme lui, d'une toute autre manière !

Il détaille une autre influence notable dans l'appréhension de l'Écriture, et du style: Annie Ernaux...

Et puis tout le long du récit, l'ombre affectueuse , tutélaire d'un vieil ami, éditeur, qui va l'accompagner des années durant dans son cheminement d'"Ecrivain" et nous reconnaissons le célèbre et bienveillant psychanalyste, écrivain, Pontalis ...!

Un ouvrage essentiel, précieux, riche d'enseignements d'un cheminement exemplaire de courage , de lucidité et de vaillance et de talent littéraire..!






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L'ouvrage aborde plusieurs thèmes intéressants : l'écriture bien entendu, et il ne s'agit pas ici de plates techniques pour tenir en haleine un lecteur, mais bien d'évoquer le cheminement intérieur, fait de hasards et d'une intime conviction, qui conduit à la nécessité d'écrire, à l'invention d'une forme pour exprimer au mieux cette intériorité ; les rapports parfois conflictuels entre la vie littéraire mondaine et les aspirations profondes qui ont amené l'écrivain à l'écriture ; l'expérience d'une maladie comme le cancer, et les conséquences existentielles qu'une personne est amenée à ruminer, et aspect plutôt singulier, que cette expérience concerne une personne qui a autrefois exercé la fonction de médecin dans un service d'urgences. L'auteur revient longuement sur les circonstances l'ayant amené à choisir entre la pratique de la médecine hospitalière et l'ambition littéraire. La maladie et sa guérison seront un point de basculement qui le convaincront de se consacrer pleinement à la littérature, par la prise de conscience que le temps nous est compté pour réaliser nos ambitions profondes mais aussi que la médecine seule s'est révélée insuffisante pour appréhender adéquatement l'expérience de cette dite maladie. Ecrire, pour Patrick Autréaux, se fait impérieux quand la question de la forme gagne en ampleur, l'écriture trouve sa motivation dans le désir d'inventer une forme qui puisse rendre compte du phénomène vécu, de déblayer partiellement un chemin pour celles et ceux concernés par une expérience similaire.

On retrouve, exprimée avec assez de justesse à mon sens, les sentiments des personnalités tournées vers l'introspection, les lecteurs appréciant les récits introspectifs et les considérations sur l'écriture et la littérature sauront ainsi apprécier cette oeuvre.
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Il m'a fallu du temps pour le reprendre, abandonné au printemps.
Vivre pour écrire, écrire pour vivre, le virus m'est passé.
Néanmoins, je suis toujours preneur des moteurs d'écriture, confiés au public, sous la forme d'un récit de survivant. Après avoir frôlé la mort, le médecin psychiatre cesse d'exercer, fidèle à l'appel intérieur, réveil d'une urgence latente, celle d'écrire, afin d'éroder un moi rétif et d'ensuite atteindre les autres.
Cette introspection autobiographique requiert une attention soutenue, exige du lecteur la patience de suivre un cheminement très cérébral vers l'essence du mouvement d'écriture.
Donner forme à l'informe en soi,
exorciser la solitude,
accepter une fragilité fertile,
faire de la maladie un support de renouveau,
voilà ce que dit La voix écrite, d'un verbe extrêmement travaillé, tantôt austère, tantôt vibrant d'une démarche inspirée.
J'ai accepté de suivre Patrick Autréaux.
Je ne regrette rien mais ne rééditerai pas l'expérience.

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J'ai l'impression d'avoir raté quelque chose en lisant les autres critiques. J'ai reçu ce livre grâce à Masse Critique... le sujet me plaisait mais j'ai pas pu rentrer dedans. J'ai trouvé l'écriture péremptoire, avec des maximes assénées comme des vérités... Bref je n'ai pas été du tout sensible à cette écriture.
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critiques presse (2)
LaCroix
27 janvier 2017
Avec lucidité, Patrick Autréaux refait à l’envers le chemin qui l’a conduit de la médecine, puis de la maladie, à la littérature.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Telerama
25 janvier 2017
Ancien psychiatre urgentiste, l'auteur dévoile comment est né son besoin d'écrire. Une démarche intime qui touche pourtant à l'universel.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (67) Voir plus Ajouter une citation
Quant à moi ? Depuis longtemps, les livres, les encyclopédies et mon surinvestissement scolaire m’avaient fait mettre les voiles et, du naufrage familial, je ne surnagerais que grâce à cette distance aristocratique de l’observateur, que j’avais envers mes camarades et mes parents (ce qui me valait nombre d’altercations avec mon père), grâce aussi à ce sentiment d’être un inclassable, c’est-à-dire un déclassé ou plutôt un surclassé – ce qui n’était, à en croire la logique d’Ernaux, que le signe de la conscience naissante de mon décalage social.
 
Je repris de fond en comble mes premiers essais d’écriture. Ernaux avait indiqué une voie, je m’y engouffrai. Le brouhaha rameuté, le plaisir des détails matériels et des bons mots, les expressions de patois, l’argot, la gêne, les familiarités incongrues, les jours plus silencieux, je les ordonnais et m’efforçais d’inventorier ce qui restait de l’enfance, d’y révéler une logique comparable.
Mais l’attachement et l’attention de cette auteure aux indices sociologiques, à ceux de la vie extérieure, aux éléments d’architecture, aux repères historiques mêmes, s’ils descellaient souvenirs et images, tendaient à installer en moi une distance désaffectée. Être en somme ethnologue de moi-même, écrivait-elle pour qualifier sa démarche. La distance objective, ou s’efforçant de l’être, m’apparut bientôt comme une étape d’écriture, non un but.
Si sa méthode donnait une grande clarté à ce qui était resté opaque en moi – la conscience d’être issu d’une classe sociale spécifique et datée –, les tentatives que je fis en m’inspirant d’elle n’épuisèrent pas un petit quelque chose – du registre de la teinte – dans l’analyse de mes rapports avec mes parents, mon milieu, moi-même, et qui m’échappait dans ce genre d’écriture. Quand je m’y appliquais, cette approche, pénétrante au début et qui contournait certains risques de l’analyse psychologique, finissait à la longue par saturer la vision que je pouvais avoir de moi, de ce que je reconstruisais en écrivant – par la restreindre. Cela bridait mon écriture et l’empêchait d’atteindre cette brèche d’échappement par où la langue parvient à foisonner – ce que je cherchais.
Il est des auteurs décisifs avec lesquels la proximité est immédiate autant que la distance. Ernaux aura été une des rares auteurs contemporains à m’avoir permis de découvrir quelque chose sur moi-même. D’autres furent plus importants, qui m’introduisirent à des formes littéraires capables de détricoter des tics d’écriture. Elle m’ouvrit des pistes intimes que j’avais écartées, que je voulais éviter, et me poussa à regarder en face mon milieu autrement que selon un angle psychologique, autrement qu’en rêveur nostalgique ou complaisant. Mais ce qui tout de suite me parut une limite,indiqué une voie, je m’y engouffrai. Le brouhaha rameuté, le plaisir des détails matériels et des bons mots, les expressions de patois, l’argot, la gêne, les familiarités incongrues, les jours plus silencieux, je les ordonnais et m’efforçais d’inventorier ce qui restait de l’enfance, d’y révéler une logique comparable.
Mais l’attachement et l’attention de cette auteure aux indices sociologiques, à ceux de la vie extérieure, aux éléments d’architecture, aux repères historiques mêmes, s’ils descellaient souvenirs et images, tendaient à installer en moi une distance désaffectée. Être en somme ethnologue de moi-même, écrivait-elle pour qualifier sa démarche. La distance objective, ou s’efforçant de l’être, m’apparut bientôt comme une étape d’écriture, non un but.
Si sa méthode donnait une grande clarté à ce qui était resté opaque en moi – la conscience d’être issu d’une classe sociale spécifique et datée –, les tentatives que je fis en m’inspirant d’elle n’épuisèrent pas un petit quelque chose – du registre de la teinte – dans l’analyse de mes rapports avec mes parents, mon milieu, moi-même, et qui m’échappait dans ce genre d’écriture. Quand je m’y appliquais, cette approche, pénétrante au début et qui contournait certains risques de l’analyse psychologique, finissait à la longue par saturer la vision que je pouvais avoir de moi, de ce que je reconstruisais en écrivant – par la restreindre. Cela bridait mon écriture et l’empêchait d’atteindre cette brèche d’échappement par où la langue parvient à foisonner – ce que je cherchais.
Il est des auteurs décisifs avec lesquels la proximité est immédiate autant que la distance. Ernaux aura été une des rares auteurs contemporains à m’avoir permis de découvrir quelque chose sur moi-même. D’autres furent plus importants, qui m’introduisirent à des formes littéraires capables de détricoter des tics d’écriture. Elle m’ouvrit des pistes intimes que j’avais écartées, que je voulais éviter, et me poussa à regarder en face mon milieu autrement que selon un angle psychologique, autrement qu’en rêveur nostalgique ou complaisant. Mais ce qui tout de suite me parut une limite, c’est qu’elle écrivait au travers d’une grille qui négligeait des lectures possibles de sa propre histoire. Elle me semblait réduire la complexité de la genèse d’un individu, écartant les voies vagabondes dans le chemin intime, et, paradoxalement, borner la lucidité à laquelle elle aspirait.
Ainsi, et peut-être en raison de mon métier, je n’avais pas la même défiance qu’elle envers la psychanalyse. Je n’attendais pas de cette discipline des réponses définitives, mais par la pratique hospitalière, même si j’étais encore sans expérience personnelle de l’analyse, j’avais constaté ce qu’elle pouvait apporter dans la perception de cette teinte des états d’âme et mouvements intérieurs – non ce qu’elle apportait par ses réponses, mais ce qu’elle permettait de mieux saisir par les questions qu’elle pouvait poser, par l’écoute qu’elle développait. Je me méfiais toutefois de sa prétention insidieuse à faire système, à canaliser la pensée – ce que je savais préjudiciable pour l’écriture. Je la tins à distance tout en m’en imprégnant. À vrai dire, je me méfiais surtout de moi et des clés que je pouvais utiliser pour écrire sur moi-même. Si j’avais un regard rationnel sur ma vie, du moins je ne privilégiais pas une toise particulière. Peut-être parce que, depuis des années familier des théories qu’on tente d’appliquer sur le vivant, j’avais constaté à quel point elles n’expliquent qu’une infime partie du comportement, à quel point elles sont des structures qui permettent de mieux raisonner mais sont aveuglantes dès qu’il s’agit de comprendre comment les individus peuvent forcer les déterminations sociales et psychiques.
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Cette chambre, je ne l’ai jamais vue. Je peux l’imaginer bien sûr. Sa fenêtre donne sur un bâtiment gris ou beige, on y discerne les concrétions du béton. Ou bien peut-être donne-t-elle sur d’autres fenêtres. Les volets mécaniques sont déjà abaissés et, à l’heure où je l’imagine, elle est éclairée par la veilleuse du lit. Couleur pastel des murs, une reproduction ou sérigraphie industrielle. Cette chambre, on la trouve dans la plupart des hôpitaux. J’entends ce qui approche. Seulement des voix, lumières pâles, bruits lointains et des murs froids, sur lesquels dans la nuit se peindraient des ombres venues le réveiller, des songeries, des adieux, des « impossible ! » imprononçables, des « non » et des « tant pis », des « je ne veux pas souffrir », des « et si je mourrais tout de suite », des « je ne veux pas », des « et si… et si quoi ? », des « et si je m’en tirais ? ».
C’est dans cette chambre qu’il est mort.
Mais à cette heure où je conversais en pensée avec lui, où je formulais à voix basse ce que je n’aurais pas osé dire une semaine avant, il vient de se retrouver seul et regarde le mur devant lui.
Je sais cela. Je sais exactement ce qu’il vit.
Et moi l’homme jeune, le survivant, j’ai envie de l’aider plus encore, d’être près de lui, de n’être que la souris qui viendrait le soir après les autres et lui parlerait, le rassurerait, lui le vieillard. J’ai envie de transmettre soudain tout ce que j’ai appris pendant cette maladie, de répéter ces conseils dont j’ai mis moi tant de temps à mesurer la justesse. Dire ce que je ne dis qu’aux gens qui comprennent vraiment. Et avec une joie étrange, presque une douleur : Cette fois, nous sommes égaux ; cette fois, tu peux comprendre ce que j’avais l’impression que tu ne comprenais pas, malgré tout, parce que tu ne l’avais pas vécu.
Cela paraissait étonnant que je puisse penser : enfin nous sommes égaux. Il y a parfois une fraternité dans la maladie que rien d’autre ne donne, et cette fraternité-là, je la partageais maintenant avec lui. Il n’était alors plus un substitut de père ou de grand-père, ni un éditeur ou un écrivain avec qui je n’étais pas d’accord, mais comme moi en train de faire le voyage qui conduit à cet exotisme déroutant, à la connaissance vide et pleine, à des visions sur un mur terrible et sans porte.
Je ne cesserais, pendant cette courte période où il fut malade, de parler dans ma tête à cet homme, comme s’il était le représentant de tous ceux qui ne m’avaient pas vraiment entendu :
Lorsque je t’ai rencontré, tu ne savais pas ce que tu sais aujourd’hui, tu avais eu une longue vie et entendu bien des gens te raconter leur intimité, certains tu les avais accompagnés, une femme dont tu parlais parfois, morte aujourd’hui, qui était venue te voir en apprenant qu’elle était perdue. Tu l’avais écoutée seulement peut-être pour qu’elle puisse vivre jusqu’au bout. Je dis : Tu ne savais pas. Pardonne-moi si je parais péremptoire, si je prends l’air supérieur de celui qui sait face à celui qui ne sait pas, mais certaines expériences donnent un savoir très simple, terrible et magnifique, qui échappe à ceux qui le cherchent, à ceux mêmes qui le cernent, le pressentent, l’analysent aussi mais n’en ont pas fait l’expérience physique. Tu as toujours eu l’humilité de ceux qui savent qu’au-delà de la raison il est une connaissance, peut-être inanalysable, à laquelle on ne peut parvenir par d’autres chemins que ceux qu’on ne choisit pas. Tu as dit lors de ma dernière visite : « Finalement, c’est quelque chose de complètement nouveau » et tu semblais y trouver, contre mauvaise fortune bon cœur, l’intérêt de l’aventure. Je sais, je sais bien que cette acceptation ne vient qu’après le choc, et pour être souvent balayée par l’angoisse, les cauchemars et la peur panique de mourir. Mais voici que tu es dans cette chambre. Ne te laisse pas enfermer et poursuis ton voyage, oui, sois libre toi aussi jusque là, jusqu’au bout.
 
Dès lors, j’appelais tous les jours. À chaque appel, craignant qu’il serait menacé d’être le dernier. Lui qui n’aimait guère le téléphone était devenu moins expéditif, il posait des questions de plus en plus précises sur les traitements.
Les jours qui suivirent la transfusion pour laquelle il avait été initialement hospitalisé, son état s’améliora, il se ragaillardit, plaisantait. J’appelais après les horaires des visites. Jamais il n’oubliait de prendre des nouvelles de mon roman.
— Ne lambine pas trop, lançait-il chaque fois.
Et un soir, après une conversation – des conseils et souvenirs qui pouvaient le rassurer – sur le protocole qu’il devait bientôt commencer, il m’avait surpris :
— Je comprends mieux, avait-il dit. Oui, je comprends mieux tes livres. Puis : Mais il ne faut pas que tout ça te replonge dans les mauvais moments. D’accord ?
— Ne t’en fais pas… Je t’appellerai demain, si tu veux bien.
— Je veux bien, avait-il répondu avec douceur. À demain.
 
En allumant l’ordinateur le matin suivant, plusieurs emails portaient son nom en intitulé. Avant même de les lire, j’avais compris. Des amis, qui ignoraient qu’il était malade, me prévenaient. La radio, internet avaient publié la nouvelle. Cette intimité de confidences et de paroles affectueuses – tous deux pudiques et volontiers ironiques l’un avec l’autre –, cette intimité qu’il aimait cultiver, avait été pulvérisée par sa disparition brutale, aussitôt devenue publique.
Les morts vous échappent aussi par leur notoriété.
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La réalité qui se tait et ne se partage que par le regard, un mot furtif, un texte qu'on découvre.Grâce à ces personnes je venais de me rappeler que le livre est silencieux et que c'est ce silence qu'on cherche en lui, sous une voix qui devient une présence. Je ne savais toutefois pas encore quelle place ces confidences m'assignaient: ni celle d'un médecin, d'un ami, ni celle d'un confident et pourtant quelqu'un à qui on sait pouvoir raconter ce qu'on ne dit pas aux autres, aux proches surtout.Un ami et en même temps quelqu'un qu'on ne connaît pas, qui ne suscite en vous que le désir de confidence. J'étais un écrivain qui libérait ce que les autres n'aiment pas entendre. Je découvrais le pouvoir de ma voix et cela me rendait terriblement humble et reconnaissant.
( p.62)
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Qui sait vraiment rester seul avec un incurable, avec un mourant ? Qui sait ne sait rien faire à côté d'un désespéré, d'un endeuillé ? Qui sait soigner jusqu'en cette reclusion- là ?
La personne qui parle est très bruyante : le livre est la possibilité de parler en étant silencieux.C'est en tout cas ce type de livres que j'avais compris pouvoir, devoir écrire. Et en ce sens, cela avait été une découverte : c'était la compréhension de ma route singulière, qui ne reniait ni le soin ni la littérature, qui les unissait, qui m'unifiait en eux et faisait tendre la main aux autres, à tous ceux qui voulaient bien la saisir.
Écrire, mais écrire pour les temps de malheur.
( p.108)
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En quelques années, la guérison et l'écriture avaient mené à la construction d'un autre moi, social et intérieur. Ce je ne sais quoi que j'avais profondément désiré était advenu.On dit que les récits sont nécessaires au rescapé. Ils ne suffisent pas.L'homme bousculé, meurtri ou mutilé a besoin de faire quelque chose de son malheur. Moi, j'en ai fait des livres qui certes étaient les récits d'un survivant, mais aussi un chantier me permettant d'entrer dans ce domaine polymorphe, et dont les limites sont floues, qu'on nomme littérature. Mes livres m'avaient ramené à cet état que je ne peux affirmer être celui de l'enfance ou de l'adolescence, mais qui le rappelait.( p.130)
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Video de Patrick Autréaux (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Patrick Autréaux
Patrick Autréaux - Les irréguliers .Patrick Autréaux vous présente son ouvrage "Les irréguliers" aux éditions Gallimard. Rentrée littéraire 2015. http://www.mollat.com/livres/autreaux-patrick-les-irreguliers-9782070147618.html
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